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des patients chroniques

Photo Joël F. Volson reproduction interdite
Photo Joël F. Volson

Prise en charge de patients psychotiques désocialisés: une prise en charge centrée sur l'hôpital.

Intervention du Dr. H. Kerneis, praticien hospitalier, Mme C. Danquigny, éducatrice spécialisée; M. E. Digonnet, infirmier.
Dans le cadre des journées scientifiques de l'hôpital Esquirol 1 et 2 décembre 1998 : Clinique et précarité


La desocialisation progressive résultant des psychoses non soignées aboutit, dans les cas extrêmes, à la clochardisation.

Il n'est pas rare à l'hôpital psychiatrique de voir arriver en hospitalisation d'office, à l'occasion de troubles du comportement sur la voie publique, des patients psychotiques chroniques non soignés depuis des années voire des décades.

Ils ont avec l'aide des services sociaux et/ou d'associations caritatives, adopté depuis très longtemps un mode de vie qui est le même que celui de toutes les personnes SDF.

Ces patients qui n'ont plus aucun support social nécessitent des modalités de prise en charge particulières avec notamment une hospitalisation initiale très longue permettant outre l'instauration du traitement médicamenteux, l'établissement de liens de confiance avec une équipe soignante, liens qui seuls leur permettent d'accepter qu'ils sont malades, et d'autre part d'envisager une modification de leur mode de vie.

Naguère, de tels patients, une fois leurs symptômes stabilisés, étaient gardés indéfiniment à l'hôpital, ceci constituant la modalité de resocialisation proposée.

Aujourd'hui un tel fonctionnement n'est plus accepté, mais l'expérience montre que la sortie de l'hôpital, même assortie de propositions de prises en charge ambulatoire se solde très souvent pour ces patients par une rupture de soins et un retour à leur mode de vie antérieur.

Pour éviter cette évolution, nous avons été amenés à proposer à quelques uns de ces patients une prise en charge au long cours, ambulatoire, qui reste centrée sur l'hôpital où ils ont leurs repères matériels et affectifs.

Cette modalité de prise en charge, seule, a permis à ces patients de trouver à l'extérieur un mode de vie stable mais répondant à leur besoin de liberté.

 

Nous illustrerons notre propos par quelques observations cliniques. L'équipe pluridisciplinaire parlera de l'articulation du travail du médecin, des infirmiers, de l'assistante sociale et de l'éducatrice lors de l'hospitalisation et au cours des accueils à l'hôpital.

Nous conclurons qu'à notre avis, l'hôpital reste le lieu d'ancrage de la prise en charge le mieux adapté à ce type de patients, lorsqu'ils présentent une pathologie psychotique avérée.

 

Roger

Roger, 33 ans, est hospitalisé pour la première fois dans notre service en HO via l'IPPP, pour exhibitionnisme dans le bois de Vincennes devant les centres aérés de la ville de Paris.

A l'arrivée, incurique, le regard traqué, il donne l'impression d'une grande violence contenue.

En entretien, la symptomatologie psychiatrique est patente. Il dénie les motifs de l'hospitalisation, il tient des propos agressifs et menaçants envers les soignants. Son état nécessite un bref passage en chambre de soins intensifs. Rapidement, sous l'effet du traitement il est possible d'établir un dialogue.

Il exprime alors des idées délirantes mégalomaniaques (filiation, diplôme, richesses). Les éléments que nous apprenons de son histoire nous sont rapportés par l'assistante sociale qui les tient du bureau d'aide sociale des sans domicile fixe.

Né à Paris dans une famille de 9 enfants. Il est placé en institution à l'âge de huit ans, et ne voit alors ses parents que deux fois par an. Son père alcoolique, décède d'une cirrhose quand Roger a dix sept ans . C'est à ce moment qu'il interrompt sa scolarité pour entreprendre des études d'horticulture. Il a été exempté du service national sans pouvoir en dire les raisons. Roger n'a plus de contact avec ses frères et sœurs, mais semble en avoir gardé d'épisodiques avec sa mère.

Il semble qu'il ait travaillé comme jardinier, mais il est totalement désinséré depuis plusieurs années et survit grâce au RMI.

