Editorial


Un dossier spécial " Manque " et pourquoi pas ?

Le mot revient suffisamment souvent dans les conversations, dans les entretiens pour qu'il soit légitime de s'interroger autour.

J'ai donc ouvert l'encyclopédie Hachette multimédia pour définir le mot.
J'ai cherché d'abord du côté de " manquer ".
* Manquer, c'est créer un vide, un état de besoin par son absence ou son insuffisance. " Le travail manque en ce moment. " " Le soleil manque dans cette vallée encaissée. "

Retenons cette idée de créer un vide, un état de besoin.
* Manquer c'est aussi être absent, ne pas être à sa place. "
Plusieurs employés manquent aujourd'hui. " " Il manque deux tasses dans le buffet. "
C'est enfin ne pas réussir. " Son coup a manqué. "

Je suis ensuite aller voir du côté du " manque "
Il a six sens :
1. Absence ou insuffisance de ce qui est nécessaire. " Manque de nourriture. " " Cet échec est dû à un manque de travail. " Loc. prép. Par manque de : faute de. État de manque : état pathologique d'un toxicomane privé de drogue.
2. Insuffisance, chose qui manque. " Votre récit laisse apparaître certains manques. " Fig. Compenser ses manques affectifs.
3. Manque à gagner: gain manqué.
4. Loc. adj. Pop. À la manque : mauvais, sans valeur. Un journaliste à la manque.
5. Maille ou point lâché malencontreusement ou omis, dans une tapisserie, dans une dentelle, etc.
6. À la roulette, série des numéros (de 1 à 18) sur lesquels on peut miser en chance simple, c'est-à-dire gagner l'équivalent de sa mise. V. aussi passe.
Le sens premier est celui qui nous intéresse. Il renvoie à l'absence ou à l'insuffisance de ce qui est nécessaire, ça fait un vide. Le manque de nourriture, de travail et de drogue lui semble lié. Il peut apparaître étonnant de mettre sur le même plan " nourriture ", " travail " et " drogue " comme si le travail et la drogue étaient également nécessaires à une personne.
L'affectif ne semble pas faire partie de ces besoins primaires. Vous êtes pourtant nombreux à avoir fait le lien entre usage d'un produit et besoins affectifs non satisfaits.
Un autre dictionnaire plus médical désigne le manque comme les manifestations du syndrome de sevrage. Il est donc constitué de symptômes physiques et/ou psychologiques selon le produit dont le sujet est dépendant. Il énonce que le manque est au centre de la vie du toxicomane, qui tend à le surestimer et à nommer ainsi toute expérience désagréable.

Quelques mots qui décrivent des drogues :

Drogue : L'origine du mot est incertaine, peut-être du néerlandais drogue avec le sens de produit séché ou du latin dérogare c'est-à-dire " diminuer la valeur de " qui donnera " déroger ". D'abord ingrédient servant à la teinture et aux préparations chimiques, la drogue devient un remède traditionnel vers le milieu du 16ème siècle. Le sens de " chose mauvaise à absorber ", de " médicament à l'efficacité douteuse " ou de " chose ou personne dont on fait peu de cas " s'est développé au cours des siècles suivants jusqu'au 20ème siècle où le mot drogue prend le sens de " stupéfiant ".

Stupéfiant : est appelé stupéfiant toute substance toxique agissant sur le système nerveux, soit comme narcotique, soit comme euphorisant et dont l'usage abusif provoque des perturbations graves physiques et mentales, et un état de dépendance et d'accoutumance.

Toxique : le mot vient du grec toxicon " poison à l'usage des flèches ". A partir de la fin du 16ème siècle, il prend le sens de " vénéneux ".

En 1950, un premier Comité d'experts de l'Organisation Mondiale de la Santé propose une définition de la toxicomanie :

" Un état d'intoxication périodique ou chronique engendré par la consommation répétée d'une drogue naturelle ou synthétique. Ses caractéristiques sont :
· Un invincible désir ou besoin de continuer à consommer la drogue et à se la procurer par tous les moyens
· Une tendance à augmenter les doses
· Une dépendance d'ordre psychique et généralement physique à l'égard des effets de la drogue
· Des effets nuisibles à l'individu et à la société. "


Rapidement cette définition s'avère inadéquate car les caractéristiques énoncées sont assez vagues et subjectives ; en effet, il est difficile de définir un " invincible désir " ou des " effets nuisibles à l'individu et à la société ".

En 1964, un nouveau Comité d'experts de l'OMS abandonne le concept de toxicomanie et décide de le remplacer par un terme voulu comme " général, sans équivoque, correspondant à une conception médicale et scientifique, sans connotation sociale ou économique, n'évoquant pas l'idée de contrôle ". Le terme de dépendance est retenu.

