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Je broie du noir à me ronger les doigts



Texte présenté au Colloque International de l’Association des groupes d’intervention en défense de droits en santé mentale du Québec, à Valleyfield.

Le 10 novembre 1999

Les moyens de contention sont nuisibles aux malades et augmentent l’agitation : ils sont souvent considérés par les malades comme une punition. On peut juger de la valeur des infirmiers par le petit nombre des moyens de contention qu’ils emploient ; un personnel bien instruit n’en fait usage qu’exceptionnellement.

L’usage de ces moyens favorise la paresse et le défaut de surveillance. Les infirmiers doivent cependant savoir que le malade qui subit un mode quelconque de contention doit être plus particulièrement surveillé. "(1)

Quels antipsychiatres, quels révolutionnaires, quels intellectuels déconnectés des réalités de la santé mentale ont écrit ces lignes ? Médecins honoraires de la Maison Nationale de Charenton, Mignot et Marchand ont rédigé un manuel technique qui a accompagné des générations d’infirmiers. En 1931, alors que n’existait en fait de traitement de l’agitation que chloral et polybromuré, ces deux médecins se positionnaient en faveur du no restreint.

Si nous nous intéressons à d’autres formes d’isolement, nous verrons que chez l’enfant, les maladies chroniques et les hospitalisations réitérées ont des conséquences psychologiques indiscutables et diverses : régression, sentiment de culpabilité ou de persécution, ou encore d’abandon, défaut d’adaptation.

Les expériences d’isolement sensoriel montrent la nécessité d’un étroit contact avec l’environnement pour le bon fonctionnement du moi. Dans tous les cas, les conséquences psychopathologiques de l’isolement sensoriel sont les suivantes :

- troubles de la perception consistant en troubles du schéma corporel et en hallucinoses. La dépersonnalisation se manifeste par une asomatognosie des différentes parties du corps, surtout tête et membres, par une sensation de flottement dans l’air. Plusieurs ont des hallucinations visuelles auxquelles s’ajoutent parfois des hallucinations auditives ;

- comportements régressifs de différents types : expérience délirante primaire signifiant un début de déstructuration psychotique du moi avec entrée dans le délire pouvant évoluer vers une psychose paranoïde franche, apparition d’attitudes prégénitales (incontinence urinaire et fécale), modifications des habitudes alimentaires, tendance à prendre des repas liquides jusqu'à acceptation du biberon, comportements agressifs et érotiques ;

- altérations affectives se manifestant par l’alternance d’euphorie et d’anxiété avec des crises d’angoisse.

Qu’il s’agisse de prisonniers politiques, de prêtres isolés dans leur cellule, de détenus en quartiers de haute sécurité, le constat tend à être le même : l’isolement entraîne des troubles de l’image du corps, pouvant aller jusqu’à la dépersonnalisation. Il n’est ainsi pas besoin d’être psychotique en crise pour régresser dans un lieu clos, pour être en proie à l’angoisse de morcellement, il suffit d’y être enfermé.

Les personnes atteintes de psychose ont-elles une façon spécifique de réagir à l’enfermement ? Cela est tout à fait probable, en raison des moyens de défense particuliers qu’elles utilisent. Tout porte à croire cependant que l’isolement majore la dépersonnalisation et le délire.

Nous avons montré dans différentes études cliniques qu’un certain nombre de réactions observables chez le patient isolé sont donc produites par l’isolement lui-même et non pas directement par la pathologie. Nous avons également montré que l’isolement en tant que mesure thérapeutique, non seulement n’atteint pas son objectif, mais aggrave la pathologie. Nous nous proposons aujourd’hui d’aller encore plus loin, en montrant que pour un certain nombre de patients, et dans un certain nombre de séquences de soins, se crée autour de l’isolement et de la contention un système pathologique. Les passages à l’acte du patient, marqués du sceau de la répétition, " obligent " l’isolement qui nourrit à son tour des passages à l’acte, qui entraînent l’isolement. Nous entrons ainsi dans une histoire sans fin, dans un cercle vicieux où le soin finit par être exclu et où soignants comme soigné n’ont plus qu’une relation sado-masochiste marquée par l’alternance passage à l’acte/punition et punition/passage à l’acte. Combien de ces patients ont connu l’enfermement, les coups lors de leur enfance ? De quelles répétitions sommes-nous les acteurs en les isolant ?

Le choix que nous faisons pour traiter le sujet aujourd’hui, est le même que celui qui guide les soins que nous dispensons tous les jours, dans nos services respectifs, c’est à dire que nous partirons de la parole et du point de vue d’un patient pour réfléchir. Parmi beaucoup de témoignages de patients, nous avons choisi celui de Mortimer Léchodet, patient hospitalisé depuis plus de vingt ans, dans un hôpital psychiatrique. Il va de soi que son nom et son prénom ont été modifiés. Le caractère exemplaire de cette histoire ne repose pas sur les conséquences tragiques de l’isolement pour cet homme particulier, mais sur l’édification progressive d’un système d’interactions pathologiques entre soignants et soigné. Notre hypothèse est que l’isolement, loin d’être une mesure thérapeutique, est alors le signe d’une pathologie institutionnelle, dans laquelle une équipe est aspirée, à son corps consentant, dans la compulsion de répétition du patient. La pathologie du sujet contamine des soignants, devenus incapables de penser et qui se lancent alors dans une surenchère symétrique, où l’un devient l’autre.

