Soins psychiatriques en prison : est-il possible se déprendre des paradoxes ?
Catherine
Paulet
Psychiatre
Présidente
de l’Association des Secteurs de Psychiatrie en Milieu Pénitentiaire
Janvier 2006
Soigner en psychiatrie, en prison comme ailleurs mais peut-être plus qu’ailleurs, c’est approcher la souffrance de l’être humain dans sa dimension individuelle et interpersonnelle et c’est tenir compte de son contexte environnemental et social.
Et tenir compte du contexte social aujourd’hui,
c’est être confronté en permanence aux doubles discours et aux paradoxes.
Notre société
est, en effet, paradoxale et l’un de ses miroirs grossissants, la prison, est
traversée, à certains égards brisée, par ces paradoxes.
Nous nous
émouvons de manière répétitive de l’état déplorable des prisons et de l’indignité de la
condition des personnes détenues.
Mais la
politique pénale se fonde pour l’essentiel sur la réponse carcérale : 49700 détenus en
moyenne en 2001, 59241 au 1er
décembre 2005 dont 28% effectuent des peines de moins d’un an.
Nous plaidons
pour l’intégration et la (ré)insertion sociales, vraies garantes de la
prévention des troubles sociaux, des conduites délinquantes et des récidives.
Mais les
politiques de prévention, les alternatives à l’incarcération et les
aménagements de peine régressent : allongement des peines (multipliées par 3 en
30 ans), multiplication des peines d’exception incluant des périodes de sûreté
de plus en plus longues, mise à exécution de très courtes peines
d’emprisonnement entraînant souvent la perte des faibles ancrages familiaux,
professionnels et sociaux qui pouvaient tenir la personne, absence de
développement des aménagements de peine (82 condamnés sur 100 sortent sans
aménagement de peine) et notamment des libérations conditionnelles (9% des
sorties de prison il y a quelques années, 7% aujourd’hui).
Nous affirmons
le droit des malades et nous faisons du respect de la dignité et du consentement, une
pierre angulaire du soin (loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner).
Mais il est
désormais fréquent que soient, ou restent, incarcérées des personnes souffrant
de démence sénile ou de handicaps et impotences physiques majeurs et ce, sans se poser la question du sens de l’emprisonnement pour ces
personnes et des alternatives nécessaires. Quant aux mesures de suspension de
peine pour légitimes raisons médicales, elles font l’objet de contestation et
de suspicion de principe.
De même, alors que le principe de la peine privative
de liberté et « de rien d’autre » est réaffirmé constamment depuis
1974, des voix s’élèvent malgré tout pour proposer de contraindre aux soins en détention les personnes détenues :
-
que la logique soit pénale pour prévenir la récidive, actant ainsi le
principe de double peine, emprisonnement et mesure d’obligation de soins,
-
ou qu’elle soit sanitaire pour soigner contre leur gré les malades
mentaux , sans se poser plus avant, là encore, la question du sens de
l’emprisonnement pour ces personnes et des alternatives nécessaires.
Nous nous
indignons de la présence et de l’augmentation du nombre de personnes souffrant
de graves troubles mentaux dans les prisons (14% de psychoses, 7 fois plus de suicide qu’en
population générale, moins de 200 hospitalisations d’office au début des années
90, plus de 1800 aujourd’hui).
Mais l’irresponsabilité
pénale pour troubles mentaux est quasi-abandonnée et les condamnations qui
frappent les personnes dont le discernement était manifestement altéré par la
maladie mentale au moment des faits, sont plus lourdes que pour le commun des
délinquants, l’altération du discernement constituant un facteur aggravant et
non atténuant.
Et les solutions envisagées vont vers toujours plus
d’enfermement : proposition de
Certes, depuis
le début des années 80, les soins psychiatriques en milieu pénitentiaire se sont
développés et diversifiés.
Mais force est de constater que, en contrepartie, la morbidité psychiatrique de la population pénale n’a
cessé d’augmenter et de s’aggraver.
La communauté psychiatrique et avec elle la société,
doivent engager un vrai débat sur la place des personnes malades mentales au
sein de la société.
La présence de nombre de personnes malades mentales
dans les prisons n’est pas simplement le témoignage de leur intégration dans la
vie ordinaire de la société, résultant de la politique d’ouverture et de
déstigmatisation prônée par la communauté psychiatrique. Au contraire, c’est un
mouvement sociétal qui s’est organisé en contre point de cette politique
d’ouverture et vise à neutraliser les malades et assimilés (« déviants
sociaux »), pour se protéger du risque de leur dangerosité, criminologique
ou psychiatrique, avérée ou plus souvent supposée.
