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PSYCHIATRIE, QUESTIONS ACTUELLES

Jean-Jacques MOITIE


Le " drame de PAU " survenu dans la nuit du 17 décembre 2004 a bouleversé la France. Il nous touche tout particulièrement nous les professionnels exerçant en psychiatrie car deux soignantes ont été tuées en service, sur leur lieu de travail, dans une unité d'hospitalisation de psycho-gériatrie.

Chacun pense aux familles, aux collègues de l'établissement pour qui rien ne sera plus comme avant. Nous avons aussi en mémoire qu'en 1999, 2002 et 2003 un infirmier et deux infirmières ont été victimes de meurtres dans l'exercice de leurs fonctions à SAINT-ETIENNE, LYON et COLSON.

En réaction aux crimes et à leur barbarie, nous avons lu et entendu des expressions de douleur et de colère empreintes de dignité mais aussi beaucoup d'inexactitudes et d'amalgames fâcheux.

L'affliction médiatique du ministre de la santé s'est accompagnée de l'annonce de la publication imminente d'un " plan de santé mentale qui ne fera pas l'impasse sur les questions de sécurité et de moyens nouveaux ".

DANS QUEL CONTEXTE SOMMES NOUS ? UNE PSYCHIATRIE EN CRISE OU UNE PSYCHIATRIE DANS LA CRISE ?

Tony LAINE avait été l'un des premiers à aborder cette question dès 1972 : crise de la famille et de l'école … crise de la société … malaise à vivre et difficulté à exprimer cette souffrance … mal vie.

Il proposait un service novateur de protection de la santé mentale, un travail dans la communauté au service des usagers et de la population.

Ces dispositions seront présentes dans le rapport DEMAY (1983) qui propose une voie française pour une psychiatrie différente, en rupture avec l'asile, la pensée et les pratiques asilaires.

Pour G. MASSE en 1992 " la psychiatrie subit une crise grave dont les facettes sont multiples. Sa non reconnaissance perdure, elle a résisté au vieux rêve de prévention et pour tout dire, de fraternité, de la sectorisation. L'hôpital n'en finit plus de rechercher un point d'équilibre dont on sent bien qu'il n'est pas accessible pour demain. La crise des circuits d'aide ne cesse d'interroger un outil forgé à partir de l'appareil d'état, de la loi de 1838, ces racines demeurant perceptibles ".

J.L. ROELANDT en 2002 met en évidence un changement récent. " La psychiatrie est convoquée par la société à la recherche d'explications et de solutions pour p(a)nser collectivement ses plaies trop douloureuses. On est donc passé à une France d'exclus dans les institutions … à une France d'exclus dans la cité ".

En 22 ans, nous comptabilisons sept rapports sollicités par les ministres auxquels il faut ajouter ceux de la Cour des Comptes et du Conseil Economique et Social, la Plan de Santé Mentale de B. KOUCHNER et les Etats Généraux de la Psychiatrie.

En empruntant à J. CONSTANT le titre d'un article : " L'abus de rapports textuels est dangereux pour la santé mentale ", nous serons enclins à déduire que les rapports successifs et aussitôt enterrés (à l'exception notable du rapport Massé), ont masqué une absence de politique de santé mentale digne de ce nom.

Heureusement, les textes réglementaires et législatifs publiés depuis 1985 ont résisté aux changements politiques et constitué un socle permettant aux équipes et institutions novatrices d'évoluer malgré les difficultés budgétaires.

Les sept objectifs à atteindre pour tout secteur psychiatrique préconisés par la circulaire du 14 mars 1990 relative aux orientations de la politique de santé mentale me paraissent toujours d'actualité :
1. L'accueil dans ses deux composantes : accessibilité aux soins et réponse à l'urgence.
2. Le développement des prestations ambulatoires et à temps partiel et le rôle pivot du C.M.P.
3. L'évolution des unités d'hospitalisation à temps complet.
4. Les activités de réadaptation.
5. La coordination avec les autres dispositifs de soins et de prévention.
6. Les interventions dans les structures sociales, éducatives et médico-sociales.
7. La participation à des programmes de santé particuliers.

