Dr PATRICK BANTMAN
Dr MIREILLE ESVAN
La perspective de fermeture du Centre d'Accueil et de Crise situé sur notre secteur à proximité de l'Hôpital Esquirol à St Maurice, demandé par les instances de l'établissement, a focalisé depuis quelques mois les inquiétudes du service sur ses conséquences, et suscite également une réflexion sur les alternatives possibles pour les équipes.
Le contexte de l'établissement correspond à des difficultés liées au contexte budgétaire que traverse la Psychiatrie publique.
Les choix de restructuration dans notre établissement se sont portés entre autres sur les structures d'accueil et de crise , dont l'intérêt n'est pas remis en cause, mais qui s'avèrent des structures " chères ".Le secteur dont nous nous occupons se trouve autour de l'hôpital , il s'agit d'un secteur de 96000 habitants . L'histoire de notre hôpital remonte au début de la Psychiatrie au XIXe siècle , alors Maison royale de Charenton , de sinistre réputation .
Les questions qui nous préoccupent actuellement nous ont semblé pouvoir être abordées dans le cadre des journées de l'Info Psy.
Je voulais évoquer ici à partir de la pratique du CAC la manière dont cet outil a contribué à modifier la pratique de secteur dans un hôpital dont l'histoire est plutôt marquée par l'enfermement. Je voudrais aussi tenter de "ne pas réduire la Psychiatrie aux institutions" (G.Baillon) mais de poser la question de ce qui soigne dans notre pratique quotidienne .Peut-être alors, on s'apercevrait bien vite que ce ne sont pas les institutions mais les " idées " des individus qui soignent.
La plupart des textes légaux en psychiatrie et les orientations de ces dernières années situent nos interventions au plus proche du tissu communautaire et nous invitent à organiser nos interventions en réseaux et partenariat incluant la famille du patient et son entourage dans ce processus. En pratique il est parfois difficile de réaliser ces aspects compte tenu de la gravité de la pathologie, de l'image de la Psychiatrie, de nos lourdeurs institutionnelles et des habitudes prises par les équipes.
Tout au long de ma carrière j'ai pu mesurer ces aspects dans les différentes institutions ou j'ai travaillé. Le poids de la distance vis-à-vis des communes desservies, les coupures existantes entre les équipes " intra-extra " hospitalières et le rôle des professionnels sont déterminants dans nos pratiques.
Nous consacrons beaucoup d'énergie à tisser du lien dans les équipes, et avec notre environnement médico-social , et constatons aussi la difficulté de ces efforts. La Psychiatrie "ouverte" est d'autant plus difficile depuis la survenue des contraintes énormes exercées sur les moyens des secteurs, alors que les demandes de soins sont croissantes. La tendance générale sauf exception risque de se replier sur le dispositif hospitalier et faire qu'on tendra à ne pas trop investir la communauté de vie du patient. A ce constat un peu inquiétant, s'ajoutent les problèmes rencontrés liés à la démographie médicale et l'actualité des questions autour des problèmes de violence dans les institutions psychiatriques .
L'ouverture il y a 8 ans dans notre secteur d'un Centre dénommé d'"Accueil et de Thérapies brèves" a contribué à modifier profondément nos pratiques en les rendant plus perceptibles et moins " enfermantes " pour notre environnement. Les changements repérés à partir de la pratique d'accueil concernent plusieurs aspects de la pratique soignante et également la manière de concevoir la maladie mentale et la prise en compte du patient dans ses rapports avec l'environnement.
Ce centre situé à 10 mn de l'hôpital , aux 2ème et 3ème étages du bâtiment regroupant CMP et Centre d'Accueil dispose de 5 lits et fonctionne 24h sur 24 .Il est situé au centre de notre secteur et réalise des accueils temps plein (terme préféré à celui d'hospitalisation) et des accueils à temps partiels. Le principe retenu est celui de la contractualité entre la demande du patient et les propositions de l'équipe. La majorité de l'équipe est formée à la pratique d'accueil dont le but est la mise en place d'une alliance thérapeutique associant le patient et son entourage dans la démarche de soin. Les références de l'équipe sont systémiques et analytiques.
