Salle de Rêverie
Groupe d'Ecriture Poétique
Jean-Pierre, Pierre, Danièle, et Marie
Charcot, Janvier-février 1999
A Propos d'une exposition : " Installation Ambivalence " du peintre-sculpteur Jean-Claude Capmarty, sur une musique de Philippe Bonnafous, Salle des Colonnes de l'Hôtel-Dieu, Toulouse, du 2 au 19 janvier 1999.
Salle de Rêverie
Je pénètre dans la vieille enceinte, gravis les marches du perron de pierre et pousse la lourde porte... Un magistral escalier accueille le visiteur. Tout est sombre et silencieux. D'un coup l'Histoire m'imprègne. Je regarde médusée les hauts plafonds, j'écoute le silence. Je me hasarde là encore à pousser une autre porte. Un spectacle étrange ... Une longue salle, un chemin de colonnes au centre. De part et d'autre des colonnes, dans un ordonnancement parfait, des sculptures de verre, me semble-t-il, des tombeaux translucides, éclairés de l'intérieur. Un sabre de lumière surplombe chacun de ces " gisants". Un battement de cœur accompagne le mouvement andante de la musique. J'amorce les premiers pas de ce curieux chemin de croix. Dix stations au lieu de douze. Un murmure pulsatile gonfle la pièce, puis la musique faiblit. Un adagio sacré alors accompagne chacun de mes pas. Je longe le mur de briques roses. Le portrait sombre d'un homme ou d'une femme veille chaque bloc de lumière. Je m'approche, pose d'abord mes yeux puis mes mains. Contact froid du verre ? Non, étonnante illusion. Sous ma paume je sens le contact crissant et collant du film plastique. Mes yeux fouillent encore, ébahis. Les détails m'apparaissent. La matière est comme dira Danièlle "pliée, nouée, tordue, tendue, étirée, chiffonnée, roulée en jolis carrés ou losanges ". Chaque volume offre ainsi une marqueterie particulière. J'avance encore en musique, en lumière, en matière. Chaque structure m'enchante, me saisit, me déconcerte.
Danièle, Pierre et Jean-Pierre ont accepté de me suivre, pour partager avec moi, ce moment intense et tâcher de mettre des mots sur toutes nos émotions :
Chacun de nous s'attache à un élément de l'exposition. Danièle, c'est la matière. Le visage rayonnant, elle dit : - " C'est joli ! On dirait du verre recouvert de givre, comme des aiguilles, des glaçons dans un paysage d'hiver. Ca brille avec la lumière ! Ca m'a fait penser à des tombe, mais c'est pas triste. La musique ça me fait penser à une modulation ". Ca lui plaît. Elle tourne autour de la salle, s'arrête à chaque sculpture et observe les constructions. Elle détaille l'oeuvre : " Faut le faire ! C'est du plastique plié ! Rien que du plastique ! C'est joli ! ". Elle se promène rêveuse au milieu des volumes. Je la laisse découvrir.
Pierre me suit de très près, fait le tour d'une traite puis s'arrête à côté d'un baffle, entend la musique. " Ca va, Pierre ? ". Là, il me demande ce qu'on entend : " C'est un souffle ? ! ". Il s'agite, poursuit vite la visite et veut partir, retrouver le dehors. " Ca faisait irréel. La musique accompagnée était une musique lugubre. Au moment même où vous m'avez dit un mot, j'ai entendu la musique. Je n'avais pas envie de sentir cette musique. Ca me faisait horreur. J'ai éprouvé le besoin de parler parce que cette musique apportait la mort, parce que cette musique apportait la vie. En même temps, j'ai eu envie de me faire tout petit ". Il sort puis entre à nouveau : " Je suis parti, puis comme si quelque chose m'y poussait, le Bon Dieu peut-être, je suis revenu ". Il soulève un coin de ces blocs. Il veut voir d'où vient la lumière. Il veut voir derrière, dessous. L'artiste l'en empêche. " J'avais l'impression qu'on allait découvrir quelque chose de monstrueux ! ". Il sort. Puis il entre à nouveau, se précipite au fond de la salle vers les ordinateurs et se plante devant un écran, les yeux rivés sur les formes qui bougent, les mains sur les oreilles. Je viens le chercher pour sortir. Il nous expliquera quelques jours plus tard. " J'ai senti la peur en moi. Les formes sur l'ordinateur, c'était la seule chose qui vivait dans cette pièce ".
Jean-Pierre circule, interroge les murs, le contenant et l'oeuvre, le contenu. Il va et vient à son rythme. Je pense à son nom. Oui, il est dans son élément. Ici nous participons à un ballet de musique, de lumière, de matière. Il semble serein, curieux. Lui, c'est l'Histoire et la lumière qui l'ont frappé. La salle aux colonnes a abrité il y a plusieurs siècles des malades, peut-être des mourants, en tout cas des gens souffrants. Aux murs, sont suspendus les portraits des bienfaiteurs de l'Hôtel-Dieu, des murs de briques, des murs qui pourraient nous raconter bien des histoires. " Ces murs, nous dit Jean-Pierre, nous transportent dans un passé lointain et l'artiste déroule le film plastique de ses sculptures du Moyen-Âge à nos jours. Les portraits suspendus aux murs, qui ne faisaient pas partie de l'exposition, restaient dans la pénombre, témoins du passé, comme les murs de pierres. Ces peintures ont gardé toute leur magie, toute leur surprise. La lumière éclairait la matière qui, elle, nous menait du passé au présent. La musique austère permettait de casser le silence de la salle. On s'imaginait des bruits. Et le reflet de la lumière dans la transparence de la matière, ça, c'était troublant. Ca représentait pour moi, le temps qui passe. On est en transit dans cette salle. Oui, on ressent le temps qui passe. La salle précédente, celle "des Pèlerins" était vide, inachevée. La "Salle aux Colonnes", elle, était pleine d'émotions, de passé. Elle avait un volume et c'est l'artiste qui y a contribué en jouant avec la lumière. Les ordinateurs, la matière plastique témoignaient du présent. Tout le reste témoignait du passé ".
