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La défense du secteur est une question de
politique de santé avant d'être une question de politique de secteur.

20 ans de militantisme soignant en psychiatrie. Ce texte est un espace de réflexion en forme de diabolo, de la crise générale du système hospitalier à un exemple de psychiatrie locale pour revenir de façon plus dense et rapide à la crise globale. C'est la photographie, "copier/coller", d'un palimpseste, "fichier texte ouvert en écrture" en mai 2000.

Il y a toutes ces morts que l’on pourrait pour un temps conjurer, et toutes ces souffrances que l’on pourrait soulager. C’est sûr, le soignant en veut toujours plus. C’est sa fonction.

Pourtant les soignants ont du apprendre à mettre un frein à leur appétit de progrès, la société s’est rappelée durement à eux, maîtrise comptable et rationalisation des choix budgétaires les ont obligé à plus s’intéresser aux contraintes environnementales. A revendiquer des moyens. Douze années émaillées d’importants conflits sociaux liés à la santé. Douze années a essayer de faire comprendre qu’un protocole financier aussi mirifique qu’il semble ne changera rien à la situation. La santé publique hospitalière décline. C’est un fait établi pour tous les soignants qu’aucun écran de fumée statistique déployé par leur tutelle ne pourra plus leur masquer. La santé se meurt faute de politique.

On pourra obtenir tous les protocoles qu’on veut, cela n’inversera pas le déclin, et à chaque rallonge la courbe, au lieu d’être en pente raide, va faire des escaliers toujours descendants. Faute d’une politique autre que le blanc-seing teinté de social-libéralisme délivré aux technocrates et définissant la place de la santé dans le dispositif social, seul les dogmes économiques s’appliquent asphyxiant peu à peu le système. Alors que les moyens dévolus aux fonctions et aux missions du service public hospitalier s’appauvrissent, la nature de ces missions se complexifie et s’étend, alors que la concurrence et la compétitivité deviennent les maîtres mots du système d’évaluation les profits et les richesses du privé se concentrent. Alors que des millions de citoyens n’ont pas accès aux soins payants, certaines maladies sont en passe de devenir le quasi monopole du privé. Et alors qu’il existe des fonctions et des missions de soins qui ne pourront jamais être source de profit tant qu’elles resteront soignantes, le service public est obligé de rétracter ses moyens, y compris dans ces domaines là.

Effet non désiré du plan Juppé (par les hauts fonctionnaires bien sur) la fonction publique hospitalière par ses agences régionales de l’hospitalisation (ARH) en prétendant connaître à deux décimales prés l’état de ses agents, et de tous les actes de soins, permet également aux soignants et à toute la communauté hospitalière de quantifier et prouver à leur tour les manques qu’ils dénonçaient de longue date. D’analyser la situation, les moyens et les effets. Un des problèmes immédiats dévoilé par les agences régionales d’hospitalisation est que des normes de soins définies par le passé deviennent inapplicables, un autre est celui qui est posé par les expertises sensées fixer les bonnes pratiques aux créateurs de ces mêmes pratiques. Mais finalement, le plus dur restera enfin de faire avaler aux soignants qu’ils devront moins bien soigner sans que ceux-ci ne finissent par alerter les citoyens. Ou que citoyens et soignant ne se mettent à réclamer de leurs élus une politique de soin.

Le principal anathème lancé par les prêtres de l’économie vient du fait que le financement de notre secteur, la santé, dépend des cotisations salariales et alimente directement les soins et s’exprime à l’encontre des ressources humaines. Statut, garanties, droits acquis sont mis à l’index, comme si notre pays était moins riche aujourd’hui qu’avant hier.

Dans la rémunération du travail sont incluses les cotisations qui garantissent au quotidien des ressources pour les familles, le soin et la vieillesse. Le travail de chacun, outre la rémunération directe alimente en temps réel le financement de prestations socialisées. Deux gros défauts à ce système de répartition aux yeux des prélats du libéralisme, une masse financière considérable échappe pour un temps au circuit de la spéculation. Deuxièmement l’état de santé financier du système de santé est un indicateur direct de l’état de la fonction salariale, ou plus simplement de la réalité de la redistribution de la richesse produite.