Au bout de quelques semaines, Roger ne rentre pas d'une permission de parc. Il réintègre le service accompagné par la police qui l'a retrouvé dans le bois de Vincennes, 3 semaines plus tard.

Dans l'unité Roger est calme, accepte le traitement mais reste totalement apragmatique, fuit les relations avec les patients comme avec les soignants et n'adhère à aucun projet thérapeutique.

Deux mois et demi plus tard, il ne réintègre, de nouveau, pas le service à l'occasion d'une permission. Cette fugue dure près de trois mois.

Ne pouvant pas affirmer l'absence de dangerosité vu les circonstances de l'hospitalisation, nous demandons qu'il soit recherché par la police. C'est ainsi qu'il est réintégré une nouvelle fois.

Au fil des mois, constatant notre impuissance à le faire adhérer à quelque projet que ce soit, malgré une bonne stabilisation de ses symptômes sous traitement, découragés, nous demandons l'abrogation de l'HO avec proposition de suivi ambulatoire au dispensaire où il ne se rendra jamais.

Un an plus tard, Roger réapparaît alors qu'il est hospitalisé depuis un mois en HO à l'hôpital des Murets où il a été adressé par l'IPPP pour avoir agressé une personne âgée qui dit-il, lui aurait volé son portefeuille.

C'est lui même qui a signalé qu'il a déjà été pris en charge dans notre service.

Deux semaines plus tard, le voici à nouveau dans la nature. Il se présente aux urgences d'un hôpital général, une semaine après, trémulant, catatonique et demandant sa réhospitalisation à Esquirol.

Les hospitalisations se suivent et se ressemblent, la dernière fugue a lieu un mois plus tard, cette fois Roger réintègre spontanément le service au bout de 5 jours seulement. Nous allons pouvoir commencer un travail d'accompagnement et la mise en place d'un réel projet de soins.

Des accompagnements sont organisés à partir de l'hôpital, afin de se rendre aux adresses où il dit avoir de la famille. A chaque fois, ou bien l'adresse est incomplète ou bien la rue n'existe pas. Au retour, Roger raconte son histoire différemment, toujours plus fantaisiste mais on continue les lettres d'information à la préfecture et les accompagnements.

Le but de ces accompagnements n'est pas de confronter Roger à la non-réalité de ce qu'il dit, il ne s'agit pas de lui dire vous voyez bien que vous mentez, cette rue n'existe pas. Il s'agit au travers de la disponibilité de l'équipe infirmière de lui montrer que son histoire nous intéresse, qu'il peut compter sur nous pour essayer de la reconstruire.

 

Parallèlement, en lien avec l'assistante sociale et l'éducatrice nous accompagnons Roger dans ses démarches pour refaire sa carte d'identité puis chercher un logement qui lui convienne.

Grâce à la mise en place de la curatelle, nous pouvons trouver avec lui une chambre d'hôtel située sur notre secteur, qui lui plaît et aboutir à une sortie d'essai sous HO. Il recevra des visites à domicile des infirmiers de l'hôpital qui l'aideront à mettre en place les aspects matériels de cette nouvelle organisation de vie.

Roger sait utiliser les stratégies développées lors de son mode de vie SDF pour trouver de lui-même des repas gratuits le midi, une douche et une laverie gratuits...

Dans le cadre de sa sortie d'essai, il a l'obligation de venir à l'hôpital 3, 2 puis 1 jour par semaine.

Cette visite est l'occasion, de recevoir son traitement, de prendre un repas, de rencontrer l'équipe infirmière et le médecin et de retirer son argent à la gérance de tutelle.

Un an après le début de sa sortie d'essai, il se dit entièrement satisfait de son mode de vie, n'a jamais manqué un rendez-vous mais ne reconnaît toujours pas les soins comme indispensables. Il n'a pas été possible de demander l'abrogation de l'HO sous peine de le voir interrompre la prise en charge.

 

Social

Au cours du 1er entretien social, Roger se présente comme une personne appartenant à un milieu social élevé, marié, écrivain, gagnant beaucoup d'argent,…mais Rmiste et domicilié au Bureau d'Aide Sociale de Paris.

Ces incohérences manifestes ne le dérangent pas et il accepte que nous prenions contact avec le Bureau d'Aide Sociale qui le reçoit habituellement pour le suivi de son RMI.

