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DEMANDES D'INTERVENTION AU DOMICILE EN URGENCE
POUR LES ADOLESCENTS

GIRARDON - PEYRAUD

 

Nous allons centrer notre réflexion sur les demandes d'intervention en urgence au domicile du patient dans le cadre de deux centres de consultations pour adolescents, celui du CMP pour adolescents de Vincennes, Service du Docteur BOURCIER, ouvert il y a trois ans, et celui du Centre d'Accueil Médico-psychologique pour adolescents à Choisy le Roi, Service du Docteur BEAUROY ouvert il y a seize ans. Nous parlerons donc ici de notre expérience limitée à la prise en charge des adolescents. Nous ne pourrons donc pas faire un inventaire détaillé, "de la cave au grenier" si l'on peut dire, de toutes les pratiques en pédopsychiatrie. On sait, par ailleurs, qu'il y a une grande diversité d'approches en fonction des lieux de soin et de la tranche d'âge à laquelle ils s'adressent. Parler de notre expérience ne résumera en rien ces pratiques. Elle ne donnera qu'une petite illustration de cette diversité.

Notre force est de relever la rareté des références bibliographiques sur le thème de la demande d'intervention au domicile alors que l'on trouve de nombreux écrits sur les modalités d'accueil des adolescents en crise dans la littérature, sur les différents lieux d'accueil, accueil à l'hôpital, dans les dispensaires ou dans des structures non médicalisées. On connaît, par ailleurs, les difficultés d'accès aux soins pour ces jeunes patients qui constituent un souci politique de santé publique aujourd'hui dans notre pays.

Qu'en est-il de notre expérience ? parlons déjà de la demande. Les demandes spécifiques d'intervention au domicile sont plutôt rares. Mais les appels téléphoniques de parents, de substituts parentaux ou de professionnels de la santé pour provoquer une situation jugée critique, sont plus habituels.

Et, comme il s'agit d'adolescents, ce sont surtout les troubles du comportement qui motivent ces appels. Cela ne nous étonne pas puisqu'on connaît la fréquence à ces âges en tant que tentative de résolution d'une souffrance psychique. Alors ces situations sont très variables, agitation, violence, prise de toxique, tentative de suicide ou menaces suicidaires (avec ou sans troubles thymiques associés), mais aussi troubles des conduites alimentaires, crises névropathiques, fugues. Parfois quelqu'un est déjà sur place ou vient d'intervenir sur le lieu de la crise. Ces intervenants sont aussi multiples que le sont les différents lieux de vie possibles d'un adolescent dans la société d'aujourd'hui, de l'assistante sociale à la police en passant par le gardien de l'immeuble.

A noter que l'on trouve très souvent, en filigrane de la demande d'intervention (qu'elle soit ou non au domicile), la volonté de faire intervenir une loi qui serait défaillante, une loi qui enfin remettrait un peu d'ordre en posant les limites nécessaires, une loi en réponse à des troubles du comportement mettant en danger le groupe social. Ces demandes à notre endroit ne sont sans doute pas tant le souhait d'un déplacement physique immédiat que d'assurer que nous sommes garants de quelque chose qui a trait au savoir, à la loi. Néanmoins, avoir été mis dans cette position de garant peut se retourner aussi vite contre nous. Ainsi cette mère, très contrariée par la disparition de sa fille, qui veut porter plainte contre le psychiatre qui la suit car elle accuse ce dernier de l'avoir incitée à fuguer. Par contre, dans le même temps, elle ne souhaite pas aller au commissariat pour signaler la fugue.

Nous venons donc de le voir, il y a souvent en amont de notre consultation, un certain nombre d'intermédiaires déjà impliqués dans la prise en charge des troubles et susceptibles de jalonner un peu le chemin qui pourrait mener vers un parcours thérapeutique. Ce type d'intermédiation dans un travail de crise reste la situation la plus courante ce d'autant que le jeune n'est pas déjà connu par l'équipe psychiatrique de secteur. Après tout, si cette intermédiation est capitale dans l'approche vers une consultation spécialisée quand il n'y a pas forcément urgence, les acteurs l'admettent tous, et notre expérience empirique le confirme tous les jours. Nous pensons que cela peut rester vrai pour certaines de ces situations dites urgentes.

Mais qu'en est-il de nos réponses ? Le temps passé au téléphone peut parfois suffire à désamorcer les choses. Dans la majorité des cas, nous essayons de proposer une consultation au centre pour adolescents, accompagné ou non, dans la mesure du possible ou si nécessaire le jour même. De fait, la demande se solde exceptionnellement par une intervention au domicile, et nous pouvons nous le permettre désormais étant entendu que nous ne sommes plus dans une situation de non-assistance à personne en danger. Rajoutons ici que nous ne sommes pas toujours équipés pour réaliser ce type d'intervention qui réclame en outre une disponibilité et des moyens conséquents. D'autre part, il nous parait aussi plus adapté d'intervenir au domicile d'un jeune que nous connaissons déjà bien et pour lequel il nous est plus facile d'apprécier le bien fondé d'un tel acte. Evidemment, l'intrusion sur les lieux permet certes de réaliser une collecte d'informations utiles à la compréhension des circonstances d'apparition des troubles. Elles nous aide à mieux capter l'ambiance environnementale. Mais on s'expose toujours aussi au risque de venir trahir par notre regard des secrets que l'adolescent tenait cachés. Or, on connaît en terme économique, les enjeux affectifs de ces secrets dans le cadre d'une relation thérapeutique ; l'habitat de son intimité dévoilée, l'adolescent ne risque-t-il pas de se sentir traîtreusement mis à nu. De plus, devenir acteur dans une scène familiale, ce que l'entourage tente parfois de nous faire jouer même par téléphone interposé, compromet le travail de reconstruction que nous avons l'habitude de faire quand nous n'assistons pas aux événements.

