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Retour à Psychiatrie hors les murs


RETOUR DE ROME


Acte manqué sans doute que je me refuse à interpréter n'étant pas "psy" mais "seulement " parent, représentant des usagers, Yves Gigou a omis de signaler, dans sa relation du voyage le mois dernier, ma présence au sein de la délégation du Val de MARNE qui est allée à Rome visiter le fonctionnement de la psychiatrie communautaire. J'ai eu en effet cette chance et je profite donc de cette opportunité du droit de réponse pour communiquer ici mes impressions de voyage. R.C



Impressions d'Italie.

Séjour à Rome du 24 au 28 mars 2003


Je voudrais ici, essayer de consigner les impressions ressenties à l'occasion de ce séjour à Rome et qui s'est traduit pour moi, parent et président UNAFAM du Val de Marne, par une expérience à double titre :
Celle de la découverte d'une organisation de la prise en charge de personnes souffrant de troubles psychiques différente de celle connue en France
Celle de la rencontre, dans une ambiance cordiale d'échanges libres et francs avec le corps constitué des responsables de la psychiatrie au plan local : DDASS ; directeur de CHS, médecins chefs, et cadres infirmiers et sociaux.

Premières impression globales :
Coté français : l'importance de l'idéologie dans ce corps professionnel - sans que cela ait une connotation négative ; C'est un constat. Ce milieu vit autour de projets conceptuels, d'idées, d'organisation théorique, de désappointement, d'espoir, d'expression de volonté d'action. Cela ne s'arrête jamais. L'histoire alimente les débats avec la référence aux grands anciens : Bonnafé qui venait de disparaître quelques jours auparavant ; Basaglia, Tosquelles, etc..

Interrogation : le passage à l'acte est-il à hauteur de l'intensité du débat ? et puis, un peu d'expérience fait découvrir que l'on peut sans doute améliorer les organisations mais que se sont les hommes qui les font tourner ; et qu'une organisation remplit d'autant mieux sa fonction qu'elle a mis au centre des préoccupations ce pourquoi elle est conçue, et non pas son propre fonctionnement

Coté italien les surprises sont de taille :
Et tout d'abord un dynamisme, une ambiance positive et optimiste largement partagée par l'ensemble des acteurs rencontrés. Même si l'on fait sa part au coté démonstratif, à la volonté d'en remontrer aux collègues français, le caractère global de cette ambiance rencontrée tant de la part des psychiatres que du personnel d'accompagnement ou des acteurs des coopératives impressionne par sa tranquille détermination.

D'autre part le champ d'intervention est celui de la " Restitution sociale " terme que je trouve intéressant et qui positionne le soin dans son objectif global : rendre à une personne fut-elle malade, sa juste ( ajustée) place dans la société réelle - qui de son coté a aménagé les passerelles nécessaires pour qu'on puisse le rejoindre, et le sujet y a une part active.

Le succès alimente l'optimisme, qui alimente l'efficacité : cercle vertueux de la réussite et non pas morosité.

L'organisation sanitaire :
Je passe volontairement vite sur l'organisation pratique des ASL et des CDSM qui sont l'application locale de nos secteurs pour relever quelques points particuliers significatifs.

A périmètre geo-démographique à peu prés équivalent, ou un peu plus grand, les moyens en personnel sont plus réduits 80 personnes contre 120 en France par secteur
Un nombre de lits d'hospitalisation très inférieur : 15 par secteur situé en hôpital général
Une ventilation des professionnels plus réduite : médecins, infirmiers, psychologue, assistantes sociales ; Les éducateurs, ergothérapeurtes, en petit nombre et directement orientés vers un apprentissage lié à une production, sont plutôt dans le champ des coopératives sociales.

Un décentrement total par rapport à l'hospitalisation : les locaux d'accueil sont dans la ville, il n'y a que du personnel " civil "

Une conception du soin délibérément centrée sur la réinsertion sociale.

La crise : La résolution de la crise et de l'urgence point de fixation aiguë de nos préoccupations lors des rencontres (ASL 19) est apparue comme n'étant pas un problème majeur, mais tout à fait intégré dans la vie quotidienne : En cas de crise, le proche, le voisin, parent ou témoin appelle le 118 - qui filtre et analyse l'appel. Il appelle le psychiatre et l'infirmier d'astreinte du secteur où la crise s'est produite ; ceux ci se rendent sur place ; en cas de nécessité ils appellent ambulance et police, et le patient est transféré au l'hôpital. Parallèlement le maire est saisi et signe la TSO (notre HO). Avec un léger différé le juge confirme ( et peut modifier, mais rarement) la décision de placement.

Mais le travail réalisé en amont permet d'éviter beaucoup de décisions d'urgence.
Les astreintes sont vécues sans stress - notre interlocutrice était d'astreinte, mais elle ne redoutait pas un appel qui ne lui vient que 3 ou 4 fois par ans.

