Abandon sur ordonnance.
Le gouvernement prépare pour
cette rentrée une réforme de la loi de 1990 qui régissait jusque-là les
modalités d’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie. Hospitaliser sous
contrainte, apanage de la psychiatrie, peut s’avérer nécessaire à protéger le
patient de lui-même en période de crise, mais aussi à éviter les conséquences de
troubles du comportement et de passages à l’acte.
Les crimes commis par des
patients en état de démence, bien que surmédiatisés, sont rares voire rarissimes
(Il y aurait autour de 5 crimes par jour en France, essentiellement commis en
famille ou entre amis…90% des crimes étant élucidés par la police, les
statistiques sont à la portée de tout observateur honnête …..) Les malades
mentaux ne sont non seulement pas plus dangereux que les autres (ce qui est
confirmé par une inévitable étude américaine), mais seraient, en revanche, bien plus exposés à la
violence de leurs concitoyens.
Toutes ces observations
viennent confirmer ce que tout praticien en psychiatrie sait depuis toujours, à
savoir que les malades mentaux sont des êtres fragiles qu’il s’agit de protéger
attentivement lors de la traversée de passages difficiles. La folie meurtrière
relève de la marge et ne peut donc être au centre d’une politique de
soins.
Le point saillant de la réforme
proposée est la notion de « soin sans consentement ». « L’hospitalisation sous
contrainte » de la loi précédente est ainsi remplacée par le « soin sans
consentement » duquel pourrait éventuellement découler une hospitalisation après
72 Heures d’observation dans un centre ad hoc. Jusque-là, le patient
était contraint aux soins pendant la durée de sa décompensation et dans le cadre
d’un hôpital. Ce projet de loi inclurait désormais une obligation de soin à
l’extérieur, y compris quand le patient est stabilisé. Il s’agirait de prévenir
un malaise potentiel, sous contrainte. Le modèle fantasmé de traitement du
patient dangereux est ainsi généralisé. La psychiatrie engendrerait de la sorte
des citoyens particuliers, dont le statut serait calqué sur le modèle de la
liberté conditionnelle, rivés à leurs droits par un bracelet chimique car, dans
la pratique, cela se résumerait à l’obligation mensuelle de se faire injecter
un neuroleptique retard avec menace d’hospitalisation en secteur fermé en cas de
refus ou de non présentation au rendez-vous. Rêve-t-on qu’un patient réellement
en phase dangereuse se rende si facilement à ses rendez-vous ?
Il s’agit d’une sédation
obligatoire, étendue, dont les dérapages sont facilement imaginables. Le
gouvernement veille à ce que les neuroleptiques soient pris et entend résumer
les soins à cela. La dangerosité pour soi-même n’est pas même évoquée et
le trouble à l’ordre public est prégnant. Alors que le risque suicidaire est la
principale menace et le motif courant des mesures d’urgence, celui-ci n’apparaît
pas dans le texte. Le motif de cette loi est donc sécuritaire et non
sanitaire car le centre de ses préoccupations n’est pas de soulager une
souffrance mais de veiller à un certain ordre public, sous couvert d’une
efficacité bien théorique.
Il
reste vrai que maltraité, attaché sur des lits d’hôpitaux, emprisonné ou
abandonné à la rue, désigné à la vindicte populaire, obligé à des injections
anonymes, assimilé à une tare génétique et pourquoi pas une erreur de la nature,
le citoyen souffrant de troubles psychiques et sa famille pourraient faire part
de leur mécontentement. Le gouvernement prendrait-il les devants avec un outil
sécuritaire maquillé en entreprise de soins ? Une piqure chaque mois est-elle
censée condenser toute la politique psychiatrique et masquer l’état de
délabrement de l’appareil de soins ?
Ce projet de loi ne dit pas qui va courir après
les 700 000 candidats à l’injection chaque mois, ne dit pas qu’un traitement est
d’autant mieux accepté qu’il se situe dans une perspective de soin et non de
coercition, ne dit pas qu’un traitement neuroleptique retard est tout à fait
insuffisant à la prise en compte des pathologies qu’il concerne, ne dit rien du
manque chronique de lits d’hospitalisation ou de structures extra-hospitalières.