Ce travail réclame une neutralité suffisante, celle de ne pas avoir été trop partie prenante aux faits, celle permettant d'intégrer à l'histoire du sujet une succession d'événements et de passages à l'acte présentés de façon factuelle par les témoins directs, et ainsi de pouvoir y injecter du sens, du symbolique.

Encore une fois, l'intervention ponctuelle d'autres tiers non impliqués dans le possible suivi ultérieur amène une ouverture, de la diversité qui peuvent s'intégrer parfaitement à une approche thérapeutique plurifocale que certains acteurs préconisent dans la prise en charge des adolescents difficiles.

De même, la décision de venir consulter (ou de refuser de le faire), permet à l'adolescent d'exprimer son ambivalence, aux adultes responsables d'engager leur propre désir, et ainsi de soutenir le désir de l'enfant.

Or, une intervention au domicile par l'équipe de secteur engagée dans soin ne le prive-t-elle pas de ce mode d'expression qui ouvre vers une amorce de relation, ne la court-circuite-t-elle pas ? Les alliances tacites avec l'entourage induites par une intervention de ce type risquent également de compromettre une relation de confiance avec l'adolescent.

En revanche, quand nous avons le droit de ne pas intervenir au domicile, il nous appartient bien de tout mettre en œuvre en aval pour que les troubles du comportement en question ne soient plus le mode d'expression privilégié de la souffrance morale car ils risquent alors de s'auto-renforcer dans une escale dangereuse.

Terminons, si vous le voulez bien, par quelques points de réflexions concernant la spécificité du travail avec les adolescents dans les interventions de crise.

D'abord sur cette notion d'adolescence qu'il est finalement bien difficile de définir en terme de tranche d'âge, adolescence dont la majorité civile ne fixe bien entendu pas la limite supérieure. Ce qui caractérise peut-être le statut adolescent, contrairement à la plupart des adultes, est que l'adolescent ne s'appartient pas encore complètement. Dans les diverses situations évoquées, il n'est pas envisageable de penser en terme de dualité "soignant-soigné" mais toujours en terme trinitaire "soignant-parents-soigné". Il ne faut d'ailleurs pas oublier que les frères et sœurs quand il y en a, mais aussi les pairs, sont également à prendre en compte dans la triangulation. Tout ceci a plusieurs conséquences : Pour qui est l'urgence tout d'abord ? En effet, dans pratiquement tous les cas, c'est l'entourage immédiat du jeune, ses parents en l'occurrence, qui estime qu'il y a urgence alors que bien souvent d'autres troubles sont apparus bien avant. De même, l'urgence qui nous convoque au chevet de ces jeunes patients entre étrangement en résonance avec les grandes urgences sociales actuelles, la violence, la délinquance, la drogue.

Ces urgences médiatisées ne viennent-elles pas faire de l'ombre à l'urgence plus silencieuse qui fait qu'un jour l'adolescent tente de se suicider, se suicide ou fugue, contre toute attente. Ensuite sur la notion de domicile à l'adolescence, l'adolescent n'a-t-il qu'un seul domicile et où est le sien s'il existe vraiment ?

On sait que la chambre à coucher par exemple, représente son territoire gardé, par lequel passent tant de conflits de territorialité, de retrouvailles, d'enjeux affectifs.

Ce lieu canalise, concentre, fait le nœud du conflit et on peut d'ailleurs se demander si ce domicile n'est pas un endroit privilégié de l'expression de la crise. Dans les entretiens on voit bien à quel point leur espace de vie intime est investi de manière tout à fait spéculaire, leur domicile, c'est une partie d'eux-mêmes. Et puis, il y a des multiples de l'habitat et les déclinaisons de ces multiples. Hors de l'espace privé l'adolescent envahit tous les espaces publics. Il se structure en habitant ces espaces et peut-être qu'en venant consulter dans un lieu neutre de lui, il apprend à faire de sa parole un domicile, il commence à s'habiter un peu plus.

En conclusion, ne pas intervenir au domicile en urgence ne semble pas être un obstacle à la prise en charge ultérieure ; bien au contraire, nous pensons que dans la plupart des cas cela est souhaitable, de même qu'il est indispensable que ceux qui se déplacent au domicile aient la possibilité d'articuler leur intervention avec la notre secondairement. Le deuxième point, qui fait écho au premier et qui est sous forme de question posée à nos collègues urgentistes, pourrait se formuler ainsi : à quel moment de leur intervention au domicile estiment-ils nécessaire l'existence d'une équipe pédopsychiatrique de secteur : dans l'idéal avant, dans le devoir après, ou pendant ? La question reste ouverte.


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