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LA DEMANDE D'INTERVENTION EN URGENCE A DOMICILE :

Quelles réponses du secteur de psychiatrie

Ph. GOUDAL ; JL MARCEL

INTRODUCTION:

Jamais un thème comme celui de l'intervention en urgence à domicile n'a autant suscité de réflexion et divisé les équipes de secteur.

Face à des situations apparaissant identiques et à moyens équivalents, les réponses de ces équipes peuvent être diamétralement opposées.

Refuser de façon systématique l'intervention à domicile en urgence relèverait plus d'une attitude dogmatique et idéologique ; la réaliser systématiquement également. Ces deux positions extrêmes et paradoxales s'écartent de fait de la réalité des pratiques de terrain. On ne peut pas, en effet, rester insensible à l'extraordinaire demande des familles et des patients, à un moment où la psychiatrie tente de modifier les représentations de la maladie mentale, en oeuvrant pour plus de communications et d'informations auprès de ces mêmes familles.

N'y aurait-il pas une certaine contradiction à vouloir davantage impliquer l'environnement familial et social des patients dans leurs prises en charge et notre inaccessibilité à leurs demandes pressantes ?

Dès lors une question lancinante se pose : quelles craintes, quels dangers, quelles menaces envahissent les équipes de secteur face à une demande d'intervention à domicile en urgence ?

S'agit-il d'un simple problème de sémantique ? il est vrai que le terme intervention renvoie immanquablement à l'agit, au modèle médico-chirurgical voire au passage à l'acte. Or tout le monde est convaincu de la spécificité de l'urgence psychiatrique et par conséquent qu'elle échappe à ce modèle.

S'agit-il du concept d'urgence en psychiatrie qui évoque des stéréotypes obsolètes mais toujours bien connus qu'on pourrait traduire par l'équation suivante :

Urgence = violence = dangerosité ?

ou bien encore, serait ce le terme domicile qui soudain deviendrait la scène de tous les dangers ; alors que ce même domicile est le lieu de tant de visites pour les équipes de secteur ?

Chacun sait, chacun a pu se rendre compte au cours de sa pratique, combien il

peut-être difficile, émouvant, parfois pathétique de pénétrer le domicile d'un patient.

La dimension intrusive, voire agressive dans ce qu'elle a de violente pour la vie privée, nourrit l'imaginaire et les fantasmes de tout intervenant.

Enfin, mettre en avant l'absence de demande de soins du patient, les difficultés, voire le danger qu'encourt la qualité de la prise en charge ultérieure, pourraient s'avérer des arguments caduques, occultant toute tentative de réflexions.

La scène de l'intervention à domicile en urgence se déroule ainsi avec ses contradictions, ses dangers, ses incertitudes et des limites souvent imprécises.

Quel code, quelle loi, quel texte déontologique ou juridique pourraient cerner et éclairer le champs d'intervention à domicile en urgence, afin de sortir les équipes de secteur d'une situation pour le moins inconfortable.

En effet, le domicile est protégé par la loi (art. 184 du code pénal), les libertés individuelles également. Par ailleurs, laisser un individu en danger sans lui porter secours est répréhensible. Le code pénal dans son article 63 sur la non-assistance à personne en danger le sanctionne ; le code de déontologie par son article 4, insiste sur l'obligation de porter assistance.

Cependant, le médecin se doit aussi de respecter la volonté du malade (art. 7 du code de déontologie) ; mais la loi du 27 juin 1990 régissant les hospitalisations sous contraintes, autorise en cas de danger ou de "péril imminent" à contourner cet article.

C'est donc dans une mer particulièrement agitée que doivent naviguer les équipes de psychiatrie de terrain, louvoyant entre les écueils législatifs, au risque de perdre leur lucidité et la qualité de leur compétence clinique pour finir par tomber de Charybde en Scylla...

Alors faut-il se rendre en urgence au domicile des patients ?

Il est vrai qu'intervenir à domicile en urgence nécessite des moyens en personnel, en infrastructure : un plateau technique approprié. Peu de secteurs en ont la possibilité actuellement. Les centres d'accueil, qu'ils soient dans la cité ou à l'hôpital général, avec quelques lits de court séjour, représentent un outil adapté à cette pratique. Mais ce sont des structures encore trop peu nombreuses. Pourtant leur permanence 24h/24, la disponibilité, la souplesse de leur fonctionnement pourraient favoriser et justifier la mise en place de ces interventions qui reposent sur une stratégie précise.

Elle comprend trois étapes distinctes :

1) L'estimation de la situation d'urgence,

2) la décision d'intervention,

3) l'intervention proprement dite.

