Ce document a été adressé au au comité de campagne des états généraux des services publics par Jean Pierre Martin , psychiatre au nom de l’USP
QU’ATTENDRE DE LA PSYCHIATRIE ?
La psychiatrie a créé avec la politique de secteur un service public
généraliste unique qui permet l’accès aux soins gratuits en ambulatoire et à
l’hôpital. Rappelons ici que la politique de secteur créé un dispositif
territorialisé en amont et en aval de l’hospitalisation, qui permet d’accéder
aux soins sans passer par une hospitalisation et d’être suivi dans la durée
après une hospitalisation. Elle inscrit le soin psychiatrique comme un service
public dans la communauté en lien avec les politiques sanitaires et sociales
locales, dans une perspective de rupture avec l’internement. Elle n’a
d’équivalent historique que dans les dispensaires de lutte contre la tuberculose
de l’avant deuxième guerre mondiale. Issue des luttes de la Résistance et des
réformes démocratiques de la Libération qui instituent la sécurité sociale, elle
est ouvre le dispositif à tous. Même si son application est loin d’être
satisfaisante, dans le sens où le secteur s’est développé en restant centré sur
l’hôpital là où il prônait son intégration dans les politiques de la ville, elle
a permis de déplacer le travail thérapeutique et d’accès aux soins hors de
l’hôpital et dans la continuité. Les résistances financières et idéologiques
(préjugé de la peur du fou qui traverse la société et les politiques, résistance
au changement des corps soignants, en particulier celui des psychiatres) qui ont
présidé à sa mise en place tracent ses limites, mais aussi se retrouvent avec de
nouvelles formes dans les attaques qu’il subit aujourd’hui. Celles-ci sont
principalement le résultat des nouvelles gouvernances qui traitent les actes de
soin dans une perspective marchande et ses dispositifs comme une gestion
d’entreprise. Les critères ne reposent donc plus prioritairement sur les
contenus subjectifs et sociaux du soin mais sur la rentabilité financière, en
rupture avec la dimension de solidarité fondatrice des services publics et de la
protection sociale. Le vote de la loi HPST dite loi Bachelot et le rapport
d’Edouard Couty (président de la commission ministérielle Missions et
organisation de la santé mentale et de la psychiatrie), prolongeant les
gouvernances Hôpital 2007, clivent la continuité des soins, donc sa finalité
d’intérêt général, par sa mise en concurrence avec le privé et son articulation
avec une politique de santé mentale fondée sur l’ordre social et sécuritaire. Le
projet de loi sur la psychiatrie à venir envisage, en effet, d’introduire le
soin obligatoire à domicile et des lieux d’accueils hospitaliers de 72 heures
fondées sur la rétention sous contrainte, mesures qui complètent les lois de
rétention de sûreté et contre la récidive dans une idéologie de criminalisation
des comportements liés à la souffrance psychique. Il s’inscrit dans une gestion
maîtrisée et de traçabilité au plus grand profit des laboratoires
pharmaceutiques et du management industriel. Les patients en sont victimes au
moins à double titre :
comme « bons patients »
- c’est-à-dire acceptant les soins et ses contraintes -, dépendants des « bonnes
pratiques » de la psychiatrie – c’est-à-dire des pratiques normées sur
l’efficience immédiate - et des décisions de justice de mise sous tutelles, les
psychiatres étant appelés à en être les experts et les régulateurs pour l’ordre
public. Le terme usager devient ici synonyme de consommateur, dont les restes à
charge s’aggravent d’année en année (franchises, forfait hospitalier, limitation
des ALD…).
