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Retour à Psychiatrie hors les murs


UNE EXPERIENCE D'OBSERVATION A DOMICILE

Y. SARRETTE, Dr. CAMPLO, Dr. GENTIS, Dr. PAILLOT

COMMENTAIRE

Il m'a semblé important, au moment où le quarantième anniversaire de la circulaire du 15 Mars 1960 définissant la politique de secteur permet de faire l'état des lieux des pratiques sectorielles, de faire apparaître ce texte publié dans le numéro de Février-Mars 1960 de "Vie Sociale et Traitements" (c'est à dire antérieur à l'apparition de ladite circulaire).

Ce texte écrit en coproduction entre médecins et l'infirmière référente s'offre comme un jalon permettant de situer à la fois ce qui était le plus élaboré au niveau des pratiques de la psychothérapie institutionnelle, comme l'instauration d'emblée d'une élaboration très pointue au niveau d'une pratique sectorielle.

Le lecteur pourra juger de ce qui peut constituer dans son contenu, au jour d'aujourd'hui, de ce qui apparaît très actuel, et de ce qui a versé dans une certaine obsolescence.

Il m'apparaît d'autre part important de la mettre en perspective avec les préoccupations actuelles (cf "La lettre de la mission d'appui en santé mentale" de décembre 1999) sur le PMSI comme "description des soins prodigués dans un cadre donné au cours d'une période donnée", et tout principalement avec ses deux indicateurs descriptifs :

- la journée pondérée,

- la trajectoire de soins.

Jean Yves NAYRAT
Psychologue
Centre Hospitalier François Tosquelles (Saint Alban)

Histoire de Pierrette

Pierrette nous a été amenée par ses parents le 6 novembre 1958. Avant son entrée dans le service, elle avait été soignée dans un service parisien de neuro-psychiatrie, y avait subi une cure de Sakel qui avait fait merveille et en était sortie pratiquement guérie. De retour chez elle, elle avait manifesté sa joie de retrouver sa chambre et ses objets familiers ; dans la nuit même, elle se trouvait à nouveau en pleine crise d'anxiété et s'enfuyait sur les toits d'où l'on avait le plus grand mal à la faire descendre.

Pierrette avait quinze ans. Son histoire était celle de mainte schizophrène : difficulté progressive à suivre en classe qui l'avait fait accuser de paresse et avait entraîné des sanctions scolaires et familiales, bizarreries du comportement et des propos niés aussi longtemps que possible par la famille, évidence enfin du délire, de l'incohérence et de l'agressivité.

L'entourage paraissait coopérer au traitement. Poussés par une anxiété bien légitime, les parents s'expliquaient aussi précisément que possible sur les circonstances apparentes de la maladie, sur l'histoire antérieure de la jeune fille et sur les relations familiales. Pierrette était entrée dans le service affreusement anxieuse, perpétuellement agitée, s'échappant plusieurs fois par jour de sa chambre, demi-nue, vraisemblablement pour tenter de rejoindre son domicile. Aucun contact solide ne pouvait être établi : Pierrette paraissait sourde à tous les propos, ne prononçait que quelques phrases énigmatiques et demeurait parfaitement impénétrable à tous. Sur notre demande, les parents commencèrent cependant à lui rendre visite presque tous les dimanches, la voyant d'abord au quartier, puis l'emmenant pour de courtes promenades dans les environs dès que son comportement le permit.

Un traitement biologique très actif (comas insuliniques, largactil) amenait en effet au bout de quelques semaines une certaine sédation de l'anxiété et de l'agitation. quleques électro-chocs, puis des injections de Cardiazol pratiquées sur la fin des comas semblaient promettre une amélioration plus substantielle : après chaque séance, Pierrette se montrait plus détendue, s'activait un peu dans le service, participait même à quelques danses et à quelques jeux où se manifestait d'ailleurs la parfiate conservation de ses possibilités intellectuelles (tout le monde fut surpris de constater en particulier qu'il était très difficile de la battre aux dames). Mais elle restait terriblement distante, indifférente, hermétique. Les quelques réflexions qui lui échappaient ne sortaient de la banalité que pour verser dans l'extravagance la plus ahurissante, du moins pour ses parents qui nous les rapportaient fidèlement, car elle se montrait un peu plus expansive en leur compagnie. Psychanalytiquement interprétables certes, ces propos restaient trop épisodiques pour pouvoir entreprendre une psychothérapie enrègle. Aux séances de psychothérapie de groupe auxquelles elle assistait régulièrement, Pierrette restait d'ailleurs le plus souvent d'une immobilité de cire, très droite, bras croisés, le visage figé et imperméable à toutes les sollicitations.

