Retour à l'accueil

Retour à prise en charge
des patients chroniques

Questions autour de l'accompagnement des patients dits "chroniques"


Le combat de Célestin Vermot


" Il faudrait éviter ces traitements qui pour vous-mêmes me sont indispensables et de mon cœur dispensables. " Et oui, cher Célestin, la raison a ses raisons que le cœur ne connaît pas.

Le corps et la pompe


J'aime pas faire les piqûres.
C'est dans le " Soins infirmiers aux malades " de la Communauté des Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul que j'ai appris les protocoles de soins techniques. Un gros livre de près de 900 pages, à la couverture bleue en carton. Un modèle du genre divisé en deux parties : les besoins physiques en 800 pages et les besoins psychologiques en 35. Il était important de bien repérer où sont les priorités.
La première piqûre que j'ai faite n'était pas un traitement retard, mais une injection d'équanil®. L'infirmier m'avait tout expliqué : le quart supéro-externe, le geste sec pour piquer, il avait simplement omis de me préciser qu'il fallait bien maintenir l'embout de la l'aiguille, d'autant plus qu'il s'agissait d'un produit huileux. J'ai tout pris dans la figure, à la grande joie du patient et du soignant. Une forme de bizutage, quoi !
Apprentissage
J'aime pas faire les piqûres. Surtout les injections retard.
Et pourtant, elles me furent présentées comme la quintessence de l'art infirmier. Aucun infirmier ne m'a expliqué comment animer un groupe, ni comment me comporter devant un patient qui délire. Le rituel de l'injection retard par toutes les opérations qu'il implique me fut par contre longuement expliqué. D'abord ouvrir la boîte, ensuite retourner le couvercle pour garder l'intérieur stérile. Il s'agissait de seringues en verre. Elles survécurent longtemps en psychiatrie, même après l'introduction des seringues en plastique, en raison de l'aspect corrosif des produits disait-on et parce que les produits étaient liposolubles. Je soupçonne que le principal motif de leur survivance était la dextérité plus grande qu'elles impliquaient. C'était un des rares actes qui permettaient aux ISP de sentir de vrais infirmiers. Il fallait se passer les mains à l'alcool, puis saisir aseptiquement le piston par le col et le corps de pompe par l'extérieur. On introduisait ensuite le piston dans le corps de pompe. L'infirmier était intarissable. Il montrait, expliquait, commentait. Il regardait comment je m'y prenais, notais les fautes d'asepsie. C'est autour de ces injections retard que j'ai été certainement le mieux formé. Nul ne m'a jamais appris comment accueillir un patient ivre à l'agressivité à fleur de peau mais la transmission de la technique de désinfection de plateau ne souffrait aucune critique. Si mes formateurs avaient eu le même souci du détail pour les aspects psychologiques du soin, je serais aujourd'hui un sublime infirmier.
Je déteste faire les piqûres. Surtout les retard.
Il fallait chauffer dans la main le flacon pour que le produit s'injecte plus facilement. Frapper légèrement l'extrémité de l'ampoule avec les doigts ou la lime pour en faire descendre le liquide qui n'en faisait qu'à sa tête. Ouvrir l'ampoule en se protégeant les doigts avec le coton, saisir la seringue avec le pouce, l'annulaire et l'auriculaire de la main droite. Il fallait maintenir le piston plus haut que le corps de pompe sinon le piston rendu glissant par le produit huileux coulissait et tombait, ce qui n'est pas forcément très facile, surtout lorsque le patient n'est pas très coopérant. Pour piquer, il fallait saisir la seringue de la main droite. Le pouce et l'index tenaient le corps de pompe, le majeur maintenait l'embout de l'aiguille. Il fallait tenir la seringue perpendiculairement à la peau préalablement aseptisée et tendue entre le pouce et l'index de la main gauche. Ensuite il suffisait de piquer et d'enfoncer l'aiguille rapidement dans toute sa longueur. L'injection faite, il fallait nettoyer la seringue, le piston, l'aiguille, et mettre le tout au poupinel®.
Pratique du diplôme Je déteste faire les piqûres. Surtout les retard.
L'injection retard, c'était le bon soin pour la pratique du diplôme. D'abord, elle pouvait se faire à tout moment de la journée contrairement à la prise de sang que l'on fait a jeun, et qui implique un minimum de justifications somatiques. Comme il s'agit d'un produit retard, on peut facilement la décaler pour faire coïncider la date avec celle de l'examen. Pour peu que l'on soit maître de ses nerfs et que l'on ne fasse pas tomber le piston, que l'on ne commette aucune faute d'asepsie, on peut montrer sa maîtrise technique à peu de frais. Il faut évidemment choisir un patient coopérant. On peut toujours rater une veine le jour de l'examen, il est plus difficile de rater une fesse. Pour peu que l'on trace bien les deux lignes pour délimiter la région d'injection, l'une qui va du grand trochanter au sommet du pli inter fessier et la deuxième qui croise la première au milieu et perpendiculairement, on a toutes les chances du monde d'éviter de piquer dans le nerf sciatique. On peut restreindre encore le lieu d'élection en posant son coton juste à côté, si le patient est couché. Si l'on n'oublie pas de vérifier qu'un vaisseau sanguin n'a pas été piqué en tirant légèrement sur le piston, de la main gauche, si l'on n'hésite pas à enlever l'aiguille et à repiquer dans un autre endroit si l'aspiration ramène du sang, si l'on injecte lentement le liquide en rassurant le patient, on a toutes les chances d'obtenir une note plutôt correcte. Surtout, si en plus, le patient a un correcteur prescrit, c'est deux injections pour le prix d'une que l'on devait faire. Le jour de ma pratique de diplôme je n'ai pas fait d'injection retard parce que je déteste faire les injections. Lorsque l'on exerce la profession d'infirmier de secteur psychiatrique cette répugnance peut poser quelques problèmes. Dans le CMP/CATTP où j'exerce 55 patients ont bénéficié d'une injection retard, soit le tiers de la file active. Mes collègues et moi-même en effectuons plus de 550 par an. Qu'il s'agisse de travailler en CMP ou à l'hôpital, les injections retard sont des soins quotidiens, banals qui appellent peu de commentaires. Je ne devrais donc pas accomplir un tel effort sur moi-même pour franchir le pas.
Etymologie
L'étymologie n'était pas la spécialité des braves filles de la Charité. Sinon, elles m'auraient appris que si l'injection, terme apparu au 13ème siècle, décrit l'introduction d'un fluide sous pression, le produit injecté, la piqûre terme apparu, lui, au 14ème siècle, vient (via piquer) de la racine onomatopéique pik qui se retrouve tant dans les langues romanes (sauf en roumain) que dans les langues germaniques. La piqûre (curiosité orthographique) est d'abord une petite blessure faite par ce qui pique, c'est ensuite la sensation produite par quelque chose d'urticant. Au 16ème siècle apparaît le point de piqûre, au 17ème siècle la piqûre décrit également un petit trou, une petite tâche. Au 20ème siècle, la piqûre devient l'introduction d'une aiguille creuse dans une partie du corps pour en prélever ou y injecter un liquide médicamenteux. Le terme est donc très riche en sens. Si nous ajoutons qu'être piqué c'est être fou, et que lorsque l'on fait piquer un animal, on le tue on conviendra que pour la langue ce soin ne saurait être banal.