1)L'estimation de la situation d'urgence :l'étape la plus difficile

Elle débute par l'appel. Véritable cri d'urgence, il fixe dans l'instant une douleur morale, une souffrance, une envie suicidaire. C'est la première étape d'entendre ce cri et de le constituer en demande.

Parfois significatives, mais toujours déterminantes, les modalités de l'appel conditionnent l'évolution des situations d'urgence psychiatrique. Les demandes d'intervention qui convergent vers une unité d'accueil sont empreintes d'angoisse et de confusion. Parfois s'y ajoute la pression exercée par le couple malade - entourage.

 

T L'angoisse

L'angoisse est celle du malade et de son entourage immédiat. Elle signe le caractère insoutenable d'une situation où règne l'incommunicabilité. Elle est aussi celle du signalant, qui, par ses rapports alarmistes, tente de convaincre son interlocuteur de l'intensité des troubles et de l'extrême nécessite d'intervenir dans les brefs délais. Au détriment de la tolérance, il privilégie souvent le passage à l'acte.

T La confusion

Elle exprime l'ambivalence des intervenants, ainsi que les mécanismes paradoxaux de leurs demandes. Il est exigé, à la fois, une intervention avec estimation par une équipe spécialisée et une sanction thérapeutique sous la forme d'une action passage à l'acte.

L'angoisse et la confusion rendent l'évaluation de la situation d'urgence particulièrement complexe et difficile ; il en découle dans le cadre d'un signalement une insistance pour convaincre et une pression pour une action immédiate, peu compatibles avec le compromis.

L'origine de l'appel joue aussi un rôle prépondérant. Trois cas de figures peuvent se présenter :

Ä L'appel émane du patient lui-même :

La situation d'urgence au cours de laquelle l'appel émane du patient en personne est idéale. Il s'agit, la plupart du temps, d'un patient suivi sur le secteur et connu de l'unité d'accueil. L'appréciation de sa demande ne subit pas de déviation interprétative par un tiers.

Il existe cependant des situations plus difficiles au cours desquelles se pose le problème de la latence d'une demande, d'une dépendance agi ou le risque d'une recherche de régression sécurisante.

Par ailleurs, le patient peut chercher à induire une conduite d'opposition avec celle de son entourage familial.

Ä l'appel est effectué par l'entourage du patient :

La situation est alors complexe, parfois contradictoire. Elle débute par un signalement avec une demande indirecte. L'entourage peut appeler spontanément et directement, mais également sous la pression du voisinage, d'un ami ou d'une assistante sociale.

Le patient est quelquefois averti de l'appel et de la demande effectuée ; cette démarche est alors facilitée par la reconnaissance mutuelle d'une relation insupportable ;

Cependant, dans la plupart des cas, le patient est tenu à l'écart de la demande ; à l'extrême , elle est faite "contre lui", soit par crainte diffuse d'une réaction violente, soit par la recherche active d'une sanction : rejet - internement.

Dans de telles circonstances, l'appel peut revêtir deux aspects :

- le signalant dénie toute incapacité du malade à effectuer lui même la demande.

- le signalant refuse la réflexion, la mise en cause personnelle. Il ne reconnaît pas, finalement, que cette demande peut-être aussi la sienne.

Ä l'appel est effectué par un médecin généraliste le plus souvent déjà sur place :

La situation est plus facile, l'analyse médicale en partie faite. L'urgence est évaluée et maîtrisée tout au moins dans l'immédiat. Il s'agit parfois d'une demande d'aide concrète, ou d'une intervention différée.

La pratique quotidienne sur le terrain confirme que l'évaluation du caractère urgent d'une souffrance psychique s'effectue à travers l'appel. Il doit permettre l'analyse rapide et précise de cet état de détresse aiguë, de confirmer son caractère urgent, et de prendre la décision d'intervention.

Cependant, il ne faut pas être dupe, cette appréciation est en pratique très difficile et aléatoire. Mais n'est-il pas préférable, en urgence, de pêcher par excès plutôt que par défaut ?

 

2) La décision de l'intervention à domicile :

La décision d'intervention au domicile par l'équipe soignante n'intervient qu'après évaluation de la réalité de l'urgence et de l'authenticité de la demande d'aide faite par le patient et/ou son entourage. Les motivations du demandeur, leurs origines, font également l'objet d'une réflexion préalable. Il faut préciser que cette intervention ne se substitue en aucun cas à celles des médiateurs officiels : police, pompiers, SAMU, dans certaines circonstances particulières (violence, tentative de suicide réalisée).L'arbre de décision ci-dessous pourrait résumer les différentes modalités et circonstances de visites à domicile en urgence par une équipe psychiatrique de secteur, il souffre évidemment d'arbitraire et constitue seulement un faisceau de propositions non exhaustives de réponses à l'urgence au domicile du patient.