Selon ce projet, l’alliance thérapeutique avec le patient doit laisser place à
la soumission obligatoire à une chimiothérapie sous peine d’enfermement, alors
que tout traitement nécessite la collaboration du patient. Or les places
d’hospitalisation manquent. De malhabiles technocrates rêveraient-ils d’une
psychiatrie au rabais, sous-équipée, fonctionnant à la menace et osons le mot,
pour « de sous-malades » ? Droguer, comme dans les prisons, pour faire régner le
calme, reviendrait, pour ce qui nous concerne, à proposer aux patients des
camisoles chimiques en enfermant dehors…. Pas de soin mais du silence. Une
insulte.
Les malades, leurs proches,
sont donc de plus en plus malmenés et ne sont plus des citoyens ayant accès à
des soins dignes de ce nom alors que ceux-ci existent. Cette sous-citoyenneté
n’est-elle pas l’indice d’un phénomène plus généralisé et l’attitude du
gouvernement à l’égard de la maladie mentale n’est-elle pas le reflet du nouvel
équilibre des pouvoirs au sein de notre société ?
Il serait illusoire, bien
évidemment, de croire qu’une telle atteinte à la citoyenneté laisserait indemne
le reste de la population. Tout d’abord parce que personne n’est à l’abri de
troubles psychiques et est donc candidat à d’éventuels soins sans consentement
mais aussi par ce qu’il convient d’insister sur ce qu’un tel projet vient dire
de la structure actuelle de l’Etat français.
Un Etat fort, républicain, n’a
aucun besoin de sous-citoyens et assume ses fonctions régaliennes (soins,
justice, éducation, sécurité, culture, recherche, insertion,
etc….)
Au sein d’un Etat fort,
« l’exception à la française » d’il y a quelques décennies par exemple, le jeu
du pouvoir est vertical et l’aversion des luttes horizontales qui favorisent les
groupes de pression et desservent autant qu’ils inventent les minorités est
religieusement établi. Un Etat fort protège un citoyen et lui enjoint des
devoirs alors qu’un Etat faible favorise les communautarismes et organise les
rapports de force dont il est le reflet.
La psychiatrie est
particulièrement sensible à cette prépondérance de l’Etat.
Plus encore que les autres
spécialités médicales, elle se montre dépendante de conditions politiques, ne
serait-ce que dans l’organisation des soins. (cela va bien plus loin, mais ce
n’est pas le sujet du jour). Alors qu’un Etat fort soigne avec les moyens dont
il dispose, un Etat faible organise un espace de concurrence entre différents
acteurs que sont, aujourd’hui pour la psychiatrie, lobbies industriels,
religieux et sectes, médecines parallèles, médias, assurances, conseils
juridiques, associations de consommation, ONG, etc. Il suffit d’un tant soit peu
d’attention pour observer comment chacun se place sur ce « marché ».
Nous assistons au quatrième
grand tournant de l’histoire de la psychiatrie. Celle-ci s’étale sur deux
siècles.
1. La loi de 1838 consacre la
victoire des psychiatres sur les juristes, les charlatans et les prérogatives de
l’Eglise, dans le domaine de la santé mentale, en créant des lieux de soins
laïques, spécifiques, à l’abri d’une justice expéditive, en collaboration avec
les préfets. C’est la naissance des asiles psychiatriques. Les conservateurs
appuient le projet parce qu’ils y voient une caution scientifique à l’isolement
des déviants. Le traitement spécifique, « le traitement moral » de Pinel, n’y
sera au bout du compte jamais appliqué et les asiles se cantonneront à être des
lieux d’enfermement indignes. 100 000 internés au début du XX° siècle, les
lettres de cachets monarchiques feront figure de « pratiques d’amateur » en la
matière….. mais le domaine de compétence des psychiatres est défini. La
psychiatrie républicaine née en 1801 de la plume de Pinel devient
incontournable.