La piqûre c'est étymologiquement d'abord un bruit, celui de l'animal qui va perforer la peau, (donc la perception d'un danger), c'est ensuite un trou dans la peau (donc une douleur), c'est ensuite la sensation de démangeaison provoquée par ce qui a été introduit (donc une gêne et l'action pour s'en soulager), par le trou lui-même puis, mais bien longtemps, après l'introduction d'une aiguille dans le corps à des fins thérapeutiques (donc un soulagement). L'acception médicale du terme est finalement très récente. A l'exception de certains toxicomanes, personne n'aime les piqûres. Cette crainte des piqûres remonte à l'enfance, c'est-à-dire à un moment où le corps n'est pas perçu par l'enfant comme un tout, et la peau comme une frontière. C'est à la seringue (donc à la possibilité de faire une piqûre) et à la blouse blanche qu'on reconnaît une infirmière. C'est en partie pour cela que je déteste faire les piqûres.
Traitement retard : fait
Il arrive évidemment que certaines injections puissent être discutées. On préfère parfois piquer, injecter, enfermer que négocier, que prendre le temps d'établir une relation de confiance. Soit le patient accepte son traitement, soit il l'a dans les fesses. Toutes les injections n'ont pas forcément un tel contexte. L'injection retard apparaît ainsi plus tranquille, plus apaisée. Ce sont surtout ces piqûres-là que je déteste faire. Il est vrai qu'elles apparaissent souvent comme un fil à la patte, qu'elles viennent en lieu et place d'un consentement éclairé et réfléchi aux soins. Au moins, on est sûr que a patient a sa dose de produit. Qu'ai-je à faire qu'il ait sa molécule dans le cul ? Rien. Il me semble que l'on ne soigne que des personnes qui cheminent autour de leur maladie. Ces rencontres obligées par l'injection retard ont souvent quelque chose d'un rituel désaffectivé. " A voté ! ". On pourrait aussi bien écrire " Piqué. " D'ailleurs c'est ce que l'on fait : " Clopixen I.M. : Fait ". Cette compliance, cette résignation me révoltent. Je préfère des patients qui contestent, qui discutent que ces regards éteints. Ils sont obligés. On ne voudrait pas qu'en plus, ils sourient !
Bien sûr certains demandent, réclament leur injection. Et ma gène me regarde moi, d'abord, quelles que soient mes rationalisations. Si le tiers des patients de la file active bénéficie d'une injection retard, c'est certainement pour de bonnes raisons. Thérapeutiques et tout.

