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LES LIMITES DE LA PSYCHIATRIE

L’impératif éthique de la pratique face à la prescription

 

 

Le psychiatre est partout et plus rien ne lui échappe si ce n’est peut-être sa pratique, sa clinique.

Le discours ambiant projette sur le psychiatre des attentes relatives à un savoir « immense » qui le met en place de répondre à tout car il est vécu comme celui qui sait ou qui doit savoir.

Il est devenu le gourou des temps modernes et recueillir son avis à tous les âges de la vie ou pour le moindre événement est devenu une évidence.

 

Tout un nouveau champ d’intervention se présente à lui, souvent attractif, qui le met en position d’une immédiateté conjoncturelle, paradoxe premier pour un professionnel qui se veut garant du respect du temps psychique et de la singularité.

Tout cela s’inscrit dans une évolution sociétale où ce fonctionnement sur la fugacité, le savoir jetable est un symptôme significatif de la mutation actuelle auquel nous sommes confronté avec une mise en avant du processus d’individuation.

Changement qui s’appuie sur la disparition des grands fondements de légitimations tel le récit religieux ou politique et l’arrivée de l’ère du marché qui prétend prendre en charge l’ensemble du lien social.

Cette perte de repères, l’absence, pour beaucoup, de références ou comme le précise Dany-Robert Dufour (1) : « l’absence d’énonciateurs collectifs crédibles » crée des difficultés inédites dans l’accès à la condition subjective.

Dans ce nouveau contexte d’autonomisation continue de l’individu, quand on ne sait plus au nom de qui et de quoi parler cela devient problématique et l’on est souvent désemparé et épuisé par l’effort nécessaire pour être toujours présent, « toujours à la hauteur » et répondre aux sollicitations du quotidien.

On assiste alors dans ce chaos à l’émergence et la prééminence de nouveaux discours où la science fait référence et nous dicte nos conduites.

Mais il ne faut pas se leurrer ce n’est pas de sciences dont il s’agit mais d’un certain discours de la science, qui du fait du renoncement du politique s’inscrit dans le modèle dominant, c’est-à-dire le marché et plus particulièrement son réseau d’échanges de marchandises et de valeurs.

Dans ce contexte, il n’y a plus qu’à assimiler psychologie, psychanalyse et psychiatrie à une science pour répondre à cette quête de réassurance et surtout à l’insupportable du manque…

On a besoin de ce tiers symbolique, oracle nécessaire pour être et se référer et alors on a tendance à psychologiser tout notre discours comme si c’était la seule voie pour donner du sens, pour refaire du mythe mais aussi bien du discours totalitaire et du tyran.

Le « psy » est ainsi convié en tout temps et en tout lieux pour parler et réguler tous les dysfonctionnements sociaux et moraux : « Il donne la bonne parole… ».

 

Voici un exemple : une mère vient en consultation de CMPP me parler de ses difficultés avec ses fils, préadolescents de 10 et 12 ans, qui ne lui obéissent pas, ce qui implique des conflits permanents à la maison.

Elle est seule pour les élever car elle est divorcée. Le père est très peu présent et ses fils n’ont pas voulu venir consulter avec elle.

Je l’écoute, on échange, j’essaie de voir avec elle de quoi il s’agit plus précisément, ce qu’elle en pense et comment elle se situe. Elle ne me répond pas et ne me fait que des demandes d’avis et de conseils éducatifs pour trouver une solution rapide.

Je lui signifie mon incapacité à trouver des réponses, des pseudo-solutions sans qu’on prenne le temps d’élaborer sur sa problématique pour essayer de comprendre les mécanismes en jeu dans ce conflit. Je lui propose mon aide, mon soutien pour essayer d’appréhender mais aussi soulager cette tension. Elle me répond, qu’elle ne comprend pas que je n’ai pas de conseils à lui donner pour résoudre dans l’immédiateté ses difficultés familiales.

Elle a vu à la télé des « psy » qui répondaient à tout et qui avaient des solutions pour tout ! Elle a retenu qu’il fallait aller voir un pédopsy dés qu’on avait une difficulté avec son enfant, il saurait quoi faire…

 

On voit bien avec cela qu’il en faut peu pour glorifier notre ego en nous faisant croire qu’on est indispensable. Mais aussi que notre formation et notre signifiant « psy », là pour le coup riche de toute une approche de l’inconscient oh combien mystérieux, nous permettraient de répondre à tout, de tout comprendre et pourquoi pas de tout guérir…

On ne peut être qu’impressionné par l’efficacité du trompe l’œil qui ordonne le débat, tel qu’aucune question de fond ne puisse être posée, mais qui nous dédouane, voir nous déculpabilise, comme si « le clinquant » de nos interventions ne risquait pas grand-chose.

