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Espaces du rêve et temps de l'action dans le travail d'équipe "

 

Les XIIème Journées de Psychothérapie Institutionnelle ont eu lieu les 13 et 14 novembre, à l'Hôpital de la Timone, à Marseille.

" Sous ce titre, le thème des journées de l'Association Méditerranéenne de Psychothérapie Institutionnelle (AMPI) de cette année, a proposé différentes approches de ce qui constitue le vécu des équipes de soins dans leur engagement dans le champ psychiatrique, et de ce qui peut en être recueilli comme, pourrait-on dire, substance de soin. "

Auguste Olive, Président de l'Association a ouvert ce colloque avec Jean Fricourt, Michel Minard, Jean Oury, Jean Ayme et Braulio Almeida e Sousa : " Les membres d'une équipe sont réunis par une tâche commune. Mais ainsi définie, l'équipe est d'abord un groupe, avec sa vie propre, sa dynamique, ses mécanismes inconscients ". Ils ont balisé ces journées de point théoriques, se référant à leurs propres recherches et aux multiple travaux sur la psychopathologie des groupes de Kurt Lewin, Moreno, , et plus près de nous, François Tosquellas, Diego Napolitani, René Kaës, et Salomon Resnik parmi beaucoup d'autres.

" En suivant les perspectives ouvertes par ces auteurs, et à partir des pratiques des uns et des autres, pourront peut-être émergé dans ces rencontres, les pulsations, les rythmes et les formes qui animent les équipes en travail, prises dans la complexité des mouvements transférentiels, et confrontés à leurs propres résistances ".

Rendre compte de manière exhaustive de ces journées nous paraît difficile. Nous vous donnerons donc un aperçu d'un seul atelier (sur les deux) et nous attacherons, par contre à vous exposer par le menu, notre " coup de coeur ".

Plusieurs soignants ont emprunté la métaphore marine pour parler des soins. Pour s'embarquer dans une relation de soin, comme dans une traversée, il ne faut rien négliger avant le départ. C'est ce qu'on pourrait appeler le " projet ". En effet, la nature du voyage, le type de passager, la destination, les conditions météorologiques sont autant d'éléments à prendre en compte pour choisir le navire, le type d'équipage, la route à tracer, sa longueur, les caps à tenir, les écueils à éviter, les escales à faire, l'avitaillement à prévoir ... De ces préliminaires dépendent en bonne partie la traversée. Tout un travail s'effectue donc à terre, avant le départ, en cours de traversée et à l'arrivée. Pour tracer cette route, la référence à une théorie et l'expérience pratique d'un équipage sont indispensables.

Différents " équipages ", formés d'éducateurs, de psychologues, d'assistants sociaux, de psychiatres et d'infirmiers ont soumis à leur analyse et à la nôtre, leur façon de rêver le voyage et de le préparer, leur façon de naviguer, que ce soit avec des patients ou des étudiants.

Une intervention a retenu notre attention : celle de Michel Balat. Houria Chafai-Salhi nous avait auparavant alerté : " Méfiez-vous des théories toutes faites, qu'on applique à la lettre ... " " Aujourd'hui, on ne s'autorise plus à rêver. Le rêve est devenu un luxe de nantis. " L'intervention de Michel Balat, sous le titre de " L'invention de la psychothérapie institutionnelle " nous a invité à rêver d'un soin qui ne se mesurerait pas en terme de charge de travail, de PRN 80, de normes ISO. Astrophysicien de formation, il est également psychologue dans un service d'éveil de personnes dans le coma. Il est surtout poète. Pour soigner, il a besoin d'abord de pouvoir rêver, puis de s'inventer ses théories, même des théories déjà inventées par d'autres. Jour après jour, il se les ré-approprie et concocte des concepts jolis à prononcer et à écouter, pour mieux panser. Balat invente des théories comme d'autres découvrent des trésors ou des planètes.

Pour que les " blessés " reviennent à la vie, il faut en premier lieu, que les soignants en aient le désir et qu'ils leur donnent envie " de revenir à nous ", puisque c'est d'abord à nous qu'ils reviennent avant de " revenir à eux ". Cet accueil là se prépare. C'est pas rien de donner l'envie de revenir à la vie. Il faut d'abord qu'il y ait de la vie. Cela suppose créer un espace possible de re-naissance, une ambiance, une enveloppe. Il faut créer de l'invisible, de l'impalpable et pourtant du perceptible.

