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Docteur Guy Baillon

Psychiatre des Hôpitaux

 

                                                                                  Paris le 15 mai 2006

 

 

Le rapport sur la loi de 1990 par l’IGAS (inspection générale des affaires sociales) et l’IGSJ (inspection générale des services judiciaires) - mai 2005

 

Il est extrêmement inquiétant de constater que le rapport rédigé en mai 2005 n’a fait l’objet d’aucune réaction officielle. Un an plus tard, mai 2006, nous apprenons par les médias que le ministre de l’intérieur M Sarkozy se saisit de cette proposition pour faire avancer son projet de ‘société sécuritaire’ à la fois pour prévenir tout trouble chez les enfants jeunes, les adolescents, et pour mettre à l’écart toute personne portant des troubles psychiques.

  « Propositions de réforme de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation » Rapport n° 2005 064 par Lopez et Yeni de l’IGAS et n°11/05 par Valdes-Boulouque et Castoldi de l’IGSJ.

Plusieurs remarques préalables sont nécessaires :

Cette mission a été provoquée par le constat de la progression du nombre des mesures d’hospitalisation sous contrainte et par le recours toujours plus important aux procédures d’urgence prévues par la loi de 1990, s’y ajoutait l’inquiétude des directeurs d’hôpitaux (du fait de la condamnation de l’un d’eux pour n’avoir pas refusé la sortie d’un patient délinquant devenu auteur d’un crime).

Cette question est justifiée et en effet tout à fait préoccupante. Rappelons que le Conseil Economique et Social, dans le rapport Joly, avait déjà fait le même constat dès 1998…

 

D’emblée il nous parait inconsidéré de voir confiée à de seuls personnels administratifs et judiciaires une mission concernant l’état de santé psychique de personnes dites malades mentales. Une telle interrogation nécessite en effet le concours ‘complémentaire’ d’une connaissance en psychopathologie, que seule une pratique clinique bien entrainée peut apporter :

-Seule une personne expérimentée en psychiatrie peut insister d’emblée sur la particularité forte des troubles psychiques dans le champ médical, ces troubles sont  le plus souvent méconnus par l’intéressé et par son entourage ; cette donnée doit nous faire réfléchir avant d’affirmer un refus de soin ; au moment précis d’un entretien non préparé et donc brutal en un lieu inhabituel et stressant, les salles d’urgence, la personne prise dans ses troubles, dans son délire par exemple, comprend l’invitation qui lui est faite de se soigner comme une atteinte portée à son intégrité, voire une attaque de son identité, et se révolte. Il ne s’agit pas d’un refus de soin. L’expérience a montré clairement que lorsque les soignants disposent de temps, se montrent proches de la personne qui souffre, et sont capables d’impliquer l’environnement relationnel, les troubles les plus profonds qui empêchent tout dialogue au départ, vont laisser la place à des échanges où le patient va être lui même, au contraire, demandeur de soin. Pour cela il faut du temps et des soignants compétents ; mais cette ‘compétence’ ne se limite pas à la pratique de la ‘psychopathologie’, elle inclut aussi au premier plan la connaissance précise de l’environnement relationnel de ce patient et ses potentialités, ses richesses ; ceci n’est possible que si ces soignants sont dans la proximité.

Sinon la question vidée de son sens, vidée du sens des troubles psychiques, se limite à une discussion administrative et juridique ; alors que l’apparition de troubles psychiques est dans la plupart des cas progressive, elle correspond à la difficulté vécue par une personne et à sa tentative d’expression qui traduit une souffrance dont elle ne comprend pas la nature. Pour s’interroger sur la politique de santé mentale il est insuffisant de se limiter comme point de départ à la seule augmentation du nombre des malades hospitalisés sous contrainte.

-Ensuite cela nous apparait une erreur de méthode impressionnante de penser que l’on peut examiner la question de l’augmentation du nombre d’hospitalisations sous contrainte sans faire le point sur l’ensemble de la politique que le Parlement a choisi officiellement dans le champ de la santé mentale en 1985 ; en effet les hospitalisations sous contrainte n’en sont que l’un des aspects et elles surviennent à des moments particuliers de l’évolution des troubles psychiques qui doivent clairement être précisés, sinon le débat est d’emblée faussé.

-La politique de secteur a transformé le paysage de la psychiatrie en France. Son origine, sa définition, son hypothèse, son application, son organisation, son évolution, ses effets positifs et négatifs, ne sont en rien rappelés dans ce rapport.

-Les troubles psychiques sont de natures variées, ils ne touchent qu’une partie de la personnalité, ils se déroulent souvent tout au long d’une vie selon des modalités variables, non prévisibles où des phases dites stabilisées succèdent à d’autres dites aigues, ils varient en fonction du contexte, des évènements et des traitements, ils s’accompagnent de conséquences sociales handicapantes de façon très variable aussi, tout ceci a été à l’origine de son projet.

-Ainsi après les leçons terrifiantes de la guerre et les espoirs de soins hors tout enfermement et toute hospitalisation, a été retenue la proposition de soins établis dans la continuité, dans la proximité du lieu de vie, et en s’appuyant sur le contexte relationnel ; en utilisant de moins en moins l’hospitalisation et en se servant de moins en moins de l’internement que la loi de 1838 avait créé ; ces soins, il était décidé que ce soit la même équipe qui les distribue pour tous les habitants d’un territoire limité d’environ 66.000h, appelé secteur.

-Cette politique annoncée par une circulaire en 1960, n’a commencé à être appliquée qu’à partir de 1972, elle a entrainé un découpage de l’ensemble de la France en secteurs qui a duré 20 ans. Elle n’a fait l’objet d’une loi qu’en 1985, elle a été accompagnée par l’Etat de 1985 à 1990, date de fermeture du bureau de la psychiatrie au ministère de la santé, mais elle n’a pas fait l’objet de planification ; de ce fait son départ et son évolution ont entrainé des inégalités inacceptables pour un service public ; ensuite elle s’est développée selon les initiatives ou les oppositions des responsables départementaux et locaux, donc de façon anarchique ; dans le même temps la place de l’hospitalisation qui aurait du être fortement reconvertie en différentes formes de soin dans le tissu social, est restée prépondérante, faute de volonté politique pour mener à bien cette reconversion, d’où la persistance d’un poids très lourd de l’hospitalisation dans le contexte actuel.

-Malgré ces insuffisances de soutien par l’Etat, les effets de cette politique, associés aux apports des médicaments et aux diverses psychothérapies individuelles et de groupe, ont été considérables ; la continuité des soins, leur proximité et l’appui par le contexte relationnel ont amélioré profondément les évolutions, vérifiant la pertinence des hypothèses de travail de la politique de secteur.

-Mais la promulgation en 1990 d’une loi, venant ‘toiletter’ la loi de 1838, a marqué un tournant inattendu dans cette évolution, elle a inversé l’effort de reconversion des services hospitaliers, et au lieu de continuer à développer uniquement des soins en dehors des hôpitaux, elle a invité les administrations à soutenir les urgences dans les hôpitaux généraux ; elle a à la fois diminué la dynamique des équipes de secteur et renforcé le poids de l’hôpital.

