Préambule :
Après avoir pendant 10 ans exploré différents services ou structures de l'hôpital psychiatrique (services d'hospitalisation, Centre Médico-Psychologique, Appartements Thérapeutico-associatifs, j'ai choisi de m'intéresser à la structure en vogue, le Centre d'Accueil et de Crise, et plus particulièrement celui du XVI secteur du Val de Marne. D'abord méfiant devant l'enthousiasme collectif provoqué par l'ouverture de ces structures, devant une forme de mépris affiché par certains des personnels de ces lieux envers ceux qui avaient choisi de " travailler en intra ", j'ai pu au cours des 5 années passées au CAC, en découvrir l'intérêt.
Bien sûr, changement de lieu ne veut pas dire changement de conception de la maladie mentale et prise en charge innovante.
Mais l'installation de la psychiatrie dans la ville, la nécessité de " faire sans les mûrs ", sans l'institution rassurant mais aussi inhibante, tout cela favorise une réflexion individuelle et collective, un retour à une vraie " politique de secteur ", engagée, responsable et prenant en compte les besoins réels d'une population en terme de santé mentale.
Voici donc quelques éléments du fonctionnement d'un CAC et quelques pistes pour prolonger et développer ce mouvement des professionnels de la santé mentale vers ceux qui en ont besoin.
1 - Les objectifs
Le centre d'accueil reçoit 24 heures sur 24 toute personne en difficulté sur le plan psychologique ainsi que sa famille et son entourage.
Il a pour objectifs :
la facilitation de la demande et du recours aux soins psychiatriques
répondre à des situations d'urgence et de détresse aiguës par des prises en charges intensives de courte durée et d'un fonctionnement souple, visant à éviter une décompensation sévère et une désinsertion sociale, familiale, amicale, professionnelle.
Références réglementaires
Arrêté du 14 mars 1986-relatif aux équipements et services de lutte contre les maladies mentales, comprenant ou non des possibilités d'hébergement.
Différents types de prise en charge
Administrativement parlant , différentes modalités de prise en charge sont distinguées :
L'accueil infirmier : accueil de moins de 3 heures
L'accueil à temps partiel : accueil de plus de 3 heures sans présence du patient à minuit dans la structure
L'accueil à temps plein : équivaut à une hospitalisation, avec présence du patient à minuit .
On distingue également :
Les accueils téléphoniques : communication téléphonique de moins de 10 minutes n'ayant pas donné lieu à un rapport écrit ;
Les entretiens téléphoniques .
L'Accueil à Temps Plein devant être d'emblée orienté vers un retour rapide vers l'extérieur, celui-ci est limité à une semaine maximum ( des dérogations de quelques jours sont toutefois possibles, dans le cas de projets en voie d'aboutissement).
Accueil et travail infirmier
· Un cadre souple et rassurant
Accueillir une personne en souffrance, c'est créer, au sein de la relation construite avec elle, un climat émotionnel qui lui permette de retrouver espoir, d'avoir le sentiment de contrôler sa vie, de disposer de choix. De ce constat découle le fonctionnement du C.A.C. :
- rassurant car disponible, ouvert, à dimension humaine, inséré dans le tissu social, offrant une écoute sans jugement ;
- souple car s'adaptant au plus près des réalités de chacun pour favoriser l'insertion sociale et relationnelle : le Centre d'Accueil & de Crise peut proposer tout les modalités de prises en charge un accueil de quelques minutes, un accueil pour la journée, pour la nuit, un entretien infirmier au moment le plus favorable, un entretien médical, tout cela étant laissé au choix du patient, sans contrainte.
· L'entretien infirmier
Les modalités d'accès à la structure
Toute personne se présentant au C.A.C. est accueillie par les infirmiers présents (qui peuvent l'orienter auprès du psychiatre de garde) et se voit proposer un entretien d'accueil, lui permettant de verbaliser une éventuelle demande, d'être informée du fonctionnement et des possibilités d'aide en fonction de ses objectifs et de définir avec l'équipe le type de prise en charge le plus adapté à sa situation Dans le cas d'une personne adressée sur le centre par un médecin extérieur au C.A.C., le choix de l'investissement de la structure doit être laissé au patient, dans l'échange avec l'équipe infirmière et médicale du C.A.C.