La piqûre ! La piqûre !


Tiens, ben justement, y' a un patient qui attend sur le fauteuil du couloir. Je suis sûr que c'est pour une injection. Aucun collègue en vue, bon, ben j'y vais.
" Bonjour monsieur. Je me nomme Louis Joseph, je suis infirmier au CATTP, je peux faire quelque chose pour vous ?
- La piqûre, la piqûre.
- Vous êtes Monsieur …
- Vermot. Célestin Vermot. "
Drôle de bonhomme ! La soixantaine. Il a un visage de carpe aux yeux qui apparaissent globuleux derrière ses lunettes à double foyer. La tête est contenue dans un bonnet de marin bleu tout à fait improbable dans nos montagnes.
Je l'invite à entrer dans la pharmacie. Il me tend une ordonnance où il est noté Modécuol : une ampoule et demi tous les mois. Une ampoule et demie, c'est quoi cette fantaisie ? Je vérifie sur l'agenda que c'est bien la bonne date : " 5 janvier, C. Vermot, une ampoule et demie ". L'agenda d'injection retard nous est offert par un laboratoire. Rien que ça, ça m'énerve. Certes, c'est bien pratique, ça fait propre. Mais je ne supporte pas ces premières pages qui nous présentent l'entreprise, ses réalisations et tutti quanti. J'ai la sensation d'être un employé anonyme de cette multinationale.
M. Vermot n'est pas bavard. Il me tend sa boîte avec les trois ampoules, j'en prends deux et lui rend la dernière.
" Non, non c'est pour les pauvres. Faut la garder là. "
Il me montre l'armoire à pharmacie.
" Je suis remboursé, c'est pas le problème. Tous les mois, il y a en a trois. Rangez-là avec les autres. "
Bon. Je ne dis rien. Cela doit faire partie du rituel qui lui rend l'injection acceptable. Je sors l'appareil à tension pour vérifier qu'il n'est pas en hypotension, ce qui impliquerait de différer l'injection. Il me regarde comme si je tombais de la Lune.
" Non, non. Pas besoin de la tension. C'est le tabac. C'est le tabac qui m'a rendu malade. Mon corps est encore un peu garni intérieurement de suie de cigarettes fumées abondamment pendant 35 ans. Cette suie me gène actuellement. Plutôt pour l'évacuation des déchets aux selles, car constipé je suis. Il faudrait interdire le tabac. Juste la piqûre. La suie, ça m'a fait des trucs dans la tête. Les cigarettes me parlaient. A cause de mon frère qui m'a dilapidé mon héritage de mes parents. La piqûre que la piqûre. "
Je n'y comprends évidemment rien. D'autant plus qu'il mange les mots.
" La piqûre, rien que la piqûre. "
Je sens qu'il faut que je m'exécute, que je ne relance pas. Il vient pour une piqûre. Et rien que pour ça. Un acte pur, en quelque sorte.
Je m'exécute donc. Il se désintéresse complètement de la préparation. Certains patients n'en perdent pas une miette, lui non. Il continue à parler de son frère, de sa famille, des maladies provoquées par le tabac. Je prélève une petite demi-ampoule. Quand je suis prêt, il ouvre son pantalon, s'allonge sur le lit de consultation. Il est à peine tendu. Je désinfecte, délimite mon territoire, tend la peau, et pique non sans avoir percuté sa peau de l'auriculaire. Je le sens se tendre et se détendre au moment où il sent la percussion, pas le temps de se retendre que l'aiguille est entrée et que j'injecte doucement le produit.
" Ca va ? Je ne vous fais pas mal.
- Non, non médecin, continuez. "
Je tamponne avec mon coton pour détruire le parallélisme des plans et m'apprête à lui coller un petit sparadrap.
" Non, non pas de pansement. Comme ça c'est bien. "
Il ne me reste plus qu'à noter la date de la prochaine injection sur l'agenda du laboratoire, signer, bref satisfaire aux obligations de traçabilité. M. Vermot me tend son carton qu'il a dans son portefeuille. Il a au moins cinq ans de dates d'injection et de signatures infirmières agrafées les unes aux autres.
" Merci médecin. Au revoir ! "
Dix minutes. Le rapport qualité-prix est excellent. Dix minutes de temps infirmier, une ampoule et demi de produit, une seringue, deux aiguilles, un peu de produit désinfectant, deux cotons. Rajoutons un entretien médical d'un quart d'heure tous les deux ou trois mois. C'est de cette façon que l'on suit certains patients. M. Vermot est manifestement délirant, très délirant. Il semble que ce pas grand chose de prise en charge soit suffisant pour lui permettre de vivre dans la communauté. Qu'en est-il de sa qualité de vie ? Je n'en sais rien, c'était la première fois que je le voyais. Depuis ce jour, je croise régulièrement M. Vermot. Je l'aperçois le midi au Foyer des Jeunes Travailleurs lorsque j'y accompagne une autre patiente à l'occasion d'un repas thérapeutique. Il est assis sur un banc à l'entrée, au milieu de la queue qui l'enveloppe littéralement. Il est des jours où il soliloque et d'autres où il paraît plus apaisé. Il y reste jusqu'à ce que le flot soit passé.. Ensuite seulement vers 13 heures, il va manger. Vite. Il vient alors se poser dans la salle de repos, au milieu des autres qui y prennent le café en papotant, comme s'il baignait dans une vie à laquelle il ne participe pas réellement. Certains se chauffent au soleil, il semble, lui, se chauffer à la foule. A 13 h 30, tous repartent achever leur journée de travail. Célestin, s'enhardit alors jusqu'à échanger quelques mots rituels avec la serveuse. Il prend le journal et seul, enfin, remplit la grille de mots croisés du journal. Il peut rester ainsi, ici, toute la journée s'il le souhaite. Je l'aperçois lorsque j'accompagne un autre patient jouer sur le vieux piano désaccordé du FJT.
Il lui arrive de me saluer d'un : " Bonjour médecin " qui fait se retourner les habitués du FJT mais c'est rare.