Cependant, l'objectif " d'amener progressivement mais sûrement notre système de psychiatrie publique à une bonne adéquation à des fonctions de prévention et de soins de santé mentale modernes " ne semble pas réalisé.

QUE PENSER DES PROPOSITIONS DU MINISTRE ?

Le moratoire annoncé sur la fermeture des lits ne peut se concevoir que dans une réflexion d'ensemble après un examen par région, département, établissement et secteur. Au plan national, quelle a été l'évolution de ces 25 dernières années ? Nous sommes passés de 135.000 lits à moins de 70.000 aujourd'hui ! L'orientation consistant à créer des structures alternatives à l'hospitalisation et à fermer des lits n'a pas été suivie d'effets suffisamment sensibles en termes de places et d'équipes extra-hospitalières. Par contre, les établissements spécialisés en psychiatrie (CHS et HPP) ont " subi " de plein fouet la baisse de capacité d'hospitalisation.

________ CHS public Hôpitaux privés spécialisés  Service Psy- Hôpital Général  Cliniques privées lucratives
1980 85 000 lits 21 000 lits 16 000 lits 13 000 lits
2004 - de 35 000 lits - de 8 000 lits - de 13 000 lits 13 000 lits


Il faut se rappeler que récemment des documents officiels faisaient état d'un " excédent national de 15.000 lits d'hospitalisation complète " !!!

Une réflexion d'ensemble devra prendre en compte les disparités géographiques très marquées entre départements au niveau quantitatif et qualitatif ainsi que la situation de nombreux établissements qui vivent au quotidien une pression sur les lits, d'ailleurs inégale d'un secteur à l'autre.

Hier, l'enlisement dans l'asile entraînait un enclavement et une chronicisation difficilement réversibles. Aujourd'hui, alors que la qualité des prestations hôtelières n'a pas encore atteint partout un niveau acceptable, la psychiatrie de secteur est critiquée à la fois pour une pratique " d'externements abusifs " non justifiés au plan clinique, pour faire de la place à ceux qui attendent et pour le séjour prolongé de patients faute de relais dans la communauté.

Une réflexion d'ensemble devra aussi interroger les pratiques car il serait trop facile d'incriminer une " administration gestionnaire " responsable de tous les maux de la psychiatrie. Les écarts de capacité qui vont de un à neuf, les durées de séjour, le nombre de patients dits " chroniques " ou " inadéquats ", tout cela résulte aussi du dynamisme ou de l'immobilisme des équipes et des responsables institutionnels.

Enfin et surtout le moratoire devra être suivi d'actes visant à destigmatiser l'hospitalisation à temps plein, à promouvoir une image à la fois positive et exigeante du niveau qualitatif requis, à valoriser l'exercice professionnel dans ces unités.

Nous passerons rapidement sur les objectifs sécuritaires du ministre de la santé, tout en ne sous-estimant pas le danger d'assimilation du malade mental à la délinquance, sujet déjà développé par le ministère de l'intérieur.

Quant à la réorientation des missions des C.M.P. et à l'élargissement des horaires d'accueil en soirée et le week-end, tout en concédant que beaucoup d'équipes sont loin d'avoir fait les efforts nécessaires, il faudrait aussi parler de celles qui se sont organisées pour être disponibles au moment où l'usager en a besoin et ne pas occulter la question des moyens.

LA DEUXIEME SERIE DE MESURES ANNONCEES PAR LE MINISTRE CONCERNE " LE DROIT DES SOIGNANTS " QUE JE TRADUIRAI PAR CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE VIE, EFFECTIFS, QUALIFICATION ET RECONNAISSANCE DES PROFESSIONNELS


Il y a quelques années, un présentateur télé débutait le journal de 20 heures par un tonitruant : " La France a peur ! " Aujourd'hui, les professionnels de psychiatrie ont-ils peur ?

S. KANNAS a observé que " la coexistance d'un nombre élevé de patients sous contrainte au même moment, d'un nombre élevé d'admissions, d'un turn-over de plus en plus rapide des patients, d'un taux d'occupation saturé constitue un facteur structurel d'insécurité chronique ".

