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PERTINENCE DU SECTEUR
Je me suis permis d'intervenir à la modeste place d'un ancien acteur de la santé mentale, habitant de Paris, psychiatre des hôpitaux à la retraite, lors de la dernière table ronde de cette rencontre.
Un événement important a eu lieu en Mairie de Paris le mercredi 29 janvier 2003.
Le Maire de Paris, représenté par Monsieur Alain Lhostis, rassemblait 400 personnes d'origines et de fonctions variées sur la question de la Santé Mentale à Paris et leur donnait l'occasion d'en débattre en 4 tables rondes avec les habitants et leurs élus, les professionnels, les Associations, et les institutions.
Fait nouveau par rapport aux échanges habituels, le débat avec la salle et plusieurs de ces tables rondes ont été l'occasion d'une forte participation des usagers et des familles. Cela était dû à la dimension citoyenne et non ségrégative des invitations qui avaient inclus toute catégorie d'habitants de Paris.
Les échanges ont été de haute tenue, constructifs, sans polémique, sans langue de bois, brossant la plupart des aspects de la santé mentale, dont il devenait clair que la psychiatrie ne constitue qu'une partie, à côté de l'aide aux handicaps, la protection des biens et l'aide sociale.
Ce qui s'est dégagé clairement et fortement c'est que tous les débats avaient comme référence forte la " Politique de Secteur " et ses dimensions sanitaires et sociales ; c'est à dire le tissu de soin et le tissu social de proximité comme tissus de base dans l'élaboration des réponses : la territorialité et le contexte social rassemblant les différentes questions et les institutions classiques dans leurs implications locales sanitaires et sociales. Donc une exemplarité forte.
Le point d'orgue fut la dernière table ronde réunissant les personnages ayant le plus de pouvoir dans la ville, les institutions : l'ARH, l'AP-HP, Le Directeur de Ste Anne, la DASS, la Préfecture de police, l'Action Sociale. De toute évidence ils étaient reconnus comme décideurs essentiels, en même temps ils montraient qu'ils n'avaient pas réellement le pouvoir de prendre des décisions significatives sur les questions abordées, alors qu'ils avaient ensemble, mais chacun dans sa partie, la totalité des financements et du pouvoir.
Nous avons pu alors souligner que cette journée était exemplaire de la pertinence du secteur, de la pertinence de la politique de secteur, d'une part parce que cette politique ne se décrète pas par des circulaires, ni une loi, ni des institutions, il faut d'abord ce qu'il y a eu ce jour là : une volonté des élus de réunir tous les acteurs et tous les décideurs pour leur faire vivre ensemble dans un débat avec les citoyens, avec les usagers, la pertinence des questions posées et des réponses proposées ; c'est alors qu'ils peuvent se mettre à agir d'une façon nouvelle, intégrant cette nouvelle orientation. Il devenait clair que la psychiatrie de secteur ne peut avancer que si la présence d'un tiers, l'élu, permet à chacun de se dépasser. L'expérience de la citoyenneté.
Nous avons exprimé le fait que la tenue de cette journée était un événement fort qui constituait " une consécration " de la politique de secteur. Nous ne pouvions que féliciter les élus de Paris d'avoir eu la sagesse et l'intelligence de la réaliser.
En effet la psychiatrie de secteur est née dans la " résistance " à l'oppression lors de la dernière guerre, associé au spectacle des asiles concentrationnaires, fruit de l'exclusion. Une volonté est née de réaliser une psychiatrie humaine, se construisant sur les liens entre les hommes, au service de chaque patient et de son entourage. La mise à disposition d'une équipe pluridisciplinaire faisant face aux soins et à la prévention des troubles psychiques pour une population à dimension humaine réunie par les liens de la Cité. Une médecine de proximité s'appuyant sur toutes les richesses humaines, donc sociales, de cette proximité.
Nous avons constaté tout au long de cette journée la demande des usagers, et des familles, le savoir faire des soignants et celui des acteurs sociaux, et en fin de journée nous avons été confrontés aux blocages institutionnels, fruit des obligations internes à chaque institution, dont le but est …non pas de suivre une politique de soin générale, mais de …veiller à sa propre survie de chaque institution. Aucune institution ne saurait être critiquée de vouloir se consolider afin de rendre les meilleurs services que la société attend d'elle. Mais si une nouvelle politique globale les impliquant toutes survient, seules une lucidité et une volonté politique peuvent permettre le dépassement de la mission limitée de chacun.
Pour aller vite, sans avoir la prétention d'aborder toutes les questions de la santé mentale, ce qui sera l'objet des concertations à venir avec la médiation des élus, voici trois exemples :
- Il a été beaucoup question ici de l'urgence, comme le demande la société actuelle, mais il y a là de profonds quiproquos : ainsi la première urgence de la psychiatrie aujourd'hui c'est de faire réintégrer à l'intérieur du périmètre de chaque secteur l'essentiel des structures de soin et d'abord, après 40 ans d'attente, le service hospitalier, dans un espace banalisé qui ne soit plus marque d'exclusion, grâce au cadre d'une réalisation concertée permise par la perspicacité des élus. Nous avons eu la chance en Seine St Denis que les élus se soient saisis de la question de l'exclusion et permettent l'implantation en ville, selon un choix qu'ils ont guidé, de notre lieu d'hospitalisation partagé avec le secteur voisin. Ceci s'est réalisé largement dans ce département avec l'éclatement partiel de l'ancien hôpital de Ville-Evrard en 3 sites pour 8 de ses 17 secteurs en 2000-2003 soutenu par l'ARH. Nous pouvons témoigner que la " révolution " proposée par la politique de secteur dans le soin ne se réalise vraiment qu'au moment d'une telle implantation. Le résultat est de taille, dépasse les espérances : c'est une autre psychiatrie, toute simple, qui se déploie avec la participation quotidienne de tous : les familles, les amis, les voisins, les soignants, les acteurs sociaux se rencontrent simplement et réalisent une psychiatrie qui travaille sur les liens de l'homme avec son entourage. " Une psychiatrie faite par tous ". Ces exemples commencent à se multiplier en France. Il est grand temps.
