Appel de la Tente de l’Hôpital
Charmant[1]
ou
Comment se réapproprier le droit de
penser et de résister ensemble
A Charmant, donc l'Hôpital Marchant, beaucoup d’anciens
craignaient de quitter le métier sur une terre de désolation clinique, dans un
univers de grisaille inerte. Et pourtant …
Allez savoir pourquoi ce lundi 18 octobre 2010[2],
nous, soignants, nous sommes rebiffés alors que nous étions traités depuis bien
longtemps comme les ouvriers spécialisés d’une usine à « produits de
soins » des Temps modernes. Stock de robots blancs multitâches, bardés de
clefs et de bips, baladés ici et là en fonction des unités à réapprovisionner,
un œil rivé sur les caméras, l’autre sur les écrans d’ordinateur. Du côté
patients, même gestion : un stock d’entrants et de sortants, à estampiller
du code barre DSM[3]
en vue de la T2A et à réguler en fonction de l’offre et de la demande.
Ce 18 octobre, nous avons fait un arrêt sur image, un bilan
humain de cette gestion à flux tendu des stocks de la sacro-sainte économie
d’échelle : épuisement, perte de sens, pénibilité, clivage organisé,
glissements de tâches, précarisation, culpabilisation, ambiance délétère de
concurrence entre rayons/pôles, arrogance et mépris des instances dirigeantes,
plus on monte à la fameuse échelle. Les
discussions vont bon train : « comme si tout l’arsenal sécu, bips
et compagnie ça soignait ! Le pire c’est qu’on s’est tous laissé prendre. Mêmes les toubibs, ils
prescrivent dès l’entrée d’un patient une Mise en Chambre d'Isolement (MCI) si
besoin, puisqu’ils savent qu’on est pas nombreux et qu’en plus on est que des
nanas en service !. On ne peut pas leur en vouloir mais c’est tout de même
le monde à l’envers ! » ... « Cette semaine, lundi
j'étais en matin, mardi en après-midi, mercredi en journée eet jeudi vendredi
en nuit ! Suis sur les rotules. T'es dispo pour les patients avec un
planning comme ça !»... « Cette semaine on nous a dit qu'on
utilisait trop de couvertures pour les patients. Ben oui, les nuits sont
froides et ils en ont tous deux par personne ! »
Waouh, quel gâchis ! Ce n’était pas de ça dont avaient
rêvé les plus jeunes. C’était contre ça que les plus vieux s’étaient battus.
Le contexte général des luttes contre la réforme des
retraites et le mépris opposé par le Président de la République aux millions de
personnes dans la rue nous ont certainement aidé, la situation à Marchant
n’étant qu’un reflet locale d’un ras le bol général. Quoi qu’il en soit,
soutenus par l'ensemble des syndicats de l'hôpital, nous avons dit STOP !
Nous avons décidé de nous arrêter là, à la porte de l’hôpital et d’y planter
une tente qui serait à la fois le symbole de notre résistance et une
alternative à une action de grève classique, difficilement compatible avec la
continuité des soins.
Dès les premiers jours, le défilé sous la tente laissait
bien penser que quelque chose était en train germer sur ce campement. Très
rapidement les langues se sont déliées et si le feu aux poudres avait démarré
chez les soignants, les techniques et les administratifs pouvaient décliner les
mêmes revendications. Puis ceux du dehors s’en sont mêlés et ont déroulé à leur
tour les mêmes difficultés. Une seule solution pour tous : REFUSER et
RESISTER. Qu’ils quittent ou prennent leur service, qu’ils soient en repos, en
grève ou pas, des cuistots et des familles, des comptables et des ouvriers, des
zinzinsoignants et des étudiants, des ambulancières et des lingères, des
patients et des « usagers », des docteurs et des secrétaires se
relaient 24h/24. Bref, c’est devenu en quatre semaines un joyeux barnum sur
lequel veille tranquillement l’Equipe de sécurité depuis sa loge.
Les passants, des associations, des collègues inter-pro, des
étudiants, des familles, des patients, des élus apportent à la tente palettes
et victuailles à toute heure du jour et du soir. Autour du brasero, un p’tit
tour, un casse-coûte, un canon et puis s’en vont. Ça discute dur, politique et
soin, politique de soin. Des violoneux modernes apportent leur écot musical aux
soirées. Le dedans et le dehors se rencontrent, les générations, les
corporations, les cultures aussi.