Elles dépendent de plusieurs facteurs :

- l'implication du signalant,

- l'existence ou non de prise en charge antérieure du patient par l'équipe de secteur,

- la demande du patient,

- la présence de l'entourage sur place,

- la participation active du médecin généraliste.

3) L'intervention proprement dite et les réponses thérapeutiques :

L'intervention à domicile est effectuée nécessairement par un psychiatre et au moins un infirmier.

Sur place, il s'agit de pouvoir distinguer alors l'urgence médico-psychiatrie ou crise symptôme, ou urgence vraie, selon les auteurs de l'urgence psychosociale ou crise de demande.

 

Ä l'ensemble des urgences médico-psychiatriques nécessite une estimation immédiate.

La pathologie n'intéresse que le malade ; elle peut mettre en jeu le pronostic vital (confusion mentale, mélancolie...). Le diagnostic repose sur une analyse clinique, et doit permettre d'aboutir à une intervention rapidement résolutive. L'hospitalisation est la réponse la plus appropriée et la plus protectrice. Le recours à une mesure de placement, selon la loi du 27 juin 1990, est parfois nécessaire, surtout en cas de "péril imminent".

Ä l'ensemble des urgences psychosociales découle d'une perturbation du milieu rationnel de l'individu.

L'évaluation de ce dysfonctionnement est complexe. Elle s'articule autour de critères psychiatriques et cliniques traditionnels, auxquels s'ajoutent les participations respectives du malade et de son entourage.

La situation de détresse psychosociale repose sur une demande de soin foncièrement ambivalente. Le patient et son entourage font appel pour solliciter le soulagement d'un état symptomatique angoissant, mais qui est devenu le porteur d'affects et de conflits centraux de leur projet de vie. Ils pressentent donc confusément que la suppression pure et simple du symptôme risquerait de mettre en échec leur désir de changement. Le patient et son groupe se trouvent dans une impasse et n'ont plus à eux seuls les moyens de trouver d'autres solutions à leurs conflits. C'est précisément pour cette raison que leur appel à l'aide est aussi une possibilité d'ouverture et d'interaction avec l'équipe soignante, grâce à laquelle les forces évolutives pourraient être remises en mouvement. (Andreoli).

La médiation des intervenants concourt dans l'immédiat à un triple but :

- une restitution de la communication verbale par un étayage et un accompagnement intensif,

- une revalorisation narcissique par une approche psychothérapique de soutien,

- la dissolution des tensions.

Une unité d'accueil et de crise offre les conditions de ce type de prise en charge.

Elle permet par la souplesse de son organisation une évolution favorable et maturative de la crise. Ainsi l'existence de quelques lits d'accueil, la possibilité d'organiser des visites à domicile, sont autant de réponses structurées et opérantes à une situation de crise, abordée à l'occasion d'une intervention en urgence. Il peut arriver, néanmoins, que la conjonction d'un refus formel de soins du patient et du débordement de l'institution familiale et sociale, amène l'équipe intervenante à prendre la décision d'une autre orientation (hospitalisation, mesure de placement).

 

CONCLUSION :

Parmi les différentes fonctions dévolues aux équipes de santé mentale, l'intervention à domicile en urgence devrait occuper une place à part dans l'arsenal thérapeutique de secteur. En effet, sans méconnaître sa difficulté, elle représente un outil très pertinent qui peut s'intégrer aussi dans le dispositif sectoriel de soin. Véritable consultation spécialisée à domicile, elle permet dans le cadre de l'urgence, d'affronter des situations complexes, de les analyser et d'éviter ainsi des orientations brutales et des décisions d'hospitalisation pas toujours souhaitables ni bénéfiques. Cette démarche, peu habituelle au domicile du patient, ne semble pouvoir être envisagée que si elle s'intègre dans un dispositif d'accueil des urgences 24h/24 (uni ou plurisectoriel, dans la cité ou à l'hôpital général).

Dans ces conditions, on peut constater que cette demande reste rare.

L'intervention à domicile en urgence reste malgré tout un acte difficile à codifier et à définir. Le vide juridique actuel entretient volontiers des doutes, des craintes et un certain flou dans la pratique quotidienne de la psychiatrie de terrain.

Peut-on un instant imaginer, par la création des SAU, un éclaircissement, une meilleure définition de cette pratique ? Peut-on un instant imaginer le développement des interventions à domicile en urgence, au moment où une gestion toujours plus contraignante fragilise tout projet de secteur au profit d'un repli frileux hospitalo-centrique ? Ces inquiétantes questions, relayées par l'imprécision des textes, et entretenues par leur inadaptation, confortent la regrettable ambivalence selon laquelle :"Les équipes qui se déplacent à domicile n'ont pas forcément raison, et celles qui refusent ce type d'intervention n'ont pas forcément tort".


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