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Menaces sur le secteur ?



LA FIN DU SECTEUR ?

Un texte du gouvernement appelant à la " simplification administrative " est en gestation. Aucun d'entre nous n'y verrait malice tant nous supportons au quotidien, comme cliniciens, le poids, quand ce n'est pas l'arrogance, de la chose administrative dans la gestion de la psychiatrie publique. Depuis de nombreuses années nous voyons l'organisation comptable prendre le dessus sur les nécessités humaines du soin, la clinique étant rabattue sur les plans de soins à valider en lieu et place de la créativité relationnelle d'un travail collectif d'équipe.
Il apparaît pourtant avec ce projet de texte que la simplification des techniques de gestion est en voie de mettre fin à l'idée même du secteur.
Que propose ce projet d'ordonnance plein d'effets collatéraux ? Ni plus ni moins qu'une redéfinition de " territoires de santé " centrés sur les établissements hospitaliers publics et privés, s'articulant " le cas échéant " avec ces " organismes agissant dans le domaine de la santé mentale, organisés en secteurs psychiatriques ". En passant il met fin aux conseils départementaux de santé mentale sans autre alternative que l'organisation administration hospitalière et ses tutelles régionales ( ARH ).
La notion de territoire de santé promus par le rapport Piel - Roelandt comme bassin de vie trouve là sa première interprétation en terme d'outil de pouvoir : celui d'un aménagement du territoire centré sur l'outil technique, l'hôpital. Rappelons nous que cette notion est apparue dans les années 60 à partir de l'organisation économique des régions et s'appuyait sur celle de plan. Il s'agissait à l'époque de moderniser les activités de l'Etat dans un sens décentralisateur. Le glissement de sens d'une planification économique à finalité technocratique vers une organisation du dispositif de soins montre bien l'objectif recherché : mettre en place une maîtrise des dépenses de santé dans une perspective de transfert des coûts vers les régions. La dimension de territoire n'est donc plus une évaluation des besoins de santé pour des populations données mais une gestion rationnelle des moyens attribués à des techniques de gestion.

Le plan Juppé est revenu en force parmi nous, s'abritant sous le feu des horreurs de la guerre d'Irak et de la puissance impériale des USA. Remarquons au passage que la liberté démocratique revendiquée met out les acteurs du soin : sujets en souffrance, soignants et élus locaux, appelés à entériner les décisions de l'Etat Le débat va certes avoir lieu à l'Assemblée Nationale avec une majorité acquise à cette conception d'une santé marchandise, ainsi qu'à la réduction des services publics au nom de leur coût. AXA veille à ses intérêts par ses liens avec les élus concernés qui favorisent ses projets d'assurances privées contre l'idée de solidarité sociale !

Le débat démocratique se constitue donc ailleurs, dans la société et les services publics menacés par cette campagne de désertification, afin de donner une autre image de ce qui constitue l'idée d'un territoire à finalité démocratique. Dans cette alternative nous avons plus à défendre que nos réalisations de secteur, nous avons à soutenir une clinique au service du public qui ne peut être un empilement d'actions techniques visant l'anéantissement du symptôme par les produits B52 de l'industrie pharmaceutique mondialisée : nouveaux antidépresseurs et neuroleptiques post modernes. Les sujets en souffrance et les élus de base ont de bonnes raisons d'apprécier le travail généraliste de terrain que nous produisons, et ce n'est pas négligeable dans la défense d'un service public. Mais l'enjeu ici va bien au delà ! C'est celui d'une santé publique dans laquelle la psychiatrie a une place à tenir, avec ses acquits soignants, dans une politique de santé mentale décidée avec la participation des populations et de leurs représentants.

Ce texte " scélérat " appelle d'abord une réaction de ceux dont les motivations soignantes ne se réduisent pas à la réussite d'un itinéraire personnel, mais à l'élaboration d'un document alternatif qui donne un sens de construction de liens sociaux avec les habitants du " territoire ". La reconversion annoncée des centres d'accueil et de crise, représentations mêmes du travail de secteur, vers des projets intégrés aux urgences hospitalières aux horizons lointains, n'est donc pas une anecdote dans les projets de secteur, mais l'enjeu de cette politique. Soit nous abandonnons ce lien privilégié avec les besoins des populations, reconnu par les élus de terrain, en nous nous adaptant de façon réaliste à la stratégie du tout hospitalier, soit nous affirmons ce lien avec le terrain comme structure de la relation thérapeutique.

Il est sans doute inévitable que cette résistance prenne la forme du refus de l'omnipotence de la chose administrative ou de stratégies médicales individuelles. L'adversaire n'est pas untel ou untel ! mais ce qui met en cause la finalité même de la fonction soignante. Il ne s'agit pas là d'un débat idéologique mais du sens du travail clinique.

Je propose, dans cette perspective, la création d'un collectif contre ce texte qui réalise cette tâche de sens et de lien, dans la continuité et la durée, qui ne cède pas aux logiques administratives avec ses directeurs médicaux, en explorant ce qui fonde nos engagements thérapeutiques sans lesquels il n'y a plus de motivations soignantes. Nous sommes dans l'élaboration d'un programme de transition, entre un monde qui disparaît : celui de la sortie de l'asile d'exclusion, et celui qui reste à construire : celui du lien social avec les préoccupations de notre époque qui intègre les " malades mentaux " à la cohorte des déshérités d'une société qui les transforment en perdants. La reconnaissance du droit des patients et de la qualité des soins est d'abord une affaire politique avant d'être une application administrative. Elle appartient au travail même de la clinique.

Jean Pierre MARTIN, le 10 Avril 2003.



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