C'est lors de cette rencontre avec l'équipe d'accueil que s'élabore, autour du patient et de sa situation particulière, une " trajectoire de soins ", tant dans ses objectifs, dans sa forme (hospitalisation , accueil à temps partiel, accueil infirmier…), dans son rythme (entretiens quotidiens, plus espacés…) et dans son contenu (entretiens infirmiers, médicaux, auprès de psychologues, rencontre avec d'autres professionnels… ).
La famille et l'entourage du patient doivent être d'emblée intégrés comme des acteurs fondamentaux de la prise en charge, permettant d'assurer la continuité des relations du patient avec son environnement social et un retour rapide au sein de celui-ci dans de bonnes conditions ; La durée de cette " trajectoire " ne peut être définie par avance, tant pour une hospitalisation à temps plein que pour un accueil à temps partiel ; la situation doit être réévaluée chaque jour entre le patient et l'équipe d'accueil (infirmière et médicale), en fonction des objectifs initiaux du patient, de son évolution tout au long de l'accueil et des observations cliniques de l'équipe.
Une exception à cette règle : un accueil pour sevrage, quelque soit le toxique, peut avoir une durée et un cadre défini à l'entrée, permettant au patient d'entamer ce parcours difficile avec un sentiment de sécurité et de cohérence.
Il faut bien sur garder en tête le principe de la brièveté de l'hospitalisation (évaluée à 7 jours renouvelable éventuellement 1 fois), principe fondateur des centres de crise, respectant l'insertion sociale, professionnelle, affective et amicale de la personne.
Prise de responsabilité
L'infirmier en C.A.C., même s'il est un maillon d'une équipe, est bien souvent le premier interlocuteur, celui qui accueille le patient, quelquefois le premier contact de cette personne avec " l'univers psy ".
Les infirmiers sont amenés régulièrement à prendre des décisions et à orienter seuls, en gardant constamment à l'esprit que de ce premier contact, de cette première rencontre dépend pour beaucoup la pérennité et la qualité d'une éventuelle relation thérapeutique.
Cette responsabilité, cette implication particulière différencie le travail d'accueil en centre de crise de celui effectué en service hospitalier ; pour cette raison, la majorité des infirmiers de l'équipe a suivi une formation " Accueil et Crise " ;
Accueil et implication de la famille et des proches
Un autre aspect du rôle infirmier est aussi mis en avant dans le travail en C.A.C., les relations avec les familles, les proches. Là aussi, l'infirmier se trouve en première ligne, en prise directe avec des proches inquiets, perdus après avoir patienté des heures aux urgences des hôpitaux généraux, épuisés d'avoir assumé la souffrance du proche jusqu'à la dernière limite. Il s'agit alors, pour l'infirmier, d'expliquer, de rassurer, de dédramatiser, de mettre en évidence le rôle primordial de la famille et des proches dans le processus thérapeutique.
Positionnement individuel
Une telle " position avancée " dans le dispositif psychiatrique conduit chaque intervenant à une réflexion continue sur sa pratique son positionnement dans le cadre du centre de crise, ses capacités d'écoute, de maîtrise face à l'angoisse, la souffrance, l'agressivité parfois. Dans une situation de " premier contact ", d'évaluation de la situation, chacun doit pouvoir accepter de ne pas être la personne ou la structure " compétente " ou adaptée face à une demande particulière et pouvoir le signifier au demandeur et l'orienter au mieux vers un interlocuteur plus qualifié. Cette démarche est grandement facilitée par un vrai travail en réseau, alliant prise en compte de ses propres limites et connaissances des compétences et limites de ses partenaires.
Positionnement d'équipe
Ce rôle d'accueil, essentiellement situé dans la relation à l'autre, doit impérativement s'appuyer sur un positionnement d'équipe.