Nous ne ferons qu’esquisser à gros traits un travail actuellement en cours. Qu’on nous pardonne donc les raccourcis parfois rapides.

Je broie du noir à me ronger les doigts

Voilà maintenant un an que je suis enfermé dans cette putain de chambre d’isolement. Alors, ça commence à bien faire. J’en ai ras le bol, je me demande quand ça finira ... Dans cette chambre, je broie du noir à me ronger les doigts. Des fois, je me donne des coups de tête contre les murs pour en finir ... Je me demande quand j’en sortirai et quand je reverrai le jour."

Au moment où Mortimer Léchodet écrit ces mots, sa vie est strictement cadrée par un " protocole de prise en charge ", le seul du genre dans l’unité, resté, à quelques variantes près, nous le verrons, le même depuis deux ans : trois autorisations de sortie de la chambre d’isolement, une pour la toilette et le petit déjeuner, une autre pour le déjeuner, enfin, une dernière pour le goûter, qui s’étale de 16h jusqu’au repas du soir. 20h30 : coucher. " S’il y a le moindre problème pour le retour en chambre à 20h30, retour aux anciens horaires pendant trois jours ", c’est à dire aucune autorisation de sortie en dehors du matin pour faire sa toilette. Les cigarettes sont comptées " 4 par période de sortie, données au maximum 2 par 2 par l’infirmier qui le fait sortir le matin, et 6 à 8, pour l’après-midi ". Si la conduite de Mortimer est satisfaisante, il est autorisé à " assister aux activités et aux sorties thérapeutiques ", dans des limites précisées par le protocole le concernant. C’est ainsi qu’il peut participer à la " réunion soignant/soigné " du lundi matin, à un " atelier dessin " le lundi après-midi, à " l’atelier revue de presse " le jeudi après-midi et à " l’atelier musi-corporel " le vendredi. Il est prévu qu’il se rende à l’atelier dessin, situé en dehors du pavillon, habillé et accompagné. Dès son retour, il est remis en pyjama puis en chambre. Pour les autres ateliers, il n’a pas l’autorisation de s’habiller avec ses effets personnels. Deux médecins sont référents de ce patient et doivent le recevoir le vendredi, en présence d’un infirmier. Il est prévu également que " lorsque l’effectif ne le permet pas (2 agents en service), Monsieur Léchodet reste en chambre fermée ". Dernier point : " En cas de problème majeur : passage en chambre d’isolement dans l’unité d’accueil ", où la chambre répond aux normes de sécurité.

Mortimer en voit de toutes les couleurs !

Dans cette chambre, Mortimer Lechodet " broie du noir à se ronger les doigts ". Des fois, il se donne des coups de tête contre les murs pour en finir. Mais ça n’en finira pas. Les critères sont respectés. Les écarts avec la norme sont reconnus comme acceptables. L’hôpital sera accrédité. Mais qui accréditera Mortimer ? Accréditer, en vieux françois n’est-ce pas faire confiance ?

Faire confiance ...

On peut faire confiance à Mortimer pour ne pas respecter le protocole, pour chercher par tous les moyens à le transgresser. Vous respecteriez, vous, une existence régie, ordonnée, organisée, planifiée, ponctuée par les cigarettes tétées, le nettoyage obligé, et cette suite d’habillage/déshabillage ? Mortimer, lui, n’a pas supporté.

On m’en fait voir de toutes les couleurs. Si ça continue, je vais faire comme mes deux frères et ma mère qui sont décédés. Je vais aller les rejoindre, parce que je n’ai pas peur de la mort. Si c’est pour vivre une vie comme celle-ci, je préfère me suicider ".

Non, Mortimer n’a pas supporté.

Le protocole a été abandonné, faute de combattant, après ce qui a été nommé " l’accident ". Mortimer Léchodet, a importuné une patiente pour lui subtiliser des cigarettes.

En cas de problème majeur " disait une des variantes du protocole. Il a été enfermé. Pas dans la chambre d’isolement de l’unité d’entrée, cela aurait probablement été trop compliqué à justifier, mais dans celle de son unité.

Je préfère me suicider, si c’est ça que vous cherchez. Je me tape la tête contre les murs, je vais en finir. Moi, qui aimerais vivre une vie commune, comme vous, une vie comme tout le monde. Je vous demande de prendre une décision. Pour combien de temps j’en ai, parce que ça va pas tarder à éclater. Je vous serais très reconnaissant de me rendre ma liberté. Je vous remercie humblement".

Il a caché sur lui un briquet et s’est immolé.