-A ceci d’autres faits se sont ajoutés, en particulier : la diminution des psychiatres du service public, 800 postes vides sur les 4000 postes, ceci par hémorragie croissante des psychiatres public préférant le privé (où ils sont plus de 9.000), et la perte de formation des infirmiers psychiatriques ; de ce fait un grand nombre d’équipes de secteur sont sinistrées et ne peuvent plus accomplir l’ensemble de leur mission ; l’urgence est de les remettre en état de travailler correctement. Ce rapport aurait du mettre en lumière tous ces préalables.

Car l’ensemble de cette évolution a donc comme conséquences prévisibles un suivi insuffisant des patients, une prévention limitée…et un recours aux urgences plus fréquent.

Ainsi aujourd’hui si le législateur veut réfléchir à l’origine et aux raisons de l’augmentation des hospitalisations sous contrainte (les internements pour être honnêtes), il est dans l’obligation de faire l’historique de ces 50 dernières années, et d’analyser les effets de la politique de santé mentale de l’Etat, les étapes évolutives, les insuffisances d’application.

 

-Mais n’oublions pas de prendre en considération en même temps la force considérable que représente la stigmatisation de la folie dans toute notre société, portée par la peur immédiate de chacun d’entre nous devant une angoisse dont nous ne comprenons pas les raisons et devant tout comportement bizarre ou non contrôlé. Cette stigmatisation s’étend à toute la psychiatrie, à son organisation, à ses acteurs. Ne pas le souligner dès le départ c’est laisser entendre que ce réflexe de peur, viscéral, totalement subjectif, est sans effet sur les rapports entre les hommes. En fait il va donner un statut d’objectivité à la recherche de la dangerosité. Ce réflexe de peur ferme la route à toute prise en compte de la réflexion clinique (on peut penser qu’il a induit la forme de cette mission puisqu’elle n’en tient pas compte). Et rappelons qu’à la fin 2004 les médias se sont appliquées après le drame de Pau à dresser un tableau désastreux des maladies mentales et de leur traitement, et ont entrainé la société entière à se fixer sur la sécurité, ce qui est l’état d’esprit dominant de ce rapport.

 

-Enfin, un dernier préalable, le compagnonnage entre administratifs et professionnels de la psychiatrie doit permettre de jeter un regard de synthèse sur un certain nombre de réflexions et de travaux portant sur les liens entre psychiatrie et société de personnes qui se sont déjà penchées sur ces questions, au moins depuis 1800, date de naissance de la psychiatrie. La psychiatrie ne saurait être comprise dans sa complexité que si l’on fait l’effort de se reporter à son histoire, il serait imprudent d’ignorer que ces questions précises ont déjà été longuement débattues. Une bibliothèque minimum comporterait :

-le rapport de psychiatrie sur la chronicité au Congrès de Neuropsychiatrie en 1964 par Bonnafé, Le Guillant et Mignot (chez Masson)

-les trois tomes du Livre Blanc de la Psychiatrie française, (1965-6-7), chez Privat

-les livres de Gladys Swain et Marcel Gauchet : Le sujet de la folie, La pratique de l’esprit humain, Dialogue avec l’insensé

-les livres de Françoise et Robert Castel : La société psychiatrique avancée

-Histoire de la psychiatrie de secteur- Le secteur impossible, Revue recherches n°17 de mars 1975

-Le rapport Demay de 1983, aux archives de l’Etat, car non publié !

-les livres de Francis Jeanson : Eloge de la psychiatrie, et en 1987 La psychiatrie au tournant

-le rapport Joly du Conseil Economique et Social de 1998.

Nous n’avons noté que deux références dans texte étudié ici.

Toute la question des liens entre aigu et chronique est fondamentale y est abordée (leur séparation est en réalité impossible, ce sont les mêmes malades à des moments différents).

La question de la loi de 1838 a fait l’objet de très nombreux travaux : les réflexions de Mignot et Bonnafé sont essentielles (auteurs du rapport de 1964, acteurs du Livre Blanc de 1965, ainsi que de la Commission Demay de 1983), ils ont affirmé que toutes les tentatives ‘d’amélioration’ de la loi de 1838 ne pourraient que renforcer les mesures de coercition et d’enfermement, à chaque fois aggravées par toute tentative nouvelle de pseudo amélioration de la mesure législative, car elles cherchent à objectiver le fou, à les classer, alors que la folie est toujours partielle, évolutive, dépendant constamment du contexte et de ses variations, comme des variations de la personne. Ils refusaient la promulgation de toute loi spécifique et demandaient l’abrogation de la loi de 1838.

Une conclusion forte nait de ces préalables : la loi spécifique sur l’internement (appelé hospitalisation sous contrainte) ne saurait être examinée hors la prise en compte de l’ensemble des dispositions prises en matière de politique de santé mentale, elle en est indissociable.

Quand aux quelques cas exceptionnels qui doivent faire l’objet de mesures de contrainte, ils seront soumis à une procédure ‘complexe’ et lourde qui aura pour effet de les limiter.

 

Introduction

(le texte du rapport est en italique) (pagination du texte est celle du ministère de la santé) (tout ce qui est souligné l’est seulement par nous.)

 

p 3« progression du nombre des mesures d’hospitalisation sous contrainte doublé en 10 ans »

p 4 « avec la loi fondatrice de 1838, la personne atteinte de troubles mentaux est considérée comme un malade nécessitant des soins » En réalité l’histoire montre que cette loi concernait les malades ‘curables’, mais ne s’intéressait pas aux incurables !!!

Ceci est confirmé par les rapporteurs à leur insu deux lignes plus bas « pour les médecins qui ont inspiré cette loi, le fou est un malade qui peut guérir », mais les rapporteurs n’en tirent pas de conclusion (les ‘curables internés’ étaient bien plus nombreux que les incurables, ceux ci étaient laissés pour compte à cette époque, ce n’est que bien plus tard que l’asile rassemblera ‘tous’ les malades, et alors surtout les incurables, la fonction de l’asile ayant changé, il devait ‘protéger la société’) ; de plus cette phrase recèle un contre sens qui montre que nos missionnaires n’ont pas été ‘accompagnés’ dans leur lecture du livre cité pourtant remarquable ( celui de Gladys Swain et Marcel Gauchet dont le travail est réduit ici à une seule phrase, et décapité, sans que soit soulevée la contradiction que ces auteurs élèves de Michel Foucauld vont porter à leur maitre) ; pour ces auteurs la grandeur du couple Pinel - Pussin en créant la psychiatrie a été d’affirmer que ‘’la folie complète n’existe pas, et que chez toute personne dite malade il y a une part consciente (saine) à côté de la part troublée’’.

Nos missionnaires commettent non seulement un contre sens, mais vont réduire l’histoire de la psychiatrie à une affirmation ‘décapitée’, « le fou est un malade qui peut guérir ».