Il semble indispensable de théoriser, de conceptualiser, de réfléchir en équipe les indications, le fonctionnement, les limites, les difficultés rencontrées.
Ce " retour à l'équipe " s'effectue dans une certaine mesure dans le cadre des réunions cliniques, auxquelles participent les équipes du C.A.C. et du C.M.P.
Des réunions institutionnelles à thèmes se sont tenues régulièrement pendant plusieurs années, mais ont disparu depuis quelques temps. Il semblerait judicieux de rouvrir cet espace d'échange, de discussion et de réflexion sur nos pratiques ;
Place dans la cité
Sa situation géographique, sa disponibilité, sa facilité d'accès font du C.A.C une porte d'entrée privilégiée dans le dispositif sectoriel ; L'équipe du C.A.C est souvent le premier interlocuteur interpellé par les " acteurs de la cité " : habitants eux-mêmes, médecins libéraux, acteurs sociaux, administration locale Il est une des interfaces principales (avec le CMP) entre la cité et le dispositif psychiatrique. Ce rôle spécifique implique une bonne connaissance du dispositif sectoriel, tant sur le plan institutionnel, que sur le plan de la cité et de ses ressources. Pour cela, le travail en réseau semble indispensable, incluant tous les interlocuteurs du secteur (associations, pouvoirs publics, intervenants libéraux…).
2 - Evolution
Prise en charge des urgences : création des S.A.U. ?
Une réorganisation du système de prise en charge des urgences est annoncée par les pouvoirs publics incluant la prise en charge des urgences psychiatriques.
Les centres d'Accueil et de Crise vont devoir trouver leur place dans cette nouvelle organisation et notamment dans les Services d'Accueil des urgences (S.A.U.) qui seront mis en place dans certains hôpitaux généraux. Ces S.A.U. devront intégrer un pôle psychiatrique, mais plusieurs scénarios peuvent être envisagés quant à cette intégration :
- la relocalisation d'un C.A.C. dans l'enceinte d'un hôpital général en conservant les missions et l'organisation du C.A.C ;
- l'intégration d'une équipe psychiatrique au sein même du service d'urgences dudit hôpital général, dans les locaux de ce service
- le maintient du C.A.C. dans ces locaux actuels mais un renforcement des liens, de la communication et de la collaboration avec l'hôpital- S.A.U.
Dans tout les cas les équipes de C.A.C. vont être amenées à réfléchir leur avenir, sur le scénario le plus adapté, afin de préserver la mission du C.A.C., la meilleure offre de soins pour le citoyen, tout en développant la collaboration avec les hôpitaux généraux
Interventions à domicile ?
L'équipe du C.A.C. a souvent été interpellé par des demandes de familles, de proches ou des patients eux-mêmes quant une éventuelle intervention à domicile ; Notre position à toujours été de favoriser la venue du patient sur la structure, en termes d'investissement de sa propre prise en charge. D'autres équipes ont fait le choix d'un travail sur l'urgent et la crise au domicile, basé entre autres sur la l'implication de l'entourage, de la famille.
Cela doit constituer, au minimum, un axe de réflexion, débouchant sur une argumentation solide de la position qui est la notre actuellement ou, à contrario, sur une évolution et une ouverture de notre activité vers l'extérieur.
Accueil " hors les mûrs " ?
Dans ce cadre de l'ouverture vers l'extérieur, vers la cité, certaines équipes ont également développé " l'accueil hors les mûrs du C.A.C.". Cela consiste à
développer des liens avec d'autres intervenants du secteur (associations, services sociaux…) avec à terme, l'objectif de dégager, au sein même des locaux de services et associations, un espace et un temps de rencontre entre l'équipe psychiatrique et les personnes fréquentant ces lieux ; cette rencontre à pour but, la présentation de l'activité et des possibilités d'un C.A.C afin de permettre aux personnes dans l'incapacité d'élaborer une demande de soins, de créer petit à petit des liens avec l'équipe et d'accéder à terme au dispositif psychiatrique. Il ne s'agit nullement de " psychiatriser " toute souffrance ou toute difficulté mais " d'allers vers " des populations incapable de faire cette démarche (exclus, précaires, personnes déjà meurtries par une précédente expérience douloureuse de la psychiatrie…) ;
Tout cela mérite réflexion, interrogation et peut contribuer à l'argumentation sur la spécificité des C.A.C. et la nécessité de leur pérennisation.
