Retour à l'accueil

Retour aux compte-rendus

Les JOURNECRITURES

GAP Jeudi 7 et Vendredi 8 OCTOBRE 2004

 



Ecrire la clinique
2ème partie :

Écrire pour voir


Pourquoi écrire ? Pour être lu ? Pas sur, ou en tout cas en ce qui me concerne cela n'est certainement pas suffisant… Car la somme de temps, et de souffrance qu'il me faut pour écrire quelques lignes qui vont, dans le meilleur des cas si elles sont publiées, intéresser une poignée de lecteurs (dont la moitié seront des amis) je me dis qu'à ce prix-là j'ai meilleur temps de proposer à l'un de ces amis d'aller faire un tour à vélo. Écrire à mon niveau, c'est avant tout pour tenter d'affiner mon regard clinique.
Il existe un dicton bien connu qui dit que la beauté est dans l'œil qui regarde plutôt que dans l'objet… Alors que certains dans notre profession d'infirmier généraliste détestent la psychiatrie, il s'en trouve d'autres que cela passionne. Là où les premiers ne voient qu'un travail inquiétant et ingrat, les autres l'investissent avec enthousiasme. Comment faut-il comprendre que l'on puisse avoir des regards si différents ? Il faut pour travailler en psychiatrie être attiré par des phénomènes invisibles que l'on prend plaisir à découvrir… Des symptômes qui cachent les forêts de l'inconscient, des transferts qui appellent des contre-transferts, des relations qui en font résonner d'autres etc… Il faut être curieux de l'autre, prendre plaisir à penser et à parler de ce que nous font vivre les patients. Cette activité est essentielle en psychiatrie, c'est d'ailleurs l'antidote indispensable de la psychose.
En effet, ces patients que l'on rencontre à l'hôpital psychiatrique ne sont pas faciles à aborder. Il ne faut donc pas trop s'en remettre à eux pour nous quittancer de nos efforts… Il nous sera nécessaire de déployer beaucoup d'énergie pour établir un lien avec un sujet qui, dans un premier temps en tout cas s'y refusera tant cette relation qu'on lui propose l'inquiète. Le contre-transfert précède le transfert disait J.Lacan, à nous de montrer l'exemple : peut-être se laisseront-ils contaminer par notre désir à entrer en contact avec eux. Avant cela on apprend à faire face à leur méfiance et leur indifférence face à nos velléités d'aller à leur rencontre.
" Les psychotiques fonctionnent comme si les choses n'étaient que ce qu'elles sont " nous dit J.Hochmann " la réalité, pour eux, est coupante et nette, les mots n'ont qu'un sens, sans profondeur et sans durée ". Nos institutions peuvent ainsi leur paraître bien ternes, sans potentialité autre que celle d'y recevoir des repas, des médicaments et bien souvent de se sentir surveillé à travers les activités thérapeutiques qu'on leur propose. Certains perçoivent bien une attente de notre part, trop souvent chargée d'impatience et d'agacement, une attente qu'ils ne peuvent honorer, car ils ne la comprennent pas. Quelque chose leur manque ou leur fait horreur… Cette capacité à prendre plaisir à penser, un certain goût pour le symbolisme, l'habitation poétique de l'existence, tout ce qui peut rendre la vie profonde, tragique, ou encore légère, romantique. Le pire dans la folie c'est peut-être le manque de ce quelque chose d'impalpable que l'on nomme l'humanité.
À quelques jours de la sortie, et de la fin de son traitement, cette patiente dans son pack a un regard particulièrement inexpressif. Elle semblait pourtant avoir investi cet espace. Pourquoi aujourd'hui est-elle aussi absente ? Il me vient une image : celle d'un volcan sans savoir s'il est en ébullition proche de l'éruption, ou à l'inverse déjà froid où tout est pétrifié. On tente, ma collègue et moi qui l'avons accompagné durant ce traitement de parler de notre séparation qui se profile, de son départ de l'hôpital. On lui demande comment elle envisage sa sortie prochaine. Je prends mes affaires, je dis au revoir, et je pars ! Punkt, schluss comme on dit chez nous. Impossible pour elle d'évoquer son attachement et les sentiments que réveillent notre prochaine séparation... C'est en parlant avec ma collègue, ainsi que dans le cadre de la supervision qu'on a survécu à cette classique attaque aux liens. On a dû se faire à l'idée que pour cette fois, on en resterait sur notre faim (fin).
Cette fragile humanité, si souvent attaquée, il peut arriver que pour toutes sortes de raisons, elle se mette à manquer, et que petit à petit on en perçoive plus l'absence, que tout le monde, soignants et patients, s'en passe sans même s'en rendre compte. Rien ne semble à première vue n'avoir fondamentalement changé, mais voilà que l'on passe moins de temps auprès des patients, que les remises d'équipe deviennent plus factuelles…Et l'on compense notre manque d'implication relationnelle par des excès d'activisme, de médication, de cadre, de mesures tutélaires etc … Ce qui peut nous faire réfléchir au fait que la folie n'est certainement pas que l'affaire des patients.