Ensuite on reste stupéfait que ce regard sur l’histoire saute et passe de 1838 à …1990 ! et que surtout pas un chapitre ne soit consacré au début à la ‘‘révolution’’ de la psychiatrie de secteur, ses origines, les horreurs de la guerre, ses 40.000 morts de faim dans les asiles, seuls lieux où la famine a sévi pendant 2 à 4 ans en France, alors que leur mission était de les ‘protéger’, l’analogie qui fut faite entre la vie dans les camps de concentration et la vie dans les asiles, l’intérêt porté aux soins donnés hors des asiles depuis les années 1920. La volonté de promouvoir une psychiatrie qui soit respectueuse de l’homme, et qui s’appuie sur une compréhension du soin basée sur les conditions où peut s’établir une « rencontre » humaine, avant l’établissement d’un diagnostic et d’un traitement, car c’est sur cette attitude que tout soin doit se construire… ‘’ ; et le lent et profond travail de transformation des idées reçues, de modification des habitudes de travail, de défrichage d’un nouveau terrain auquel les milliers d’acteurs de la psychiatrie n’étaient pas préparés, et qui avait comme but de soigner humainement dans la Cité, en évitant de plus en plus l’internement

Il ne se serait rien passé entre 1800, date de la découverte de la psychiatrie, 1838 date de la loi sur l’internement pour les patients curables… et 1990 date du ‘toilettage’ de la loi de 1838 !

 

- Première partie : « La loi du 27 juin 1990 données juridiques et statistiques »

1.1.A propos de ce cadre juridique, rien n’est rapporté de tout le travail de réflexion qui s’est déroulé sur la question du refus de la spécificité d’une loi pour la psychiatrie entre 1945 et 1983 (date du Rapport Demay qui l’avait résumé). L’accord des psychiatres évoluait vers une loi non spécifique et l’abrogation de la loi de 1838 (il n’en est pas fait mention).

1.1.1 « Affirmation du droit des patients »

1.1.1.1 « le malade hospitalisé avec son consentement dispose de mêmes droits que ceux reconnus à tout patient : il est question de la ‘novation’ de la loi de 1990 qui ‘consacre’ l’hospitalisation ‘libre’ » (en effet, on affirme que cette hospitalisation devrait être considérée comme dans le reste de la médecine…ce dont l’administration doutait donc encore !)

1.1.1.2 « restrictions aux …libertés individuelles »

« La mesure de contrainte, qui représente une atteinte sévère à la liberté individuelle, doit donc être nécessaire, proportionnelle au danger encouru et non susceptible d’être remplacée par une mesure moins radicale »

Ainsi au détour d’une phrase, l’affirmation la plus contestable, mais dont tout va ensuite dépendre, arrive sans discussion aucune, comme un fait évident, réel et irréfutable, le « danger » est imposé, associé à ? la maladie (ce n’est même pas précisé).

C’est pour cette raison que l’absence de préalable et de prise en compte de l’histoire de la psychiatrie nous engage dans une discussion décapitée de l’essentiel. Il ne sera plus ensuite question que de la façon de lutter contre le ‘‘danger’’ de la maladie mentale. La crainte de ce danger est même accentuée. Aucune discussion sur la nature de ce danger, ses conditions de survenue, est ce la personne ou la ‘situation’ qui est dangereuse ? cela mérite réflexion.

Continuons notre lecture :

1.1.2 « l’hospitalisation sous contrainte et ses conditions »

… « la procédure d’HDT est mise en œuvre lorsque les troubles rendent impossible le consentement du malade et que son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier », et les auteurs du rapport omettent de montrer que ces affirmations vont se faire sur le terrain de la façon la plus variable possible…tout dépend des hommes et de leur jugement…mais ici tout est affirmé comme étant des faits solidement ‘objectifs’.

De même lorsque l’on évoque les médecins certificateurs, on prolonge la disposition de la loi de 1838 qui écartait tout médecin travaillant dans l’hôpital concerné ; sans tenir compte qu’aujourd’hui le lien thérapeutique a largement supplanté la crainte que le médecin n’ait un intérêt financier à augmenter le nombre de malades hospitalisés… ; il serait utile au contraire que le thérapeute (de secteur) puisse assurer ce suivi par cette mesure ; on ne tient donc pas compte de l’évolution du contexte sous l’influence de la psychiatrie de secteur.

1.1.2.1  « Pour les certificats suivants » certes on parle de médecins de l’établissement, mais on ne fait jamais mention des médecins du secteur où est suivi le patient ; cela montre bien que cette loi de 1990 et sa relecture « ignorent la politique de secteur », …sauf  p10  pour évoquer la sortie d’essai ! (seul moment où l’on s’appuie sur l’équipe de secteur !)

Notre espoir renait p 12 et 13 car, à propos des mineurs !!! (mais seulement) est rappelé « l’article 1111-4 où le médecin n’est pas ‘dispensé’ de rechercher le consentement personnel s’ils sont aptes à exprimer leur volonté et à participer à la décision ».

Et dans 1.1.3 est rappelé que « l’hospitalisation sans consentement est une atteinte importante aux libertés individuelles…se pose alors la question de l’indispensable conciliation entre respect des droits des malades et devoir d’assistance ».

Pourquoi cette question fondamentale est elle abordée ‘en cachette’ ici, seulement pour les mineurs ? ‘en cachette’ car elle ne sera absolument pas discutée.

1.2 « Les données statistiques »

Les rapporteurs constatent que « les hospitalisations sous contrainte étaient de :

-46.400 en 1971 et elles vont diminuer avec le début de la psychiatrie de secteur

-27.400 en 1982, et en 1990, mais au lendemain de la loi de 1990, elles vont doubler leur chiffre de 1971.

-72.519 en 2001 (portant surtout sur les HDT) »

1.2.1.2 « Les mesures d’urgence deviennent l’ordinaire », -12% des HDT en 1992, -40% en 2001.

1.2.1.3  « La situation est très contrastée selon les départements », mais n’est pas analysée.

Ce qui à l’évidence met en valeur le ‘facteur humain’ des décisions (même organisation, même réglementation, alors que les hommes ne sont pas les mêmes), mais cette remarque n’est absolument pas évoquée par les rapporteurs ni ici, ni dans le reste du rapport,

p 20 ici cependant dans le panier, où sont rassemblées pêlemêle les interprétations de ces faits, est évoquée enfin la diminution des moyens de la psychiatrie, la baisse de la démographie médicale…qui « auraient !!! pour conséquence une diminution des activités de prévention et du travail au plus près de la communauté qui peuvent éviter la survenue de ‘certains états de ‘crise’ ».

Mais manifestement les auteurs n’y accordent aucune importance et ils ne chercheront jamais à connaître les raisons de ces diminutions, ni n’aborderont l’éventualité de les réparer…, pire une critique est reprise accusant de nombreux services de psychiatrie « d’écourter » les hospitalisations, ce qui serait à l’origine des ‘rechutes’. La question de justifier de la nécessité de recommencer une HDT ou pas lors de la rechute, n’est absolument pas étudiée.