Difficile de penser du perceptible impalpable et invisible. Alors Michel Balat invente différents concepts, qui bien entendu n'existent pas plus les uns que les autres, mais qui peuvent faire prendre corps à des idées abstraites pour que des soignants s'en saisissent et qu'ainsi des blessés passent du coma à la vie.

Premier concept : L'espace tonal.

Ce serait cet espace de possible re-naissance, cette membrane impalpable, invisible mais perceptible dont les soignants entoureraient le patient, une sorte de peau qui toucherait, envelopperait, stimulerait les sens de ceux que le coma garde au secret. " C'est un espace dans lequel on flotte tous. Un espace o l'on se pose pas la question de savoir si on existe oui pas " Les moyens utilisés, il ne nous en parle pas. Ils sont sans doute à la portée de tous. En tout cas, ils n'ont pas d'importance en soi. Ce qui importe avant tout, c'est qu'ils soient pensés et utilisés par les soignants. C'est ça qui les rend efficaces.

Deuxième concept : Le musement.

Penser, c'est à dire, " appliquer son esprit à concevoir, à juger quelque chose " est une étape. Mais cette organisation complexe se fonde sur des images, des impressions, des idées vagues ... Les soignants, après avoir fait un recueil de données à propos de la personne comateuse, prennent l'ambiance qu'elle leur évoque. Ils laissent aller leur imagination : ils associent, ils inventent, ils créent leur vision de l'homme ou de la femme dont ils ont à prendre soin, ils rêvent la personne, ils badaudent, ils musent. Aucune de ces constructions n'est vrai, mais peu importe. Elles peuvent elles aussi prendre corps et alors, de cette capacité de " musement " des soignants peut dépendre l'éveil à la vie.

Troisième concept : Le Guet.

Les soignants rêvent ou musent. En d'autres termes, ils fournissent au blessé des interprétations possibles. Puis, ils attendent ce qui va faire réagir ou non, ce que le patient fait des paroles des soignants. Ils font le " guet ". Ils sont là à scruter le visage du patient, à guetter des signes qui montrent qu'il interprète l'ambiance, que çà réagit. Ils sont dans l'infiniment imperceptible. Au patient à son tour, d'interpréter, de façon silencieuse ou non, les interprétations des soignants. Travail collectif et travail singulier se mêlent en écho. Le blessé est au cœur du travail, c'est lui qui interprète. Les soignants ouvrent une brèche. Dès que le patient s'y engouffre, les soignants le suivent.

Quatrième concept : Le scribe.

Tout au long de ce chemin, les soignants témoignent du chemin et se chargent de son inscription. Ils sont dans la position du scribe. Ils inscrivent ce que le blessé interprète.

Cinquième concept : L'état des lieux.

Il s'agit d'inventer pour répondre à la logique du soin. Lorsque les patients s'ennuient, quand ils ne font rien en dehors des séances de rééducation, çà crée une certaine ambiance qui joue évidemment aussi au niveau de l'espace tonal et de la capacité de musement des soignants. Evidemment des activités ont été proposées, mais çà ne suffit pas. Les patients s'ennuient autrement. La logique du soin a donc impliqué la création d'un club. Çà a remis de la vie. Les familles y participent. Mais on a été plus loin, on a même créé un club pour les patients végétatifs. Evidemment, ils ne s'y rendent pas tout seul. Mais le mouvement impliqué par les quelques déplacements de ces patients (déplacement du lit, mobilisation des soignants) a transformé toute l'ambiance du lieu de soin, tout l'espace tonal, toute la capacité de musement des soignants.

Ce qui compte finalement c'est notre capacité à inventer des formes toujours neuves. On peut passer tous les jours devant une montagne et ne pas la voir. On peut aussi s'émerveiller et la percevoir à chaque fois d'une façon différente. C'est ce que recommande Balat.

Il faudrait regarder les patients comme on regarde un coucher de soleil, avec la même émotion, avec la même capacité de rêverie, avec la même attention apportée à l'infime, au presque rien.

Patrice Hortoneda et Jean Oury clôturèrent ces journées d'un très très grand intérêt théorique et pratique. N'en ratez pas les Actes.

Paul Arène
Unité Charcot
Centre Hospitalier de Provence.

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