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Retour à Psychiatrie hors les murs


POUR UN AUTRE REGARD SUR LA FOLIE !

DE LA POLITIQUE DE SECTEUR ET DE SON OUVERTURE SUR LA CITÉ


PATRICK BANTMAN
PSYCHIATRE
PARIS


Je voudrai ici expliquer mon attachement à cette pratique de Psychiatrie publique que l'on décrit comme " menacée " , et en même temps resituer la nécessité d'élargir nos " perspectives " dans la prise en compte du patient et de son environnement en direction de la famille , des services sociaux , municipaux ….
Il n'y a pas que le secteur psychiatrique publique qui soit menacé de dislocation, d'absorption par le secteur sanitaire , c'est la pratique psychiatrique dans son ensemble qui est menacée par la réduction des moyens institutionnels et sociaux , la réduction démographique de la spécialité (30 % en 15 ans), le refus des évolutions statutaires et les mesures envisagées vis à vis de la pratique privée…
Divers facteurs interviennent dans la mise en place de cette menace , et le moindre n'est pas la question de l'émoussement d'une culture celle de la Psychiatrie de secteur . En effet le développement depuis au moins 40 ans de la Pratique de secteur n'est pas sans avoir modifier le rapport entretenu avec le patient, son environnement social et familial . Le " savoir " qui découle de cette pratique est différent du savoir élaboré uniquement à partir du patient dans le contexte hospitalier. C'est ce " savoir là " que nous voudrions voire se développer, diffuser plus largement et réellement défendu .

La passion des origines, avec ses avancées novatrices en matière de Politique de Santé Mentale, relayée par celle des années 70, autour des débats sur la folie ou sur l'institution, est à présent passées par les fourches caudines des impératifs technocratiques et gestionnaires.
Le temps nous manque aussi pour suivre de près l'évolution de la profession et de la discipline. Dans nos services le quotidien est déjà assez lourd pour nous occuper largement….
Comme l'explique Jean Vignes de Toulouse , il "n'est pas un soignant , un intervenant dans le champ du soin en santé mentale , qui ne constate aujourd'hui une régression dans le domaine où s'exerce son art. Souffrance , violence , enfermement, désinsertion, errance, réinvestissent brutalement , inexorablement le réel de la Psychiatrie ,symptômes de l'appauvrissement du système ."
Les prises de positions de corps professionnel commencent à se manifester, mais nous constatons que nous sommes tous anesthésiés, "sidérés" par cette incompréhension des pouvoirs publics.

La politique de sectorisation comme élément fondateur de la continuité des soins dans la pratique de secteur est repérée souvent par nos interlocuteurs étrangers comme force du système français. Il existe bien un " modèle " français autour du modèle sectoriel envié par la plupart de nos collègues étrangers.
Cependant , 40 ans après la circulaire du Secteur il est anormal que la Psychiatrie de secteur soit représentée encore trop souvent pour le public par l'image de l'hôpital. Il faut que nos analysions et développions davantage les ressources communautaires développés dans le cadre de la sectorisation où à côté. Comme le rappelle encore récemment une communication de l'UNAFAM concernant les SROSS ( à l'attention des directeur d'Agence Régionale de la Santé) , "le nombre de patients le plus important se trouve dans la cité."
Le nombre de malades présentant des troubles psychopathologiques non seulement ne diminue pas mais progresse. La nature de nos interventions tend aussi à se diversifier très largement au-delà des cadres sanitaires vis-à-vis de populations désinsérées, marginalisées ou auprès d'institutions médico-sociales.

Alors quel intérêt y aurait-il encore, semblent se demander certains d'entre nous, à ce que le Secteur survive au désenchantement d'un monde dans lequel la nécessaire rigueur économique tient lieu de credo à des générations de technocrates en mal d'idéologie ?
Quelle Politique de Secteur pourrions-nous bien mettre en oeuvre, à l'aune de la dérive actuelle en matière de formation et de recrutement des différentes catégories de personnel, lorsqu'il n'y aurait plus, ni psychiatres, ni infirmiers en psychiatrie !