1.2.2.2 Une remarque ‘psychopathologique’ brutale ici :« les troubles schizophréniques et délirants représentent 50% des malades hospitalisés sans leur consentement ; les troubles liés aux conduites alcooliques et à la toxicomanie 12,6% ; les psychoses maniaco-dépressives 12,5% » on aurait enfin pu rapprocher ce fait, un délire, de la réalité alors d’un ‘refus de soin’

1.2.2.3 « Les malades hospitalisés sans leur consentement sont plutôt isolés socialement : 7% HDT, 12% HO »

1.2.3 « conditions d’admission »

1.2.3.1 « pour les HDT le tiers est le plus souvent membre de la famille : 85% »

1.2.3.2 « la durée de séjour est plus longue sous contrainte que pour l’hospitalisation libre : 60 j HDT, 95j HO, 52j HL » tout fait non analysé.

 

IIème Partie : « Forces et faiblesses du dispositif d’hospitalisation contrainte »

2.1    « forces et avancées »,

« comme cela a été souligné, la réforme de 1990 a été portée tant par l’évolution institutionnelle que par celle des pratiques thérapeutiques », 

cette phrase est extrêmement troublante elle a l’intérêt de montrer l’importance du quiproquo engagé entre administratifs et professionnels : pour les administratifs l’évolution ‘institutionnelle’ semble être limitée à la décision de l’hospitalisation sous contrainte laquelle selon eux a changé ; mais pour les professionnels, le fait que cette contrainte soit accompagnée par deux certificats au lieu d’un, ne change rien au fait que nous savons que le soin va s’installer dans la contrainte, et cette contrainte reste le fait grave et limitant l’approche thérapeutique. Au contraire interpréter tout ‘non consentement’ comme un ‘refus de soin’, comme le font ici les administrateurs et sous la seule évocation de la dangerosité est une aggravation du système antérieur. Enfin les mesures de contrôle ne sont que confirmations de cette contrainte, et ne représentent en rien des ‘changements institutionnels’.

La vraie modification institutionnelle, et le grand changement des pratiques thérapeutiques a été instauré par la politique de secteur…changement complexe, très ample, profond, dont il n’est absolument pas question dans ce paragraphe ni dans l’ensemble du texte (on a pourtant vu la baisse d’hospitalisation considérable de 1972 à 1990 entre autre, pas appréciée ici).

Le quiproquo est majeur et navrant : ainsi pour les missionnaires la « contrainte » serait ‘thérapeutique’, alors qu’il est évident qu’elle a un effet inverse : elle bloque l’approche thérapeutique là où l’important c’est que naisse le désir de soin chez le patient.

Pour les professionnels l’institutionnel n’est pas représenté par l’obligation de soin, mais se situe au contraire dans le travail relationnel qui permet dans un établissement l’implication de chaque personne, ici les patient aux côtés des soignants, pour ‘s’engager’ dans le partage des tâches utiles à la vie quotidienne, ainsi que dans le choix et l’organisation des activités… Ceci ne saurait se faire sous la contrainte ; quant aux pratiques thérapeutiques de la psychiatrie de secteur c’est leur variété adaptée à chaque trouble qui est pertinente, psychothérapies individuelles, de groupes, partage de différentes activités devenant des ‘intermédiaires’ pour dépasser des relations complexes...

Mais tout ceci est évidemment hors de question à l’intérieur d’un établissement réglé par la contrainte et la surveillance…les rapporteurs n’évoquent pas ces réalités des soins.

2.1-« La loi s’inscrit dans une logique sanitaire rénovée », allusion obscure : ce rapport ou ?

2.1.1-rénovée, (une fois de plus la politique de secteur n’est pas même mentionnée, alors que son effet est considérable : elle a démontré que le recours à la contrainte est de moins en moins utile, lorsque le travail de soin et de prévention se développe dans le tissu du secteur).

« Le cadre juridique de l’hospitalisation sous contrainte est largement inspiré par le souci de faciliter l’accès aux soins…Ainsi les notions d’hospitalisation et de trouble mental se sont substituées à celle de placement et d’aliénation. Le texte ne fait plus référence à quelque acte ou accès de démence ».

Il est surprenant que l’administration se soit laissée prendre au piège des mots qu’elle inscrivait dans cette loi. Ces mots étaient donc chargés de modifier la réalité et de diriger la conduite des hommes ! C’est bien cette illusion qui a prévalu en 1990 puisque le ministre de l’époque l’avait décrite comme un simple « toilettage » de la loi de 1838. La fréquence de la contrainte n’a en rien été diminuée après, au contraire elle a été doublée…et pour une raison toute simple : la procédure étant simplifiée, elle est devenue beaucoup plus accessible qu’avant à tous ceux qui pour quelque raison veulent s’en servir pour organiser un soin sans consentement pour une personne que l’on présente comme refusant ses soins !!!!.

2.1.2 « Droits et libertés individuelles reconnus et dignité affirmée »,

2.1.2.1 « en consacrant l’hospitalisation libre, fondée sur le consentement du patient, la loi accorde au ‘malade mental’ les mêmes droits que ceux reconnus à tous les patients… » ; ainsi le texte considère le malade mental comme une catégorie d’hommes à part à qui la loi fait une fleur, celle ‘d’accorder’ les mêmes droits qu’aux autres patients ; on voit que les administrateurs restent influencés par la stigmatisation de la maladie mentale,

« la loi affirme le principe du libre choix du médecin et de l’établissement » cette affirmation montre qu’il n’y a eu aucune réflexion sur la pratique inverse apportée par la psychiatrie de secteur, basée sur la nécessité de la ‘continuité des soins’, donc la continuité du lien avec le même médecin, et c’est d’ailleurs un vrai problème : actuellement les patients n’ont dans le concret, pas plus que leur entourage, aucune possibilité de choisir un service d’hospitalisation, il sera celui de leur lieu d’habitation, et là ils n’ont aucun accès, non plus, au choix du médecin (il y a donc là une vraie contradiction entre les principes et la pratique dans la psychiatrie actuelle, les familles s’en plaignent beaucoup, et il serait juste de provoquer un vrai débat à ce propos). Mais les administrateurs qui n’ont aucune pratique du terrain ne relèvent pas cette contradiction. Ils ne comprennent pas que leur discours s’en trouve ainsi totalement dévalorisé. Car cette impossibilité des patients et de leur famille à intervenir n’est pas administrative, elle est psychique : ‘ils n’osent pas’ demander de changer! Et changer ne serait pas positif. Mais il serait utile d’en débattre suffisamment.

