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Les psychothérapeutes invisibles …




Nous, infirmiers de secteur psychiatrique, infirmiers exerçant en psychiatrie, cadres de santé en santé mentale et enseignants d'IFSI, tenons à faire connaître notre plus vive opposition à l'amendement Accoyer. Cet amendement, voté à la sauvette par 14 députés, sans consulter en quoi que ce soit les professionnels concernés, s'inscrit dans le cadre d'un démantèlement de la psychiatrie de secteur dont Hôpital 2007 et le rapport Cléry-Melun constituent les derniers avatars. Présents massivement, en juin dernier, à Montpellier, lors des Etats Généraux de la Psychiatrie, nous avons fait connaître, à cette occasion, notre attachement à la psychiatrie de secteur et aux valeurs qui la fondent. Il suffit de relire les quatre motions votées à la quasi-unanimité pour se rendre compte que tout ce qui touche aux psychothérapies contribue à affaiblir la discipline psychiatrique elle-même. La question des psychothérapies ne concerne pas les seuls psychiatres et psychologues. L'aspect psychothérapique du rôle infirmier a été constamment débattu depuis près de 50 ans. C'est même autour de cette problématique que le groupe de Sèvres s'est séparé en 1953. Notre décret de compétence reconnaît que les infirmiers mènent des entretiens à visée psychothérapique, ce qui est un énoncé minimal de ce qui se passe réellement sur le terrain. C'est ainsi qu'un certain nombre d'infirmiers se sont initiés aux thérapies familiales systémiques, aux relaxations, à l'art-thérapie, à la musicothérapie, au psychodrame, aux thérapies comportementales et cognitives et à de nombreuses autres formes de psychothérapies. Certains d'entre nous sont même devenus psychanalystes au terme d'un parcours personnel exigeant et d'une remise en cause théorique et pratique constante que ce soit par la régulation ou la supervision. Bien que non-reconnus officiellement, un certain nombre d'entre nous sont ainsi psychothérapeutes de plein droit. L'amendement Accoyer vient balayer cet effort des plus exigeants d'entre nous. Nous ne sommes pas seuls en cause. De nombreux travailleurs sociaux (assistantes sociales et éducateurs spécialisés) ont suivi un chemin proche. Nous n'accepterons pas, d'être une fois de plus, comme lors de la suppression de notre diplôme, mis sur la touche. Mais regardons cet amendement et son argumentaire d'un peu plus près. Le constat est de ceux auquel on adhère : " les Français sont les premiers consommateurs au monde de psychotropes. " On se dit : " Enfin une loi va réglementer la prescription de psychotropes. On va éviter les abus. On va enfin s'intéresser à l'information des patients, faire de la prévention, donner aux soignants les moyens en temps d'expliquer à chaque patient son traitement." Non, non. L'argumentaire poursuit : " De plus en plus de jeunes sont affectés par des psychopathologies souvent graves ". On se dit : " Enfin, on va réellement s'intéresser à la pédopsychiatrie, on va enfin développer des moyens pour soigner les adolescents au lieu de les hospitaliser en psychiatrie adulte faute de lieux d'accueil adaptés ". Non, non. " La prise en charge de la souffrance psychique fait souvent appel aux psychothérapies. " On se dit : " Enfin, on va reconnaître la compétence des infirmiers qui proposent depuis dix ans des entretiens à visée psychothérapique. On va enfin sortir des nécessités de la surveillance, pour aborder la question du soin psychique. " Non, non. Le coup de frein est brutal. Aux trois banalités succède le coup de poignard : " Or, en ce domaine, le vide juridique en France est total. "

L'argumentaire explique : " des personnes insuffisamment qualifiées voire non qualifiées, se proclament elles-mêmes " psychothérapeutes ". Elles peuvent faire courir de graves dangers à des patients qui par définition sont vulnérables et risquent de voir leur détresse ou leur pathologie aggravée. " On se dit : " Et alors ? Il n'y a pas si longtemps, des personnes suffisamment qualifiées pour être ministre, hauts fonctionnaires de la santé ont fait courir des dangers encore plus graves à des personnes vulnérables, dont près de 15 000 sont mortes. A-t-on réglementé, pour cela, la haute fonction publique et l'accès à la fonction ministérielle ? Non. On se souvient qu'il existait une formation spécifique à la psychiatrie, qu'elle a été supprimée faisant courir de graves dangers à des patients vulnérables. On constate au quotidien que l'on ne craint pas de faire soigner des personnes atteintes de psychose par des infirmiers ou des médecins généralistes insuffisamment formés à la psychiatrie. On constate au quotidien que ce déficit de formation se traduit par une augmentation des contentions, des isolements et des hospitalisations sous contrainte. Il existe, certes, un vide juridique.

La psychanalyse a un peu plus d'un siècle. Les psychanalystes se sont toujours réclamés de ce vide juridique. Ils ont toujours opposé la rigueur de l'enseignement de la psychanalyse, de la cure didactique, du contrôle et de la supervision à un contrôle d'état. Quelles catastrophes récentes obligent à légiférer ? Quels événements justifient donc de remettre en cause un fonctionnement qui fait de la psychanalyse française une des plus brillantes et des plus créatives au monde ? La psychanalyse en Allemagne est encartée et remboursée par l'équivalent de la sécurité sociale. Qui peut citer un apport de la psychanalyse allemande à la théorie depuis vingt ans ? Qui connaît, ne serait-ce qu'un psychanalyste allemand actuellement en exercice ?