 

Arrêtons-nous quelques instants justement sur le versant médiatique et tout d’abord sur les sondages, outils souvent controversés mais tout le temps mis en avant comme références.

Un récent sondage a montré que les téléspectateurs attendent en priorité, lors des actualités, des informations sur la santé et la sécurité.

Cette préoccupation est reprise par tous et les marchands d’informations rivalisent de propos à ce sujet, sachant que pour faire vendre il faut la caution royale, la référence obligatoire : l’expert.

Or le « psychiatre » est l’expert rêvé . À l’articulation de la santé et de la justice, et pour peu qu’il ait quelques titres universitaires ou des livres à vendre, il devient alors celui qui sait et qui va expliquer ce qu’il faut faire.

Cette question de l’expertise est devenue centrale dans la construction de la légitimité des discours. Les médias en particulier sont de très grands consommateurs de ces « spécialistes » convoqués pour commenter les événements. Mais qui peut prétendre être expert ? De plus même quand on valorise leur savoir-faire technique, on passe souvent au second plan la question tout aussi centrale de leur indépendance.

 

Essayons de voir quelles méthodologies médiatiques pour traiter ces événements et les inscrire dans cette dynamique ?

- Il y a d’abord une dépolitisation au niveau du traitement de l’information, avec un passage de la rubrique politique, de celle des problèmes généraux de société, vers les faits-divers.

- Un glissement qui s’inscrit dans une logique souvent de sensationnalisme, de banalisation, évitant ainsi toute réflexion ou travail d’enquête approfondi.

- Un matraquage médiatique avec moult détails orientés vers des interprétations les plus spectaculaires possibles.

- Et enfin la déformation de la réalité qui est une dérive découlant du tri qui participe aussi à la co-construction et à la stigmatisation. Le risque de déformation est omniprésent puisqu’il consiste en une manière de découper le réel pour en choisir la signification qui nous intéresse.

 

Cette pratique vient ainsi renforcer la sur-médiatisation du manque de « sécurité » dans le monde de la « psy » qui permet aux politiques de montrer à leurs électeurs qu’ils sont soucieux de toujours plus de sécurité.

Les politiques déploient d’autant plus facilement leurs discours, les orientations qu’ils veulent faire passer, qu’ils s’appuient sur des pseudos références scientifiques avec en priorité : la psychiatrie.

L’utilisation du mot évasion pour parler de sorties sans autorisation est significatif de l’évolution prévue pour l’hôpital psychiatrique vers des centres fermés pour « fous dangereux ».

« Quand on cède sur les mots, on cède sur les choses » comme disait Freud.

Et l’on voit comment la prescription d’experts psychiatres, en parallèle à une réduction de la folie aux symptômes, s’inscrit dans cette démarche d’exclusion et d’application de mesures d’exceptions.

Le psychiatre sera mis en demeure d’assumer la charge de l’ordre public, de faire rentrer le porteur de symptôme dans le rang ou bien d’en être écarté définitivement.

C’est le risque d’une psychiatrie efficace, toute-puissante dans une société qui nous promet du « tous pareils » et exige de la même façon du « tous heureux ».

 

De la même façon qu’un médicament efficace a des indications, des contre-indications et des effets secondaires, il est important de rappeler que la psychiatrie ne sert pas à tout et qu’elle peut dans des « mains » mal intentionnées avoir des conséquences nocives.

La psychiatrie doit défendre ce qui la fonde, l’éthique qui la sous-tend au lieu de s’éparpiller avec toutes les commandes qui l’interpellent et qui l’écartent de sa fonction.

 

Cette notion de prescription se retrouve aussi à un autre niveau dans de nombreuses demandes de nos confrères ou collègues, dans l’attente d’un savoir et d’une réponse. On peut se demander s’il n’est pas surtout question de faire disparaître au plus vite un ou le symptôme. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne doit pas s’occuper du symptôme et essayer de soulager mais être psychiatre c’est se questionner en premier sur ce qu’il en est de ce symptôme.

Ce questionnement, on le retrouve pour chaque « psy » dans sa pratique, avec ses propres références à des normes, qu’il prend en compte pour une adaptation minimale à la réalité. Chacun se réfère à une certaine normalisation, ne serait ce qu’en qualifiant par des signifiants un fonctionnement psychique anormal.

Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit quand je parle de dérive normative, c’est un positionnement en tant que maître qui dicte ce qu’il en est du bien pour l’autre. Or le danger est de vouloir le bien de l’autre sans prendre en compte la singularité de toute demande et sans se rappeler qu’il n’est de vérité du bien que particulière ou parcellaire.

 

On perçoit dans ce contexte, la complexité encore plus grande de la demande. En effet, cette demande n’est pas que la plainte et il y a fort à faire quand on sait combien le névrosé tient à sa plainte, à son symptôme.

Entendre la demande c’est prendre en compte la dimension d’un appel et l’expression d’un désir. Mais c’est aussi, comment un sujet pris dans un individualisme forcené peut manifester sa difficulté face à la pression de la commande sociale.

Le psychiatre est souvent prescrit et il ne doit pas être dans un a priori avant d’avoir entendu ce qu’il en est de cette demande, pour éviter une position de maîtrise et de contrôle. Le psychiatre de par sa position, choisit tout en respectant tant que faire se peut une neutralité. En effet il choisit pour le patient une manière d’aborder les choses, que ce soit celui de ne pas décider, qui fonde une éthique sur le désir inconscient ou qu’il décide de l’aider activement à le soulager de ses symptômes.

Ceci montre l’importance et la complexité de la rencontre singulière et comment toutes théories qui ne reposeraient pas sur une clinique seraient désincarnées et dogmatiques.

La pédopsychiatrie en est le paradigme, dans le cadre des consultations sachant que la particularité de l’enfance est que cette situation excède largement l’intéressé et concerne l’entourage au sens large.

 

Les demandes, qui peuvent venir de tous les horizons, sont souvent liées à des injonctions sociales relayées par les parents et il est important que les parents s’en fassent le relais sinon celles-ci n’aboutissent pas.

Pour prendre l’exemple des CMPP, les parents arrivent avec des demandes multiples : réassurance, avis, prescription scolaire avec souvent une visée orthopédique plus ou moins explicite. Il est important que le psychiatre ou le soignant qui reçoit prenne en compte cette prescription, souvent de l’école mais aussi de la famille, avant même de travailler la demande. Prescription qui nous met à une place qu’il faut clarifier, élaborer avec nos différents partenaires ou les différents intervenants du système.

Réflexion, travail institutionnel mais aussi élaboration individuelle de la place et la représentativité de chacun dans le lien social et la commande sociale. Cela pour éviter une confusion tant pour les soignants que les soignés et aussi pour favoriser une inscription dans cette démarche de l’enfant qui lui permette une différenciation des lieux, des temps et des personnes.

Nous avons appris à faire avec les demandes et à prendre en compte les différentes attitudes défensives, opposantes ou autres qui se présentent à nous. Mais il est toujours nécessaire d’insister sur le fait que le travail sur la demande avec la famille est un des points fondamentaux, et il est important pour l’enfant que ceux-ci prennent une certaine distance avec la demande sociale.

 

De façon générale, la question posée au psychiatre le conduit à prendre position sur ce qu’il en est du sujet, du symptôme et du sort à faire à celui-ci.

Dans ce temps de protocoles, d’efficacité et de rendements, comment tenir cette place, ce temps et être garant de cette rencontre sans être dans une dérive formatée et normative.

Le fait que le psychiatre soit souvent « prescrit », cette quasi-injonction thérapeutique que vivent certains de nos patients nous oblige à une grande rigueur et à nous situer, à prendre position. On est confronté à une tendance générale qui s’inscrit dans le cadre d’un plan de santé mentale, d’une démarche hygiéniste, sécuritaire et d’évaluation qui ne fait pas que réduire notre pratique mais qui la modifie radicalement.

 

Nicole Koechlin (2) rappelle que le plan pour la santé mentale masque une absence de conception générale de la psychiatrie du fait même de son intrication avec ce concept qui est indéfinissable si ce n’est en termes de normes. Elle dit : « nous sommes pris, comme l’ensemble de la société, dans un modèle, qui obéit à des lois (la loi du marché n’étant pas la moindre) dont la maîtrise nous échappe. Quête de consensus immédiat qui s’impose avant même de pouvoir poser une vraie problématique, et de se questionner. Cela va avec une absence totale de mise en perspective historique et le recours « massif » à des grands fétiches non questionnable, tel Science, Qualité et Autorité. Mais comment agir en l’absence de questionnement ? »

Que nenni ! « tout se vaut », tout à un coût et donc tout est quantifiable et mesurable. L’évaluation et les ratios n’ont-ils pas pour but, de mettre à distance les vraies questions. Cette confusion fait l’économie d’interroger le mot valeur voire même y substitue le terme d’idéal, d’objectif pour justement faire l’impasse des questions sur la valeur.