2. La troisième république,
dans sa lutte acharnée contre L’Eglise, tente d’installer durablement le régime
contre les monarchistes et s’appuie sur les psychiatres. La naissance des
« psychothérapies » autour des années 1890, autorise ceux-ci à étendre leurs
activités en dehors de l’asile, dans des cabinets privés, et permet l’ouverture
vers la société civile. Un nouveau corpus scientifique, prenant acte de
l’existence d’un » inconscient », démystifie l’hystérie et offre à L’Etat
républicain un allié sûr dans sa lutte contre l’obscurantisme religieux de
tendance monarchiste. Possession et démoniaque avaient fait long feu. L’asile,
pour sa part, reste grosso modo ce qu’il était mais sa laïcité se confirme et
l’idée de dispensaires commence à poindre ici ou là.
3. Le développement de la
psychothérapie institutionnelle après la deuxième guerre mondiale projette de
faire des asiles de réels lieux de soins, de soigner à proximité du lieu de
résidence du patient, de favoriser l’insertion dans la cité. C’est une
dénonciation de l’univers concentrationnaire de l’asile qui, dans une toute
nouvelle approche, s’appuie sur les concepts issus de la résistance, les
conquêtes sociales, « l’Etat providence » (la République qui s’occupe de ses
enfants), le développement de la psychanalyse puis, plus tard, de la
chimiothérapie. Il ne s’agit plus d’isoler voire de punir mais de privilégier la
qualité du lien et la proximité. Tout le territoire français a ainsi été découpé
en secteurs comme la République l’avait été en départements. « La parole et le
soin à moins d’une journée de cheval du lieu de résidence ». Il s’agit d’une
conception démocratique du soin.
La réussite de cette politique
a été contrastée, relative aux initiatives locales des médecins chefs de service
de ces unités. Elle réclamait une « inventivité adaptative » qui n‘a pas
toujours été au rendez vous, et, par ailleurs, la fermeture de lits hospitaliers
qu’elle a autorisée n’a pas été compensée par un financement équivalent des
structures extra-hospitalières. Cette conception relève de facto d’une volonté
politique.
4. Depuis les années 80 du
siècle passé, nous assistons au quatrième tournant historique de la
psychiatrie.
Le « marché », l’idéologie
néo-libérale, la communauté européenne, différentes instances mondiales, les
moyens de communication modernes, les nouveaux dogmes économiques et moraux, le
communautarisme, poussent à une unification des modes de gouvernement et à la
déchéance de la force de l’Etat.
L’équilibre entre Etat-nation,
pouvoirs régaliens de l’Etat, place du citoyen, modalité des échanges
commerciaux, mondialisation, nécessités démocratiques et influence des lobbies
reste introuvable.
La psychiatrie actuelle est le
reflet de cette situation. Nous assistons en effet à la construction d’une
« bulle psychiatrique », aussi solide que ses équivalents financier ou
immobilier, construite autour de ce qui reste une hypothèse de recherche,
probablement fausse par ailleurs, à savoir l’origine génétique des troubles
mentaux. Au nom de cette hypothèse, tout l’édifice psychiatrique existant est
progressivement détruit. Les composantes sociales et psychanalytiques du dit
édifice ne sont surement pas étrangères à ce déchainement de violence tant
l’idéologie en cours privilégie la concurrence et « l’auto-entreprise de soi »
plutôt que la qualité du lien.
Les nouvelles psychothérapies
d’Etat participent du même phénomène. Il s’agit partout de ronger l’influence
freudienne, et la génétique des troubles mentaux restant introuvable, de porter
le fer sur son terrain, d’où l’alliance avec le
cognitivo-comportementalisme.
L’Etat d’aujourd’hui veut une
psychiatrie à ses ordres, de l’hôpital-prison au cabinet de psychothérapie de
ville, en passant par l’obligation de soins injectables.
Le citoyen, ou ce qu’il en
reste, est sommé de s’adapter et de soigner sa « résilience ». Le malade n’a
qu’à s’en prendre à ses gènes, abandonné.
Dr Patrice CHARBIT, pour le collectif
des 39