L'accueil temps plein théoriquement n'excède pas 7 jours mais il nous arrive d'aller jusqu'à 3 semaines pour des patients dans certaines situations de grandes acuité . Le patient peut sortir librement de la structure mais il doit en informer préalablement l'équipe. L'origine des patients est extrêmement variée. Ils nous sont fréquemment adressés par l'hôpital général de référence, qui avec le temps a bien perçu l'intérêt d'un centre d'accueil fonctionnant 24h sur 24. C'est souvent aussi le patient et sa famille qui se présentent , adressés ou pas par un généraliste, une assistante sociale ou venant d'eux-mêmes. Le service d'hospitalisation peut également adresser des patients dont l'indication correspond mieux au Centre d'Accueil qu'à une prise en charge sur l'intra-hospitalier.
Un tel dispositif a pu avec les années s'intégrer dans son environnement médico-social et se faire connaître de tous ses utilisateurs y compris au sein du service .
Conjointement à l'ouverture du Centre de Crise, et en articulation avec lui , s'est développée la pratique du secteur sous l'angle de la continuité des soins et du déploiement autour de l'espace de vie du patient. Le service a fermé des unités d'hospitalisation, organisé une pratique ancrée dans la communauté de vie du patient à partir de l'hôpital, du CMP, et du Centre d'Accueil et de Crise. Le fait que l'hôpital soit sur le secteur a sans doute facilité cet état de choses en limitant les clivages classiques intra-extra. Chaque équipe intervient à un moment ou à un autre de la vie d'un patient qui, quand il s'agira de psychose, sera suivi parfois pendant des années dans le cadre du dispositif de soins.
La possibilité du recours au Centre d'Accueil pour des patients névrosés aussi bien que psychotiques dans l'approche de la crise évite le risque de Psychiatrie à deux vitesses que pouvait induire l'existence du Centre d'Accueil. Cela nécessite des temps réguliers de concertation entre équipes afin de mieux situer chaque équipe et permettre la complémentarité du dispositif.
Dans ce contexte, le Centre d'Accueil a contribué a modifié radicalement la pratique dans plusieurs registres que je voudrais évoquer ici, en les illustrant par des situations cliniques rencontrées par l'équipe.
1) La prise de responsabilité soignante .
L'infirmier du Centre d'Accueil, même s'il est un maillon au sein d'une équipe, est bien souvent le premier interlocuteur, celui qui accueille le patient. Les infirmiers sont amenés régulièrement à prendre des décisions, en particulier celle d'imposer à un patient réticent de rester dans le centre de crise pour rencontrer le psychiatre, ou au contraire de respecter la démarche d'un individu se présentant spontanément. Cette responsabilisation, cette implication particulière différencie le travail d'accueil en Centre de Crise de celui effectué en service hospitalier. Pour cette raison, la majorité de l'équipe a suivi une formation "Accueil et Crise".
2) La question de la contrainte .
Il faut savoir que les portes du Centre sont ouvertes du matin au soir. L'accueil temps plein est réalisé avec le consentement du patient, même si cela est négocié après plusieurs entretiens quand il s'agit d'un patient angoissé, dissocié, méfiant ou ambivalent. Cet accueil correspond donc à une pratique à risque qui recherche la mise en place d'un lien, d'une affiliation thérapeutique. L'objectif est de conduire le patient à élaborer sa demande d'aide, en rupture avec l'épistémologie médicale classique, qui sait ce qui est bon pour le patient et décide à sa place .
3)La prise en compte de l'entourage familial
La demande exprimée peut concerner un patient sans que lui-même ne demande de l'aide. Cette demande peut être celle de l'un des proches ou venir du système social. Cette souffrance doit être entendue comme telle et prise en compte. L'entourage familial est reçu, avec l'accord du patient et en sa présence. L'objectif est de créer une alliance thérapeutique permettant d'utiliser les ressources propres de la famille ou du système social qui nous sollicite. Cela évite aussi de se situer comme "tout puissant" et à ne plus prendre en compte l'ensemble des intervenants impliqués dans la prise en charge d'un patient.