Comme patients qui réagissent négativement aux programmes de soins
et d’insertion, souvent déjà exclus de la vie sociale, et à nouveau exclus d’un
dispositif, qui n’ont d’autres ressources que l’action caritative avec ses
nouveaux lieux de relégation (asiles médico-sociaux, appelés CHRS en France)
référés à l’urgence sociale, nouvelles classes dangereuses dans la société, Il
n’est donc pas étonnant qu’apparaissent de nombreuses « réactions thérapeutiques
négatives » au traitement : le patient opte plutôt de « rester malade que tomber
guéri ». (J.B.Pontalis)
Qu’attendre de la psychiatrie dans ce contexte ? Quel service public à promouvoir ? Si de nombreux professionnels cèdent au nom du « réalisme » ou résistent de façon conservatoire, la défense du service public appelle de nouvelles réponses de résistance démocratique. . La psychiatrie ne peut se réduire à un cadre d’ « accompagnement » : expertise des troubles individuels, gestion des traumatismes psychologiques (plans sociaux, ruptures de liens familiaux, catastrophes naturelles et industrielles, effets du terrorisme…), réponses médicamenteuses et psychologiques dont les évaluations sont basées sur des critères de distribution (files actives, nombre de pôles d’activité, ratios de soignants, protocoles de soin et d’organisation du travail). Nous mettons en avant les acquits réels des pratiques soignantes relationnelles comme fondement d’un service public de qualité, des budgets adaptés à ces besoins de psychiatrie et la défense du concept généraliste de prévention qui n’est pas réductible à la notion de gestion des risques. Nous mettons en avant la défense et la sécurité des patients et non l’instrumentalisation du psychiatre comme agent de contrôle social et d’ordre public. L’indépendance professionnelle et le travail de réseau avec les autres champs de la société en sont les conditions.
Ceci nécessite le refus d’une politique uniquement fondée sur la
planification de la réduction des coûts (réduction des lits, durées moyennes de
séjour pensées en termes comptables, travail d’équipe limité à l’addition d’une
série de compétences ciblées, spécialisation par symptôme, rationalisation du
temps de travail, référence aux théories fonctionnalistes du soin, augmentation
de la productivité soignante), véritable pensée unique de l’hôpital-entreprise.
Entrer en résistance et construire des contre pouvoirs à partir des acquits les
plus novateurs du secteur :
l’accès aux soins est
libre et gratuit 24h sur 24 dans des structures à proximité des lieux de vie
quotidiens, en particulier pour les populations précaires qui se multiplient
sous l’effet des politiques néolibérales.
L’utilisation de la
contrainte ne peut être que l’échec d’une négociation à engager des soins et non
la seule réponse symptomatique souvent appelée aujourd’hui urgence
psychiatrique. L’obligation de soin dans ce contexte ne peut être amalgamée à
une quelconque dangerosité sociale. Toute nouvelle loi nécessite donc la
reconnaissance de la citoyenneté du fou et non sa criminalisation, voire le
retour d’une forme d’eugénisme.
Le travail de soin est
basé sur la réciprocité dans l’échange avec le sujet en souffrance et son
entourage, à partir des situations de crise. Les dimensions du social et du
culturel, qui fondent tous les liens sociaux, sont les ressources fondamentales
qui permettent le repérage d’une psychothérapie possible. Le réseau de soin
n’est donc pas une filière standard prévue d’avance, mais une construction avec
le patient et les ressources humaines qui l’entourent. La continuité, le temps à
prendre, le rôle des tiers en sont les conditions thérapeutiques.
La
psychiatrie est l’affaire de la société et non des seuls professionnels. Sa
place dans la politique sanitaire et sociale est donc essentielle. Tous les
champs du social, de l’éducation, du monde du travail, de la justice sont
concernés. Les associations de patients et des familles sont étroitement
associés à la politique de secteur par la médiation de leurs associations, dont
la reconnaissance et le financement sont à obtenir ou à confirmer dans le temps.
La psychiatrie est avant tout un service public, en opposition avec
les tentatives des gouvernements européens actuels d’en faire un marché privé
fondé sur « un niveau de soins selon ses moyens ». Ces points sont autant
d’éléments de transition qui participent d’une autre psychiatrie possible qui ne
pourra se développer si des financements adéquats et spécifiques selon des
critères socio-démographiques ne sont pas au rendez-vous. Ce sont les points clé
du paradigme économique actuel qui pèse sur les pratiques et leur avenir et sur
les acquits de la protection sociale fondés sur la solidarité et non sur
l’assurantiel, et du contexte sécuritaire qui réduit le métier de soignant à
être un agent de l’ordre public, un des visages d’une politique de la peur.
Jean Pierre Martin pour l’USP