Tout ça pour signifier qu’il n’existe que deux issues aux problèmes soulevés tant par les luttes des salariés du sanitaire que par celle des comités d’usagers, le renoncement au principe d’universalité des soins, l’affirmation de ce principe d’universalité dans un cadre politique. Afin de mieux comprendre tout cela quittons les généralités pour analyser la situation à partir d’une spécialité, la psychiatrie, et d’une région déterminée, la région toulousaine.

Il n’est plus un soignant, un intervenant dans le champ du soin en santé mentale, qui ne constate aujourd’hui une régression dans le domaine où s’applique son art. Souffrance, violence, enfermement, désinsertion, errance, réinvestissent brutalement, inexorablement le réel de la psychiatrie, symptômes de l’appauvrissement du système. La mission de protection de la société contre ses déviants prend le dessus. Contrôler prime sur soigner. Plus par aveuglement économique que par choix politique. Si ce n’est le choix de l’aveuglement du politique sur les conséquences sociales du renoncement a exercer un pouvoir sur l’économie.

Durant la deuxième partie du 20ième siècle la psychiatrie en général, et la psychiatrie française de service public en particulier, auront su faire la démonstration que dans le domaine singulier de la santé mentale le soin était possible. Un soin respectueux de l’intégrité et de la liberté de l’être le plus replié dans l’univers mental le plus éloigné du sens commun qu’il soit. A la fin des années 80 les progrès enregistrés semblaient pouvoir repousser à l’infini les limites de l’impossible. Et même si la notion de guérison restait aléatoire et controversée, les souffrances et l’aliénation, la violence accompagnant parfois les désordres de la pensée ne semblaient plus une fatalité. En cette fin de siècle pourtant une limite s’impose à tous, " le dogme du profit de la théologie financière ". Le soin coûte et ne profite pas. Le soin relationnel plus que tout autre.

La psychiatrie pourtant intéresse le privé, et la disproportion du rapport entre les structures du réseau lucratif et celle du réseau hospitalier public dans la région toulousaine en impose la réalité. En fixe aussi les limites très étroites. Rend peut être plus évident qu’ailleurs les dysfonctionnements du système.

La politique de soins en psychiatrie s’est organisée, s’est développée depuis quarante ans autour de la notion de secteur. Cette organisation implique une attribution de moyens par secteur géographique de population. Le rapport d’un tiers deux tiers en défaveur des lits de service public (en Haute Garonne) induit des anomalies repérables. Les moyens sont globalement répartis en fonction des lits, et le nombre de lits privé est hors norme, il s’ensuit que le dispositif de service public est constamment en dessous des besoins exprimés. Secteurs surpeuplés (de 100 à 130 mille habitants par secteurs alors que la norme est à 70 mille), manque de structures extériorisées, manque de moyens pour faire fonctionner le réseau (2 à 4 infirmiers de secteurs alors que la norme est d’un pour 10 mille), et si tout cela existe aussi ailleurs, ici c’est aggravé. Autre singularité, la densité des missions spécifiques du secteur public s’en trouve augmentée. Soins sous contrainte, formation des personnels, actions de prévention sont assumés par un nombre moindre d’acteurs. En effet les moyens sont dévolus au niveau régional pour l’ensemble des lits privés et publics, il s’ensuit que les missions spécifiques du service public reposent sur un nombre plus restreint d’agents que dans les départements ou le ratio public privé est en faveur du secteur public.

A l’hôpital psychiatrique public local, il est mesuré une augmentation régulière et importante des accidents de travail, rubrique " contact avec un malade agité ", ce depuis plusieurs années. Pour 360 lits, plus de 700 hospitalisations sous contrainte sur une année, plus d’une centaine d’ " évasions " sur cette même année, quasiment un tiers d’hospitalisations sous contraintes en permanence

Et l’on s’éloigne de plus en plus de conditions de travail propices aux soins pour se retrouver dans des fonctions de contrôle social. Car la pression s’exerce aussi de l’extérieur, courrier d’une société de logement sociaux s’étonnant avec liste à l’appui qu’un certains nombres de citoyens puisse encore être libres, mises en examen sous prétexte d’avoir laissé en liberté des personnes potentiellement dangereuses. Toujours plus de contraintes sécuritaires, de moins en moins d’espace pour le soin.