C'est ainsi que nous apprenons que Roger est connu depuis 8 ans dans ce service, que ses accès de violence et l'incohérence de ses propos alarment de façon répétitive le personnel de la permanence sociale. Il respecte rarement les RDV.

Il a vécu dans plusieurs foyers et hôtels.

L'histoire de la prise en charge sociale de Roger se resserre autour de 3 problématiques essentielles qui, si elles n'étaient résolues, le maintiendraient dans l'errance : se sont la stabilité des ressources et leur gestion correcte, la mise à jour de tous ses droits sociaux ( la sécurité sociale par exemple), l'accès à un logement.

En effet, au cours de la 2ème hospitalisation, nous constatons que les contraintes liées au RMI sont trop pesantes pour lui : il ne va pas retirer régulièrement son courrier à la boite postale, il le déchire ou le jette le plus souvent, il ne retourne pas les questionnaires tous les trimestres comme il devrait le faire.

Il dit en souriant qu'il " n'aime " pas les démarches administratives ".

Sa pathologie le justifiant amplement, nous décidons de faire avec le médecin une demande d'AAH qui serait gérée par un curateur chargé de veiller à ce que les ressources de Roger servent à son entretien. Au passage, nous devons nous assurer que ses droits à la sécurité sociale soient bien ouverts, que sa carte d'identité puisse être refaite, que son RMI soit maintenu en attendant le versement de l'AAH.

La procédure de demande de curatelle est interrompue par 2 fois, car il quitte l'hôpital sans autorisation.

A la faveur de sa réadmission, puisqu'il promet de rester jusqu'à la mise en place d'un projet de soins et de vie , nous obtenons du juge des tutelles qu'il accélère la procédure. Celle ci aboutit 8 mois plus tard à une décision de curatelle. Après rectification, la gérance de tutelle de l'hôpital est désignée, ceci nous apparaissait indispensable à une bonne coordination pluriprofessionnelle, et à un ancrage sur l'hôpital, facile à intégrer pour Roger.

Il a fallu 2 ans pour arriver à stabiliser la situation administrative de Roger : il a enfin obtenu sa carte d'identité grâce à un travail d'accompagnement, il a tenu à avoir un livret de caisse d'épargne, la gérance de tutelle peut assurer la régularité des ressources. A partir de là, son insertion sociale pourra être envisagée : accompagnée par un infirmier, il se met à chercher un hôtel au mois et fort de l'expérience de toute l'équipe avec d'autres patients, l'ancrage hospitalier est mise en place : il bénéficie d'un suivi médical, soignant , social , et pour la gestion de ses ressources.

Roger vient à l'hôpital aux jours convenus avec l'ensemble de l'équipe, il arrive donc à respecter ce rythme.

A ce stade, Roger à une socialisation qui le satisfait, et qui est encore en partie greffée sur son statut SDF : repas, bains-douches dont l'accès lui est ouvert par la permanence sociale où il se rend toujours et avec laquelle nous gardons le contact.

Mais à partir du moment où il touche l'allocation logement, les règles administratives font qu'il ne pourra continuer à fréquenter les lieux qui sont pour lui des repères importants.

Nous devons ensemble préparer Roger à ce changement qu'il perçoit comme une rupture c'est à dire l'aider à quitter le statut de SDF pour celui d'une personne ayant une résidence stable.

Il faudra cependant attendre encore 2 ans de résidence fixe sur Paris pour qu'il puisse bénéficier des prestations versées par les Centres d'Actions Sociales aux Parisiens.

 

 

François

Patient schizophrène désinséré depuis 10 ans, François arrive dans le circuit psychiatrique suite à un délire centré sur la structure caritative qui l'aidait à " tenir le coup " à l'extérieur.

Agé de 43 ans lors de sa première hospitalisation, cela fait plus de 20 ans qu'il vit seul, 10 ans sans domicile fixe, depuis qu'il a arrêté de travailler du fait d'une grande instabilité. François a rompu tous les liens avec sa famille. Son père est décrit comme alcoolique et violent, il ne l'a pas revu depuis qu'il est parti de chez lui. Il n'a revu sa mère qu'une fois au bout de 27 ans. Il n'a gardé de contact qu'avec une de ses sœurs qui a tenté quelque temps de l'aider à s'en sortir, sans y parvenir.