Mortimer Léchodet est revenu après une " absence " de six mois. D’abord, trois mois d’hospitalisation dans un service de grands brûlés. Ainsi que l’écrit Didier Anzieu, dans ces services spécialisés " les soins sont douloureux, pénibles à donner et à recevoir. Une fois tous les deux jours ... le blessé est plongé nu dans un bain fortement javellisé, où l’on procède à la désinfection de la plaie. Ce bain provoque un état de choc, surtout s’il est fait sous une anesthésie partielle qui peut s’avérer nécessaire. Les soignants arrachent des lambeaux détériorés de peau afin de permettre à celle-ci une régénération complète ... La régression du malade à la nudité sans défense du nouveau né, à l’exposition aux agressions du monde extérieur et à la violence éventuelle des grandes personnes, est difficile à supporter, non seulement par les brûlés, mais par les soignants.... ".  (2)

Mortimer, ne supportant pas ces soins douloureux, a été plongé dans un coma, dont il a été difficile de le retirer le moment venu. La rééducation fut longue et pénible, et les séquelles qu’il garde sont aujourd’hui encore très lourdes. Il est extrêmement handicapé pour se mouvoir et subit régulièrement des opérations chirurgicales pour diminuer les rétractions provoquées par ce long coma. Par ailleurs, il porte dans sa chair les traces du dit accident : en dehors du visage, du sexe et des fesses, il est tout entier fibreux. Il ressemble à un écorché, couleur jaune, pâle et séreux. C’est comme s’il n’avait pas de peau, juste un voile opaque, qui laisse voir par transparence son dessous ou son dedans, en tout cas, ce qu’on ne devrait pas voir.

Mortimer, le retour !

Mortimer Léchodet est donc revenu au bout de six mois, dans le même service, sans que, jamais, qui que ce soit ait parlé de " l’accident " avec lui. La vie a repris, mais non plus tout à fait comme avant. Il apparaît chaque jour, ne serait ce qu’au moment de la toilette, comme un reproche vivant à l’équipe. En suivant Anzieu, on pourrait presque dire que c’est elle qui " a eu sa peau ".

Dans un premier temps, le protocole s’est assoupli. Il n’a plus été enfermé à longueur de journée, mais a bénéficié d’une liberté malgré tout très surveillée. Il lui arrivait régulièrement de se faire encore " boucler en chambre ", selon l’expression consacrée.

Le Président de la Commission Départementale des Hospitalisations Psychiatriques a interpellé le Médecin-Chef du secteur, il y a quelques années, pour s’étonner que " les trois derniers certificats de demande de maintien d’hospitalisation sous contrainte (HDT), présentent un caractère très répétitif " et pointer l’incohérence du contenu, puisque " les certificats précédents faisaient apparaître une évolution partiellement satisfaisante. Le Médecin référent de ce patient a justifié sa demande par le fait que ce patient hospitalisé dans le service depuis de nombreuses années se présentait avant tout comme un psychopathe avec de graves troubles du caractère et du comportement, survenant sur un niveau intellectuel limite, ce qui empêcherait un éventuel travail d’élaboration autour des différents incidents qui ont émaillés sa vie, incidents assez sérieux pour nécessiter plusieurs hospitalisations en HO en l’UMD. En dernier lieu, il évoque une comitialité, dont l’origine remonte à l’enfance, pas tout à fait maîtrisée par l’important traitement anti-épileptique qu’il reçoit. Il explique donc qu’une tentative de levée de mesure avait été tentée il y avait quelques années, mais très rapidement, il avait fallu avoir recours à une mesure d’urgence pour pouvoir continuer les soins chez ce patient ". Il est clair que si médecin comme infirmiers font ce qu’ils peuvent, ils tous sont pris au piège de l’escalade, en justifiant le maintien du " soin " sous contrainte, ce que justifiera à son tour Mortimer par ses actes de violence. La boucle est bouclée. Les soignants sont comme sidérés par cette escalade. Il n’est plus possible de penser.

Il est clair également que, bien que le médecin convoque l’enfance de Mortimer, et qu’il soit quasiment le seul à le faire, les traces de ce passé sont bien minces dans son dossier. Seuls quelques infirmiers laissent trace des émotions de Mortimer, dont Robert, le " bon objet ", qui le soutient indéfectiblement, contre vents et marées.

 

Moi, ma vie c’est un manège !

" C’est au pavillon de Clérembault que j’ai commencé à faire plus ample connaissance de Mortimer Léchodet. Je me rappelle son obstination à ne pas accepter cet enfermement, qu’il manifestait par diverses réactions très variées et fluctuantes : des demandes incessantes, des hurlements intempestifs, la menace, le chantage, les tentatives de manipulation aussi bien envers les patients que le personnel soignant, les insultes, les actes incendiaires, l’exubérance (il chantait à tue-tête de longs moments), les passages à l’acte auto et hétéro agressifs. Je me souviens l’avoir vu, à la faveur d’une surveillance, se frapper la tête contre les murs de sa chambre. Pour enrayer cet état d’agitation paroxystique, je le sortis un moment pour fumer une cigarette, pour l’apaiser et rompre cette escalade. Durant l’entretien qui s’engagea entre nous, l’accessibilité à un raisonnement adapté était impossible : comme à chaque fois qu’il était sanctionné, il ne pouvait reconnaître sa culpabilité et sa responsabilité. Les seuls sentiments qu’il exprimait étaient de se sentir persécuté et la souffrance qui se rapportait à cette conviction.