Quel rapport avec les infirmiers ? C'est à partir de la psychanalyse que nous pouvons penser l'interaction avec les patients que nous suivons. C'est la psychanalyse qui nous permet de prendre de la distance, qui nous permet d'élaborer nos contre-attitudes, notre contre-transfert. Ce sont les réunions de régulation animées par les psychanalystes qui nous permettent de ne pas répondre à la violence des patients par notre propre violence, qui nous permettent parfois d'éviter de succomber au burn-out. Tout ce qui contribue à diminuer l'impact de la psychanalyse, à l'appauvrir nuit à la qualité des soins que nous dispensons.

En ce qui concerne les psychothérapies, trois organismes principaux garantissent le sérieux de leurs adhérents : le SNP (Syndicat National des Praticiens en psychothérapie) fondé en 1981 qui regroupe environ 600 psychothérapeutes (psychologues, psychanalystes et psychiatres), la Fédération française de psychothérapie (FFDP) créée en 1995 qui regroupe une cinquantaine d'organismes, syndicats, associations écoles et instituts de formation soit environ 3000 psychothérapeutes, et enfin l'Association fédérative française des organismes de psychothérapie (AFFOP) fondée en 1998. Ces trois organismes ont en commun d'avoir publié un code de déontologie. L'AFFOP, par exemple, s'est donnée comme objectif de faire reconnaître la profession de psychothérapeute en se fondant sur cinq critères : une psychothérapie personnelle approfondie du futur praticien, une formation théorique de haut niveau, une supervision systématique de la pratique professionnelle, le respect d'un code de déontologie, une reconnaissance par ses pairs. Il apparaît difficile de parler à leur sujet de psychothérapeutes auto-proclamés. N'aurait-il pas été plus simple d'en informer le grand public ? N'aurait-il pas été plus simple de se rassembler autour d'une table et de discuter de ces critères ? Quel rapport avec les infirmiers ? Le soin en psychiatrie suppose d'aller rencontrer le patient là où existe quelque chose de vivant, de mobilisable. Nous sommes ainsi amenés à utiliser différentes médiations : théâtre, poterie, art-thérapie, musique, relaxation, etc. Confrontés aux impasse de nos pratiques, nous nous sommes formés à ces techniques psychothérapiques avec rigueur et en acceptant de nous impliquer personnellement, en nous astreignant à une régulation, en théorisant nos manières de faire. Nous sommes aussi, pour une part de nos actions psychothérapeutes, même si nous ne sommes pas que cela. Quid de ces psychothérapies infirmières ?

Poursuivons la lecture de l'argumentaire : " Depuis février 2000, la mission interministérielle de lutte contre les sectes signale que certaines techniques psychothérapiques sont un outil au service de l'infiltration sectaire et elle recommande régulièrement aux autorités sanitaires de cadrer ces pratiques. " Et si avant de mettre en carte psychanalystes et psychothérapeutes, l'état commençait par balayer devant sa porte. N'est-ce pas le gouvernement français qui dans le décret infirmier de mars 1993 puis dans celui de février 2003 se rend complice de l'église de scientologie en obligeant les infirmiers, les enseignants d'IFSI à se référer à la démarche de soins et aux diagnostics infirmiers élaborés, entre autres, à partir de certains concepts de la dianétique. N'est-ce pas le gouvernement qui laisse passer un diagnostic infirmier du nom de " perturbation du champ énergétique " où l'on recommande aux infirmiers de promener leurs mains cinq millimètres au-dessus du corps du patient pour déboucher ses chakras ? Cette aberration a été signalée à la mission interministérielle, on attend encore ses réactions. Imagine-t-on les dégâts que pourrait faire un infirmier qui prendrait ces recommandations au pied de la lettre ? Un patient psychotique ne risquerait-il pas d'avoir sa détresse ou sa pathologie aggravées ? Est-ce que cela ne relève pas aussi de la santé publique ? Si la psychiatrie constitue une cible privilégiée pour l'église de scientologie qui dépense des fortunes à réaliser des pamphlets anti-psychiatriques, à base de citations tronquées de psychanalystes et de psychiatres, c'est bien que quelque chose les gène dans la psychiatrie. Pourquoi leur faciliter le travail en contribuant à briser ce qui permettait à la France de résister à l'emprise sectaire ? Les Etats-Unis, modèle obligé des nursocrates français, est le pays qui résiste le moins à l'emprise sectaire. Nombre de théoriciens reconnus des soins infirmiers outre-Atlantique y ont succombé, ne serait-ce pas aussi parce que sans références théoriques claires, sans travail sur soi-même, il est plus difficile de se défendre ?

