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Liberté retrouvée

 

Il aperçut le bistrot du coin et c'était fait, il avait passé la porte.

Dehors ! 

La lumière était blanche et forte. La voiture immatriculée CH. Esquirol les attendait. Ils y montèrent tous.

Le monde n'avait pas changé, lui si.

Finie la lumière électrique. Bonjour le Soleil !

Dans les rues, les femmes se pressaient. Il avait oublié le balancement des hanches, le trottinement pressé des passantes.

Un cri fusa : " Treize francs la douzaine ! ! ! ! ! Y'en aura pas pour tout le monde ! " Ils longeaient le marché, rempli de brouhaha, de couleurs vives et surtout de vert. Il avait toujours aimé le vert.

Il se sentait particulièrement réceptif à ce qu'il voyait à travers les vitres de la voiture. Cela faisait comme un écran qui atténuait le choc. Enfin, il était heureux.

Ils s'arrêtèrent devant la piscine. Une petite longueur. Il se sécha rapidement. Et regarda. Il s'extasiait devant la beauté des femmes. L'impression de revivre progressivement s'insinuait en lui. Il revenait de loin, de si loin.

Des bancs et des tables les attendaient tous les six. Ils déchargèrent la voiture, soudain la panique :

" Y'a pas assez de pain ! "

N'écoutant que son courage, Lucien, notre héros, partit chercher deux baguettes.

Trois ans.

Trois ans qu'il était à l'hôpital.

Trois ans que les portes ne s'étaient pas rouvertes.

Trois ans que tout était décidé à sa place.

" Pardon .... Monsieur .... savez-vous où il y a une boulangerie d'ouverte ?

- Au bout de la rue, à droite. "

Au bout de la rue, à droite.

Ouf ! Retour au pique-nique.

Ils commencèrent à partager la pain, à préparer les sandwichs avec tomate et rosbif. Il voyait les gens circuler autour d'eux. Il se demandait si c'était des êtres comme lui des animaux en liberté.

Il désirait le dialogue avec ces inconnus qui passaient.

Il riait, il pleurait, il riait en redécouvrant le monde. Il ne savait ni que faire, ni quelle valeur accorder aux choses.

Entre deux bouchées, les cris des enfants qui jouaient lui rappelait l'enfant " terrible " qu'il avait été.

Un ballon !

Soudain un ballon rebondit au milieu des convives.

Il s'empare du ballon et le tend aux enfants et, c'est son premier geste d'amitié, son premier geste gratuit depuis ses trois ans de claustration.

Et tout coup le temps retrouvé.

Le Jardin du Luxembourg.

Le jardin du Luxembourg lui revenait en mémoire, avec son guignol, ses chevaux de bois et ses poneys.

Ca y est, il se revoit !

L'enfant qui pleure dans les bras de sa mère, c'est lui.

Et puis l'enfant qui rit aux éclats devant Guignol, c'est lui aussi.

Avant.

Le soleil de l'enfance brille en lui et c'est un éblouissement.

Il se sent délivré d'un boulet.

Ni les murs de l'hôpital, ni les murs de sa prison intérieure ne le retiendront très longtemps.

Une idée se profile en lui : il est En marche vers le Temps retrouvé et rien ne l'arrêtera.

 

Les trois Alain, Vincent, Serge, Claude, Pierrette, Christian et Dominique.

 

Ce texte écrit pour un " larguez Les Amarres " consacré à " L'aventure " date de 1987. " Larguez les Amarres " était le journal de l'Hôpital de Jour Saint Eloi. Le groupe avait considéré qu'une première sortie de l'hôpital psychiatrique était une véritable aventure. Nous aimerions écrire qu'il n'en va plus de même aujourd'hui, que nul ne reste si longtemps hospitalisé, mais hélas, il existe encore tellement de services fermés, de soignants fermés, d'institutions fermées sur elles-mêmes !

Ce texte est dédié à la mémoire de Claude.


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