Plus tard, je retrouvais M Léchodet dans une autre unité, qui était désormais mon lieu de travail. L’organisation du travail de cette structure nécessitait la prise en charge de patients avec un système de référents. Très vite les affinités qui se créent me désignèrent pour être un des référents de ce patient. C’est dans ce contexte que découle mon engagement à cette étude. "

Affinités, confiance. Robert fait confiance à Mortimer. Et Mortimer fait confiance à Robert. C’est lui qui s’astreint à " éplucher " les trois énormes dossiers, pour tenter de retrouver un sens à l’histoire personnelle et institutionnelle de ce patient.

Le diagnostic médical décrit M. Léchodet comme un " patient épileptique avec troubles du caractère associés et personnalité psychopathique, sur fond déficitaire de l’ordre de la débilité légère ".

La première crise d’épilepsie aurait eu lieu vers l’âge de 18 mois. L’origine serait une " encéphalopathie néo-natale, avec notion de comitialité frontale " Il est pris en charge en Institut Médico-Pédagogique, jusqu’à l’âge de 14 ans. Il est ensuite suivi régulièrement pour son épilepsie et est hospitalisé plusieurs fois en service fermé en raison d’état de mal et de difficultés à réguler son traitement. On note à cette époque " un comportement impulsif et des tendances hétéro-agressives ". Il est hospitalisé pour la première fois en psychiatrie à 17 ans toujours pour équilibrer son traitement épileptique (1 à 2 crises par jour, avec état semi-confusionnel). A cette époque on décrit " sa viscosité psychoaffective mise en évidence par une activité collante ", " son adhérence aux personnes, ses nombreuses demandes pour que l’on s’occupe de lui, ses revendications ". Puis apparaîssent " l’instabilité " et " un certain degré de perversion, l’irritabilité et la sournoiserie ". " Il fouille dans les affaires des malades et dérobe de l’argent, des cigarettes, il nie l’évidence, puis la reconnaît ". On remarque combien la description est objective. Aucun critère de jugement ne vient entacher les observations des soignants !

Il passe une période difficile, présente de nombreuses crises, jusqu’à 10 par jours, qui nécessitent son hospitalisation en neurologie. Le traitement est changé et son état s’améliore progressivement. Il n’a plus de crises, il a même des activité dans l’hôpital. Son comportement social s’est également nettement amélioré. Il sort pour les fêtes de fin d’année.

Il revient trois mois plus tard : " Conflit chez lui avec le père qui refuse la maladie M Léchodet se sent en infériorité et sent son " anormalité ". La mère est tiraillée dans tout cela ". Elle est la seule à ne pas le rejeter et à lui imposer des limites qu’il accepte. A partir de cette période, celle-ci le prend en charge pendant près de quinze ans. Des retours et de nombreuses hospitalisations brèves permettent de rééquilibrer son traitement et de réguler des conduites asociales (fugues, agressivité, ivresse, vol de mobylette) et des conflits familiaux, notamment avec son père.

Les " mises à feu "

Il est réhospitalisé en 1990 pour " état dépressif et crises comitiales ". L’un de ses frères est décédé un mois plus tôt. C’est aussi le début du cancer qui va emporter sa mère. Son traitement anticomitial s’équilibre vite, mais M Lechodet amorce alors une période avec accentuation des troubles du caractère. Il est décrit comme désagréable, ne respectant aucun interdit. Il est mis en chambre d’isolement, comme cela avait déjà été le cas dans le passé, pour des durées brèves et au cours desquelles aucun incident n’a été mentionné. A cette période, commence l’escalade des comportements antisociaux et les réponses punitives des soignants : mises en pyjama, chambre d’isolement, jusqu’au jour où, en août 1991, il met le feu à son matelas, provoquant un début d’incendie. On prononce sa sortie définitive.

Il est de nouveau hospitalisé un mois plus tard. Sa mère décède peu de temps après. Son père le prend en charge, pendant les permissions de week-end. Puis au cours des hospitalisations, le tandem transgression-régression reprend. Fin décembre 1991, il met à nouveau le feu à son matelas. Début 1992, l’escalade continue, il tente d’agresser successivement plusieurs soignants. Son second frère décède brutalement, par accident de voiture en avril 1992.

Deux mois plus tard, il met à nouveau le feu à son matelas, ne supportant pas la mesure de mise en chambre d’isolement, consécutive à l’agression d’une infirmière. Plusieurs membres du personnel infirmier manquent de s’intoxiquer par les fumées nocives au cours du sauvetage.