Souffrance psychique & Précarité
Dans le domaine de la prise en charge de la souffrance psychique liée à l'exclusion et à la précarité, les demandes de la société et des pouvoirs publics à l'adresse du " monde psychiatrique " sont croissantes. A l'expérience, les C ;A.C se sont avérés, de part leur souplesse de fonctionnement comme les structures les plus appropriés dans le dispositif psychiatrique pour accueillir et prendre la souffrance psychique de ces populations en grande difficultés. La disponibilité, la situation géographique, la place laissée au choix de l'individu, font de ces structures des lieux repérables et utilisables par ces populations, souvent dans l'incapacité de voir plus loin que le moment présent et donc de prendre rendez-vous. Il faut donc que les équipes intègrent ces données et élaborent des prises en charges adaptées aux demandes et aux difficultés des individus précarisés, exclus.
3 - Les écueils
La " Toute puissance "
Le sentiment de " toute puissance " peut amener l'équipe du C.A.C. à ne plus prendre en compte l'ensemble des intervenants impliqués dans la prise en charge d'un patient et à vouloir régler l'ensemble des problèmes sans faire appel aux personnes les plus compétentes. Le seul moyen d'éviter cela semble être le travail en réseau. Mais se réseau ne peut être basé que sur la connaissance réciproque, l'échange, le dialogue, le respect des rôles, des missions et des fonctionnements de chacun.
La réponse systématique
Le rôle de l'accueillant n'est pas de fournir systématiquement une réponse au problème ou à la demande évoqué par le patient. Il se situe bien plus dans l'aide à l'élaboration de cette demande, dans l'écoute de la souffrance qu'engendre ce problème et dans le soutien tout au long du processus de construction d'une réponse par le patient lui même ;
La création de nouveaux besoins et le risque de dépendance
La prise en charge doit être conçue d'emblée comme une aide au retour vers une vie sociale, familiale satisfaisante pour le patient ; le cadre rassurant, soutenant voire contenant, peut conduire, si l'on n'y prend garde, à une dépendance et à des difficultés accrues à reprendre pied dans le quotidien avec ses difficultés, ses inquiétudes, ses frustrations…
La reproduction d'un système " d'enfermement asilaire "
L'équipe du C.A.C. doit être attentive à ne pas rigidifier progressivement le fonctionnement du C.A.C , à préserver ce qui en fait l'intérêt : sa souplesse au quotidien et l'élaboration de prise en charge au plus près de la demande et des besoins du patient.
Difficulté à " passer la main
A un moment ou à un autre de la prise en charge, il peut s'avérer nécessaire de " passer la main " ; l'orientation d'un patient sur le C.M.P. après un séjour n'est pas toujours sans poser problèmes résistance, difficulté à l'équipe. pour éviter ce type de difficultés il semble important de préparer ce " passage " quasiment dès le premier contact au centre, par la présentation des différentes structures, de leur spécificité et des équipes. Un travail d'accompagnement du patient vers une structure ou une autre est indispensable, tant pour le patient que pour les soignants.
La psychiatrisation à outrance
Les équipes des C.A.C., implantées au sein même de la cité, reçoivent souvent des demandes ne relevant pas systématiquement du dispositif psychiatrique ; On leur attribue souvent un rôle de contrôle de l'ordre public (personnes perturbant la quiétude du voisinage, le bon fonctionnement des institutions, des commerces…), un rôle de d'hébergement, de résolution de problèmes sociaux ;
L'équipe doit pouvoir affirmer ses missions et son rôle propre, afin de proposer un cadre d'intervention le plus clair et le plus efficace possible.
Cela passe encore par la rencontre, l'information et les échanges avec tout les intervenants du secteur.
Thierry Lescant
Infirmier de secteur psychiatrique