Il nous faut quelque chose pour soutenir notre désir de nous impliquer dans ces relations difficiles. Tenter de trouver des réponses à nos questions, de mettre en forme ces réflexions que ces patients déposent en nous. Ou va-t'on trouver le temps, l'énergie, et l'espace nécessaire pour lire ou écrire… On a tous vécu, j'imagine ce sentiment insupportable de ramener un livre de psychiatrie chez soi… Pour faire face à ces patients qui ont tendance à envahir notre espace psychique, on hésite à laisser entrer chez nous tout ce qui pourrait nous ramener à eux. Je ne sais pas vous, mais moi il m'a fallu un moment pour lire un article de Santé Mentale dans mon lit.
Avec le temps, ce phénomène peut s'inverser. On commence à prendre plaisir à acquérir une théorie de référence à travers nos lectures, et à affiner certaines de nos réflexions par l'écriture. Ce viatique que l'on se construit va nous permettre de prendre la distance nécessaire pour mieux s'impliquer émotionnellement dans nos relations. Une distance qui va nous rapprocher en quelque sorte. Être capable de recevoir les projections parfois féroces de certains patients, et ainsi assurer cette fonction de contenant que Bion à bien su mettre en évidence, c'est une qualité essentielle dans notre profession qui s'acquière à ce prix.
Écrire c'est faire se rencontrer les réflexions que notre expérience professionnelle nous suggère, avec le modèle théorique que l'on s'est construit. De ce mélange se dégagent de petites vérités, des points de repère, un coup de gueule parfois, qui vont structurer la manière de penser de l'auteur. On développe un style, une vision personnelle qui nous permet d'acquérir une indépendance de pensée. Cette indépendance augmente notre capacité et notre plaisir à travailler en équipe. Cet effort intellectuel petit à petit trouve en lui-même sa justification et son plaisir. On commence à mieux comprendre cette théorie qui nous semblait tellement hermétique. Voilà qu'on peut enfin prendre plaisir à jouer avec. On devient alors moins avare de son temps, et l'on supporte de consacrer quelques heures de notre temps libre à préparer par exemple cette intervention… Car ce 4e axe dont nous a parlé mon collègue, celui de la réflexion, force est de constater que c'est un peu l'axe du dimanche soir… Certaines institutions son plus généreuses que d'autres pour lui accorder une place, mais il reste pour une bonne partie la responsabilité de chacun. Pourtant ce travail intellectuel est, comme le dit si bien J.Hochman le premier gardien contre la dérive asilaire de nos institutions. Et c'est donc le dimanche soir justement, que parfois chez l'un, parfois chez l'autre, autour d'une bouteille, un " Mas de L'écriture " par exemple, que l'on se donnait rendez-vous avec Raymond pour se lire nos exercices d'écriture. Car si aujourd'hui on est là les deux ce n'est pas un hasard. L'écriture reste un exercice difficile : on peut vite se retrouver à écrire en rond, empêtré dans une idée que l'on peine à développer, ou encore convaincu d'écrire quelque chose de savant, de réussi sans réaliser que l'on s'enferme dans un texte hermétique, incompréhensible. Une relation fusionnelle avec son texte en quelque sorte… Le regard d'un tiers peut comme toujours dans ce genre de situation s'avérer salutaire. Heureux celui qui dans la vie à trouvé sa moitié, mais également son tiers ! Combien il est précieux de pouvoir confronter ses idées, ses brouillons à un ami, qui avec plus ou moins de scrupules s'étonne, s'indigne, et parfois quand même applaudit… Car quand on est pas un génie littéraire, il est utile de se faire aider en ayant recours à ce que certains appellent l'intelligence collective : c'est dans l'échange avec l'autre, dans la confusion que souvent elles engendrent, que se fécondent les meilleures idées.

Un fameux écrivain Suisse N.Bouvier, grand voyageur devant l'éternel, et qui a connu bien des errances disait un jour à la radio que pour lui le mal, c'était l'informe, et qu'écrire c'était mettre en forme. Nos modestes efforts pour écrire et témoigner de notre travail contribuent à lutter contre le mal que peut générer la psychose… L'informe ou l'indifférencié, la régression, le chaos… Peu importe le nom qu'on lui donne, sachons rester vigilant à ce que l'humanité reste au cœur de notre pratique…


Miazza Michel






nous contacter:serpsy@serpsy.org