Ceci entraîne son transfert à l’UMD de Cadillac le 6 juillet 1992, où il reste 3 mois. Il est à noter qu’à partir de cette période, son père se détache complètement de son fils. Il ne le prend plus en permission, ni ne prend de ses nouvelles. Que sait-il de ce séjour ? Qu’est-ce qui lui en a été expliqué ? Quels liens fait-il ? Confirmation que Mortimer est dangereux ? Irrécupérable ? Qu’il perd son temps ?

Le séjour en UMD ne change rien, au contraire. Il manifeste toujours son opposition à l’enfermement par de la provocation : fait ses besoins volontairement en dehors du seau hygiénique, menace le personnel féminin, s’agite.

Mi mars 1993, une période permissive, sans cadre suffisant commence pour lui. Le médecin chef l’autorise à installer sa chaîne hi-fi dans sa chambre. Son principal centre d’intérêt est d’écouter de la musique. Il est passionné par les chanteurs des années 60 et particulièrement Elvis Presley, auquel il s’identifie depuis son adolescence. Il est en possession d’une importante collection de disques et de CD qu’il renouvelle sans cesse (plus de 3000, certains très rares).

Les actes délictueux reprennent de plus belle et bien entendu, se soldent par des enfermements en chambres d’isolement, eux-mêmes accompagnés d’actes incendiaires, en protestation. Il est à préciser que tous les moyens pour dissimuler un briquet et échapper à la fouille ont été tentés, jusqu’à se le cacher dans l’ampoule rectale, ce qui entraînera une exigence médicale de fouille à corps. Refus catégorique des soignants.

Des tentatives de placement en foyer ont été faites. Il est refusé partout. L’idée de demander un échange avec un autre patient d’un autre service a même été suggérée, mais sans succès. Le 28 juillet 1993, l’incendie de sa chambre provoque de tels dégâts matériels, que sa chambre doit être entièrement réparée Il est à nouveau transféré à l’UMD de Cadillac, où il est hospitalisé un an. Observation de cette hospitalisation : " retrouve rapidement ses repères. Il se signale rapidement par de multiples tentatives de transgression des contrats instaurés (café, cigarettes) et réagit de façon agressive verbalement à la frustration, menaçant soignants et soignés. Une première tentative de mise sous antidépresseur révèle une amélioration dans son comportement : plus sociable, moins perturbateur, disparition du sentiment de toute puissance. Mais un état euphorique succède. Il sera mis alors sous thymo-régulateur. Mais à nouveau une période de mise en chambre d’isolement commence, ayant comme facteur déclenchant l’agression d’autres pensionnaires .".

Il revient dans l’unité au pavillon, en chambre fermée, avec des sorties contractuelles au cours de la journée, qui s’étendent progressivement. Des entretiens médicaux et psychologiques sont alors mis en œuvre. De plus, une tentative de resocialisation avec des sorties accompagnées en ville est organisées.

Durant plusieurs années, sa vie sera rythmée par des dérapages et des retours en chambre d’isolement de façon régulière, jusqu’à " l’accident ".

En parallèle, la vie du secteur est tout aussi chaotique, les médecins chefs se succèdent. Les permissifs succèdent à ceux qui tentent de cadrer. Plusieurs d’entre eux cessent leurs fonctions pour des raisons de santé.

 

Ca se discute

Violent, incendiaire, M. Léchodet apparaît vraiment comme un malade difficile. Nul ne contestera le bien-fondé de son isolement. Le trouble qu’il présente correspond bien aux indications. L’isolement n’apparaît pas contre-indiqué Il existe cependant un certain nombre de facteurs de risques : c’est un incendiaire, il a une épilepsie que son traitement ne permet pas de contrôler. Notons cependant que les crises d’épilepsie disparaissent au moment de la mort de sa mère en même temps qu’augmente la gravité des passages à l’acte et la quantité de neuroleptiques prescrits. Pourquoi devient-il incendiaire en août 1991 alors qu’il ne l’avait jamais été ? Peut-on faire un lien avec la mort de son frère, l’agonie de sa mère ? Pendant près de neuf ans, Mortimer n’apparaîtra plus comme épileptique dans les écrits soignants mais comme " psychopathe ".

L’isolement devrait en tout cas impliquer des éléments de surveillance particulière ce que préciserait un protocole de prise en charge qui prendrait en compte le risque d’incendie.

Pendant ces horaires de sortie, surveillance très stricte de M. Lechodet ". La surveillance porte ainsi, non pas sur la période où le patient est isolé, mais sur la période où il ne l’est pas, ce qui est plutôt paradoxal. Le protocole permet aux infirmiers de retourner à l’isolement plein temps, mais même dans ce cas de figure, il ne précise pas davantage les éléments de surveillance à mettre en place. Autrement dit, pendant ces périodes de trois jours, les infirmiers n’entrent dans sa chambre que lorsqu’ils y pensent, que lorsqu’ils sont disponibles. " Si l’effectif ne permet pas de sortie, il reste dans sa chambre ". Dans ce cas de figure, quel est le rythme des visites infirmières ?