 

Évaluer, c’est « extraire (de) la valeur ». Jean Jacques Lottin (3) nous le rappelle en précisant : « Parlons en justement de la valeur et de ce quelle entraîne comme non-valeur, c'est-à-dire : quand il s’agit d’évaluer l’humain, quel peut être cette non-valeur ? Si ce n’est l’humain lui-même… de plus, évaluer, n’est-ce pas justement extraire de la valeur ! »

 

De quoi s’agit-il à travers toutes ces « prescriptions » d’évaluation ?

Nous savons tous qu’évaluer en psychiatrie, comme dans beaucoup d’autres secteurs, a pour ultime fin de démontrer l’inefficacité et la non-rentabilité de cette modalité d’action et, donc de préparer des licenciements ou des diminutions de moyens.

Christophe Dejours (4) rappelle que « l’évaluation est un procédé puissant qui médiatise les effets pervers de l’utilitarisme et de la rationalité instrumentale ».

Les évaluateurs nous parlent du lien social et de son importance en nous rappelant qu’ils ont le savoir ou plutôt le savoir faire pour nous mettre à la norme.

« On se donne en donnant » dit Marcel Mauss et si l’on donne c’est que l’on doit. L’idée est qu’il faut donner sans attente de retour, qu’il y a perte de bien dans le don et que c’est dans ce geste que se trouve précisément fondé le lien social.

Marc Thiberge (5) précise : « Comme si le lien social ne pouvait être établi que sur l’absence de contrainte, l’idée qu’une société ne repose pas sur la crainte du danger, ni sur l’utilité ou sur le gain mais sur le sentiment d’appartenance ».

 

Une société est possible, si on reprend Mauss, Lévi-Strauss et Ricœur, si la notion d’échange ne se cantonne pas sur l’économiquement utile. Or notre société tend de plus en plus vers la domination massive de la règle marchande. On aboutit actuellement à une idéologie où tout se vaut avec des valeurs qui ne sont plus du côté de l’humain, du don « sans prix » et une sacralisation de la marchandise qui vient annuler l’importance et le sens du sacré avec une banalisation dangereuse. Cela vient abraser le sens des mots et se fait un devoir de tout relativiser.

 

C’est sur ce terrain en rupture, en déperdition de lien social que dans le cadre de la pédopsychiatrie, le médico-social, à la mode actuellement, se voudrait comme point de liaison sachant que la réalité des lois qui sont en place, ne fait que diminuer le pôle soignant du médico-social.

 

Le glissement du Public vers le Privé laisse les responsables du marché sans contre-pouvoir. Il n’y a plus de tiers garant, qui protége et préserve d’une dérive dans un risque de compétition concurrentielle perpétuelle.

Tout ce qui ne rentrera pas dans la norme et dans ce système de valeur sera dans un premier temps répertorié.

(2) « Le réalisme gestionnaire sait bien nommer les choses et les gens ; échec scolaire, caractériel, opposition, refus d’intégration ou d’insertion, etc. ; et ainsi par la nomination qui est essentielle pour la gestion transformer en problème technique toute difficulté psychologique ou sociale.

En nommant on classe, on met en place des causalités et des explications justificatives et une réflexion, un débat est clos avant même d’avoir eu lieu ».

Après l’entreprise de production de soins qu’est devenu l’hôpital, on va créer l’entreprise de régularisation sociale dans le médico-social.

Et, comme le dit Pierre Ginésy (6) : « Il est temps de proclamer qu’avec une bureaucratie sanitaire prétendant, pour notre santé, contrôler le moindre détail de nos gestes et de nos habitudes, notre destin est par elle confisqué ».