Durant les quatre premières années où nous le connaissons, François est hospitalisé six fois pour des séjours d'une semaine à trois mois.

A chaque admission il présente la même symptomatologie, il erre sous l'influence d'un syndrome hallucinatoire avec un automatisme mental.

Réticent aux soins, et intolérant à la frustration, ses séjours sont émaillés de passages à l'acte hétéro agressifs. Son mode de vie à l'extérieur ne parait pas compatible avec les exigences d'une vie en collectivité à l'hôpital.

N'adhérant pas aux soins qui lui sont proposés, Roger participe cependant activement aux démarches entreprises par l'assistante sociale.

Il est perçu comme un SDF venant chercher lit et couvert à l'hôpital sans demande de soins.

Chaque sortie se fait avec son accord, faute de pouvoir supporter ses débordements dans le pavillon. Il lui est à chaque fois proposé un suivi ambulatoire au dispensaire, mais il retourne à son mode de vie précaire et ne donne pas suite aux rendez-vous.

Au cours d'une des hospitalisations, une tutelle est mise en place sur l'hôpital.

Début 95, les démarches sociales effectuées au cours des hospitalisations précédentes, aboutissent à une sortie vers un hôtel. Cette fois le suivi est proposé sur l'hôpital, dans l'unité où il a ses repères. Une fois par semaine, lorsqu'il vient chercher son argent, il rencontre le médecin et l'équipe, prend rendez vous avec l'assistante sociale ou l'éducatrice et reçoit son traitement. Il en profite pour prendre un bain et un repas.

Au cours de l'un de ces accueils, il demande à être hospitalisé, amaigri, triste et incurique. Ce sera l'occasion de consolider la prise en charge sociale à l'extérieur (repas, aide ménagère...)

Cela fait maintenant 2 ans que François est suivi dans l'unité par un accueil hebdomadaire, il resté le même, il se présente parfois des jours où il n'est pas attendu, et il faut régulièrement lui rappeler les règles du pavillon, mais cette situation semble lui plaire, il dit venir sans contrainte et même avec plaisir car cela lui permet de " casser " la routine de la semaine. Par contre il n'a jamais réussi à donner suite à aucune de nos propositions d'accueil et d'activités au dispensaire, bien qu'en principe ces activités l'intéressent, et qu'il ait été accompagné pour repérer les lieux et rencontrer les soignants.

Il es clair que l'équipe de l'unité constitue pour lui un substitut familial qui l'aide énormément à vivre.

Social

Quand il vient nous voir pour la première fois, François nous apparaît comme un personnage haut en couleurs, doté d'une forte personnalité. Comme bien d'autres, il vient nous dire qu'il a perdu tous ses papiers. Il exprime également son projet de travail.

Il nous faudra avancer pas à pas et commencer par l'aider à refaire sa carte d'identité. Il est pour l'instant résolument solitaire et sans toit.

François est connu depuis 9 ans au BAS qui s'est occupé du RMI qu'il touche, et de son contrat d'insertion.

Sa personnalité explosive et exigeante a découragé tout le personnel de cette permanence d'accueil.

Seule, l'assistante sociale responsable du service a une stature, une autorité et une patience suffisante pour établir avec lui une relation satisfaisante. Elle représente pour lui une figure maternelle et a probablement été le seul lien d'étayage pendant toutes les années où il s'est obstinément réfugié dans une cage d'escalier avant d'être expulsé et conduit à l'hôpital.

Notre première action avec lui et cette assistante sociale est de refaire sa carte d'identité.

Cette démarche a été complexe car ses parents sont d'origine étrangère et naturalisés français; elle a été également compliquée compte tenue des relations conflictuelles avec ses parents. Notre collègue a déployé pour y parvenir des trésors de diplomatie.

Nous mettrons un an à refaire la carte d'identité ce qui correspond à peu près à la période où cette assistante sociale quitte son service, non sans avoir organisé toutes les questions matérielles (repas - douche) qui améliorent le mode de vie auquel il demeure accroché.

Elle nous " le confie " !

