Lettre
ouverte au président de la République
par Jacques
HOCHMANN, professeur émérite de psychiatrie à l'Université
Claude Bernard (Lyon).
18.08.10
Monsieur
le Président,
Comme vous je suis un fils d'immigré (polonais, en ce qui me concerne). Mon
père est venu étudier en France, en 1925, il est retourné se marier au pays, en
1932. Je suis né en France, en 1934 et nous avons, mes parents et moi, été
naturalisés français, en 1936, sous le Front Populaire.
Bien que mon père, ingénieur dans une usine
métallurgique, ait participé à l'effort d'armement de la France et ait toujours
été respectueux de la loi, nous avons, en 1942, en tant que juifs, été déclarés
déchus de la nationalité française par le Gouvernement de Vichy, et, de ce fait,
mis en danger immédiat d'être arrêtés et déportés. Nous n'avons dû la vie, comme
beaucoup d'autres juifs résidant en France, qu'au dévouement et parfois à
l'héroïsme de ceux qui, alors, nous ont cachés et aidés, en nous procurant de
faux papiers et en nous hébergeant.
Vous
êtes né après cette sombre époque. Vous n'avez pas connu, dans la presse et à la
radio, le déchaînement de la haine xénophobe. C'est la seule excuse que je peux
trouver à ce que j'oserais appeler votre irresponsabilité, si je n'étais tenu au
respect par la haute fonction que vous incarnez.
Vous
n'êtes pas seulement, en effet, le chef d'une majorité qui conduit une politique
choisie par les électeurs. Vous occupez une place symbolique, que reconnait la
loi, en vous déclarant au dessus d'elle pendant la durée de votre mandat. En se
dotant d'un Président de la République, en décidant, il y a presque un
demi-siècle, de l'élire au suffrage universel, pour renforcer son image et son
pouvoir, le Peuple souverain s'est cherché à la fois un guide à moyen terme et
un arbitre transcendant les passions populaires.
Celles-ci
sont promptes à s'échauffer, en particulier dans les périodes de crise
économique, comme celle que nous traversons. La passion conduit à l'abolition de
la réflexion, au passage à l'acte, à la décharge immédiate des désirs les plus
primitifs. Quoi de plus passionnel, de plus irréfléchi et de plus primitif que
la haine ou la peur de l'étranger. Surtout, s'il vit parmi nous, s'il s'infiltre
à travers des frontières, érigées pour nous protéger, s'il viole ainsi
continuellement le sentiment du chez-soi, l'étranger, quoi qu'il fasse ou ne
fasse pas, est, en lui-même, une source potentielle d'insécurité. Il engendre
inévitablement, dans les sociétés humaines archaïques comme dans les sociétés
animales, la violence.
Dans
les moments difficiles, il devient le bouc émissaire. Le Juif, le Romanichel et
aujourd'hui le Noir ou le Beur, quelle que soit sa nationalité formelle, incarne
ainsi, en lui-même, le danger voire le mal, indépendamment de son comportement
objectif.
Il
suffit de lire actuellement les commentaires des internautes et de suivre les
sondages d'opinion pour s'assurer du large écho positif rencontré par vos
propositions de Grenoble et par leurs applications immédiates. Vous surfez sur
une vague porteuse. Mais c'est justement ce qui m'inquiète. L'histoire n'est pas
avare d'exemples qui montrent jusqu'où peut conduire le débordement passionnel
et avec quelle facilté peut craquer l'enveloppe de civilisation qui tente de les
contenir, en s'appuyant sur les valeurs de solidarité, de tolérance et
d'hospitalité qui font partie aussi de l'héritage humain.
Par
delà votre personne, vous êtes le représentant de ces valeurs, vous avez pour
mission, et vous l'avez rappelé dans un de vos anciens discours, en citant Edgar
Morin, de faire œuvre de civilisation. Un Président de la République doit
renforcer le sentiment de sécurité en faisant un travail de pédagogue (ce
qu'avait fait votre prédécesseur François Mitterand, en demandant au Parlement
d'abolir la peine de mort, contre le sentiment prévalent dans la majorité de la
population).
Les
réponses au jour le jour que vous donnez, avec la fougue qui vous caractérise,
aux problèmes actuels d'insécurité sociale, économique et d'ordre public, n'ont
rien de rassurant. Vous avez déclenché, justifié par avance, des réflexes
sociaux que vous risquez de ne plus maîtriser. Le Front national se réjouit de
voir valider, au plus haut niveau de l'État, certaines de ses
propositions.
Comble
d'ironie, c'est d'un pays sans grande tradition démocratique, la Roumanie, où,
comme d'ailleurs en Hongrie et en Bulgarie les Roms n'ont jamais joui d'un
statut enviable, que vous viennent aujourd'hui les accusations de populisme et
l'appel à une réflexion plus calme et plus inscrite dans la
durée.
Veuillez
agréer, monsieur, le Président, l'expression de la haute considération dans
laquelle je tiens votre fonction