2.2-« Les faiblesses »,

2.2.1 « une réponse sanitaire souvent peu pertinente et insuffisante »,

2.2.1.1 « la prévention dont l’intérêt est sous estimé »,

Enfin ! il est enfin question de la psychiatrie de secteur est citée en quelques lignes ‘la’ circulaire du 15 mars 1960 (ils omettent de préciser qu’il y avait ‘deux’ circulaires, la seconde portait sur la nécessité de faire évoluer l’hôpital simultanément, mais nous savons que c’est l’hôpital qui continue à régner aujourd’hui sur la psychiatrie de secteur) ; et il y a eu ensuite au moins six autres circulaires tentant de généraliser son application, sa légalisation n’étant survenue qu’en 1985…ce qui veut bien dire que sa réalisation rencontrait de très nombreux obstacles, en particulier la résistance de toute l’architecture administrative hospitalière…mais rien n’en est dit, en dehors d’un prétendu constat de sa non pertinence et de son insuffisance, affirmé en deux lignes sans en analyser les raisons, sans convenir qu’elles sont complexes, et que l’Etat en est profondément responsable, ne l’ayant accompagnée que pendant la courte période de 1893 à 1990, depuis elle doit se développer dans l’anarchie…

2.2.1.2 « la mauvaise gestion de la crise et du transport du patient vers l’hôpital », « un des temps cruciaux de l’hospitalisation et une des garanties à l’accès aux soins est la possibilité de trouver rapidement un moyen de transport vers le lieu d’hospitalisation. …La pression exercée sur le malade peut entrainer de sa part des réactions violentes…A ce stade de la ‘crise’… ».

Nous arrivons ici au comble du contresens humain, devant l’absence de respect pour la personne qui souffre et qui ne comprend pas ce que l’on fait autour d’elle. En même temps cette affirmation est bien la conséquence de nos remarques préalables où l’administrateur avance sans comprendre que la qualité relationnelle est rendue complexe du fait de la souffrance de la personne et de ses capacités réduites à ce moment de participer, d’échanger et de s’exprimer. Pour l’administrateur il n’y a aucune hésitation : le malade peut avoir des réactions violentes (qu’il est nécessaire d’éviter par un transport rapide, et il faudra trouver l’astuce qui « va contraindre le malade à monter dans le véhicule alors qu’il n’est pas sous contrainte »), il faut ‘gérer la crise’ (comme on ‘gère’ un budget ! et la souffrance est réduite à une ‘crise’, sans aucune hésitation, ni aucune interrogation), (le rapport ne nous indique pas ce que c’est qu’une ‘crise’, il ne révèle pas que cela n’a pas de sens précis en psychopathologie ; ce terme est très général emprunté autant à l’économie, qu’aux relations personnelles ou internationales ; il laisse sous entendre une ‘acuité’ dans le déroulement d’un processus, mais ne désigne rien de précis ; cependant le voici désigné comme la pierre angulaire de toute décision et de sa ‘gestion’…c’est une psychopathologie administrative !)

2.2.1.3 « le tiers incertain »,

« lorsque les troubles de la personne rendent impossible son consentement aux soins... » cette affirmation est faite encore sans tenter de comprendre quelle est la nature des troubles, et comment on arrive à un ‘non consentement’ aux soins ; il n’est pas dit (ce que l’expérience clinique confirme tous les jours avec force, en particulier dans le travail d’Accueil, ignoré des inspecteurs !) que si on s’entoure de calme, si surtout on prend tout le temps nécessaire, si on multiplie les rencontres, si l’on travaille avec la famille, les proches, si l’on contacte les soignants et le généraliste qui connaissent cette personne, le climat de la relation change, au point que certains troubles s’apaisent sans que l’on ait eu recours à aucun traitement supplémentaire à ce temps psychothérapique immédiat qu’est la rencontre,

« la demande d’hospitalisation sous contrainte peut être formée par ‘un tiers’…or celui ci est souvent difficile à trouver… », le sens qu’avait la recherche d’un tiers n’est pas rappelé : c’était tisser des liens humains pour ‘accompagner’ le traitement, il n’en est rien dit ici,

2.2.1.4 « des modalités de prise en charge insuffisamment diversifiées », ainsi en quelques lignes un sort est fait aux insuffisances de la psychiatrie de secteur selon des analyses faites de ‘moyenne’ qui ne tiennent pas compte du fait essentiel que les moyens étant très mal répartis les résultats de l’activité des secteurs sont très variables, ici très satisfaisants, là difficiles. Ce point est pourtant essentiel, car il montre que les difficultés ne sont pas en lien avec de mauvais protocoles de la loi de 1990, mais ici avec une aisance professionnelle de l’application de la politique de soin dite ‘de secteur’, et à côté avec des difficultés en rapport avec les précarités de moyens et de fonctionnement des autres équipes.

La seule solution évoquée est « l’observation du malade en hospitalisation », ce qui est renverser l’ordre des actions qu’il y a à faire…il faut améliorer l’application du secteur.

2.2.1.5 « Le libre choix de son médecin n’existe pas », constat exact, mais qui justifie une réflexion d’ensemble sur la nature des troubles psychiques (le patient ‘psychique’ établit constamment des ruptures avec son passé et disqualifie tous ses liens antérieurs afin de se mettre hors d’atteinte dans le petit espace de son monde propre qu’il s’est construit : nous le savons, c’est une donnée de base) ; et cette réflexion devrait aussi porter sur la proposition faite par la politique de secteur que la même équipe de soignants soit le garant des soins dans la continuité au fil des années du développement de ses troubles…C’est là la découverte fondamentale de la psychiatrie de secteur. Elle n’est pas présentée ici une seule fois. …

2.2.2 « Faible effectivité des garanties reconnues aux personnes atteintes de troubles mentaux ».

Les six pages suivantes déclinent cette ‘faiblesse des garanties’, sans comprendre que comme tout a été mal engagé dès le début de ce rapport, car ce ne sont pas des mesures de ‘garantie’ qui vont pouvoir modifier l’état d’esprit du patient …qui se vit violenté, contraint, et qui n’a comme ressource, appui, protection que la conviction de ses idées délirantes face à un monde qui se montre constamment hostile et incompréhensible.

2.2.3 « L’efficacité du dispositif doit être amélioré dans le domaine de la sureté des personnes »,

« les fugues » sont reconnues comme nombreuses ; elles apparaissent aux auteurs comme étant un « risque de voir apparaître un comportement dangereux » ce qui voudrait dire qu’il faut absolument lutter contre elles et y mettre fin…On pourrait alors s’attendre à une accélération du processus de dangerosité qui aurait été confirmé par la mise en placement d’office de ces patients ayant commis une fugue alors qu’ils étaient en HDT… En fait il n’en est rien. Il n’y a donc pas d’aggravation…Cela veut pourtant bien dire que la ‘dangerosité’ supputée au départ est bien mal analysée, bien mal appréciée…et non réelle !

 

IIIème partie « Les propositions »

« Il faut faire la distinction entre les dysfonctionnements imputables aux dispositions législatives et ceux tenant aux modalités de leur mise en œuvre ».