Permettre à des sujets parfois très invalidés par leur maladie de rester insérés dans leur tissu social d’origine, ou recréé, demande des moyens humains d’accompagnement et d’étayage, quand ces moyens font défaut il s’ensuit que des maladies peuvent évoluer vers des stades de plus en plus graves avec des conséquences spectaculaires. Tant dans la forme des symptômes que dans les possibles troubles de l’ordre public. Et c’est un des phénomènes en cours. Le désengagement de moyens dans le réseau extra hospitalier se traduit par une plus grande réactivité de l’environnement et une forte augmentation des placements sous contrainte. L’affaiblissement du réseau de soin est aussi source de problèmes pour sortir d’une hospitalisation et retardera celle-ci tout en compromettant le pronostic.

Alors que l’idéologie de secteur avait permis de s’éloigner des pratiques alienistes en supprimant peu à peu les effets iatrogènes de l’hospitalisation, soit en supprimant purement et simplement l’hospitalisation, soit en proposant des alternatives au plus prés de la vie commune, soit en intégrant comme facteur les effets de l’hospitalisation dans les démarches de soins en reconnaissant une responsabilité aux personnes soignées, les effets des restrictions budgétaires conduisent à concentrer les moyens sur l’intra hospitalier. Dans un premier temps ce sont les structures hospitalières elles mêmes qui ont par réflexe de protection face à l’augmentation du risque en intra hospitalier, d’abord stoppé le développement puis puisé des moyens dans l’extra hospitalier (Consultations, Centre Médico Psychologique, Centres d'Accueil et de Crise, Centre d’Accueil à Temps Partiel, Hôpital de Jour, Appartements Thérapeutiques...). Pour se rendre très vite compte que ce faisant elles sciaient la branche sur laquelle reposait l’équilibre du système. Les soins en ambulatoire ou en structures extérieures n’ont pas crées de besoins, ils répondent à des besoins qui faute d’être pourvus dans la cité impliquent à terme qu’il le seront dans l’hôpital. Après aggravation ! à ce mouvement d’autocensure des établissement de santé vient maintenant s’ajouter les injonctions de fonctionnement des Agences régionales, ARH, en s’appuyant sur des missions d’inspections diligentées par les directions départementales et régionales de l’action sanitaire et sociale, DDASS et DRASS. Ces missions ont pour l’instant deux cibles, les patients indésirables, l’invalidation des moyens dévolus à l’extra hospitalier. Là encore l’expérience locale des derniers mois en fait dramatiquement la démonstration.

Un pas de plus dans le cauchemar du réel est franchi quand la prescription économique conduit un psychotique dangereux à plusieurs passages à l’acte agressifs parce que son seul défaut est d’avoir été trop calme pendant plus de quatre ans tout en recouvrant une liberté de vie importante. Cela peut sembler cher payé 2200 francs par jour d’hospitalisation pour un sujet qui est " libre " de sortir " quand il veut " et qui traîne en hospitalisation depuis des années sans avoir commis d’actes de violence directement repérables. Alors une pression est exercée pour que ce sujet passe sous un mode de prise en charge moins onéreux, rompant le travail thérapeutique et contenant de l’équipe de soins. Et ce sera très chèrement payé en agressions, blessures et traumatismes divers, pour s’achever par de longs mois d’hospitalisation dans une structure encore plus contraignante. Cet exemple est déclinable à l’envi, mettant en scène d’autre formes de maladie et d’autres conséquences jusqu’au plus tragiques. Un autre pas est fait quant il s’agit de passer de prescriptions à visée thérapeutique à des prescriptions à visée sécuritaire. Quand le contrôle de la violence potentielle vient inhiber, enclore toute possibilité de travail relationnel Quand les problèmes de prises en charge n’ont plus d’autre horizon revendicatif que plus d’hommes, plus de quartiers de haute sécurité, plus de muscle, plus de dissuasion, plus de gouttes, d’injections, plus de portes verrouillées, plus de contention physique on sait que le cauchemar de l’asile est revenu hanter le quotidien.