- Mr D. est un jeune homme présentant une schizophrénie paranoïde, connu du service et en rupture de soins. Il se présente de lui-même sur le Centre et demande un entretien infirmier, pendant lequel il verbalise un délire à thèmes mystiques et numérologiques. Les infirmières lui proposent de rencontrer un médecin, ce qu'il refuse. Après évaluation de la situation, il ne lui est pas imposé d'entretien médical, mais on lui propose un autre accueil infirmier le lendemain. Le patient revient effectivement le lendemain et demande à voir le psychiatre de garde, qui lui propose alors une hospitalisation sur l'hôpital (NB: les antécédents répétés de fugues du CAC font préférer l'hospitalisation sur l'intra.) ce qu'il refuse, mais il accepte de venir quotidiennement prendre son traitement sur le CAC. Quelques jours après, il réclame un accueil à temps partiel, lui permettant de rester dans la structure du matin au soir. Au bout d'une semaine de cette prise en charge, et alors que les troubles délirants s'amendent progressivement, le patient demande une hospitalisation qui lui est refusée, d'une part car la semaine écoulée vient de montrer que ses difficultés sont gérables en accueil temps partiel, et d'autre part car cette demande d'hospitalisation masque une demande d'hébergement, le patient ayant été mis à la porte par la personne qui le logeait jusqu'à présent. L'équipe du CAC doit alors résister aux demandes du patient, mais aussi à la pression du père, paranoÏaque avéré, qui souhaite une HDT pour son fils, la notion de contrainte s'appliquant ici finalement plus à l'équipe qu'au patient lui-même demandeur de soins…
L'histoire de Mr D. montre l'importance de l'accueil infirmier initial et de l'évaluation des troubles et de leur contexte. Ici, l'absence de troubles du comportement majeurs ou de dangerosité laissent la possibilité aux infirmiers de travailler le lien avec le patient plutôt que de le contraindre à rencontrer le psychiatre du centre, et ce malgré l'importance du délire.
- Mr R., dont les troubles schizo-affectifs évoluent depuis un an, a été hospitalisé en HDT au cours d'une décompensation sur un mode dépressif grave, avec une récente tentative de suicide médicamenteuse. Mais ses parents lèvent l'HDT au bout de deux jours, étant donné d'une part leur tendance à minimiser les troubles de leur fils, et d'autre part, le contexte de l'hospitalisation. L'unité est en effet surpeuplée, avec de nombreux patients psychotiques chroniques, ou présentant des troubles du comportement bruyants. L'alternative proposée par son médecin est alors un accueil quotidien sur le CAC pour des entretiens et la prise du traitements;. La réticence du patient met ce dispositif en échec au bout de quelques jours. Un nouvel entretien a lieu avec la famille au cours duquel l'éventualité d'une nouvelle hospitalisation sous contrainte est rappelée, cette fois soutenue par la famille qui a pu grâce au soutien de l'équipe prendre la mesure de la gravité de la situation, ce qui va permettre en quelque sorte des soins ambulatoires obligatoires…
Mr X. vient au centre de crise accompagné par son épouse (infirmière en psychiatrie). Il présente un épisode délirant aigu à thèmes mystiques (il est alternativement Dieu et le Diable ), très probablement favorisé par un traitement corticoïde initié peu de temps auparavant pour des lombalgies. Son état de subexcitation rend l'entretien difficile, entrecoupé de" taisez-vous, c'est Dieu qui parle…" et ne s'apaisera qu'en présence de son épouse. On note dans ses antécédents un épisode psychotique aigu, traité en ambulatoire l'année précédente. Il se montre en partie conscient de ses troubles et de la nécessité de soins, mais il refuse catégoriquement une hospitalisation en raison des antécédents de mauvaise tolérance aux neuroleptiques (dyskinésie aigue très mal supportée par le patient alors qu'il se trouvait au volant de son véhicule), et du contexte familial (témoins de Jéhovah lui ayant toujours enseigné la méfiance envers le corps médical). La bonne qualité de l'entourage familial (épouse et beaux-parents) et la nécessité de travailler le lien pour (re)donner au patient confiance dans les soins psychiatriques font proposer une prise en charge ambulatoire: ordonnance d'antipsychotiques et consultation dans les 48 heures avec un autre psychiatre de l'équipe.