Mais il n’est rien dit sur la politique de santé appliquée officiellement par l’Etat français et qui règle le quotidien du service public : la politique de  secteur. Cet a priori est d’une gravité exceptionnelle : car les faits évoqués ici sont la suite des difficultés d’application de cette politique établie de façon si inégale sur le territoire français ; politique basée sur le respect de l’homme, sur le travail de liens à établir à chaque fois avec son environnement relationnel ; on évite de faire l’analyse des raisons de cette mauvaise application (et pour cause car elle mettrait en évidence la responsabilité essentielle de l’Etat). Et l’on veut résoudre les problèmes des soins psychiques par des mesures de contention qui dans l’esprit et dans la pratique sont en contradiction totale avec la politique de secteur. Rappelons que la psychiatrie de secteur veut déployer une équipe pluridisciplinaire dans le tissu social d’un secteur de 66.000 habitants en proposant des modalités de soins variés depuis les entretiens jusqu’aux activités médiatrices de relations, dans des espaces variés allant de la consultation à l’hospitalisation temps plein, mais en réduisant les hospitalisations à des séquences courtes et rares (ce que les chiffres confirment), et en quittant ces espaces de ségrégation et de bannissement que sont les grands hôpitaux. Cette présence variée en ville, permet au fil des années de prévenir les troubles aigus et de commencer à les soigner très tôt dans leur évolution grâce à une implication plus précise de l’entourage ; elle permet d’accompagner au long de leurs troubles les patients ayant une pathologie dite lourde en montrant que leur intégration sociale est de plus en plus possible, alors que la multiplication des hospitalisations et des soins sous contrainte laissent des traces de ségrégation et de stigmatisation qui vont au contraire à chaque fois entraver un peu plus cette vie sociale.

La loi de 1990 et ce texte suivent une toute autre inspiration : il est affirmé sans discussion qu’il y a des patients qui ‘refusent’ les soins ; donc pour les rapporteurs il n’y a qu’une solution à envisager : il faut leur ‘imposer’ ces soins, certes en étant aussi attentifs que possible aux formes de cette contrainte ; en offrant un maximum de ‘garanties’, mais sans comprendre qu’est nié tout le travail de la politique de secteur ; celui ci a démontré que l’on peut dans une majorité de situations avec du temps, de la compétence et l’appui de l’entourage dans une vraie ‘continuité’, obtenir l’adhésion du patient à la compréhension de ses souffrances et l’intérêt à des soins divers. La réalité de la ‘crise’ (sans explication ) est affirmée, l’éventuelle ‘dangerosité’ donnée comme argument assez convaincant pour éviter toute démonstration aussi. Le point fondamental de la psychiatrie qui est que la personne qui souffre de troubles psychiques ne peut évoluer que si elle est consciente de ses difficultés, que si elle même a envie de changer, et que si elle même veut le faire, ce point de vue clinique ‘fondamental’ n’est pas pris en considération. Les auteurs affirment que la force, les médicaments, l’éducation vont amener la personne à changer, (même si en même temps elle se trouve diminuée de sa qualité d’homme, du respect de la personne humaine).

Le comble est p 47 : 3.3.1.2 de dire pourtant que « la contrainte peut n’être qu’un cadre symbolique », voilà le patient redevenu une personne, le temps d’un éclair ! sans suite.

Hélas ! Plus bas il est dit « la menace d’avoir recours à une nouvelle hospitalisation en cas d’arrêt du traitement prescrit pourrait être jugée comme suffisamment impressionnante…mais on constate qu’avec le temps la menace s’estompe…alors plaçons le traitement en référence à la loi, son objectif, la contrainte,… comme ressort principal…» .

3.3.1.4 « Dissocier l’obligation de soins de la modalité du soin... » constitue la grande proposition de ce rapport, affirmée sans préparation, et dont les conséquences sont considérables car elles vont changer de fond en comble le rôle et les attributions du service public en l’alignant sur le privé ; elle s’applique aux « divers lieux de prises en charge de l’obligation de soins » :

« -centres hospitaliers : contrainte encore »,

-« cliniques privées » (elles ne sont actuellement que 2 à 4 à pouvoir assurer des hospitalisations sous contrainte) « il est proposé qu’elles soient toutes autorisées à assurer la contrainte, certes en s’entourant des ‘garanties’ classiques ».

Ainsi en un tour de main la spécificité de la psychiatrie de service public est étendue au privé, -qui a des intérêts financiers d’un tout autre ordre que le service public ; dans le privé il faut rentabiliser à tout prix, donc on n’aura aucune gêne à augmenter le nombre de mesures de soins sous contrainte, puisque cela améliorera les finances de l’établissement privé.

Et là il faut insister sur le renversement des fameuses ‘garanties’ des mesures de traitement sous contrainte : puisque dès le départ ce qu’il est convenu de prendre en compte, ce n’est pas le trouble psychique et sa spécificité, ce n’est pas la qualité d’écoute, d’engagement, de disponibilité du psychiatre et des soignants, ce n’est pas l’implication diverse et évolutive de l’environnement relationnel de la personne ; ces garanties c’est seulement le mode de réaction du patient, celui ci va réagir selon le climat, l’ambiance, selon l’attitude des soignants, on interprétera toutes ses réactions ‘non positives’ …comme un refus de traitement ; et ceci pourra se renouveler tout le temps tout au long des mesures de contention si le patient ne se sent pas suffisamment à l’aise. Toutes ces ‘pseudo- garanties’, à partir du moment où le lien initial est faussé, ne pourront que « justifier » les premières interprétations de refus de soins.

C’est ce mouvement basal se répétant et invitant toujours à resserrer plus la mesure première qui avait fait dire à nos maîtres qui ont élaboré le projet de la psychiatrie de secteur Mignot, Bonnafé, Daumezon, Bailly-Sallin, Ayme, Rappart et tant d’autres…, que toute tentative d’amélioration de la loi de 1838 aboutirait à un système plus contraignant et moins respectueux de l’homme que le précédent.

-« les institutions médico-sociales, sociales ou les alternatives à l’hospitalisation…

La même logique de soins sous contrainte peut être appliquée à des patients pris en charge dans ces institutions telles que les maisons de retraite...

Elle s’applique également au secteur social ou aux alternatives à l’hospitalisation » !

Ainsi la contrainte n’aura donc plus de limites spatiales…

Et ces affirmations arrivent ‘sèches’ sans discussion ni commentaire, comme si elles étaient une vérité d’évidence (en fait c’est cohérent avec les présupposés, non cliniques, que nous avons examinés au début de ce texte).

Mais le tour de force est ainsi en cours d’un texte apparemment inoffensif d’arriver à détruire totalement le service public de psychiatrie et la psychiatrie de secteur, ce que doucement mais surement va confirmer la suite du texte.

 

3.3.2 « créer les conditions d’une prise en charge de courte durée de 72 heures au plus ».

Nous ne reprenons pas la discussion de cette proposition déjà ancienne, datant d’une dizaine d’années, faite encore à partir de l’expérience abstraite du travail dans des bureaux administratifs, mais qui ne tient pas compte ni de la clinique variable des différents patients à différents moments de leur évolution, ni de la nécessité de la proximité des lieux de vie pour faire impliquer l’entourage ; surtout cela ne tient pas compte du temps variable et souvent long (en jours, semaines au moins) nécessaire pour que les patients évoluent et soient accessibles à la qualité relationnelle qui leur est proposée dans les échanges avec les soignants ; ce n’est qu’après qu’ils demandent eux mêmes des soins.