Il ne suffit pas de fermer l’asile pour le
dépasser ; il ne suffit pas de discourir sur la citoyenneté égale pour
tout un chacun pour déstigmatiser la maladie mentale et ceux qui en souffrent.
Or tout se passe comme si, in fine,
la clinique psychiatrique n’existait plus et avec elle la maladie et que l’on assistait, impuissants, à la
précarisation, la marginalisation et la « criminalisation » des
malades mentaux.
La maladie mentale existe, elle entrave et aliène le
libre arbitre, la conscience critique, la compréhension, les
« compétences » sociales et, parfois, la capacité à répondre
pénalement de ses actes. La psychiatrie
peut y répondre dans une approche biopsychosociale mais en a t’elle encore les
moyens et la volonté ? ?
La question des moyens est à ce titre loin d’être
négligeable, car en effet, la diminution des lits d’hospitalisation sans
création d’alternatives ambulatoires en suffisance et la baisse de la
démographie médicale et paramédicale se combinent pour endommager gravement ce
feu sacré qui habite ordinairement (et nécessairement) les soignants, les
conduisant alors à abandonner la partie.
Il y a dérive
éthique à penser la prison comme un lieu banal, un lieu alternatif sanitaire ou
médico-social.
La société et avec elle la communauté psychiatrique
doivent se poser les questions du sens
de l’emprisonnement, du sens de la peine, puis du sens du soin en prison.
Si ces questions ne sont pas posées et résolues,
progressivement la prison remplacera l’hôpital psychiatrique.
Au demeurant,
le soin en prison est certes possible et nécessaire.
Mais pas
n’importe quels soins, dans n’importe quelles conditions, pour n’importe quels
objectifs.
Les personnes détenues doivent pouvoir bénéficier de
soins de qualité avec leur accord.
Le respect du
consentement
du patient détenu aux soins est un principe fondamental de l’exercice en milieu
pénitentiaire, l’emprisonnement, répétons-le, présupposant que la personne
détenue conserve son libre arbitre.
Si les
troubles mentaux sont graves et nécessitent un soin en hospitalisation
psychiatrique à temps complet, le lieu du soin, comme pour tout un chacun, doit
être l’hôpital, a fortiori s’il s’agit d’une
hospitalisation sans consentement.
A cet égard il faut souligner et saluer
l’originalité du dispositif français qui a clairement confié la mission de
soins au service public hospitalier et a considéré les personnes détenues comme
des citoyens à part entière, dont les besoins sanitaires doivent être
satisfaits d’une manière équivalente à celle du milieu libre. Le choix fait de
l’hôpital, et non pas de la prison, pour y installer les unités
d’hospitalisation tant somatiques que psychiatriques témoigne de ce souci et de
cette orientation.
S’agissant de
l’obligation ou de l’injonction de soin prononcée par une juridiction, elle ne
saurait s’exercer en prison, sauf à accepter le principe de la double peine.
L’incitation
aux soins
qui existe en prison pour les condamnés pour infraction à caractère sexuel, et
se pratique désormais couramment, est un
dispositif utile pour autant qu’il ne soit pas perverti dans son usage et son
objectif.
Le traitement n’a pas (et ne peut) avoir pour
objectif la prévention d’une récidive délinquante mais la mise en œuvre d’un
travail (difficile) d’élaboration psychique qui permet au sujet engagé dans le
travail, de repérer son fonctionnement mental et son mode relationnel (et leurs
conséquences). Le soin peut peut-être contribuer à la prévention ; en
cette matière, il faut dire avec humilité mais détermination, que le risque
zéro n’existe pas et le futur ne se prédit pas, mais que tout homme a en lui
des capacités évolutives et des aptitudes au changement. Et c’est en recentrant
la médecine et plus singulièrement la psychiatrie sur son objet premier, la
personne malade, que l’on aura le plus d’efficacité thérapeutique.
Nous vivons
dans une société en mutation, aujourd’hui fondée plus en émotion qu’en raison.
L’inquiétude
et la demande sociales d’un toujours plus de sécurité se cristallisent sur les figures monstrueuses
du criminel sexuel et du fou criminel. Mais n’est ce pas l’arbre qui cache la
forêt de l’insécurité sociale grandissante liée au sentiment de précarisation
des fondamentaux que sont la sécurité de l’emploi, du logement, des solidarités
?
Plaidons alors pour davantage de bon sens et de
raison et le rôle du politique à cet
égard est essentiel : ne pas entrer en résonance avec cette demande
inflationiste, mais se décentrer et ’apaiser / contenir passions et
émotions ; c’est ce que l’on appelle la fonction protectrice de
pare-excitation.