Danièle reste en retrait dans le groupe. Elle croit qu'elle n'a rien d'intéressant à dire. Pourtant elle a été sensible à la poésie du lieu. " Oui, ça me faisait penser à des tombeaux. J'ai imaginé les personnages enfermés dedans. La matière faisait ressortir leur intelligence et leur beauté. Ca m'a fait rêver ...". Elle apporte timidement sa petite pierre, comme Jean-Pierre et Pierre et moi-même.
Pierre parle beaucoup, se livre. Il apprend à faire confiance. " Je me sens accepté alors j'entre en contact. Vous me dites que c'est pas des conneries ce que je raconte. Je vous crois. Moi, je ne peux pas sentir. Si je sens, je ne peux pas parler. Le contact pour moi c'est impossible. Je vois, je vois avec mes yeux, mais je peux pas avoir le contact et sentir en même temps. Si je sens trop, je ne peux plus parler, je me ferme ". D'ailleurs, il sort après nous avoir dit que cette séance l'a vidé. " Je suis mort maintenant ". Jean-Pierre prend la balle au bond : " Oui, c'est bien de parler de l'expo, comme ça, on peut se livrer, on peut parler. Je m'étonne moi-même. Je dis plein de choses ".
Eh oui, une exposition, c'est la mise au dehors de ce qui veille en soi. Quelque chose résonne au cœur ou au corps, alors, on le porte au dehors avec des images, des formes, des volumes, des sons, des couleurs, des mots. Quelqu'un écoute, regarde et résonne à son tour ... C'est le chant des bergers qui s'égraine dans les vallées de par chez nous ...
L'originalité présente de l'artiste pour son oeuvre, permettait de saisir toute la beauté des tombes, malgré l'émotion envahissante qui permettait de décrire
Toute la musique, surprenante et lugubre berçait l'environnement solennel des murs de l'exposition.
Tel un rêve, l'artiste continue de résonner à travers ses œuvres sombres, l'étrange atmosphère où nous regardions avec les yeux, médusés.
A couper le souffle.
Cette vision troublante ressemblait à du verre brillant, où mourait le temps passé des matières confondues et vieillies. Toute vie prenait lumière et scintillait de mille éclats à nos yeux.
Jean-Pierre
La musique faisait un souffle
Celui des morts.
Les tombeaux sombres
C'est du passé
De la matière plastique.
La beauté solennelle du verre
Faisait émotion
Avec le temps
La lumière de vie rêve
La résonance de la musique
Lugubre et étrange
Rappelle un présent troublant
Danièle
La vie est une résonance
Qui vit à travers des rêves,
Pour un temps solennel.
Le passé d'une musique lugubre
Provoque la lumière
D'un disque troublant.
La beauté d'un présent sombre
Est une émotion étrange.
Le souffle d'une matière
Tombe dans le verre d'un mort
Et dans la propre lumière.
Pierre
Je fais un voyage troublant
A la fois doux et étrange
où une chaude lumière
et une sourde musique
m'enveloppent comme dans un rêve.
Les tombes alignées
Simulent la mort
D'une vie enfouie
Dans un présent tourmenté.
Un souffle emplit
Des ombres lugubres
Donnant à l'oeuvre
Une résonance solennelle.
La beauté de la matière,
Ce verre translucide,
Réchauffe le sombre
Temps passé.
Marie
Pendant cinq séances, nous avons bavardé autour de notre ressenti, à propos de l'exposition. J'ai pris des notes pour ceux qui n'osaient pas écrire. Puis, j'ai retranscrit paroles et textes de chacun en les liant ensemble. Pour la dernière séance, j'avais préparé une liste de vingt mots, ceux qui sont revenus le plus régulièrement tout au long de nos échanges. J'ai inscrit chaque mot sur un petit papier, et les ai fourré dans un petit sac. Chacun son tour a tiré 5 mots, autour desquels il a dû écrire une phrase. Nous avons renouvelé l'opération 4 fois, en repiochant aussi souvent qu'il le fallait pour utiliser tous les mots cachés, dans l'ordre que dictait le hasard. Voici la liste :
Beauté - Emotion - Etrange - Lugubre - Lumière - Matière - Musique - Mort - Passé - Présent - Résonne - Rêve - Solennel - Sombre - Souffle - Temps - Tombe - Troublant - Verre - Vie
Nous vous remercions pour le travail que vous nous avez permis, et, puisque vous nous avez donné votre accord, nous faisons paraître ce travail sur le site (en vous citant bien entendu).
Bon vent, Monsieur, et merci encore de la part de ce "
Cercle de Poètes bien Disparates ".
Marie Rajablat