Peut-être êtes-vous l’une de celles ou l’un de ceux qui aviez signé la
pétition « Pour que douleur s’achève ». Il s’agissait de ces dizaines de
milliers de malades mentaux morts, de faim ou de froid, pendant la seconde
Guerre mondiale dans les hôpitaux psychiatriques. Drame resté généralement
ignoré, dont l’évocation même est devenue un tabou.
Il s’agissait, c’était en 2001, de faire reconnaître les responsabilités de
l’État français d’hier – celui de Vichy – dans ce désastre. Il s’agissait
aussi de faire entrer l’histoire de cette hécatombe dans les programmes et
les manuels scolaires destinés aux élèves des Collèges et des Lycées.
Revendications non abouties à ce jour. Le silence s’est maintenu et le tabou
aussi.
Dans les années de guerre, la politique génocidaire à l’égard des malades
mentaux avait un support idéologique : Alexis Carrel. De nombreuses villes en
France, après la guerre, avaient cru bien faire en honorant Alexis Carrel
d’une rue. Dans les années 90, à la suite d’une large campagne d’information
sur le personnage (eugéniste, raciste et antisémite, participant actif au
régime collaborationniste de Vichy), beaucoup de ces municipalités se
séparèrent d’un nom de rue qui devenait honteux.
À Paris, en 1993, une pétition lancée par de nombreuses personnalités
demandait alors la débaptisation de celle du 15e arrondissement. Ceux qui
étaient, hier, à la tête de la municipalité et qui la gouvernaient, et qui
sont aujourd’hui à la tête de l’État et au gouvernement de la France, s’y
opposaient. Mais rien n’est jamais définitivement acquis. Aujourd’hui, c’est
Paris qui va perdre sa rue Alexis-Carrel et c’est précisément l’objet du
courrier joint.
Cette lettre est aussi pour dire qu’il faudra assister à la manifestation de
débaptisation de la rue Alexis-Carrel (la date, à ce jour, n’en est pas
encore connue), comme manière de continuer le combat de mémoire et de justice
envers les malades mentaux morts pendant la seconde Guerre mondiale dans les
hôpitaux psychiatriques. Ainsi une pétition en prolonge une autre, une
victoire en laisse présager d’autres.
Armand Ajzenberg
28 janvier 2003