Le Cahier de Doléances, ouvert à tous, de l’hôpital ou
d’ailleurs se remplit. Certains laissent un message, d’autres, juste leur nom.
Extraits :
Parole de patients :
« Quand un patient est attaché dans la chambre
d’isolement … l’effet, croyez-moi se trouve renversé, voire destructeur pour le
sujet ». La discussion continue après la rédaction de son
témoignage : « Vous avez raison de vous battre pour être plus
nombreux pour pouvoir prendre le temps de vous asseoir avec nous … »
Paroles de soignants:
« L’’hiver arrive et la température des chambres
chute vertigineusement dans notre service. Cet été par contre, l’alarme
incendie d’une chambre s’est déclenchée en raison de la chaleur combinée aux
vapeurs d’urine !... » (relevés de température dans les chambres
d’un service voisin, sur une semaine l’été passé aux moment les plus chauds de
la journée : 36°).
« Un matin où je suis allée renforcer dans le
service de gériatrie, j’ai passé la relève à une équipe d’après-midi composée
d’une étudiante infirmière 3ème année et d’un interne en médecine en
stage pour un mois ! (en lieu et place de 2 infirmières) ».
Jusqu’ici le Directeur a joué la montre (vacances, mauvais
temps). Il a essayé le bluff et la force. Au bout de 3 semaines, aucune avancée
significative, si ce n’est que le Directeur a demandé notre évacuation par les
forces de l’ordre et que la Préfecture a refusée.
Nous n’avons toujours pas de RV à l’ARS : « Qu'est-ce
que vous voulez, en Novembre il y a des ponts » !.
Aucune instance dirigeante n’a voulu prendre l’affaire de la
Tente de Marchant au sérieux, disant à qui voulait l’entendre que cette action
reposait sur une tête d’épingle de jusqueboutistes.
De notre côté aussi nous avons joué la montre, le temps que
tous les collègues rentrent de vacances. Dès leur retour, nous avons organisé
en 2 jours une consultation pour savoir si l’ensemble des personnels soutenait
toujours l’action. Si nous avions la conviction que tous étaient convaincus,
les résultats du scrutin (votes à bulletin secret à la tente, de 6h à 22h le 4
novembre) ont dépassé nos espérances : Sur 1200 personnels de
l’hôpital, 429 votants et 91% POUR !
Une majorité écrasante s’est donc exprimée pour la poursuite
du mouvement et assoit désormais notre légitimité. Nous espérions que cette
semaine les choses sérieuses commencent mais toutes négociations sont reportées
après le pont du 11 novembre. D'ici là, nous avons besoin de vous tous.
Pour le moment, nous faisons figure de dernier village
gaulois alors que :
Les revendications à l’Hôpital Marchant sont les mêmes que
partout dans la santé et particulièrement en psychiatrie, où l’humain fait
encore plus cruellement défaut. Les exigences que nous avons sont liées à une
éthique de soin, au respect de l'humain et des conditions de travail que tout
professionnel est en droit d'exiger. En cela, ces revendications concernent les
professionnels certes mais aussi l’ensemble de la société civile. Nous avons
besoin de tous pour avancer.
Appel à tous les hôpitaux
psychiatriques
et l'ensemble de la communauté psy
ENTREZ EN RESISTANCE !
Appel aux usagers, aux familles et à tous les élus
Soutenez publiquement l’Hôpital
Marchant !
Manifestez sur le campement !
Écrivez au Directeur de l’Hôpital Marchant[4]
Au Directeur de l’ARS[5]
Et sur le blog
[1]
C’est ainsi que nos anciens appellent le Centre Hospitalier Gérard Marchant de
Toulouse
[2]
Le vendredi 16 octobre 2010, les personnels du CH G. Marchant, soutenus par les
syndicats CFDT, CGT, FO et Sud, en unité d’action, ont décidé de se mettre en
grève reconductible à partir du lundi 18 et de planter une Tente à l'entrée de
l'hôpital, symbole de leur résistance et alternative à une grève difficilement
compatible avec le service public hospitalier.
[3]
Classification des maladies par code
[4]
Centre Hospitalier Gérard Marchant, Directeur, 134 route d’Espagne, 31057
Toulouse cedex
[5]
M CHASTEL, Directeur de l’Agence Régionale de Santé, 10 chemin du Raisin, 31050
Toulouse cedex 9