Ce que j'en retiens : un travail d'accompagnement dans la cité beaucoup plus réel que chez nous ; une solution efficace de la crise ; surtout une autre conception du soin.

L'organisation sociale :
la présence et l'action des coopératives sociales sont essentielles.

Pour en comprendre la raison et le fonctionnement il faut prendre un peu de recul.
Les coopératives ressortissent de la préoccupation de l'emploi, de la précarité et de l'insertion.
Elles sont la solution dont s'est dotée l'Italie pour tenter de résoudre ces problèmes. Nous avons nous, les associations de toute sorte : pour le logement, l'accompagnement , l'insertion, les CAT, les ateliers protégés etc. qui constituent un panorama plus diversifié et avec des caractéristiques et des contraintes particulières mais qui sont dédiées aux mêmes objectifs.
En Italie la lisibilité semble plus nette.

Sous le mêmes intitulé de coopérative sociale on trouve des coopératives ordinaires :
A 9 on créée et on gère en commun ( les associés) : une épicerie, un garage, une entreprise du bâtiment … Règle commune à toute les coopératives : un homme = une voix ; répartition des résultats et des pertes Régime du droit du travail applicable à tous dans les mêmes termes
Fiscalité particulière cependant et différente selon que l'on est coopérative ordinaire, ou sociale :
on trouve deux types de coopératives sociales :
les coopératives sociales d'aides à la personne ( type A) accompagnement divers et variés, aides aux personnes âgées, soins etc..
Les coopératives de production (type B) équivalent à nos CAT : sous-traitance, jardinage etc..

Les coopératives sociales de production ont l'obligation d'embaucher 30 % de travailleurs handicapés au minimum. Les 70 % autres assurent le tutorat et " garantissent " la production, moyennant quoi, elles bénéficient de diminution de charges.

Le fonctionnement de ces coopératives ( type A et B) est étroitement liés à celui des secteurs psychiatriques, avec des structures de type, par exemple Centre de jour qui peuvent être gérés tantôt par une coopérative tantôt par un secteur psy, avec parfois, mise à disposition de personnel des coopératives type A au secteur.

Développement des appartements communautaires, avec accompagnement à la vie sociale.

Ce que j'en retiens : sans doute y a t il des effets pervers que nous n'avons pas perçu, mais le positif à dégager c'est cette reconnaissance mutuelle des acteurs du sanitaire et du social, attelés sinon à la même tâche, au même public

Retour sur les concepts :

De déhospitalisation:
Plus aucun lit en hôpital psychiatrique depuis 2000 ( hormis les cas soumis à la justice). Fermeture progressive depuis 1978 de tous les lits, et cela est vécu comme un dégagement de ressources : humaines, financières, culturelles, foncières, ré-affectées aux soins au sens italien du terme dans la cité.

Mais au-delà, desinstitutionnalisation : on sort l'aliéné des mains de la psychiatrie, et l'on adopte une autre démarche qui conduit à ce que la société l'accueille dans la cité.

Tant que la psychiatrie revendiquera de tout faire dans un contre sens : globalité = totalité, les " autres " seront trop contents de les lui laisser. Elle en devient elle-même malade.

Les moyens d'en sortir :

Je n'évoquerai pas la révolution culturelle, on retomberait dans le débat d'idées, certes nécessaire, mais épuisant. Par contre se mettre en marche, commencer comme dit Basaglia - " il n'y a que des commencements…

S'ouvrir au partenariat avec les autres et d'abord les parents et les patients - cf. le témoignage exceptionnel de M. Guido Missoni de l'ARESAM - UNASAM :Les conseils de Santé Mentale que nous avons traduits en Conseils de Secteur où l'on s'efforce - mais en vain - de mettre le travail en réseau. En Italie, cela n'est pas nécessaire : ils en font tous les jours, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose ; par contre et plus modestement, c'est un " conseil de maison ", avec patients, parents et équipe de soins : réunion mensuelle avec retour sur le fonctionnement de la maison ou du service.

Est ce impossible en France ? il me semble qu'il y a là de quoi la réussir, cette révolution.

S'ouvrir au partenariat avec le monde associatif ( les coopératives) là où il est. Tisser des liens de plus en plus étroits avec tous ces acteurs du social qui ont à connaître des malades mentaux. Il est une réserve de générosité, de professionnalisme avec leur qualité et leurs problèmes mais ils ont besoin des équipes soignantes, comme celles ci ont besoin d'eux.

Ce sont nos coopératives sociales ; il n'y a rien à inventer mais à faire évoluer aussi comme par exemple les CAT.

Thiais le 15 Avril 2003
Robert Caulier