Le protocole précise par contre le nombre de cigarettes qu’il peut avoir. Une telle précision apparaît hallucinante. Tout est organisé pour qu’il persécute l’infirmier distributeur de cigarettes jusqu’à obtenir ce qu’il demande. L’infirmier apparaît ainsi comme celui qui enferme, qui rationne les cigarettes. Pour un patient qui attente constamment aux limites, il s’agit du cadre rêvé. Il suffirait par exemple d’appliquer d’une façon stricte ce règlement " pénitentiaire " pour que M. Lechodet réagisse agressivement à la frustration et soit donc enfermé trois jours. S’agit-il d’une mesure thérapeutique ou d’un dressage ? Comment imaginer qu’aucun médecin ne le voit au cours de ces trois jours et annule éventuellement la mesure ? Et reprenne avec lui l’incident ayant motivé l’isolement plein temps ? Qu’entend-on par " moindre problème " ? Est-ce que dire qu’on en a marre d’être isolé peut être considéré comme un " moindre " problème ?

Plus intéressant, lorsque Mortimer se conduit mal, il est privé d’activités thérapeutiques. Encore un paradoxe. C’est justement parce qu’il va mal qu’il devrait bénéficier de ces activités. Ou alors, elles ne sont pas réellement considérées comme thérapeutiques.

Qu’il faille isoler M. Léchodet, pourquoi pas ? Mais pourquoi fallait-il que ce soit dans une chambre d’isolement ? Dans sa chambre, Mortimer a ses disques qu’il a patiemment accumulé tout au long de sa vie. C’est sa fortune, son luxe à lui. S’il était enfermé par séquences dans sa chambre, vivrait-il l’isolement de la même manière ? Mettrait-il le feu à sa chambre au risque de brûler sa précieuse collection ? Probablement pas. On mettrait une limite de la même façon. On pourrait peut-être réguler sa présence au monde à défaut de réguler ses absences épileptiques. Alors pourquoi l’isoler en chambre d’isolement ?

C’est simple, et cela illustre bien qu’en aucun cas l’isolement n’a été imaginé comme une mesure thérapeutique. " Cela lui ferait trop plaisir " disent certains membres de l’équipe. Il s’agissait bien de le punir contrairement à ce qu’écrit son médecin. Dans un tel contexte, le maintien de la mesure de placement équivaut, qu’on le veuille ou non, au maintien de la punition.

Mortimer a-t-il raison lorsqu’il hurle " qu’on veut le tuer ", que " l’équipe est peuplée de sadiques " ? Qu’est-ce qui peut amener une équipe à vampiriser ainsi un patient ? Comment peut-on se laisser prendre à cette escalade symétrique ? Quel crime paie donc  Mortimer ?

 

 

Revenons donc à sa biographie.

Jusqu’en 1990, son parcours est le parcours classique des personnes atteintes d’épilepsie qui souffrent de troubles dits caractériels. Les états de mal se succèdent, les passages à l’acte sont fréquents jusqu’à la stabilisation du dit-traitement. La plupart du temps ces personnes cessent d’être hospitalisées et se bricolent une petite vie plus ou moins tranquille, avec des hauts et des bas. Pour Mortimer, il n’en va pas de même. Sa violence est-elle exceptionnelle ? Même pas. A aucun moment, n’est évoqué un état de fureur épileptique. Tout cela semble très banal.

Tout s’accélère en 1990 avec la mort de son frère, puis celle de sa mère qui s’occupait de lui. Son père l’abandonne progressivement. Le second frère meurt. Comment Mortimer a-t-il métabolisé ces deuils successifs ? L’a-t-on aidé à intégrer ces pertes ? A-t-il pu se rendre à l’enterrement de sa mère ? De ses frères ? S’est-il rendu sur leur tombe ? A-t-on accompagné son père qui a dû faire face aux mêmes disparitions ? Père et fils auraient pu se rapprocher. Après tout, ils sont les seuls survivants de la cellule familiale initiale. Non, rien de tout cela n’a été fait ou tout du moins aucune observation n’y fait mention. On a isolé Mortimer du monde. On l’a isolé de son père. On a isolé ce père de son fils. Certes, il refusait l’épilepsie de son fils. Mais est-ce une raison ? N’aurait-on pu aider ce père à découvrir ou à redécouvrir ce fils raté, cet enfant épileptique qui est tout ce qui lui reste ?

" Trompe-la-mort " c’est ainsi qu’on l’appellait dans l’unité. D’état de mal en brûlure au troisième degré, il a tellement flirté avec elle que plus rien ne peut lui arriver. Porterait-il toutes les morts du monde, toutes les morts de sa famille, et pourquoi pas toutes les morts des membres de l’équipe ? " Trompe-la-mort ".

Que se sont construits ce père et cette mère à propos de Mortimer ? Qu’a donc voulu réparer, restaurer cette mère tellement dévouée ? Que fuit donc ce père en refusant l’épilepsie de son fils ? Plutôt que d’isoler Mortimer, n’aurait-il pas mieux valu se poser ces questions ? Que cherche Mortimer en mettant constamment l’équipe dans la position de devoir l’isoler ? " Je broie du noir à me ronger les doigts " rugit Mortimer. " Si ça continue, je vais faire comme mes deux frères et ma mère qui sont décédés. Je vais aller les rejoindre parce que je n’ai pas peur de la mort ". Que doit-il faire pour être entendu, puisque ses écrits, eux, ne le sont pas ?