En essai sevrage !

J'aime pas faire ce genre de piqûres retard. J'aime pas faire des trous. Ni des petits, ni des gros. J'ai la sensation d'être un poinçonneur des lilas, un travailleur à la chaîne. J'ai donc voulu en savoir davantage sur ce drôle de bonhomme.

Je suis allé consulter son dossier, archivé au CMP voisin, de l'autre côté du parking que nous partageons avec une entreprise de maçonnerie. Si un jour, Célestin Vermot voulait consulter son dossier ainsi que l'y autorise la loi du 4 mars 2002, qu'y trouverait-il ?

Un document central qui retrace sobrement les consultations médicales : " Pas mal aujourd'hui ". " Me dit qu'il aurait aimé faire du piano mais ses parent ne l'ont pas laissé faire. ". Il serait bien en peine de savoir de quelle maladie il est atteint, le dossier ne comporte aucune notation clinique. En dehors du dossier social qui accompagne une mise sous tutelle, une mise en retraite, un héritage complexe, le dossier contient également les cartes postales adressées par Célestin à la Tutelle et au Grand médecin Psy Dr Lunel. On y trouve des courriers qu'il a rédigés à l'intention de son grand médecin, des dessins au crayon à papier plutôt fidèles, extrêmement précis d'une main qui joue du piano, d'un détail de la porte de l'église Saint André de la Vigne.

