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Vingt minutes pour survivre

Que peut-on faire 20 minutes sur terre ?

Prendre l’air !

S’envoyer en l’air,

Prendre un air !

Faire cuire une petite pomme de terre,

Remuer de temps en temps la cuillère

Dire, oui je désespère

Ou encore, j’attends, j’espère !

Tenir tête à une mégère

Regarder la boulangère

Décider de faire la guerre.

Conceptualiser le nom du père

Dire bonsoir à sa mère

Faire une bise à sa grand-mère

Saluer Dieu le père

Passer par le cimetière

Prendre un bref bain de mer

Et dire au-revoir à son grand-père

Payer un bouquin très cher

Tenir des propos peu clairs

Se montrer triste et amère

Regarder les autres faire

Manger tout ce que l’on nous sert

Attendre d’avoir le dessert

Traverser un peu de désert

Voler en hélicoptère

Ecrire quelques mauvais vers

Payer banco chez un notaire

On peut choisir de se taire

Ou bien de ne rien faire

Un petit tour en R.E.R

Sortir de la station Denfert

Aller direct en enfer

Adieu cette fois à Dieu le père

Eventuellement à son grand frère

Te dire aime-moi sur la terre

Emporte-moi sur la mer

Sur ton beau voilier vert

Ahhh, voilà à quoi ça sert

De venir 20 minutes sur terre !

Elena Peltier

 







Les ailes du délire

 

On me l’a décrit comme un roi fou sur son balcon, guitare à la main et pris dans une frénésie qui n’a d’arrêt que les hospitalisations répétitives Il est l’infernal, l’incessant une implosion-explosion perpétuelle, quelqu’un qui ne s’arrête pas, seulement l’autre l’arrête

Que manque t’il qui l’empêche de se regarder de l’intérieur, qui pourrait alors déterminer une butée ?

Et pourquoi faut-il que quelque chose cesse alors ?

Actes de folie, objets jetés par la fenêtre, violence furieuse, l’éparpillement, l’amoncellement, le morcellement, la conviction inébranlable, l’allure débraillée, ou trop colorée, l’étrangeté, le retrait impénétrable, qu’est ce qui fait que l’homme est fou ?

Des idées délirantes. Pourquoi délirantes ? Délirantes au regard de quelle vérité ? Elle a eu ses enfants sous hypnose ! Il est l’incarnation d’Eugène Delacroix ! Il a du sang royal et veut que son psychiatre l’adopte ! Son cerveau est laserisé, pompé par les montres à quartz !

Qu’est ce qui fait que nous n’y croyons pas ?

 

Ils y croient, eux pourtant, et trouvent même parfois un partage de ces mêmes idées
Il n’arrive pas à travailler, il n’arrive pas à dormir, il n’arrive pas à se concentrer, il n'adresse pas ce qu'il dit à quelqu'un.

 

Et que peut dire le fou que nous voulons taire ? Sédater, apaiser, enfermer, isoler.

 

Des moments de stupeur parfois, où je m’effraie à adhérer subitement à une omnipotente vérité, celle du dit soignant, et où je m’effraie de vouloir que ce fou décidément trop fou, devienne mon triste semblable, qu’il adhère au monde qui lui est proposé, au projet pensé pour lui qui n’en veut pas, et qui outrageusement supporte de ne rien faire et de tout être en même temps, et parfois de n'être rien pour personne

 

Proposer au fou de ne plus être fou, voilà un projet curieux pour celui qui tient sa tête sur les épaules.

C’est vrai: le monde est somme toute plus simple ou "fonctionnel" pour le névrosé
Ici bas, la normalité n’étant qu’une habitude commune, une adoption souvent défensive d’explications, qui, ne l’oublions pas, ne sont que nos explications, tentantes rationalisations de nos angoisses !

 

Se saisir d’une autre vérité, aussi délirante soit-elle c’est entendre une construction. Si elle s’énonce, de fait elle devient humaine et entendue, et si elle est humaine, qu’a t’elle de fou ?
Il s’agit d’un récit qui parle de l’être, parfois lui-même ignore t'il la vérité de ce qu'il dit ainsi, qui raconte parfois son origine, et ce qu’il vit.

Laserisé, il l’est. Poursuivi par les lasers des montres, il est une bête traquée ,épuisée , sans répit.

Le ramener à la réalité ?

Il est très effrayé et vous lui dites que tout ça n’est pas vrai, que c’est dans sa tête, alors qu’il fout sa vie en l’air pour échapper aux coups de laser qu'il n'en dort plus la nuit !!!!!

Pensez-vous qu’un homme puisse autant souffrir pour quelque chose qui n’est pas vrai ?
Si c’est vrai pour lui, même si c’est délirant ?

Alors c’est simplement vrai.

Et c’est ça qui est terrible, l’homme est pris par ses idées, si pris par celles ci qu’il ne peut rien vivre en dehors.

Quelle frontière entre l'idée et l'idée délirante ?

D'une autre nature ou d'une autre intensité

Il n’y pas d’idées véritables et justes, ordonnatrices, toute-puissantes comme des maîtres à penser Toutes se valent dans leur humanité, puisque pensables par la psyché
La folie ? Une expérience vécue par certains, un autre rapport au monde et à soi-même dont notre acharnement à l’évacuer au dépens de l’entendre là ou cela s’énonce, divise tragiquement le monde en deux camps, dont chacun à sa façon renvoie l’impossible de l’autre.

 

Elena Peltier







La chambre de Claire, autiste.

 

Un mur, de Chine, d’échine

Et elle tourna le dos au monde.

Derrière elle !

Tout ce qui se dit au passé :

La balançoire qui finit sa course

Ballottée et seule.

Le cerisier au fond du jardin,

Et les mains d’enfants qui saisissent

La magie des fruits gorgés de rouge

Les pétales de soleil cueillies

Comme ses premiers pas

Et jadis peut-être ses premiers mots.

 

Un mur, de Chine, d’échine

Et elle ferma sa bouche au monde.

Devant elle,

Tout ce qu’elle ne pourrait dire au présent.

Son corps qui se balance

Ballotté et seul

Qui rythme un temps

Désormais figé

Comme un diagnostic

Au fond d’un tiroir crasse d’un hôpital parisien.

 

Un mur, de Chine, d’échine

Sa peau comme une plaine étrangère

Mutilée, à la recherche

Des pensées en déroute

D’une scène intérieure

Vide, comme une balançoire

Sans enfant.

 

Dos au monde

Comme un barre verticale

Fermée à l’horizontalité des mots.

Traversée du soleil, et des fruits rouges

Sortie du temps,

Elle a tourné son dos

A sa propre naissance.

 

Elena Peltier

 


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