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PSYCHIATRIE ; HOPITAL PUBLIC :

DES CHOIX POLITIQUES DESHUMANISANTS.

 

Patrick CHALTIEL [1]

(Mai 2006)

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Les orientations « modernes » de notre politique de santé mettent en œuvre des choix qui, sous couvert de rationalité et de pragmatisme économique, portent sévèrement atteinte à une philosophie sociale respectant l’homme, avant tout dans sa vulnérabilité, au profit d’un primat de la productivité et de la répression des différences et des singularités.

Facile à mettre à l’index, du fait des peurs archaïques qu’elle suscite, la psychiatrie est actuellement exposée au risque d’une déshumanisation et d’une régression sur tous les axes du progrès humain qu’elle a su réaliser au cours de la seconde moitié du 20ème siècle.

Si notre pays doit consentir des efforts de rationalisation et d’économie, en matière de santé, les choix politiques effectués ne constituent pas, pour autant, des fatalités auxquelles nous devons nous soumettre.

D’autres choix sont possibles à la condition d’écouter et d’entendre les avis des usagers et des professionnels, plutôt que de considérer ceux-ci comme des irresponsables, coupables de prodigalité et d’insuffisance de résultats, à mettre d’urgence sous la tutelle toute puissante d’une « autorité de santé » éloignée du terrain et d’une administration bureaucratique et envahissante dans sa compulsion au contrôle.

 

Certes, les réformes en cours offrent une « présentabilité » démagogique de surface, un niveau apparent de rationalité et de bonnes intentions. Mais ce « paquet cadeau » enveloppe et masque une boite de Pandore où se nichent tous les démons de nos sociétés libérales « avancées », dans leur marche forcée vers la domination de l’oligarchie économico-financière et le recul des valeurs démocratiques et humanistes de la solidarité, du partage des richesses, de l’égalité des droits et des chances.

 

 

Parmi les exemples multiples et quotidiens de cette dérive, j’en choisirai deux : Le « plan Hôpital 2007 » et le projet de réforme, proposé par l’IGAS (Inspection Générale de la Santé) et L’IGSJ (Inspection Générale des Services Judiciaires) de la loi de 1990 portant sur la contrainte aux soins (autrefois « internement »)

 

  1. Le plan hôpital 2007 et ses trois volets : Tarification à l’activité (dite T2A en novlangue administrative), contractualisation interne et nouvelle gouvernance.

a)  La T2A s’avance, masquée sous les apparences d’un progrès incontestable : réforme des principes de financement s’opposant aux « budgets-rentes de situation » et permettant de favoriser le dynamisme et de gratifier les services actifs.

Sous ce masque, l’objectif profond de cette réforme est la « convergence tarifaire » (c'est-à-dire, la mise en concurrence) du public et du privé et la prime à la rentabilité (et non à l’efficience) du système de soins.

Ce qui sera privilégié dans ce système est le bon management gestionnaire de la productivité en actes tarifés et non pas la qualité des soins.

Cette dernière, tous les soignant et les patients le savent, tient au moins autant aux « actes tarifés » et aux normes fixées par les référentiels de la Haute Autorité de Santé qu’à tout le travail interstitiel, institutionnel, humain, constituant le tissu conjonctif sans lequel l’acte technique ou la norme de bonne pratique perd plus de la moitié de son efficience.

 Or, la T2A, si elle valorise l’acte, étouffe et tue le tissu conjonctif qui nourrit celui-ci. Cette asphyxie procède autant par pénalisation financière que par une bureaucratisation Kafkaïenne et déshumanisante des métiers du soin.

 

b)  La délégation de gestion, les pôles et la nouvelle gouvernance sont annoncés, eux aussi, comme rationalisation et simplification (flexibilité, adaptivité, réactivité… on voit les origines de ce vocabulaire !) des processus décisionnels de « l’entreprise Hôpital » par association des médecins aux orientations gestionnaires.

Derrière cet effet d’annonce, de quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’abord d’un recul démocratique de la vie hospitalière au profit d’une gouvernance oligarchique, excluant la majorité des soignants des instances décisionnelles. (La démocratie participative étant, par essence, complexe, tout « principe de simplification » des décisions est au service d’une dérive autoritaire). C’est clairement l’économie marchande qui s’instaure ici comme modèle de fonctionnement d’un service public.

Il s’agit ensuite de diviser le corps des Praticiens Hospitaliers et de rompre leur unité, en créant une sous catégorie de médecins gestionnaires qui auront pour rôle (moyennant avantage salarial : la « part variable ») d’être à la fois les exécutant et les boucs émissaires de la direction auprès de leurs collègues (comme le sont déjà les directeurs de soins et les cadres supérieurs auprès des infirmiers).

Il s’agit enfin, et c’est en quoi ce projet est un drame pour la psychiatrie française, d’éloigner le service public du « terrain » (territoire de santé de 200 000 habitants, CMP territoriaux, urgences intersectorielles, …etc.) et de briser la prétendue « collusion entre soignants et usagers », fantasme administratif considéré par nos tutelles comme facteur d’emballement des dépenses.