En accord avec ses parents, et devant les souhaits sans cesse renouvelés de la malade, nous décidâmes de tenter une sortie précoce en envisageant la probabilité de la réhospitalisation dans un délai indéterminé et en gardant un contact aussi étroit que possible avec la famille et Pierrette elle-même.

Retour à la vie familiale

Cette décision se révéla immédiatement heureuse. Pendant le trajet de retour, Pierrette conserva une froideur et une crispation extrêmes, mais à la vue de sa maison, elle manifesta soudain une joie sincère et déclara à ses parents que jusque-là elle avait redouté que ce retour ne fût un leurre et qu'on ne la conduisîten fait dans un autre hôpital. Rentrée chez elle, elle fut quérir ses livres et se remit à son travail scolaire sans que nul ne l'y incitât. Les jours suivants, elle se montra plus spontanée, plus active, sortant volontiers malgrè les craintes de l'entourage et faisant preuve d'initiatives pratiques tout à fait adaptées. Les médicaments dont chaque prise nécessitait dans le service de nombreuses négociations étaient acceptés sans grande difficulté.

Mais un élément de mauvaise augure ne tardait pas à se manifester : la mère de Pierrette qui pendant l'hospitalisation de sa fille ne manifestait qu'une anxiété somme toute normale et justifiée, réagissait de jour en jour de façon plus pathologique à la présence de Pierrette, relevant anxieusement ses moindres propos, s'opposant à ses désirs les plus légitimes, la frappant même dès que son comportement devenait tant soit peu inquiétant.

Après avoir envisagé plusieurs possibilités, le père de Pierrette a proposé alors au médecin de déléguer chez lui une infirmière, pour soulager la mère du souci de la malade et pour tenter de rétablir un peu d'ordre dans la situation familiale en proposant des attitudes plus adaptées.

Une discussion rapide entre le médecin et le personnel du quartier fit choisir pour cette mission Melle Sarette, à laquelle Pierrette manifestait un certain attachement. Melle Sarette partit le lendemain avec Pierrette et ses parents qui avaient tenu à venir la prendre à l'hôpital.

 

Une Mission délicate

Voici donc notre infirmière, toute fraîche diplomée de surcroît, installée chez ces étrangers : situation ambiguë entre toutes que celle de cette jeuine fille, à peine plus âgée que la malade dont elle prend la charge, parée d'une technique mystérieuse au profane et de l'autorité du médecin qu'elle représente et auquel elle téléphone presque chaque jour, expressément sollicitée de faire la leçon à des gens qui pourraient être ses parents, et nantie pour tout bagage de conseils et d'instructions plus que vagues.

Il apparut d'emblée que le rôle majeur de l'infirmière devait être, une grande partie du temps, tout au moins, de n'exister que le moins possible. Après coup, considérant l'ampleur du conflit familial bientôt dévoilé et les rôles respectifs des divers protagonsites, nous avons éventé le piège qui lui était tendu et qu'elle sut contourner : prendre parti. Maintenant nous pensons que le père de Pierrette, timoré de nature, et complètement impuissant devant la situation qu'il avait laissée s'établir, avait fait appel à nous dans l'intention plus ou moins consciente de nous révéler ce qu'il n'osait dire et de porter à sa place les accusations qu'il n'osait assumer. Il va sans dire qu'une intervention directe de l'infirmière n'eût pu qu'envenimer les choses et créer une situation explosive, risquant ainsi de compromettre toute psychothérapie ultérieure en fixant définitivement les résistances de chacun des membres du groupe familial. Il fallait se taire et rester neutre.