Il lui avait demandé de garder tous les papiers auxquels il tenait, le transfert de la relation de confiance qu'il avait avec elle nous vaut à notre tour, d'être dépositaires de ses papiers. François craint en effet de les perdre où de se les faire dérober.

A ce sujet il nous raconte un épisode de sa vie :

François dort dans des abris de fortune ou dans des gares. Avec ce mode de vie, il est confronté au racket et à la violence, il accumule les amendes pour fraude et grivèleries de transport.

( Un jour, il se fait agresser par 3 personnes qui cherchent à le racketter et se défend. L'agent de la RATP qui arrive sur les lieux le voit vociférant, mal habillé et le prend pour l'agresseur. François l'insulte et se retrouve condamné à une amende qu'il ne paiera pas. D'ailleurs, il nous apporte régulièrement ses amendes qu'il reçoit pour grivèlerie de transports. Le scénario durera même après qu'il ait obtenu une carte émeraude il en perd régulièrement le ticket et tout cela est pour lui sans importance).

Cependant François acceptera avec plaisir pendant ses hospitalisations et durant 3 ans de participer à notre atelier " vie sociale " pour ranger les copies des papiers qu'il voudrait garder avec lui dans une pochette, parler de sa vie professionnelle antérieure et de sa famille.

Il a montré un grand intérêt à tous les éléments qui sont les supports tant matériels, symboliques qu'affectifs de son identité, et à l'appropriation de l'ensemble de ses papiers même s'il n'en a pas la maîtrise juridique (curateur).

Son projet de travail au début semblait relativement raisonnable. Il est vrai qu'il était encore à ce moment soucieux d'élaborer un projet d'insertion dans le cadre du RMI, qui soit crédible.

Il souhaitait que nous l'aidions à trouver un chantier de réhabilitation de vieilles fermes, tout en nous disant sa difficulté à vivre en collectivité.

Très rapidement il nous livrera l'idée qui le passionne depuis longtemps , mais qui est lié à sa pathologie :

François veut suivre l'exemple de l'Abbé Pierre et monter une association qui s'occuperait de construire des bungalows destinés à être loués à des personnes en difficulté. Il faut dire qu'il a travaillé pendant 5 ans en intérieur dans le bâtiment.

Nous lui laissons la possibilité d'élaborer ce projet qui meuble son imaginaire, nous le parce que nous le considérons comme son moyen d'expression propre.

Cette idée évoluera dans le sens d'une lecture importante des journaux, pour rechercher des terrains à louer à vendre, en vue des constructions dont nous avons parlé.

Puis son intérêt se diversifiera par le plaisir de collectionner des timbres et l'écoute de la musique. Ces activités remplaceront son investissement précédent.

 

Au bout de sept mois d'hospitalisation, son refus de contraintes administratives et sa pathologie nous amènent à lui proposer l'AAH qu'il accepte, et une curatelle dont il faut dire qu'elle lui est plutôt imposée pour des raisons qu'il reconnaît : il peut en effet négliger de se nourrir correctement pour acheter des journaux en grande quantité etc…

C'est une tutelle qui sera prononcée par le tribunal, et soucieux de remplir son devoir d'électeur, 5 ans plus tard, il demande et obtient la transformation de sa tutelle en curatelle.

A partir du moment où il bénéficie de l'AAH administrée par la gérance de tutelle de l'hôpital, il consent à se loger dans des hôtels, et commence à abandonner ses habitudes antérieures, mais sans pouvoir y rester durablement.

Un an plus tard nous lui proposons un étayage social plus important, qu'il accepte et nous faisons ensemble la recherche d'un hôtel ainsi que toutes les démarches nécessaires à son installation.

il se stabilise dans un hôtel du 17ème arrondissement à Paris où il réside encore.

Son mode de vie va entièrement changer. Il quitte le statut de SDF.

Une aide ménagère est le pilier de son insertion et de sa tolérance dans cet hôtel : en faisant le ménage elle évite les risques réels d'incendie car il fume dans son lit et éparpille ses journaux autour de lui : elle lui prépare ses repas puisqu'il ne supporte pas le foyer restaurant : elle entretien ses vêtements et lui suggère d'utiliser la douche de temps en temps.