Il en est de même des deux autres questions urgentes qui se posent ensuite, questions neuves pour la psychiatrie classique et d'évolution parallèle pour l'avenir. : -l'accueil de l'urgence, et les -clubs.
- La notion capitale préalable est le constat que la psychiatrie de secteur est une philosophie du soin, basée sur une réflexion éthique et clinique, l'homme et sa vie psychique, abordée dans la complexité d'un homme perçu dans sa globalité, corps, vie psychique et vie relationnelle ; elle donne naissance à une politique à élaborer et à appliquer ; cette politique doit avancer globalement, c'est une erreur que de traiter d'un seul problème à la fois, ainsi en est il de la question des urgences, dans la mesure où sa pratique s'appuie sur une clinique qui est différente de celle des troubles organiques. L'urgence psy ne saurait se résumer à sa localisation dans les salles d'urgences des hôpitaux généraux de l'AP (laquelle n'avance que timidement dans l'application de la politique de secteur puisque la plupart de ses services ne sont pas encore sectorisés), certes ces urgences nécessitent un 'regard et une écoute psy' associés, mais l'urgence psychiatrique ne peut se réduire à un entretien d'une demie heure en salle d'urgence ; l'urgence psy c'est la rencontre avec une personne souffrante qui est le plus souvent convaincue qu'elle n'est pas malade : alors tout le travail, particulier à la psychiatrie, (dont on ne saurait se défausser par une obligation de soin vécue d'emblée comme une nouvelle violence), c'est de prendre le temps de faire alliance avec ce patient et son entourage pour que cette personne, grâce à la confiance des liens qui se nouent dans ces moments, s'intéresse à sa propre vie psychique, et comprenne l'intérêt de soins pour elle. Ce travail demande des heures, des jours, des semaines voire plus, mais à chaque fois il constitue un capital solide pour l'avenir (au lieu d'être réduit à la blessure et la violence de l'obligation de soin qui entraîne un renforcement des résistances contre tout travail psychique). C'est donc scandaleux de fermer les Centres d'Accueil et de Crise, au moment où il faudrait les multiplier à la porte de chaque secteur et non à l'entrée des grands hôpitaux généraux trop concentrés, trop énormes, pris avec raison par l'importance des urgences vitales qui ne supportent aucune hésitation dans la décision. De leur côté les directeurs des hôpitaux psychiatriques au lieu de renforcer les Centres d'Accueil aujourd'hui ne pensent qu'à les fermer pour …consolider les services hospitaliers déshumanisants, toujours facteurs d'exclusion loin des espaces de vie et des liens des patients ! Il en sera ainsi tant que les services d'hospitalisation seront bannis hors Paris. Décision conforme à la logique institutionnelle voulant renforcer la vieille hospitalisation, mais grave régression dans l'application de la politique de secteur. L'élu doit intervenir ici et rassembler tous les partenaires pour reprendre l'ensemble de cette évolution.
- Une autre urgence qui se situe à l'autre bout de la trajectoire de souffrance et de soin des patients et des acteurs sanitaires et sociaux, est exprimée dans l'initiative venant aujourd'hui de l'UNAFAM et de la FNAPSY : les clubs, modestes innovations dont la portée est fondamentale car hors des soins elles permettent la réinscription de la personne dans sa vie quotidienne, les patients vont grâce à elles s'approprier leur capacité à être acteurs dans la Cité en se dégageant du lien de dépendance qui existe dans tout soin. Il est assez émouvant de constater que cette initiative renoue avec une découverte de la psychiatrie et de la psychothérapie institutionnelle faite pendant la résistance à l'occupant, 1942, au cœur de la France à St Alban : dans une telle structure très légère, hors soins, les patients sont acteurs et décideurs aux côtés de quelques professionnels soignants et sociaux, membres à part entière grâce aux statuts du club associatif. Ainsi ils s'approprient leur propre vie et prennent des initiatives en s'appuyant sur des mouvements d'identification venant prendre la place des attitudes de dépendance au soin. Une telle structure, qui devrait exister dans tous les secteurs, implique modestement dans sa forme minimale 3 à 5 mi temps de soignants et d'acteurs sociaux ; elle ne peut exister que par des mises en commun de moyens des divers acteurs institutionnels incluant conseil général et institutions. Les usagers en tirent un bénéfice exemplaire, car dans la solidarité de la vie associative ils font l'apprentissage de la citoyenneté et trouvent l'énergie et le goût pour affronter la vie quotidienne
Dans cette éventualité et pour conclure il est clair que la politique de secteur trouve son médiateur dans l'élu, qui permet aux institutionnels de créer les mouvements permettant d'aboutir à sa réalisation complète dans l'ensemble du pays.
Ce qui s'est passé en Mairie de Paris ce 29 janvier est exemplaire, nous ne pouvons que féliciter les élus d'avoir par cette manifestation pu " consacrer " la Politique de Secteur, sa pertinence. Nous remercions vivement Monsieur Lhostis, Madame Gouriou et tous leurs collaborateurs.
Guy Baillon