 

Le psychiatre ne peut plus s’isoler dans sa tour d’ivoire, replié sur sa prescription comme dernier instrument de maîtrise face à la tourmente de l’évaluation et du contrôle. En effet, le psychiatre est mis en demeure de cautionner, voire de gérer, le dysfonctionnement social et de répondre pour maintenir la paix et la cohésion sociale. Être « coach », faire du « conflict management » c’est-à-dire offrir une méthode générale de médiation applicable à tout conflit. C’est vouloir entraîner les psychiatres sur une dérive gestionnaire des conflits qui consiste à considérer toute problématique comme « un risque comme un autre » dont il s’agit de réduire la probabilité d’occurrence. AZF, les crash d’avion, un problème à l’école, il n’y a qu’à voir comment les « psy » arrivent en premier secours pour aider, rassurer, réconforter voir permettre le deuil… Les personnes n’ont pas d’abris, ont des problèmes financiers, matériels ou n’ont pas de nouvelles, mais que nenni les « psy » sont là pour leur permettre de parler et les écouter ! De plus les caméras des médias sont prêtes pour diffuser leurs analyses, oh combien pertinentes, et les faits n’auront qu’à attendre… Et qu’en est-il de ces débriefings délivrés comme des pansements, et qui viennent souvent obturer la plainte, dans un politiquement correct ambiant…

 

Cette tendance à la prescription, à l’injonction thérapeutique nous interpelle à une place d’expert. Nous avons entretenu un leurre sur notre savoir et nous nous retrouvons pris à notre propre piége en étant sommés d’agir, de faire et de répondre aux attentes que soulèvent les problèmes généraux de notre société. Nous avons façonné une telle aura autour du « psy » que le fait même d’être parlé comme celui qui va intervenir aurait déjà un effet et s’inscrit dans une prescription, un protocole efficace…

L’injonction thérapeutique, la commande sociale nous amènent alors à un fonctionnement régi par l’immédiateté de la réponse et des résultats évaluables. Pression, projection difficile à assumer tant pour le soignant que pour le soigné.

On voit bien apparaître le glissement dangereux de l’obligation de moyen vers une obligation de résultats.

Nos pratiques n’ont pas à s’arranger de cet état de fait et nous nous trouvons dans l’obligation :

- De ne pas céder sur notre désir de soignant,

- De ne pas céder sur notre éthique de médecin psychiatre,

- De défendre notre métier avec ses cadres de références indispensables pour exercer notre art,

- De rappeler ce qu’il en est de notre champ d’intervention et de ses limites.

 

Il est nécessaire de rappeler que ce ne sont pas des « psy » qui disent tout et n’importe quoi sur tous les sujets, mais des personnes en leurs noms propres, du fait de leurs investissements personnels et de leurs réseaux.

La psychiatrie a un champ défini de compétence et déjà dans ce champ, celui de la maladie mentale et de la souffrance psychique, elle est confrontée à une complexité qui la met souvent en difficulté, lui impose beaucoup de modestie et l’oblige à un questionnement permanent.

En accord avec le remarquable article de Pierre Ginésy (6) sur la nécessité d’une « clause éthique », on peut dire que : « la réforme de la santé qui se met en place aujourd’hui ne consiste pas en une simple technologisation de la médecine. Bien loin d’être simplement technico-économiques, ces réformes sont destinales et touchent à ce que Sophocle nommait “lois non écrites“. C’est-à-dire à ces lois qui s’imposent à toute société humaine pour qu’elle reste digne de ce nom ».

Même si nous refusons encore de voir, et que nous le voulions ou pas, nous sommes face à un choix auquel nous ne pouvons nous dérober. Ce choix qui pose le refus ou l’acceptation d’emprunter le chemin d’« être sans destin », comme le décrit Imre Kertesz avec ce qu’il en est des sujets réduits à des automates par le totalitarisme.



MARC MAXIMIN
Pédopsychiatre, Psychanalyste Marseille
2007


 

 

Notice bibliographique :

 

1 - Dufour, Dany-Robert .- L’art de réduire les têtes .- Paris : Édition Denoël, 2003

2 - Koechlin, Nicole .- Psychiatrie scientifique : De la relation de soin aux protocoles .- Le Forum Psychiatrie Santé Mentale 2005

3 - Lottin, Jean-Jacques .- L’évaluation, une nouvelle maladie iatrogène ?.- In : Revue cliniques Méditerranéennes : Psychanalyse et Psychopathologie Freudienne .- Édition Erés, 2005

4 - Dejours, Christophe .- L’évaluation du travail à l’épreuve du réel .- INRA éditions, 2003

5 - Thiberge, Marc .- Psychanalyses et pratiques sociales : inventer ! .- In : Les séminaires du mardi, Tome 1.- Champ Social Editions, 2005

6 - Ginesy, Pierre .- Trop (Face au vertige biopolitique la necessité d’une « clause éthique »).- Mars 2005


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