Et il est clair que l’imposition de cellules ‘72h’ revient à mettre dans toutes les urgences des hôpitaux généraux un nombre de soignants de psychiatrie important qui sera ainsi enlevé et détourné du travail de terrain dans le tissu social où il aurait pu prévenir les troubles ; d’autant que ces structures seront ‘intersectorielles’ pour 3, 6, 12 secteurs… : ce qui est confirmer la fin de la politique de secteur.

 

3.3.3 « revoir les certificats médicaux », limitons nous à souligner que la signature d’un certificat par un généraliste revient à inviter à la barre un acteur de la médecine qui n’a habituellement reçu aucune formation spécifique, et qui est même entrainé par la médecine à craindre et écarter les patients psychotiques.

3.3.4 « Le tiers »,

« la mission propose de maintenir l’intervention d’un tiers…mais compte tenu des difficultés à le trouver, ...de désigner un curateur à la personne… ».

Ainsi à la notion de tiers qui avait pour but de construire un accompagnement de la personne dans le dédale des soins et de s’appuyer sur des liens humains… on substitue des obligations administratives ou judiciaires,

car « ce mécanisme impliquant l’intervention de l’autorité judiciaire est de nature à faciliter l’accès aux soins tout en garantissant les droits des malades ».

Nous sommes de plus en plus dans le quiproquo : on se demande bien de quel soin nous parlons ici. Un soin psychiatrique étant basé sur la construction d’une relation thérapeutique faite de liens humains et de confiance, on est tenu de s’interroger sur la confiance qui peut exister dans la contrainte, alors que la confiance en l’autre est la plus forte des garanties que l’on puisse souhaiter, mais celle là est écartée…

Et ceci va très loin puisque ce texte va jusqu’à préciser que « le curateur à la personne pourrait même être une personne physique ou morale » ; nous voici replongés dans l’anonymat et l’impersonnel qu’avait savamment construit l’ ‘asile’ (l’inverse de la psychiatrie de secteur).

 

3.3.5 « La gestion de la crise et l’organisation des prises en charge hospitalières ».

Rien n’est toujours dévoilé sur la nature de la crise, ni pourquoi ce terme de gestion est employé, il n’a de sens que pour une répartition budgétaire.

Ici le domicile du patient est reconnu comme une base de rencontre essentielle pour le soin, mais comme l’autorité de santé aurait affirmé dans un texte d’avril 2005 qu’il existe peu de données sur le soin à domicile, on fait comme si ce travail n’existait pas. Cette affirmation est consternante : la plupart des équipes de secteur interviennent aujourd’hui à domicile, certes selon des modes et des intensités très variables. Mais puisque ce travail à domicile n’a pas fait l’objet d’un « protocole » (mais peut on parler de protocole aussi pour un entretien ?), c’est comme s’il n’existait pas ! Ici encore la méconnaissance de l’activité quotidienne des soignants est navrante ; témoin une fois de plus que nos inspecteurs n’ont pas de connaissance concrète de la pratique psychiatrique.

3.3.5.2 « Le transport est réglé par une protocole national » bien sur,

3.3.5.3 « l’accueil du malade aux urgences » et

3.3.5.4 « la prise en charge en milieu hospitalier »,

ces propositions montrent clairement que l’on a complètement court-circuité le travail de secteur, son temps, sa variété et la pluralité des réponses qui apparaissent au fur et à mesure du processus thérapeutique. Le rapport lui substitue un ‘protocole’, sans faille (ni discussion) qui va en plus, et c’est le bouquet, être « intersectoriel »…ce qui annule et écarte toute la richesse et la réalité des liens de la personne avec son entourage. Cela est très grave et écarte le secteur.

 

3.4 »Renforcer les droits et libertés ».

3.4.1

3.4.2 « Protocoliser la décision de contraindre ».

Nous sommes enfin là arrivés au stade maximal de la « machine administrative » qui va ‘produire’ de l’administratif, de plus en plus éloigné de l’humain…

Ce que les pages suivantes vont vérifier, vérifier, vérifier, vérifier… encore vérifier.

 

3.5 « Mieux prendre en compte les impératifs de sécurité »,

c’était bien de cela qu’il s’agissait en premier,

3.5.1 « Définir la conduite à tenir en cas de non respect d’une obligation de soins, ou de transport d’un malade non consentant aux soins »,

« il y a une contradiction à pouvoir, d’un côté, prononcer une obligation de soins et, d’un autre côté, à ne pas se doter des moyens de contraindre. Pour échapper à cette contradiction, il conviendrait d’obtenir un changement d’attitude des équipes médicales et des services de police, de définir des protocoles d’intervention, d’adopter des dispositions réglementaires qui actuellement font défaut ».

Qu’à cela ne tienne, le rapport a trouvé la parade, elle murissait doucement, si vous avez été attentifs à l’intérêt porté au domicile du patient depuis le début :

En effet le rapport en arrive à proposer la décision de contrainte de soin sans la référer à l’hospitalisation, et l’attitude démagogique arrive à la rescousse, puisque l’enfermement à l’hôpital reste critiqué, gardons la mesure de contrainte, mais faisons la appliquer aussi par les professionnels ‘hors les murs de l’hôpital’, et voilà :

Les soins sous contrainte hors hospitalisation ! Voilà une proposition « administrative » ‘objective’, ne tenant pas compte de l’humain ni de la subjectivité de chacun.

Avec l’application de cette clause sous surveillance de la justice une responsabilité outrancière va peser sur les psychiatres de service public, qu’il leur sera impossible de tenir et de supporter. Il est évident que les psychiatres vont fuir massivement et au plus vite un service public qui ne va cesser de les rendre à ce point ‘responsables’ de ‘l’inconduite’ de leurs malades, d’autant que leur administration va s’empresser de les poursuivre pénalement. C’est impossible à tenir ! Avec les soins sous contrainte hors hôpital le psychiatre sera contrôlé sans cesse, il sera pieds et poings liés dans une ‘obligation de résultats’ ! Le domicile au lieu d’être un temps possible du soin devient l’espace attendu des soins sous contrainte !

Il est exorbitant de considérer ainsi les patients comme des machines à obéir et de penser que les soignants doivent eux aussi être des machines à obliger les patients.

C’est enfin ne rien vouloir entendre de la question des moments de folie. Ce sont toujours des mises en question de soi et des autres. Ce n’est jamais seulement une ‘crise’ individuelle seulement, car le groupe, la constellation relationnelle de la personne, sont toujours impliqués.

Vouloir améliorer la répression des troubles, alors que ceux ci sont la conséquence d’une application incomplète et insatisfaisante de la psychiatrie de secteur du fait de la carence de l’Etat, c’est favoriser l’aggravation de cette contrainte ; au lieu de donner des moyens au développement de la psychiatrie de secteur, c’est donc accentuer sa détérioration.