S'effacer donc, se faire oublier, ne pas modifier par sa présence le jeu des relations familiales, et pourtant tout voir, tout entendre, et saisir même ce qui n'était pas visible, ni exprimé. Et pour cela donner par tout son comportement, l'assurance d'une absolue discrétion qui permette à chacun d'établir au grand jour ses angoisses et ses faiblesses.

Mous croyons que, sans y être spécialement préparée et, comme nous l'avons laissé entendre, sans que le médecin ait lui-même pressenti quelle allait être la fonction de l'infirmière dans cette situation inédite, Melle Sarette a, du fait de son seul flair ou de sa seule réserve juvénile, tenu sans défaillances notables cette ligne de neutralité et de discrète attention que nous recommanderons désormais à qui se lancera dans une semblable entreprise. Ce qui justifie pour nous cet éloge, c'est que, à la suite de son séjour parmi eux, les parents de Pierrette ont fait preuve avec le médecin d'une franchise et d'une spontanéité tout à fait inacoutumée, et que d'autres membres de la famille sont venus apporter des témoignages et des précisions d'un grand intérêt.

 

Un bilan, de nouvelles perspectives.

Cette expérience a duré un peu plus d'une semaine. Nous pourrions emplir cent pages des renseignements qu'elle nous a fournis, nous ne pouvons le faire pour des raisons évidentes de secret. Qu'il nous suffise de relever ce qu'on a sans doute déjà décelé : nous avons retrouvé dans ce cas le couple parental classique, bien qu'assez rare, des schizophrènes : un père faible sous une façade sociale bien assurée, une mère dure étouffant mal sous sa rigidité une angoisse obsesionnelle jamais apaisée. La névrose familiale étendait à l'extrême ses ramifications : aucun des membres connus de nous, ni même les conjoints et alliés, ne se trouvait épargné.

Qu'a pu faire notre infirmière pour Perrette ? Peu de choses en vérité, si l'on s'en tient à l'immédiat. Des promenades, des jeux, quelques visites… Qu'est-ce que cela pour une schizophrénie très grave dont le traitement demandera des années d'éffort de la part de dizaines de personnes ?

Mais maintenant nous possédons des aperçus très précis sur l'histoire psychologique de la jeune fille. Son comportement et ses propos s'en éclairent d'autant et nous dictent notre attitude. Maintenant nos traitements biologiques s'appuient sur des intentions précises ; une cure de Tofranil a été entreprise dès le retour de Pierrette dans le service , dans le but explicite de libérer des comportements agressifs ; ceci n'a pas manqué de se produire, permettant une reprise de contact, des interprétations fructueuses et une mise en éveil de tout le pavillon, malades comprises, d'autant plus pressées de comprendre le sens de ce comportement qui leur vaut quelques gifles et pas mal d'égratignures (pour les lecteurs qui s'étonneraient de ces méthodes thérapeutiques, nous préciserons qu'elles supposent une organisation bien spéciale du service, un personnel bien entraîné et de fréquentes séances de psychothérapie de groupe).

Maintenant une psychothérapie des parents est possible. Et le délégation d'une infirmière au sein de la famille a fait accepter sans difficulté par Pierrette sa réhospitalkisation, le lien concret ainsi établi faisant apparaître l'hôpital comme ce qu'il devrait effectivement être dans tous les cas : non pas un lieu de ségrégation et d'oubli, mais une insitution vivante, bien insérée dans la réalité sociale et ouverte de plain-pied sur celle-ci.

 

Le point de vue administratif.

Melle Sarette a pris huit jours sur ses congés annuels pour tenter cette expérience. Nous avons voulu éviter ainsi toute complication administrative, mais il est bien certain que si cette expérience devait se renouveler, il faudrait trouver une solution à ce problème.

Peut-être serait-il possible de considerer cette position spéciale de l'infirmière dans la famille d'un malade comme une "mission" ; il semble, en effet, que la rédaction du décret n° 53-511 du 20 Mai 1953 modifié (article premier du Titre I) autorise cette interprétation de ce terme.

Yvette SARRETTE, Dr CAMPLO, Dr GENTIS, Dr PAILLOT

Hôpital psychiatrique de SAINT-ALBAN (Lozère)