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Nous ne sommes pas des délinquants
nous n’avons pas volé un oeuf
ni un boeuf
ni tiré la langue au crs
ni insulté les drapeaux
ni dérobé les bijoux de Madame
nous n’avons pas cadenassé les innocents
ni menti aux familles
ni méprisé les plus faibles
je n’ai même pas tiré les oreilles du docteur
lorsqu’il se moquait de moi
et me servait son impuissance
en guise de médicament
me renvoyant dans ma chaumière
d’un air de déjà vu
je n’ai pas fessé l’infirmière qui nous apportait une soupe froide en guise de repas du soir
je n’ai pas revendiqué d’un ton dogmatique
exigé d’être traité avec le respect qu’il se doit
convoqué le directeur
les comités
et les associations
je n’ai pas insulté ce professeur qui s’avançait dans les couloirs
assorti d’un aéropage avantageux de jeunes filles en blouses
passant à notre chevet deux minutes par semaine
afin de connaître la température du mal
pour que notre vie entière d’esclavage
figure dans ses publications
je n’ai pas martyrisé ces anonymes grossiers
qui à force de fainéantise
d’abandon programmé
de mépris et d’insolence
nous ont maintenu au dessous des seuils
dans le bas du tableau sociologique
la ligne ultime
dans l’exclusion des écoles et des professions
la solitude amoureuse
l’absence de loisirs
le manque de plaisirs
l’impossible partage
je n’ai pas brûlé la cotorep
qui nous refusait les grandes eaux de sa générosité
nous jugeant parfois trop inapte
et soudain pas assez
ni vandalisé les institutions
qui nous avait inscrit au registre des laissés pour compte
sans nous demander notre avis
nous n’avons pas commis de crimes
à part pleurer sous la lune
d’un air idiot
certains soirs de pénurie
pour donner de l’écho à la tristesse et des frissons à nos squelettes
à part quelques colères aux éclats de cristal
qui atteste d’une vie résiduelle
à part donner un coup de pied au chat
un soir d’orage et de pluie battante
à part bousculer l’élégance verbale d’un voisin de palier
un jour de guerre du Liban
à part épuiser la patience des mères
jusqu’à ce que leur lait devienne un vinaigre
à part quelques impulsions schizophréniques
qu’une électricité sournoise
propage par intermittence
dans l’improbable mécanique
de nos corps fatigués
certes
nous avons parfois rêvé à des spectacles vengeurs
à des instants de puissance absolue
à des moments de conquête
à des ivresses grandioses
dont nous étions les héros
et les dieux vivants
insensibles à toutes les raisons...
mais nous sommes restés calmes
gentiment assis devant la télévision
attendant que Derrick
dans sa meilleur forme
trouve une solution
nous ne sommes pas innocents
mais nous ne sommes pas des délinquants
malgré ce qu’ils en disent
ceux qui pensent à notre place
et nous insultent au quotidien
ils nous ont condamnés avant de nous juger
par souci d’économie
nous sommes devenus les dangers publics
dont le bon peuple de Paris demande la tête et les deux mains
nous avons endossé les parures des coupables
contre notre gré
pour satisfaire aux volontés des autres
qui nous ont ainsi désignés
et n’entendent pas nous amnistier
tant ils y sont accrochés
à leurs rêveries académiques
à leurs rêves hystériques
leurs délires patriotiques
où les bizarres forment des cohortes
menaçantes
équipés de couteaux et de scies
prêtes à sévir
les bizarres que nous sommes
éternels inclassables
nous sommes les héritiers d’une violence ancestrale
qui s’abat sur notre dos
depuis que les sorcières sont brulées
que les agités sont ficelés par des garçons bouchers
que les psychotiques sont endormis au coin du feu
et maintenus dans l’état d’inconscience
nous ne sommes pas des délinquants
nous sommes les esclaves défigurés d’une philosophie maladive
d’une nervosité discordante
d’une société abusive
qui nous menace tous les jours
des pires injustices
qui voudrait nous euthanasier à l’avance
et nous emprisonner à la fin
pour ne pas supporter l’affront
et l’arrogance
de nos regards de fous.
Cép