Nous constatons depuis dix ans la montée en charge des incivilités, des vols, des trafics en tous genres, des violences, menaces et insultes aussi bien à l'hôpital que dans les unités implantées dans la cité.

Cependant, si les violences liées à la pathologie ne sont pas nouvelles ce qui crée un sentiment d'insécurité c'est leur fréquence et leur accumulation. Des soignants hommes sont mobilisés plusieurs heures par jour pour des renforts, allant de pavillon en pavillon.

Cette charge de travail est de moins en moins supportée par les intéressés, d'autant que leur absence fragilise l'effectif restant, essentiellement féminin.

Pénurie infirmière = une fatalité ?

Les " larmes de crocodile " de certains syndicalistes médicaux et soignants, acteurs ou complices de la réforme des études infirmières en 1992 ne peuvent atténuer leurs responsabilités et celles des décideurs politiques de l'époque :

La suppression de la formation spécifique d'infirmier(ère) de secteur psychiatrique, formation rémunérée donc plus attractive,

La quasi disparition des instituts de formation implantés sur des sites psychiatriques,

Le diplôme unique et la polyvalence d'exercice, facteurs de rupture culturelle par perte ou érosion de la transmission du savoir faire,

TOUS CES ELEMENTS ONT CONTRIBUE A LA DEGRADATION DE LA SITUATION, A UNE DESAFFECTION DES JEUNES DIPLOMES POUR UN EXERCICE EN PSYCHIATRIE, A UNE DOUBLE DEQUALIFICATION PAR INSUFFISANCE DE FORMATION ET RECRUTEMENT DE PERSONNELS MOINS QUALIFIES.

Selon l'A.D.E.S.M. (Association Des Etablissements gérant des Secteurs de Santé Mentale) la situation financière s'est largement dégradée ces dernières années. Il n'y a pas de reconnaissance de la spécificité du poids des dépenses de personnel en psychiatrie et les besoins de rééquilibrage sont évalués par l'A.D.E.S.M. à un milliard d'euros. Cette perte de moyens insidieuse et constante nous conduit à un double constat :
1. La pénurie a permis de masquer les difficultés financières …
2. Une évaluation des " postes vacants " basée sur les E.T.P. aujourd'hui " budgétés " ferait l'impasse sur les milliers de postes " gelés " ou disparus ces dernières années.

COMMENT VALORISER L'EXERCICE PROFESSIONNEL DANS LES UNITES D'HOSPITALISATION ?

Si l'on interroge les directeurs de soins chargés du recrutement des infirmiers, ils font état :
- D'une absence de candidatures spontanées pour ces unités.
- D'une volonté " d'en sortir " pour ceux qui y sont affectés.

QUELLES EN SONT LES RAISONS ?

- Absence de projets formalisés, aussi bien pour les patients que pour les équipes.
- Sentiment " d'abandon " de l'intra-hospitalier par les autres professionnels : médecins, psychologues, cadres de santé.
- Pénurie infirmière non résolue malgré les solutions palliatives telles que l'intérim, les médecins étrangers faisant fonction, des aides-soignants recrutés sur des postes infirmiers.
- Effet R.T.T. : absences à tour de rôle sans véritable réorganisation et sans augmentation suffisante des effectifs.
- Sentiment d'insécurité accentué par le manque d'infirmiers masculins.
- Une organisation du travail encore archaïque dans certains hôpitaux qui pénalise les nouveaux arrivants.

QUELLES SOLUTIONS ? AU-DELA DE CELLES QUI CONCERNENT L'ENSEMBLE DE LA PROFESSION INFIRMIERE :

- Un salaire correspondant à une formation BAC + 3
- Une valorisation des métiers soignants non médicaux par une reconnaissance de leur place à l'hôpital. Le projet HOPITAL 2007 MATTEI - DOUSTE BLAZY ne s'intéresse qu'aux médecins et aux directeurs …
- Une politique sociale des établissements (crèches, logements, restauration) au service des soignants et particulièrement de ceux en horaires variables.