Est ce que l’on est loin là des propos généraux du début. La psychiatrie bénéficiait d’une cadre politique avec la sectorisation depuis les années 60. Cette politique à permis de passer d’une psychiatrie d’enfermement à un soin de réseau en santé mentale, l’hospitalisation n’étant plus qu’un outil du système articulé à partir des CMP. Et cette politique au lieu d’être améliorée est de fait abandonnée, sans succession autre qu’un système privilégiant la mieux disance économique et la recherche de lignes budgétaires spécifiques. La psychiatrie se meurt faute de politique. Alors que les soins sous contrainte resteront onéreux tant qu’ils seront des soins, la psychiatrie n’est plus en capacité de maintenir le niveau qualitatif qu’avait atteint ces soins, et alors que les CMP, il faut le savoir, comptent parmi les derniers rares lieux où les soins soient totalement gratuits, ceux –ci sont voués au déclin. Le retour à un fonctionnement normal du dispositif de psychiatrie publique sur la haute Garonne nécessiterait (chiffrage de l’administration) d’urgence 75 millions de francs. L’aide débloquée par le plan Aubry (dix milliards) devrait s’élever à trois millions. Trois sur 75, ce n’est même pas un bol d’oxygène, un dé à coudre tout au plus. La psychiatrie consacre 10% en moyenne de son budget en plus en salaire que les soins généraux (env. 85%), c’est pour cela que la psychiatrie se retrouve en première ligne pour affronter tout les expédients mis en place par les avatars des ordonnances Juppé afin de réduire l’offre publique de soins. On voit bien qu’à travers la question politique, les restrictions portant sur les missions spécifiques du secteur public, la faculté de chiffrer avec une bonne exactitude les besoins immédiats et la diminution de l’offre de soins quantitativement et es qualité notre exemple local répond aux constatations d’ordre général portées aux premiers chapitres.

Trois problèmes restent encore à évoquer, l'échéance rapide de la refonte de la loi de 75 et l'annonce de la mise en place de conseils régionaux de santé, comment faire le lien avec la dynamique des comités d’usagers qui se créent, et en quoi l’anathème porté sur le financement est encore pire pour la psychiatrie. Sans aborder les sujets brûlant de la tarification par pathologies, et du PMSI psy.

Dans la foulée de la déstructuration du service public de santé se profile la refonte de la loi sociale et la modélisation de l'organisation des secteurs médico-sociaux et médico-éducatifs sur le modèle de la réforme hospitalière (juin 2000), avec pour perspective une seule et même tutelle l'agence régionale de santé. Psychiatrie et secteur social deviendront vite avec le RMI les frontières de l'exclusion, dont le partage interne se fera au coût par coût entre maladie, handicap et solidarité publique. Pour les comités d’usagers pire que pour tout les autres secteurs on se heurte avant tout à la remise en cause première de la crédibilité de ceux-ci, que ce soient des patients ou anciens patients, ou famille de patients ou même des soignants. Le seul comité réellement envisageable et celui réunissant un ensemble de citoyens conscients de la nécessaire qualité du travail en santé mentale. L’ouverture d’un débat politique s’impose, encore fau- il en créer la conscience. Quant au financement les pathologies psychiatriques les plus déficitaires sont programmées pour basculer de la prise en charge sécu sur l’aide sociale, de la cotisation sociale vers l’impôt. Là encore la psychiatrie pend les devants.

Quant il a fallu construire un soin en santé mentale au plus prés de citoyens s’est alors posée la question du risque de dérive de ce réseau en contrôle social. Un des postulat a été que les troubles mentaux étant source de souffrance, populariser, rendre plus proche, dédramatiser et banaliser l’accès aux soins en serait une bonne approche, respectant l’individu et permettant d’intervenir bien plus tôt sur la plupart des maladies. Et cela a marché. Les équipes se sont fondues dans la population, dans l’environnement sans devenir une police mentale, dans la version idéale bien entendu, la réalité bien que plus contrastée tendant quand même vers cet état. Au contraire, la liberté avait aussi pu s’imposer jusqu’au cœur du dispositif hospitalier. De façon très diversifiée s’est bâti un réseau relativement homogène préfigurant avant l’heure ce que pourrait être la fin de l’hospitalo centrisme. Bien sur, il n’y a jamais eu d’âge d’or au sens strict, mais une époque d’évolution et de progrès et un moment ou il a fallu prendre conscience de l’inversion de ces valeurs. Il s’agit de le faire comprendre plus largement sans pour autant se déconnecter ni se noyer dans les revendications globales pour une meilleure prise en charge de la santé publique.

Sans oublier les limites atroces qui signifieraient que l’on a perdu ce combat. Et que pour la nouvelle économie les masses laborieuses soient devenues inutiles à la production de profits. A quoi bon soigner s’il suffit de parquer, d’isoler, de contenir, et si la morale le permettait, d’éliminer.

Jean Vignes, Toulouse