Le dossier m'apprend que Célestin est suivi par le secteur depuis 1972. Trente ans de suivi décrit en quelques dix pages. En dehors de la brève observation initiale, qui le présente comme persécuté, qui décrit son parcours professionnel rien ne me permet d'identifier une pathologie. Il apparaît très vite que l'essentiel des entretiens porte sur l'injection retard que Célestin refuse énergiquement. De nombreuses solutions vont être testées : à domicile faite par des ISP, infirmière libérale (en vain), médecin généraliste (qui fonctionnera quelques années), et puis le CATTP. J'apprends ainsi le pourquoi de la demie ampoule. Elle est le fruit d'une négociation entre Célestin et son médecin. Le médecin accepte la diminution, à condition du maintien de la moitié d'une ampoule. Les infirmiers doivent adapter la quantité de produit à l'état psychique de Célestin. Il peut ainsi avoir une petite demie ampoule ou une grosse demie ampoule. Comme cette prescription date des années 90, aucun des infirmiers présents n'est au courant. Célestin ne renonce pas. Contre vents et marées, sa revendication de suppression du traitement injectable se maintient. Il ne se contente pas de réitérer quasi rituellement sa demande à chaque entretien avec son médecin, il l'écrit également. Ses suppliques sont rédigées sur des blocs rhodiaÒ petit format à petits carreaux, rassemblées et numérotées un peu à la façon des cartons d'injections retard. On peut ainsi lire : " 21 h 15, le 2 mai 1997, St Boris, vendredi, à la terrasse du Bar Le Globe à Bagnères. " ou bien " 17 heures, le 20 février 1993, au Bar Le Brennus " ou " 16 heures 45, 16 avril 94, à l'intérieur du FJT ". Il lui est même arrivé d'envoyer sa grille de mots croisés du jour avec ses commentaires.
" S.V.P. Médecin tout d'abord, je suis à côté de deux éléments filles que je connais et des filles dont je juge leur état de santé. Mais SVP cela me vient à vous dire que je les connais bien mieux et ces jeunes filles et leur état de santé s'est dégradé par l'absorption de médicaments psy. SVP quelle plaie la psy. Et que de vous voir vous-même. Et SVP cela me rapporte bien antécédent, et, au verdict du jugement aussi militaire sur ma rééducation professionnelle à Limoges. Il a été dit que c'est ce dont on m'a donné en psy qui m'a coupé cette rééducation professionnelle. Ecoutez ! Arrêtons ces grandes idioties ! Ni surtout j'ai été et suis un buveur ni rien surtout de mal de mon corps. Et SVP, actuellement une piqûre de bien être soulagement de toutes ces idioties de médecine psy. SVP quelqu'un qui est fou vrai oui ! la psy mais SVP encore le semblant de quelqu'un peu fou et qui le fait exprès. Non ! Ca il peut y avoir trop d'accidents médicamenteux et de grossières erreurs commises en psy. SVP, vous avez un vidal où quantités d'autres médicaments me feraient le bien être et soulagement nécessaire à mon propre corps. Donc un grand merci. "
Célestin multiplie les arguments.
" SVP médecins. Toutes ces inflammations intestinales et du ventre sont dues, j'en suis persuadé aux piqûres ainsi et qui produisent inflammations internes du corps d'une part et aussi rendent l'être piqué aux neuroleptiques sans force coupé de force, coupe la forme aussi et produisent et toujours ces injections des maux de tête variables et suivant les changements de temps et qui sont ces maux de tête bien pénibles SVP et de ces faits atroces que je ressens et du sacré point au cœur que je ressens plus au réveil le matin et déjà 10 h 30 ou heure de l'après-midi ou plus pour le réveil matinal. SVP, je persuade arrêter le traitement et d'une part parce que ce sont ces produits injectables à inflammations internes et maux créés jusqu'à un point bien mauvais au cœur et tout ébroussaillé le matin et il est déjà midi. SVP 20 années de traitement ont ainsi fait un énorme tas d'inflammation interne et de maux ressentis. Aussi je renonce à nouveau traitement injectable et me déclare en essai sevrage de traitement neuroleptiques injectables périodiques. Un grand merci. Par ailleurs euphorie et contribution à échauffements internes et de ce fait contribution aux nerfs. Et je dirai que j'ai toujours possédé mon calme quoi qu'il arrive. "