IL FAUT VALORISER L'EXERCICE PROFESSIONNEL EN UNITE D'HOSPITALISATION ET JE PROPOSE :

- Une reconnaissance financière des contraintes par une bonification indiciaire liée à l'affectation sur la tranche horaire 07 heures - 21 heures.
- Une augmentation de l'indemnité de travail dimanche et fêtes et son extension au travail le samedi.
- L'instauration d'une mobilité organisée qui permette à chacun des expériences diversifiées sans attendre que les postes soient libérés au bon vouloir de ceux qui les occupent.

POUR CE QUI CONCERNE LES AUTRES PROFESSIONNELS, un scénario catastrophe nous est annoncé pour les psychiatres en 2020, malgré le taux actuel qui serait l'un des plus élevé du monde : 23 pour 100.000 habitants en France, 80 pour Paris !

L'évolution de la démographie médicale est inquiétante, d'autant qu'elle se conjugue pour la psychiatrie publique avec de fortes inégalités de moyens et des zones géographiques désertifiées. Il faut souligner qu'il n'y a pas toujours concordance entre le nombre de praticiens hospitaliers et l'activité médicale mesurée par la file active et le nombre de consultations.

Quant aux psychologues, ils bénéficient d'un tiers temps de formation/recherche mis en question dans le rapport Piel-Roelandt. Il est évident que l'absence de projet de recherche et de justification du temps utilisé par certains sème le doute et pénalise l'ensemble de la catégorie.

Il serait temps, alors que le transfert de compétences est à l'ordre du jour, que les salariés des établissements publics de santé, médecins compris, soient assujettis aux mêmes règles de gestion de leur temps de travail, dans la transparence et le respect des droits et devoirs de chacun.

EN GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE

Est-ce de lits supplémentaires à l'hôpital dont la psychiatrie publique a besoin ? Ou plutôt d'un développement dans la cité de structures sanitaires, sociales et médico-sociales alternatives ou complémentaires ?

Mais le déplacement des temps soignants vers l'activité ambulatoire doit s'accompagner d'une mise à niveau qualitative de l'hospitalisation, avec un personnel qualifié en nombre suffisant, calculé en fonction de la capacité, de l'architecture, des missions des unités et donc de l'intensité des prises en charge.

Ce n'est pas d'une idéologie sécuritaire, d'un lien direct avec les commissariats ni d'une stigmatisation du malade mental que la psychiatrie a besoin. Ces orientations tourneraient le dos à 40 années de sectorisation psychiatrique, d'ouverture progressive des lieux de soins vers la communauté.

Par contre, les établissements ont le devoir, dans la concertation, de mettre en place un contrôle minimal des accès et des fréquentations des sites hospitaliers et extra-hospitaliers.

Les personnels qui le souhaitent doivent être équipés d'alarmes adaptées aux situations et aux services. Une équipe d'agents hospitaliers formés à la sécurité pouvant intervenir en soutien et sous le contrôle des soignants a été constituée dans certains établissements. Un bilan devrait être réalisé et publié.

L'urgence est de pourvoir les postes infirmiers et cadres infirmiers vacants, de retrouver des conditions de travail et de soins décentes et sécurisées, d'intéresser les jeunes professionnels et particulièrement les hommes à exercer en psychiatrie, de donner du sens au travail et des moyens pour l'exercer.

Le plan DOUSTE-BLAZY DE SANTE MENTALE répondra-t-il à ces enjeux ?

Les usagers et les familles, les professionnels sont dans l'attente d'une volonté politique COHERENTE - NOVATRICE - DURABLEMENT ACCOMPAGNEE AU PLAN NATIONAL ET LOCAL.

Il nous faut ici citer Lucien BONNAFE, tirant les leçons de l'histoire de la psychiatrie.

" Le principe est que toute position enclavée, bornée au travail dans ce qui a été institué comme lieu de la mise à l'écart du sujet souffrant ou exportant hors les murs une stratégie de " prise en charge " monopoliste des personnes et des problèmes, reste marquée du sceau de la complicité ou de la soumission à l'égard de l'ordre ségrégatif ".
JEAN-JACQUES MOITIE
Coordonnateur général des soins
Paul Guiraud Villejuif
Mail : jeanjacques.moitie@ch-pgv.fr

Le 24 janvier 2005


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