Les équipes de secteur n’ont pas lu ce texte. Ce texte demande en conclusion de leur faire changer leurs habitudes de travail : il faudra être au service des protocoles communs à la police et aux équipes pour que devant tout refus de soin et non respect des obligations par le malade de nouvelles attitudes médicales fassent accepter la contrainte et en fassent respecter les règles. Il va falloir former les gens à cette contrainte ! cette affirmation est aussi à mettre en contraste avec l’absence totale d’allusion à l’immense travail de formation qui a du se développer pendant des dizaines d’années à partir de 1960-70 pour faire passer d’une culture soignante ‘asilaire’ à une culture soignante de secteur’ plus de 100.000 soignants !

Mais tout ceci est logique, cette attitude est animée par la même idéologie de « gestion des crises » et de réponse systématique par la « contrainte » au travers de protocoles de plus en plus précis, et donc de plus en plus « efficaces », …alors que les soins psychiatriques de secteur en général seraient si peu efficaces…(jusqu’à la dernière page 63, ce terme revient).

Mais une surprise nous attend à l’avant dernière page, et elle est de taille :

3.5.2 « compter sur les effets d’une politique de santé mentale, déclinée dans toutes ses dimensions, pour assurer davantage la ‘sureté’ des personnes » et en 18 lignes, à la fin du rapport, en effet est précisé qu’il faut développer la prévention, faciliter l’accès aux soins, améliorer la qualité des soins, favoriser la réinsertion des malades…(toute la politique de secteur donc enfin ‘convoquée’) sans faire aucun lien entre les difficultés croissantes de l’application de cette politique, sans comprendre que c’est là la raison essentielle du recours à l’urgence, puis de la confrontation aux prétendus ‘refus de soin’, qui ne sont que des états de troubles accompagnés d’une non conscience de ces troubles ; à cette raison fondamentale s’ajoutent toutes les occasions qui compliquent la rencontre aux urgences et tous les prétextes qui sont trouvés pour ne pas prolonger ni multiplier les entretiens et pour choisir la solution de facilité qui consiste à décider sur le champ du soin sous contrainte…

Donc la psychiatrie de secteur existe, elle est bien connue des rapporteurs, mais elle est vidée de son sens, considérée comme non efficace, ils lui préfèrent une soit disant amélioration de la loi de 1990 qui sera plus répressive que la forme actuelle.

Au passage tous les travaux sur la transformation des urgences par le travail d’Accueil et de Crise sont annulés, alors qu’ils répondent à l’essentiel des questions posées ici, en diminuant considérablement les hospitalisations sous contrainte et améliorant l’ensemble du fonctionnement du service public. Les preuves sont là réalisées par un certain nombre d’équipes. Par contre l’outil anti thérapeutique, si peu utile, le PMSI est remis en odeur de sainteté. Surtout l’occasion donnée de faire le point sur l’ensemble de la politique de santé mentale et pas seulement sur un aspect qui est marginal à partir du moment où les équipes sont toutes solidement installées dans leur secteur, est évité une fois de plus ; ce bilan historique et global est omis afin de ne pas parler des hommes, mais de règlements.

Ainsi la conclusion est d’une extrême gravité : comme l’ensemble du texte énumère les seuls aspects de refus de soin, de crise, et qu’il propose des obligations de soin, de sécurité, des ‘protocoles’ qu’il n’y a qu’à appliquer et suivre, la route est tracée : ce rapport devient un outil simple de lecture, simple d’affirmation et simple de réalisation. Ainsi dès qu’il se trouvera devant des questions de troubles de comportement, de bizarreries, de non docilité à tout âge et dès l’enfance, chaque administrateur est en droit de savoir qu’existe une « bonne manière d’y faire face et même de les prévenir ». Tous ces troubles, ces crises, ces ‘anomalies’ vont pouvoir être traités, éliminés avec efficacité ; en plus nous avons en main la démarche qui va permettre de se tirer de toutes les difficultés d’application : il suffira d’être un peu plus ‘protocolaires’, un peu plus précis, un peu plus rigoureux, un peu plus répressif à chaque fois…en s’entourant de toujours plus de ‘garanties’, plus de répression. Tout est réglé.

 

Les professionnels et les usagers ne peuvent pas prendre ce rapport à la légère. Il est très largement diffusé dans toutes les administrations de santé comme dans les administrations judiciaires et de plus en plus de personnes étrangères à la psychiatrie pensent qu’il recèle tous les remèdes face à la folie des hommes. Il est cité comme un travail de référence.

Dans ce texte par contre n’ont pas même été cités une fois les « fondamentaux » de la psychiatrie de secteur : -la continuité des soins, -l’accessibilité, proximité, disponibilité des soignants, -l’appui des soins sur le contexte relationnel de chaque patient.

Ce travail de secteur a déjà fait largement ses preuves, même s’il est très inégalement appliqué. Ici il n’est pas reconnu ni compris.

 

CONCLUSION

La remarque principale est celle ci :

La loi de 1838 est dans son esprit et dans la pratique « une loi ségrégative ».

Les maladies mentales ne peuvent être désignées comme étant des stigmates.

Nous savons très bien le sort qui leur est réservé dès que le pouvoir politique veut légiférer sur les comportements et les attitudes des hommes, il va aussitôt s’appuyer sur ces stigmates.

Tout texte qui prend pour base de discussion et de réforme un texte ségrégatif reproduit cette ségrégation, et à chaque fois l’aggrave ; en voulant la rendre plus précise, il tente de trouver les arguments qui la justifient, et le résultat est plus sévère : les personnes peuvent moins qu’avant effacer les marques de la stigmatisation, elles vont les suivre toute leur vie et partout.

C’est d’autant plus grave et non justifié que les progrès de la psychiatrie ont démontré les capacités évolutives positives des personnes dites malades, celles ci sont renforcées par les appuis de plus en plus riches de solidarité de leur entourage.

L’exemple le plus marquant est celui de la discussion sur « une obligation de soins ».

Si cette obligation est élaborée par des acteurs du champ judiciaire et administratif dans le cadre d’une loi de 1990 réformée, nous sommes toujours dans un cadre ségrégatif où patients et soignants sont mis sur une « liste », désignation qui les suivra partout. Mais elle est d’autant plus grave que la loi de 1838-1990 existe toujours. Car le soin sous contrainte sera souvent renforcé par une demande d’hospitalisation sous contrainte, puisque ce cadre existe toujours, alors le poids sur le patient comme sur le soignant sera insupportable.

Le soin sans consentement n’est envisageable que si toute loi ségrégative est abrogée. Les progrès de la médecine en font une question d’actualité, mais il doit rester dans le champ de la médecine générale associé aux difficultés rencontrées par la personne dans sa vie sociale. Elle doit être l’objet d’une loi « non spécifique » intéressant tout citoyen.

La loi de 1990 est une loi « ségrégative ». Toute réforme de la loi 1990 sera à son tour plus ségrégative. Elle va donner un appui par de fausses justifications, comme celles que nous avons vues dans ce rapport, à de nouvelles mesures de répression qui vont concerner les enfants en bas âge, les adolescents, les délinquants en général et bientôt d’autres catégories de citoyens…Est ce là le choix des citoyens ? en 2006 ? et pour l’avenir ?