Quelle valeur a sa parole ? Le pense-t-on capable d’une élaboration psychique ? Une stagiaire psychologue l’a reçu régulièrement pendant trois mois et demi. Elle est convaincue qu’il a des choses à dire et qu’il est capable de soutenir un travail psychique. Voici ce qu’elle inscrit dans le dossier de M Léchodet, pour rendre compte du chemin parcouru et ouvrir des pistes de travail : " En sortant de son unité d’hospitalisation, le patient a su aménager un espace où il n’était plus identifié à l’institution. Il a progressivement arrêté de parler de sa vie à Charcot ... Il s’est présenté sujet de son propre discours et a montré un autre visage. On ne parlait plus de M Léchodet mais M Léchodet parlait de lui, déroulant les signifiants qui ont marqué sa vie en se remémorant des faits lointains et récents et en faisant des liens entre eux. Etonné, il disait " je prends plaisir ... " ou " j’ai de la peine quand je parle de cela ... Je croyais que ce n’était pas utile de parler de ces choses ...". Laisser parler le sujet lui permet de se désaliéner de la chaîne signifiante par laquelle il est parlé. Pour ce patient, il s’agit des institutions psychiatriques et pénitentiaires. M Léchodet se souvient, malgré les passages à l’acte qui ponctuent sa vie de tous les jours. Il se souvient et souffre. Quand il ne respecte pas la loi intérieure au service, il tombe dans un point qu’il ne peut symboliser. Il rencontre ce point de Réel dans la répétition de ses passages à l’acte de sa souffrance, dont il lui est difficile de parler ... Au terme de ces trois mois et demi, je pense dire que M Léchodet peut soutenir un travail psychique à partir du moment où il rencontre le désir d’un autre, qui donne lieu à l’inconscient, en autorisant l’association libre des signifiants. C’est ainsi que cette expérience guidée par le transfert lui permettra de fonder un savoir en rapport avec sa vérité et la loi institutionnelle ". Comment se fait-il qu’une telle observation soit restée enfouie dans le dossier de cet homme ? Comment comprendre qu’elle soit restée lettre morte, comme toutes celles que Mortimer adressait régulièrement à ses médecins ? Comment le départ de cette soignante a-t-il été préparé ? Comment a-t-il été vécu par le patient ? Par l’équipe soignante avec laquelle elle discutait régulièrement de Mortimer ? Comment se fait-il que plus jamais personne n’ait donné suite à ce travail ? Mortimer s’immole six mois après l’observation de cette stagiaire psychologue, quelques jours avant la date anniversaire de la mort de sa mère. Est-ce ce chantier béant qui a conduit Mortimer à l’irréparable ? Est-ce que ... ? Est-ce que ... ? Il est certain que de nombreuses questions se posent.

 

Et l’équipe, dans tout ça ?

La mère de Mortimer n’est plus, qui va, qui peut la remplacer ? L’institution ? Mais quelle sorte de mère est-elle ? Une mère qui va aller jusqu’à brûler Mortimer ? Une mère qui pourrait le porter comme la sienne n’a cessé de le porter presque jusqu’à sa mort ? Mais pour cela il faudrait que cette équipe soit portée, qu’un travail clinique comme celui que nous ne faisons qu’esquisser puisse se faire. Nous l’avons dit, les médecins se succèdent. L’équipe est orpheline elle aussi. Elle est confrontée à la perte, à l’absence comme Mortimer l’est. Trop proche, trop dans l’acte. Pour accomplir un tel accompagnement, il faudrait un espace de reprise et d’élaboration. Les soignants sont dépositaires de la désorganisation de Mortimer, de ce qu’il projette sur eux de contenus psychiques inassumables par lui. Ils devraient exercer une triple fonction : pare-excitation, contenance, et étayage soit le holding, le handling et le presenting-object. Ils formeraient ainsi un moi auxiliaire temporaire que Mortimer pourrait intérioriser en s’identifiant à ces soignants suffisamment bons. Encore faudrait-il que ces soignants aient la disponibilité psychique pour le faire et qu’ils bénéficient eux-mêmes d’un tel dispositif institutionnel. Leur capacité de rêverie permettrait de transformer les contenus psychiques, ces scorries que projette Mortimer sur eux en des représentations échangeables.

Qui est responsable et de quoi ?

Le médecin qui se tient à l’écart et laisse les infirmiers gérer " çà ", la psychologue, dont l’absence interdit de travailler autour de la dynamique psychique de M Lechodet, le cadre devenu une machine à fabriquer des protocoles tous plus aberrants les uns que les autres, les infirmiers référents constamment barrés par le cadre, les infirmiers présents qui n’ont pas vu le briquet ? L’institution dans son ensemble incapable de gérer les aspects contre-transférentiels de la relation établie avec M Lechodet. Vous avez dit régulation, supervision ? Aucune réunion d’équipe, aucune aide extérieure n’est venue permettre aux soignants d’élaborer à partir de cette histoire. Chacun porte sa culpabilité, seul, et collectivement. Cela est vrai pour les anciens mais également pour ceux qui arrivent.