Est-ce en réservant la prescription et la conduite des psychothérapies à des professionnels détenteurs de diplômes universitaires, attestant d'une formation institutionnelle, garantie d'une compétence théorique qu'on améliorera la qualité des psychothérapies et les compétences des psychothérapeutes ? Je ne crois pas. Il y a des psychiatres qui ont tout cela et qui feraient mieux de faire autre chose. Il y a des psychiatres dont la conduite des psychothérapies, de soutien ou autre, est une véritable catastrophe pour les patients. De quelle formation ont-ils pu bénéficier s'ils ne sont pas allés eux-mêmes sur le divan ? Qui les contrôle ? Qui leur permet d'élaborer leur contre-transfert ? Freud, lui-même, dans La psychanalyse sauvage, estime qu'un analyste sauvage fait moins de dégâts qu'un patron en médecine. Il considère que les charlatans sont encore plus nombreux du côté des médecins, et que la résistance médicale aux effets de l'inconscient est plus nuisible au patient que ne le sont les interprétations sauvages. Pour lui, l'analyste débutant apprend son métier surtout à ses propres dépens. Il est en cela moins dangereux que le médecin qui n'entend pas ce qui parle chez le patient à travers les symptômes et qui, par un traitement purement symptomatique, aliène le sujet en empêchant tout questionnement.

Le meilleur outil de lutte contre l'influence des sectes est encore le CMP (Centre Médico-Psychologique) où chacun peut consulter gratuitement un thérapeute psychiatre, psychologue ou infirmier qui lui proposera une orientation en prenant en compte sa demande. Lorsqu'il faut trois mois pour obtenir une première consultation en raison du manque de psychiatres, on peut se demander si plutôt que de réglementer l'accès au métier de psychothérapeute, il ne vaudrait mieux pas permettre aux soignants, quels qu'ils soient d'exercer correctement leur profession. Dans ce contexte de crise, les infirmiers sont souvent amenés à recevoir les patients en première intention et à initier un véritable travail psychothérapique régulé par les psychologues de l'institution. Ils ont été amenés, ainsi, à se former aux psychothérapies brèves, aux thérapies systémiques (trois ans de formation avec supervisions régulières), à la relation d'aide. Que devient ce travail psychothérapique avec l'amendement Accoyer ? A tout miser sur l'hospitalisation, en enlevant des moyens aux soins extra-hospitaliers ne contribue-t-on pas à briser un outil extraordinaire, à le rendre inopérant ? A utiliser une partie du surcoût provoqué par le remboursement des psychothérapies (ce qui en diminue d'ailleurs l'efficacité) pour consolider les équipes de CMP ne renforcerait-on pas la lutte contre l'emprise sectaire ? Ne permettrait-on pas de soigner plus tôt et plus efficacement des personnes en état de fragilité psychique ? En organisant des campagnes de prévention du type de celles proposées par la prévention routière ne permettrait-on pas à ces personnes de consulter plus précocement et d'éviter ainsi le recours à des charlatans ?
Comment imaginer que cette mise en carte, en protocole des psychothérapeutes aura un quelconque effet sur les sectes ? Demain, les gourous se feront coach ou conseillers. Ils ne sont pas à court d'invention et la détresse sociale et psychique est telle qu'ils trouveront toujours des proies dociles. Les psychothérapies, elles, auront du mal à y survivre.

Une fois de plus, les politiques ont montré leur incompétence et leur méconnaissance totale du sujet. Ce n'est pas en brisant le cadre des psychanalyses et des psychothérapies que l'on améliorera la prise en charge des patients, qu'on diminuera les prescriptions de psychotropes et que l'on fera reculer la dérive sectaire mais plus sûrement en s'inspirant des sociétés de psychanalyse, de l'exigence d'une cure didactique, d'une supervision et d'une formation théorique universitaire ou non. Dans ce cadre, un profane, ni médecin, ni psychologue peut parfaitement mener des analyses sans faire courir de danger sectaire à ses analysants. Accoyer et les députés ont-ils sur cette question des lumières que Freud lui-même n'avait pas ? Les psychiatres sont-ils tellement nombreux qu'il faille encombrer leur cabinet ou leurs consultations avec des demandes de psychothérapie dont ils ne connaissent ni l'efficacité, ni le mode d'action ? Comment d'ailleurs imaginer que l'on puisse prescrire une psychothérapie ou une psychanalyse ? Il faut parfois des années de traitement avant qu'une personne se lance dans une telle démarche. A encarter les psychothérapies, ne risque-t-on pas une évolution à l'allemande qui bloquerait tout développement futur des psychothérapies ?

Infirmiers de secteur psychiatrique, infirmiers exerçant en psychiatrie, cadres de santé en santé mentale et enseignants d'IFSI, membres de l'équipe pluridisciplinaire, nous sommes parties prenantes de cette question des psychothérapies. Nous serons vigilants sur le terrain avec nos organisations syndicales et nos associations afin que cet outil de réflexion, de prise de distance relationnelle, d'élaboration contre-transférentielle ne soit pas dévoyé.


Dominique Friard, Infirmier de Secteur psychiatrique, doctorant en psychologie, rédacteur en chef de la revue Santé Mentale, dernier ouvrage paru " L'isolement en psychiatrie : séquestration ou soin ? ", Paris, Masson, 2002.

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