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Réflexions suite aux événements de Pau



L'actualité de ces derniers jours : les évènements de Pau, du métro de Paris, de Saint Venant m'ont conduit à m'interroger : s'agit-il là d'un concours de circonstance ou bien d'une réelle montée de la violence dans le monde de la psychiatrie ? Ces " faits divers " sont d'autant plus regrettables qu'ils sont utilisés, par les uns et par les autres, toujours pour justifier des positionnements, rarement pour interroger les pratiques.
Simple autodidacte, ayant franchi les différentes étapes conduisant de l'infirmier psychiatrique à la fonction de directeur de soins et maintenant retraité, mon expérience professionnelle et ma réflexion récente (je viens de publier un livre sous le titre " Parcours original d'un soignant en santé mentale") m'autorisent, face à ces évènements et à leur médiatisation, à risquer quelques réflexions.
Année après année, toute approche individuelle et collective du et des malades semble avoir disparu. Les psychotropes ont supplanté : écoute, accompagnement individualisé et collectif. Les malades ne sont-ils pas devenus prisonniers de leurs mixtures médicamenteuses, et les personnels soignants de simples zombies ? Et pourtant ces derniers ne semblent pas plus "cons" que la moyenne, ils apparaissent happés par cette machine infernale qu'est devenue l'H.P..
Dès le début des années cinquante j'ai découvert la misère asilaire, ces trous de basse fosse qui étaient des lieux concentrationnaires contenant la folie loin du bon peuple.

Dès cette époque, je me suis battu, avec d'autres infirmiers et quelques médecins, pour humaniser l'H.P., en détruisant les cellules, en arrachant les camisoles, en faisant tomber les entraves de nos semblables que la société qualifiait de fou, en introduisant des activités : création d'ateliers, et animations ludiques.… Oui, j'ai fait parti de ceux qui, sans grands moyens, à travers les actes de tous les jours, ont introduit du mouvement et de la vie. Sans trop le savoir, ce fut, là, le début d'une nouvelle thérapie que l'on appellera plus tard psychothérapie institutionnelle.

Après avoir participé à faire tomber des murs dont celui de l'asile de Mayenne, nous sommes parti soigner dans la cité, ainsi nous avons favorisé la naissance de la psychiatrie de secteur.
Fort de cette expérience, répondant à l'appel de jeunes médecins, en mai 68, en phase avec l'esprit du moment, j'ai gagné le Havre pour participer à la création du premier hôpital de jour de province et promouvoir le travail en réseau. Faut-il rappeler, qu'à l'époque, beaucoup autour de nous, observaient avec malice nos faits et gestes.
Force est de constater que des initiatives de ce type, en d'autres lieux de notre pays, ont rendu possibles des avancées significatives.

Face aux drames de ces derniers jours et des différents discours qu'ils ont entraîné mon expérience m'amène à poser une question : le besoin " d'hyper-sécurité " recherchée par notre société n'est-il pas à l'origine de la remise en cause de bien des avancées de la prise en charge de la santé mentale ? Comment nous expliquer à nous qui avons proscrit clés, cellules, entraves, camisoles … qu'aujourd'hui il faille revenir à ces mêmes méthodes, qui plus est, méthodes officialisées par des protocoles et que sais-je encore.

Certes, on ne peut ignorer que nos concitoyens subissent de plein fouet la dureté du libéralisme économique qui amène chômage, pauvreté, violence et exclusion. Si hier la demande psychiatrique concernait la psychose et la névrose, de nos jours le rapport à la santé mentale est tout autre. Le manque de cohésion sociale, le chômage, la précarité … entraînent insécurité, violence et une souffrance psychique. Ainsi face à ces nouvelles demandes la psychiatrie est contrainte d'ouvrir son champ d'action.
La question se pose : la psychiatrie doit-elle répondre à toutes ces demandes ? Doit-on psychiatriser tous les malheurs de la vie au risque, à mes yeux, d'oublier l'essentiel : la psychose et bien sur ceux qui en sont atteint. Ce point de vue que j'ose affirmer, je le sais, ne fait pas aujourd'hui, l'unanimité. Mais, je ne peux accepter que par manque de place ou de personnel et sous la pression des directives ministérielles, dans l'indifférence générale, on jette à la rue des patients dont, beaucoup trop souvent, on feint d'ignorer la souffrance qui les taraudes.