Dès lors, la première ligne d’accueil de la souffrance psychique que constitue notre psychiatrie générale de secteur sera détruite au profit de « soins spécialisés » en filières (que certains psychiatres, essentiellement universitaires… ou rêvant de l’être, appellent d’ailleurs de leurs vœux !)

Finies l’accessibilité aux soins pour les plus gravement touchés de nos patients ! Bonjour le retour de l’asile, à l’intention des « incasables » !

 

  1. Le projet de réforme de la loi de 1990 : pensée sécuritaire, obligation de résultats et « traçabilité » des sujets à risque.

Nous voyons, dans ce texte comment la logique assurancielle du risque a infiltré et envahi progressivement notre éthique sociétale, au détriment de l’engagement et de la prise de risque inhérent à tout soin (et, en particulier, en matière de soins psychiques). C’est dans ce projet de réforme, par ailleurs bien construit et sans failles, que l’on perçoit le mieux les principes totémiques qui gouvernent notre monde moderne : principe de précaution, de transparence, de simplification, obligation de résultats et traçabilité de la « faute » en cas d’échec. Protocoles, procédures et tableaux Excel tiennent lieu de réflexion clinique et éthique et prétendent permettre l’économie de la pensée abductive, au cas par cas, qui caractérisait l’ère clinique de notre art du soin. Désormais, c’est l’épidémiologie qui tient lieu de clinique, la cohorte qui efface le sujet, la statistique qui efface le « cas ».

Ce qui est préconisé dans ce texte, encore confidentiel, s’entoure, comme dans le précédent, d’une argumentation relativement séduisante : clarification du dialogue entre justice, force publique et psychiatrie.

Pour autant, dès la seconde lecture, saute aux yeux du praticien de la psychiatrie publique un certain nombre d’attendus de ce projet qui en font un danger majeur pour la liberté des usagers et des soignants.

A l’instar de certain ministre de notre gouvernement (rejoint d’ailleurs sur son terrain par certains candidats d’opposition à nos prochaines échéances électorales), qui prétendent agir sur la famille en « reparentifiant les parents » (avec obligation de résultats et sanctions en cas d’échec), ce texte vise clairement, dans sa matière première, à faire peser sur la psychiatrie la responsabilité de tout échec en matière de contrôle de la sécurité et de l’ordre public.

Il y a là une profonde méconnaissance de ce qu’est un soin psychiatrique, qui ne saurait être socio-adaptatif que « de surcroît », car si, par malheur, il fait de la protection et du contrôle social son but premier, il se dénature gravement dans son efficience et son éthique, jusqu’au point de non retour où il se transforme en instrument d’un arbitraire répressif obscène et féroce. (Comme l’histoire de notre discipline l’a prouvé à de multiples reprises).

Ainsi, pour en revenir à la matière de ce projet, son principe repose sur un apparent truisme : « puisque 80 à 90 pour cent des patients psychiatriques sont actuellement suivis en ambulatoire et non plus en hospitalisation, il est logique que la contrainte aux soins soit aussi déplacée de l’hospitalisation vers l’ambulatoire ». C’est d’une logique imparable… à ceci près q’elle n’aborde absolument pas la question de ce qu’est un soin ambulatoire ! Or un soin ambulatoire, c’est, avant tout, une alliance… ou sinon rien !

Quel moyen, dès lors, est-on prêts à mettre en œuvre pour contrôler le contenu de ce rien, en vérifier la valeur préventive en matière de risque social ?

Il s’agit là d’une profonde dénaturation qui, sous prétexte de « toilettage » et de modernisation de la loi, pervertit profondément l’avenir de notre discipline. (On a vu ce qu’à déjà donné le toilettage, en 1990, de la loi de 1838 : une multiplication par 4, en 15 ans, de l’usage de la contrainte aux soins !)

 

EN CONCLUSION

Il est bien évident qu’aucun des ces projets (le premier en cours de mise en œuvre, le second dans les starting blocks) ne fait référence à la psychiatrie de secteur, dont l’idéologie de santé publique (proximité, accessibilité », continuité des soins, contextualité) est aux antipodes de ces propositions. « Le secteur, c’est obsolète, ça ne marche pas » prétendent ceux qui veulent s’en débarrasser ! Pourtant, nous pouvons témoigner au contraire que la psychiatrie de secteur, partout où elle a pu bénéficier des moyens nécessaires à sa mise en oeuvre et d’une réelle volonté politique locale, est l’un des plus grand progrès que la psychiatrie ait vécu depuis sa naissance, au milieu du dix-neuvième siècle ! Nous appelons ici toux ceux (soignants et usagers) qui ont pu le constater à en témoigner avec courage et énergie afin de lutter contre son abandon qui n’est une fatalité que si l’on s’y résout.

 



[1] Chef de Service en Psychiatre Générale, EPS de Ville Evrard, Secteur 93G14, (Bondy – Seine Saint Denis)


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