Il ne renonce pas.
" Ce qui nous fatigue c'est toutes ces cochonneries injectables. Célestin semble très énervé. L'écriture est plus chaotique, les mots sont raturés. Ca nous fatigue durement et puis c'est tout ce que font ces piqûres et ces injections que vous faites sur nous. Il vous passe dans la tête. Allons y ! Le sujet qui reçoit sera toute sa vie fatigué, anémié, éprouvé, épuisé fortement, épuisé par les bêtises justement d'un médecin psy qui lui aura prescrit cela. SVP Le sujet qui reçoit ces piqûres se contentera d'être toujours las et épuisé et pour ne rien faire de sa vie bien sûr. Comprenez-vous ? Il faudrait que ça change quand même. "
Il ne fait pas que se plaindre. Il arrive même que certaines injections le soulagent. Il écrit alors au service d'infirmiers et d'infirmières.
" SVP Je me rends compte qu'il y a une nette différence et d'une part de la vie commune et normale et naturelle que nous vivons en société et en ville et le fait d'aller chez vous, à votre Centre Spécialisé et le contraste que cela fait si bien que l'on se sent bien différent au beau milieu de ces gens agités et énervés de chez vous et le fait aussi de situations renfermées en salle d'hôpital spécialisé psy. Et là, je pense, il faut quand même un certain laps de temps pour se remettre et bien saisir de ce dont il se passe bien sûr- quelque chose de pas ordinaire- et commun à nous et qui nous est sensible et très perceptible de nos sens et il faut faire attention c'est ce dont j'ai ressenti ce matin chez vous et l'on se sent transformé. Sinon SVP, je remercie Martine pour cette injection reçue ce matin et dont le contenu m'a réussi en plus de l'addition que je fais par la bouche de tisanes de verveine après les repas qui agissent sur la digestion et font nettement du bien. Mais il appartient à soi-même à se calmer, se reposer, se relaxer et se détendre et c'est là le principe se soigner oui ! "
Une hospitalisation en 30 ans !
Pendant 30 ans, Célestin Vermot va donc lutter pied à pied contre ces injections qu'il rend responsable de maux divers et variés, avec plus ou moins de succès, plus ou moins d'écoute. Pendant 30 ans, il va fourbir ses arguments, les opposer à ceux des médecins qui le suivent. Il est en guerre contre une certaine médecine psychiatrique, contre une certaine représentation du corps. Combien de fois aura-t-il été hospitalisé au cours de ces trente années ? Je n'ai retrouvé la trace que d'une hospitalisation de dix jours dans les années 80. Il est probable qu'il ne s'agit pas d'une lutte simple contre un traitement qu'il refuse, tout porte à croire que l'injection est intégrée dans un délire qui semble s'être centré sur le corps même de Célestin. Le médecin psychiatre qui prescrit le traitement apparaît ainsi comme un persécuteur. Il s'est ainsi fabriqué autour du traitement retard un système qui va bien au delà de l'effet pharmacologique de la molécule. Si Célestin écrit à son médecin, vitupère lors des entretiens, dans la séquence dont j'ai été témoin et acteur, à aucun moment il n'a fait semblant de refuser l'injection. La création de ce système, la possibilité d'être entendu, reconnu par des médecins suffisamment fermes et suffisamment malléables, suffisamment à l'écoute et suffisamment sourds a certainement favorisé un suivi qui se traduit par un nombre très faible d'hospitalisations, le maintien de relations sociales minimales, une énergie psychique constamment mobilisée et des troubles du comportement assez discrets pour être tolérés par l'entourage.