S'il est vrai que l'hôpital psychiatrique ne reste pas à l'écart de la violence qui imprègne aujourd'hui toute institution, l'arrivée de vigiles avec chien, le recours à des moyens électroniques sophistiqués, le retour des chambres d'isolement ne remettent-ils pas en cause l'humanité de l'hôpital.
Ne sommes nous pas : citoyens, malades, soignants devant une institution qui serait devenue folle !
Même si parfois des "garde fous" sont nécessaires, ni les chambres d'isolement ni l'enfermement en général ne conduisent à la guérison.

Sans vouloir dramatiser, ne touche-t-on pas, là, la question des droits de l'homme ? Alors que le prévenu s'est vu attribuer par le législateur de véritables droits il n'en est pas de même aujourd'hui des malades pris dans la spirale de la psychiatrie. Privés de liberté sans réel recours possible, anéantis par de sérieuses doses de neuroleptiques ne peut-on pas voir, là, une recherche avant tout, même à contre cœur, de sécurité de la part de l'ensemble des soignants et de la société elle-même.

Nul ne peut ignorer que les comportements agressifs de certains malades, l'inactivité d'autres, la lenteur des évolutions, les rechutes …agressent l'infirmier et surtout le questionnent. Oui la maladie mentale, le poids de la folie, la psychose sont lourd à porter, ils usent ceux qui la côtoient, soignants et familles.
Mon expérience me fait dire que la maladie mentale relève avant tout du "désordre mental, social…"alors comment peut-on imaginer que sur la volonté de quelques technocrates elle puisse être formatée dans des procédures, des protocoles …que le discours de la folie puisse être comprimé dans nos ordinateurs !

Se pose aussi la question de la formation des différents intervenants. Si sophistiquée sera la formation théorique, jamais elle ne remplacera le corps à corps avec la folie grâce à l'accompagnement des plus anciens (tutorat).
Si dramatique soient ces évènements, comme l'a si bien rappelé le maire de Pau, ils ne doivent pas servir de prétexte pour remettre en cause les immenses progrès de la prise en charge de la santé mentale dans notre pays. De nombreuses équipes se sont et sont investies, elles doivent avoir le soutien du plus grand nombre. Ce ne sont pas les annonces de créations de postes, rendus impossible par manque de personnel qualifié disponible, ni les ravalements architecturaux annoncés avec grand renfort de publicité par le ministre de la santé qui redonneront du cœur à l'ouvrage à la communauté psychiatrique, tous les jours, confrontée aux souffrances de leurs semblables.

Antonin Artaud disait: "Nous attendons tous une révolution de la conscience. Qui nous permettra de guérir la vie."
Cette révolution dont il parle n'adviendra qu'à travers notre propre action. Soignants, familles, il nous revient d'agir et réagir, sachons faire de la résistance, sachons imposer nos points de vues. Notre expérience, le côtoiement de cette folie nous permet et même nous fait un devoir de défendre les libertés individuelles. La psychiatrie est et sera toujours sur le fil du rasoir : à la recherche d'un équilibre entre le besoin de soins de la personne et sa liberté individuelle, entre les limites de la sécurité, celle du patient, celle de son environnement et la solidarité nécessaire à toute intégration.

Le métier de soignant c'est certes de soigner, d'écouter, de soulager et d'accompagner, mais c'est aussi d'incarner le souci permanent d'une lutte contre la chronicité, contre la ségrégation, contre l'exclusion, contre l'oubli. Pour moi la psychiatrie reste un combat, un combat pour l'homme.

Sainte Adresse le 5 février 2005

Roland Bourdais

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