Ces points que nous venons d'évoquer permettent ainsi de mieux s'insérer dans une logique communautaire et d'accessibilité, de proximité et de désinstitutionnalisation .
Nous constatons en effet chez des patients suivis après un accueil temps plein ou à temps partiel sur le centre , comment ceux-ci on pu vivre leurs soins et le souvenir qu'ils en ont gardés, à la fois de l'épisode critique et des réponses données par les soignants.
La qualité du remaniement psychique sur des positions défensives se lie aussi en rapport avec le vécu de la crise, et le contexte d'intervention de l'entourage et des soignants .Ces changements observés à partir de ce que nous connaissons de l'hospitalisation classique et des "traces" qu'elles laissent souvent dans le psychisme , où se mêle à la fois le "refoulement" de l'épisode souvent associé à la violence du contexte de soins .
Le but du travail en Centre d'Accueil permet parfois également d'éviter au maximum une première hospitalisation On sait bien que les admissions se font ultérieurement d'autant plus facilement que la relation établie avec le patient s'est installée sur la confiance .
Un des intérêts , et ce n'est pas le moindre , c'est d'avoir transformé la question de l'urgence qui se pose à tout service de Psychiatrie en " question d'Accueil " . Les bonnes relations entretenues avec nos collègues du CHU voisin et la compétence de l'équipe ont sans doute favorisé cela .Un autre aspect est la transformation de ce qui se joue dans la relation avec le patient dans le but d'installer une confiance et de sortir de l'objectivation médicale .
A ce propos , je renvoie aux articles du dernier numéro de l'Info Psy sur le "Le devenir des Urgences Psychiatriques", celui en particulier de Baldo et d'Horassius où il relève l'importance "en Psychiatrie d'urgence de se faire une idée du contexte" familial , relationnel mais "aussi environnement dans sa dimension spatiale ( le lieu d'émergence de la crise n'est pas la salle d'urgence) , dans sa dimension temporelle ( le moment d'émergence de la crise n'est pas l'arrivée dans le sas du SAU, et enfin dans sa dimension socio-culturelle" .Pour nous, cela est beaucoup plus aisé de réaliser ces aspects dans le contexte du CAC , qu'aux urgences de l'Hôpital Mondor , lieu où converge une grande partie des urgences du sud du Val de Marne .
Il est également important d'insister sur la circulation des soignants et les articulations entre structures de soins . L'histoire de l'équipe d'Accueil il y a 8 ans a laissé dans les souvenirs du service l'impression que les "bons" soignants quittaient l'hôpital . Cette impression qui réapparaît parfois dans les difficultés entre les équipes nous ont poussés à multiplier les échanges entre soignants , à faciliter leurs liens .Les patients bougent d'autant que les soignants se meuvent dans une équipe de secteur .Certains infirmiers anciens du service ne s'étaient jamais rendus sur le CMP-CAC distant de 3 kms ! ! ! ! Désormais des temps sont institués pour l'ensemble des équipes afin d'échanger sur nos projets et nos perspectives, des commissions de travail mises en places , ainsi que nombre de mini synthèses autour d'un patient réunit des soignants de structures diverses .
Nous ne sommes plus là dans la suprématie d'un lieu sur un autre , d'une pratique sur une autre , où de soignants sur d'autres , et , les patients écartés de notre dispositif , ballotés entre le CAC , les Urgences de Mondor, et le domicile ou le CMP …
A l'obsession "du lieu ,il faut substituer celle du lien" disait Bonnafé . Même si cette menace de fermeture qui pèse sur le Cac est extrêmement inquiétante , il faut sans doute la replacer dans une perspective plus large de nos objectifs ( ouverture prochaine d'une structure CMP-HÔPITAL DE JOUR -CATTP sur une commune principale de notre secteur ) , et voir aussi ce que le CAC nous apporte, pas seulement au niveau de lits mais en terme d'une pratique plus communautaire centrée sur l'accueil de la souffrance psychique dans son environnement avec toutes ses composantes .