Il est clair que si M. Lechodet, d’une carrure impressionnante, autrefois, a longtemps terrorisé les soignants et les patients, il n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même. Il n’en a pas moins été régulièrement isolé après " l’accident ", et n’en est pas moins resté hospitalisé encore longtemps sous contrainte, même si le sacro-saint protocole s’était assoupli. Tout s’est passé encore pendant de longs mois comme si, malgré ses blessures, malgré ses cicatrices qui attestaient du combat qu’il a mené et qu’il mène encore, M. Lechodet était resté identique. A-t-il joué là son va-tout ? Si c’est le cas, le résultat apparaît peu probant. Ses blessures, ses infirmités étaient systématiquement déniées. Ses séances de kiné ? Qu’il y aille à pied. " Pour aller piquer des clopes dans les autres services il y va à pied ". Ses problèmes sphinctériens : " Il le fait exprès. C’est pour nous emmerder". On lui signifiait qu’il avait " pissé " au lit, et on exigeait de lui qu’il refasse son lit tout seul, sans se demander s’il avait réellement senti qu’il avait uriné, sans reconnaître que son handicap physique pourrait nécessiter qu’on l’aide. Tout se passait comme si reconnaître ses limitations aurait signifié reconnaître la responsabilité de l’équipe.

Il existe une autre hypothèse : En brûlant le Mortimer violent, par la greffe d’une nouvelle peau, Mortimer aurait été en quelque sorte au bout de lui-même. Cette mise à mort symbolique, cette gestation qu’implique le coma provoqué par la greffe, aurait permis la mise au monde d’un nouveau Mortimer ?

Il est certain que le travail accompli par Robert, Lydia, Béatrice, Florence et les autres autour de son histoire, accompagne ce renouveau. Aujourd’hui Mortimer n’est plus isolé. Lors de la représentation théâtrale annuelle du secteur, il incarnait Jean Valjean. S’il est certain que le plus misérable n’est pas celui que l’on pense, il nous montre une jolie Rédemption. Mais cette Rédemption n’est pas que celle de Mortimer, elle est aussi celle d’une équipe qui réfléchit, écrit à partir de son histoire et de celle d’autres patients. Le travail de pensée en commun, la nécessité de s’ouvrir aux autres comme il le font à travers nos bouches, ouvre pour cette équipe le chemin possible d’une histoire sans isolement. Lors de cette représentation, c’est Robert le bon objet qui jouait le rôle de Thénardier. Mortimer/Valjean finira-t-il par retrouver le fil d’une vie sociale dans la communauté ? C’est le rêve que nous faisons.

Conclusion

Le travail que nous venons de vous présenter est la deuxième étape d’un travail clinique portant sur le trajet de Mortimer. Notre objectif est de montrer l’importance de la réflexion clinique, de la relecture systématique des dossiers de patients isolés. C’est à partir des dysfonctionnements observés que nous pouvons avancer collectivement. Regarder en face nos erreurs implique un certain courage. L’équipe qui est à l’origine de cette présentation a ce courage. Au delà de l’aspect anecdotique de l’histoire présentée, il nous paraît essentiel de conserver en mémoire que l’isolement est pathologique chaque fois qu’il devient un mode de fonctionnement systématique ou régulier pour un patient donné. Le vécu d’abandon et l’hospitalisation précoce dans l’enfance, accompagnés de troubles dits caractériels constituent selon nous une contre-indication majeure à l’isolement.

Le risque est grand de pérenniser et de légitimer des pratiques discutables, ce qui est en train de se produire en France. Lorsqu’une unité de soin est refaite, l’un des premiers soucis des équipes est la question de la chambre d’isolement. Je rencontre dans ce cadre plus d’une dizaine d’équipes par an. L'isolement n'est perçu que comme une pratique thérapeutique ce que nul n'a jamais démontré. Pour améliorer les conditions d’isolement, il n’est qu’une seule méthode, ce n’est pas l’audit clinique. C’est d’ouvrir les portes des hôpitaux et de s’interroger encore et encore sur les ressources de chaque personne, et surtout sur notre capacité à contenir avec nos corps, nos mots, notre pensée et nos rêves, les forces délétères que les patients projettent sur nous.

 

(1) MIGNOT (R), MARCHAND (L), Manuel technique de l'infirmier aux établissements d'aliénés à l'usage des infirmiers candidats aux diplômes d'infirmiers des asiles, 2e ed., 1931, Paris, p.316.
(2) ANZIEU (D), Le Moi-Peau, Dunod, Paris, 1985, page 205.



Robert Millard, Dominique Friard, Marie Rajablat, Infirmiers de secteur psychiatriques.