Bon ou mauvais objet ?


Le patient atteint de psychose et notamment celui qui est en état de crise ne perçoit pas sa peau comme une frontière, ni son corps comme achevé; son corps est poreux, violable, manipulable.
La position schizo-paranoïde et la position dépressive sont, selon Mélanie Klein, deux modalités des relations d'objet spécifiques des tous premiers mois de l'existence qu'on retrouve ultérieurement dans le cours de l'enfance, et chez l'adulte notamment dans les états paranoïaque et schizophrénique. La psychose correspondrait à une régression massive vers l'une de ces deux positions.
La position schizo-paranoïde se caractérise par un clivage de l'objet partiel : l'enfant ne reconnaît pas l'unité du sein maternel, il appréhende deux objets séparés, l'un complètement bon, celui qui alimente, l'autre complètement mauvais qui correspond aux sensations douloureuses qu'il éprouve lorsqu'ayant faim, il n'est pas nourri. L'introjection et la projection sont les deux modes de défense privilégiés. " Le mécanisme d'intro-jection (jeter à l'intérieur) ne peut être conçu qu'en alliance avec la projection (jeter à l'extérieur). " (1) Face aux stimulations venant de l'extérieur, le moi éprouve le stimuli en le prenant fantasmatiquement en lui, s'il est bon il l'adopte et en fait une partie de lui-même, il l'introjecte; s'il est mauvais il l'expulse et le projette vers l'extérieur. Introjection et projection sont donc deux défenses spontanées contre les excitations.
Ces mécanismes psychologiques visent l'objet partiel et participent chez l'enfant à la constitution du moi. L'angoisse est intense et de type persécutif, le nourrisson lorsqu'il a faim et n'est pas alimenté vit une angoisse intense : il va être détruit. Les sensations ne sont pas repérées comme provenant de l'intérieur du corps (intérieur et extérieur ne sont pas encore constitués). L'enfant a le sentiment qu'il est agressé par un mauvais objet qui n'a d'autre désir que le détruire. Les pulsions libidinales et agressives sont très fortes et non différenciées, l'absence de structuration du moi fait qu'elles s'expriment massivement. L'introduction du bon objet rassure, préserve contre les agressions du mauvais objet projeté à l'extérieur. A l'inverse l'introjection du mauvais objet est générateur d'angoisse intense dont l'enfant tente de se préserver en utilisant des mécanismes de défense rudimentaire : déni, contrôle omnipotent de l'objet.
A partir de la position dépressive, va s'ébaucher une unification de l'objet, dans deux directions. La mère est perçue comme un objet total et non plus seulement l'objet partiel constitué par le sein. Le clivage bon objet/mauvais objet s'estompe et les qualités positives et négatives attribuées à l'objet par projection vont progressivement être repérées chez une même personne. Pour que le moi se constitue de façon harmonieuse, l'enfant va devoir maîtriser les pulsions agressives dirigées sur l'objet, ou encore, de réparer les effets de celle-ci. L'angoisse dite dépressive porte sur le danger fantasmatique de détruire et de perdre la mère (l'objet total) du fait du sadisme du sujet. Cette angoisse est combattue par divers modes de défense (défenses maniaques -contrôle omnipotent de l'objet-, défense dépressive -identification à l'objet perdu-, ou défenses plus adéquates : réparation, inhibition de l'agressivité) et surmontée quand l'objet aimé est introjecté de façon stable et sécurisante.
On retrouve chez l'adulte comme chez l'enfant des modalités de fonctionnement tout à fait comparables.
Faire une piqûre au patient psychotique installé dans une position schizo-paranoïde, c'est souvent piquer son âme, son individualité, c'est perforer son être, tenter de le détruire. Lui faire une piqûre c'est aussi faire pénétrer quelque chose de mauvais, un poison dans son corps, nous savons depuis les grecs et leur pharmakon que le médicament possède une nature double, il est à la fois le poison et son antidote. La frontière entre dedans (son soi) et dehors (le monde extérieur) étant dans ces moments de crise complètement bouleversée la piqûre est également vécue comme un vol d'une partie de soi-même, on lui prend un peu de sa matière. Il ne s'agit pas d'une métaphore mais d'un vécu de morcellement où l'individu vit la sensation que son corps, comme son individualité part en morceaux. P. Bernard et S. Trouvé illustrent le morcellement en donnant l'exemple d'une jeune malade qui avait refusé qu'on lui branche une perfusion au bras droit, elle expliquait quelques semaines plus tard à l'infirmière : " Je ne possédais plus que la moitié de mon corps et vous vouliez justement me piquer dans la partie disparue ".(2)