La gérance des tutelles s'occupe du financement de cette intervention. Des liaisons fréquentes sont nécessaires entre l'association d'aide ménagère, la gérance des tutelles, l'hôtelier et nous d'autant plus que François se plaint de temps à autre, il conteste par exemple les sommes pourtant très raisonnables qui sont allouées à son entretien, c'est qu'il souhaiterait plutôt les recevoir pour ses projets personnels et risque de tout compromettre.

La patience de l'aide ménagère est à rude épreuve, sa qualité humaine et relationnelle sont exceptionnelles. Seule sa présence et sa médiation peuvent convaincre l'hôtelier de garder François.

François vient régulièrement dans le service. Il n'a jamais pu trouver le chemin du dispensaire dit-il avec malice.

Son ancrage à l'hôpital est un autre facteur de sa réinsertion sociale. Ses rapports avec sa famille semblent toujours aussi lointain et ceux d'entre nous qu'il connaît bien ont conscience de représenter pour lui une famille de substitution.

Nous le recevons toujours sans rendez-vous qu'il n'arrive pas à respecter, mais il a la patience d'attendre que nous soyons disponibles.

Ses protestations retentissent parfois dans les couloirs, mais il connaît les limites de ses protestations qui ne servent plus qu'à le maintenir en voix et en forme.

Il a depuis longtemps compris que nous l'avons accepté tel qu'il est.

Conclusion

 

Les personnes désocialisées et souffrant de troubles mentaux ont perdu le sens des repères sociaux partagés par tout le monde.

Plus que pour tout les autres usagers des services de soins , il leur est impossible de se conformer aux rythmes que nous avons calqué sur nos propres modèles.

Plutôt que de leur demander de s'assimiler à ces normes, en niant leur différence, le travail fait avec elles, montre que nous devons tolérer dans un premier temps leurs particularités pour les amener progressivement à accepter des liens réciproques avec les autres.

La relation de confiance est plus qu'avec les autres patients, difficile à établir.

La question que l'on se pose souvent c'est celle du choix du mode de vie. Malgré l'apparente adaptation de ses patients dans un mode de vie marginal, (plusieurs années dans ces deux situations), il est difficile de faire la part de difficultés liée à leur pathologie et celles liées à leur mode de vie précaire.

Si nous ne devons pas oublier qu'à leur arrivée il n'ont aucun espace personnel autre que celui qu'ils ont pu s'aménager dans l'errance.

Nous sommes amenés inévitablement à leur proposer un mode de vie plus stable sans être perçu comme intrusifs. La relation de confiance que nous établissons avec eux à partir du lieu de soins est plus difficile à établir qu'avec les autres patients, mais elle reste essentielle.

Et c'est ainsi que les équipes du secteur qui sont parfois le dernier lien social de ces personnes et peuvent devenir le premier maillon vers une appartenance sociale retrouvée.

Nous avons essayé de montrer la difficulté de prendre en charge des patients psychotiques desinsérés depuis de nombreuses années.

Les propositions de suivi classique que nous pouvons leur faire, comme des rendez vous au dispensaire ou la fréquentation d'un hôpital de jour, ne leur conviennent pas.

Le premier travail est celui de redonner un lieu stable, à ces psychotiques devenus sans lieu.

Ces sujets vivent dans un perpétuel présent répétitif afin d'avoir le moins de prise possible à donner aux événements nous dit Basard.

Leur biographie est souvent remplacée par des histoires mythologiques, avec des repères marqués par des histoires dévalorisantes et infernales.

Il faut du temps pour créer une relation qui ne va au début que rarement jusqu'à l'engagement.

L'exclu est sans lieu et sans lien, l'hôpital peut lui en proposer et l'aider à redécouvrir un lieu, dans une remise en lien.

Ce processus permet, comme dit Cario le passage de l'affiliation institutionnelle à la réaffiliation sociale.

Ainsi, lorsque la pathologie psychiatrique a conduit à la situation de désinsertion, l'hôpital psychiatrique, au fil des allers et retours, permet de restaurer l'identité sociale comme psychique de ces patients.

C. Danquigny, E. Digonnet, H. Kerneis, V. Silvagnoli, C. Téhel, L. Thenevier
Service du Dr. Windisch

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