Cette notion de dépendance est d'abord décomposée en dépendance physique et en dépendance psychique. Puis celles-ci furent englobées sous un seul terme pharmaco-dépendance définie comme " l'ensemble des phénomènes comportementaux, cognitifs et physiologiques d'intensité variable dans lesquels l'utilisation d'une ou plusieurs substances psycho-actives devient hautement prioritaire. Ses caractéristiques essentielles sont le désir obsessionnels de se procurer et de prendre la substance en cause et sa recherche permanente. Les facteurs déterminants de la pharmacodépendance et des problèmes qui en découlent peuvent être biologiques, psychologiques ou sociaux, et comportent habituellement une interaction. "
L'approche ici est essentiellement comportementale.
Il ne s'agit plus de toxicomanie mais d'utilisation nocive de substances toxiques.

En 1975, une nouvelle définition de la dépendance est proposée par l'OMS : " Un état, psychique et parfois physique, résultant de l'interaction entre un organisme vivant et un produit, caractérisé par des réponses comportementales ou autres qui comportent toujours une compulsion à prendre le produit de façon régulière ou périodique pour ressentir ses effets psychiques et parfois éviter l'inconfort de son absence (sevrage). La tolérance peut être présente ou non. "

Cette définition se garde bien de qualifier le produit de " drogue ". Elle met l'accent sur l'interaction, c'est-à-dire sur le lien qui attache au produit. Pour elle, le produit n'est pas quelque chose de diabolique chargée de quelque puissance maléfique qui accroche. C'est le sujet qui s'accroche à lui.

Le mot addiction dérive du latin addictus qui resta en français dans le langage juridique pour désigner l'esclavage pour dettes puis la contrainte par corps. La toxicomanie aurait ainsi la valeur d'une tentative inconsciente et corporalisée de régler une dette.
Le sens en a été ensuite élargi à un vaste champ qui englobe des conduites aussi diverses que les addictions au jeu, aux crédits, au sexe, au travail, à la nourriture (anorexie-boulimie), à l'institution soignante, etc.
L'accent n'est plus alors mis sur l'objet de la dépendance mais sur le comportement et sur la recherche de sensation qui la sous-tend. Le risque est alors de voir sous un regard pathologique l'ensemble des activités humaines.

Peut-on sortir de la toxicomanie ?

Différentes recherches ont tenté de répondre à cette question. Elles ont en commun de montrer :

- que la toxicomanie soit définie par la dépendance ou le mode de vie, une part des toxicomanes finit par abandonner l'usage des drogues, et de façon plus spécifique l'usage d'opiacés. Toutefois, il n'y a pas de consensus sur le pourcentage de toxicomanes qui finissent par renoncer à l'usage de drogues, pourcentage qui varie selon les études, du tiers (en particulier sur les toxicomanes en traitement) aux deux-tiers (études portant sur les registres de police).

- La sortie est l'aboutissement d'un long parcours, évalué généralement à une dizaine d'années. Ce résultat porte sur les populations étudiées, ce qui ne signifie pas pour autant que des usagers ne puissent renoncer aux opiacés plus précocement.

- Il existe une grande diversité de trajectoire de sortie. Chaque usager a son propre parcours, qui fait alterner des périodes de consommations intensives, de consommations contrôlées voire des périodes d'abstinence, volontaires ou imposées. Ces différentes périodes peuvent être scandées par des incarcérations ou des hospitalisations. On peut penser qu'il y a une relation entre les modalités selon lesquelles la toxicomanie est vécue et les modalités selon lesquelles on s'en sort. La diversité des trajectoires dépendrait du rapport au produit (du plaisir au soulagement de la souffrance) ainsi que du système relationnel dans et hors du monde de la drogue. Le pronostic est d'autant meilleur que des ressources sociétales : relations affectives, familiales et sociales peuvent être mobilisées.

- Des usagers de la drogue peuvent sortir de la toxicomanie sans traitement, ou encore en ayant recours à différents types de prise en charge sans qu'il soit possible d'en évaluer l'impact dans la sortie.

On ne sait pas comment agissent les différentes modalités de traitement, on ne peut pas dire pour autant que les prises en charge institutionnelles soient sans utilité, ou sans efficacité, ou encore qu'elles soient équivalentes. On peut penser qu'à minima, les institutions de soins jouent un rôle de refuge, refuge qui est quelquefois vital. Les institutions de soins sont d'autant plus nécessaires que les ressources sociétales sont faibles ou que l'usager ne peut y avoir recours. Elles seront d'autant plus efficaces qu'elles contribueront à mobiliser les ressources sociétales et sociales.
(D'après A. Coppel, Les sorties de la toxicomanie, in Dépendance et conduites de consommation, Editions Inserm, Paris 1997).

Bonne Lecture et que ces quelques textes vous aident à trouver la lumière !

Dominique.