Un dépôt

Vieil ISP, je n'ai que rarement investi les soins techniques. Ils n'ont de sens pour moi que liés à une personne, à un contexte. L'injection retard ne saurait se limiter à un acte technique simple, ni à la seule action d'une molécule. Les anglo-saxons ne définissent pas les NAP par leur action dans le temps, ce que sous-tend l'appellation " retard ", mais par l'expression " depot " que l'on peut traduire par dépôt. Il me plaît de penser que les NAP ne sont efficaces que par ce que les soignants déposent chez le patient et que le patient accepte qu'ils y déposent et qui continue à être actif après l'injection. Il en est des injections retard comme des autres produits, il y a tout un domaine symbolique et imaginaire, individuel et collectif, qui se trouve manié tout autant que les aspects pharmacologiques. Le NAP est bien un objet symbolique proposé à l'investissement du médecin qui le prescrit, du patient qui le reçoit et du soignant qui l'administre. J'aime faire certaines piqûres, celles dont le besoin s'impose à chaque partenaire du soin, celles qui s'intègrent dans une histoire qui dépasse la seule nécessité d'une meilleure observance, celles qui procèdent d'un bricolage thérapeutique dont nul n'est dupe. Que les possibilités de bricolage thérapeutique puissent être aussi nombreuses que le nombre de patients suivis n'empêche pas ainsi que l'écrit Célestin : " Je ne veux pas critiquer vos bagages d'études et tout ça ! Et ni vos illustres bagages de connaissances et savoir mais pour ce dont vous nous donnez en médicaments tueurs il y a quand même beaucoup à réfléchir. "
Réfléchissons donc.

Louis Joseph
I.S.P.

1) IONESCU (S), JACQUET (M.M), LHOTE (C), Les mécanismes de défense. Théorie et clinique, op. cit., p.210.

2) BERNARD (P), TROUVE (S), Sémiologie psychiatrique, Masson, Paris 1976, p.170.


nous contacter:serpsy@serpsy.org