Si certains ont tenu à se poser, s'agissant du Secteur, la question de son adaptation, de son ouverture, voire de son dépassement, d'autres ont insisté au contraire sur le risque réel représenté par l'effritement du champ de compétence de la psychiatrie publique.
Dans un environnement où les autres structures de soin pratiquent fréquemment une politique de sélection (il serait plus exact de dire d'exclusion), par le biais de la pathologie, ou celui de l'argent, le service public de psychiatrie se trouve en effet de plus en plus souvent interpellé par des patients touchés par ce qu'il est convenu d'appeler la " fracture sociale ".
Mais il ne faudrait pas, par un effet de syllogisme réducteur, que nous passions d'un service public s'adressant dans la cohérence et la continuité, à toutes les catégories de patients et de pathologies, sans exclusives, à un service public dé spécifié, recentré sur des sujets démunis, désocialisés, non-demandeurs de soins, voire même non sectorisés.

Il ne suffit pas de quitter l'hôpital pour en abandonner la dimension de clôture et d'isolement. Autrement dit, qu'on ne peut pas prétendre être dans les lieux les plus avancé du Secteur, tout en restant " entre soi ", sans véritable nouage avec le quartier.
Les équipes engagées dans un travail de terrain sont là pour témoigner, en CMP, ou dans les pratiques soignantes d'accueil et de crise au sein de la cité, avec les personnes âgées ou dans le champ de la toxicomanie, comment certaines demandes d'intervention peuvent s'organiser en réseaux de soins diversifiés.

La question du secteur doit nous amener à nous interroger sur les articulations théoriques pratiques de ce qui est en jeu au sein des équipes, des familles, de la société ou des groupes d'usagers , ce qui concerne la perception de la maladie, des besoins des patients, ou des attentes de la société. Il est impossible de faire du secteur en restant inscrit uniquement dans un discours médical positiviste , en n'assumant pas la dimension anthropologique du phénomène de la folie , c'est-à-dire en n'articulant pas l'individu et le social, en n'articulant pas son action thérapeutique dans les dimensions sociale, culturelle et institutionnelle . Le cadre clinique est aussi en relation avec des formes de savoir déterminées par la culture. Il est également important de resituer le contexte social et familial dans lequel surgit la problématique psychiatrique. On le voit à travers les questions soulevées par l'ethnopsychiatrie, la Psychiatrie des errants, le problème posés par les addictions … . Il est indispensable de maintenir ouvert nos réflexions sur le groupe social. Les maladies sont des images d'une culture.. Ainsi la souffrance psychique , concept " évident et incertain " (Lazarus) d'une époque marquée par la précarité de masse et l'exclusion ne peut masquer l'interpellation vis-à-vis des déterminants politiques et sociaux des inégalités. Ces approches risque toujours de renforcer les conduites de ségrégation, transformant l'histoire personnelle d'un sujet en " cas "cliniques, support de la " maladie et ses constructions culturelles.

L'inscription communautaire de nos pratiques, qui constitue le principe premier de la politique de Secteur, est loin d'être parachevé.
Mais malgré toutes les difficultés rencontrées, et bien que de manière moins rapide et moins radicale qu'on pouvait l'espérer, la Politique de Secteur mise en oeuvre depuis 40 ans a cependant réussi à transformer de manière importante le visage de la Psychiatrie publique. L'ignorer relèverait, soit d'une profonde méconnaissance du travail de terrain effectué, soit d'une volonté délibérée de promouvoir des gadgets technocratiques conjoncturels pseudo-psy, mais plus vraisemblablement des deux à la fois !

Les débats qui s'engagent depuis les États Généraux de la Psychiatrie à Montpellier , prolongés dans les médias , jusqu'au sein du Forum social européen ,… peuvent permettre de (re)donner corps au fait que la Psychiatrie est aussi politique . Les soignants pourraient aussi concevoir avec l'aide des usagers et de leurs associations représentatives nos outils de travail . Vaste chantier pour le 3e millénaire dont les équipes doivent se saisir afin de construire une psychiatrie communautaire et citoyenne, qui puisse accueillir et soigner tous les patients.




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