Quand la bourgeoisie française alliée déterminée du capitalisme se met à penser l'avenir de la psychiatrie et de la santé mentale des citoyens de notre pays, c'est quelque chose…
Pour comprendre les contenus, les objectifs du rapport Cléry Melin du 15 septembre 2003 commandité par le professeur ministre MATTEI, il faut les mettre en lien avec la politique menée par Chirac et Raffarin.
Ce gouvernement réactionnaire est déterminé à mettre à bas plus d'un demi siècle de conquêtes sociales, il vient de le faire pour les retraites, il s'apprête à le faire pour la sécurité sociale et les hôpitaux publics, il le fait avec ce rapport qui ouvre le champ de la psychiatrie et de la santé mentale à la marchandisation du psychisme. Il s'agit d'inscrire le dispositif de soins psychiatriques dans le projet hôpital 2007 qui serait soi-disant un pacte de modernité avec l'hospitalisation, et de détruire tous les acquis bâtis à force de recherche, de courage, de clairvoyance, d'inventivité par les équipes soignantes de psychiatrie ces cinquante dernières années. Tout cela pour répondre aux exigences des marchés financiers, de l'OMC et des accords de l'AGCS qui ont pour objectif la marchandisation de la santé.
Régression, destruction, privatisation, exclusion : thèmes majeurs de ce rapport
En concentrant la psychiatrie publique en territoire, c'est la disparition de fait des secteurs de psychiatrie
qui passeraient de 70 000 habitants à 200 000 habitants, le rapport obéit au doigt et à l'œil de la politique hôpital 2007 qui est de donner à la psychiatrie privée une place déterminante.
Sous couvert de vocables de proximité, le centralisme est accéléré pour permettre le déploiement des critères de gestion et d'organisation du service public hospitalier ( PMSI . GHM …)
C'est une attaque en règle contre la gratuité des soins, c'est la mise en place et l'organisation d'un contrôle quasi-policier par l'intermédiaire d'une commission territoriale et de conseil sanitaire de secteur dont la fonction démocratique est contestable, elles impliqueraient les élus locaux dans cette flicarisation des populations.
Ces propositions permettent de renforcer la place, les pouvoirs des ARH afin d'adapter la future réforme de la sécurité sociale aux critères de rentabilité mis en place en milieu hospitalier au travers de " la tarification à l'activité ".
Ces orientations sont déjà à l'œuvre avec la mise en mouvement de l'ordonnance du 4 septembre 2003 qui renforce le centralisme, met en concurrence les structures privées ou publiques, oppose les équipes soignantes les unes aux autres, participe à l'éloignement des équipes de tout ce qui touche à la prévention et diminue les moyens en les concentrant. Ce qui s'est passé pour le centre d'accueil et de crise de la Roquette à Paris en est une brillante illustration.
Ces opérations de bradage, de démantèlement de la psychiatrie publique de secteur ouvrent grandes les portes au privé au nom du libre choix " celui qui a de l'argent et celui qui n'en a pas ". Ce rapport galvaude le sens du mot proximité, il est loin des préoccupations des usagers et des attentes des professionnels qui, enfermés dans les structures et affairés à les défendre pied à pied, ont du mal à faire surface pour lutter contre ces fossoyeurs des idées de progrès, de solidarité, de respect des différences…
Si bien que des injonctions inadmissibles apparaissent dans ce rapport, je cite. " Que la psychiatrie doit être considérée à l'identique de toute autre spécialité. Que les bassins de vie territoires doivent être la vraie référence géodémographique. Qu'une observation de 72 H s'impose à toute personne dont la santé psychique fait doute. Que la place de la psychiatrie doit être à l'hôpital général. Que la psychiatrie privée avec ses critères de rentabilité doit partout se déployer. "
Remise en cause des missions de service public
En concentrant la psychiatrie publique en territoires, le rapport répartit clairement les rôles : au privé le beurre, l'argent du beurre, au public l'asile, les dépotoirs et les mouroirs… c'est du libéralisme pur et dur avec ses préalables et notamment l'exclusion de soins de qualité les moins fortunés de nos concitoyens. Ce processus casse les solidarités et défait ce qui a été construit pas à pas depuis la libération de la France en 1945 et dynamisé par la circulaire du 15 mars 1960 époque ou DE GAULLE était chef de l'état.
Avec ces propositions nous sommes dans des orientations de " grand renfermement " et d'atteinte aux libertés. Les hospitalisations sous contraintes déjà très nombreuses vont se multiplier et vont renforcer la philosophie fortement hospitalo-centriste de ce rapport, nous nous orientons vers une psychiatrie publique à forte connotations sécuritaires qui va jeter des milliers d'êtres humains dans la désinsertion. Sous le vocable de nouvelle gouvernance ce pouvoir politique " réforme et renferme " certaines de ces injonctions, ne vont elles pas créer de fait des situations d'exception ? et entraver un peu plus nos libertés.
Après avoir fermé 80 000 lits en vingt ans le rapport demande la poursuite de cette destruction tout en constatant que l'hébergement dans les établissements publics de santé de psychiatrie se dégrade et reste préoccupant. La démagogie et le discours Réganien bat son plein. Il est culpabilisant concernant les médecins et tous les autres soignants. Le grave déficit en nombre constaté dans le corps médical et para -médical fait que si des mesures d'urgences ne sont pas prises de suite nous allons vers des catastrophes futures, les propositions contenues dans ce rapport sont loin d'être appréciées positivement par les professionnels et les usagers. Les auteurs de ce document n'ont rien vu ni entendu de ce qui s'est passé aux états généraux de la psychiatrie qui a réuni 2 000 professionnels en juin 2003.
En clair, c'est un rapport en prise directe avec les projets du MEDEF qui est d'introduire la concurrence public/privé dans la sécurité sociale afin d'inscrire définitivement la santé dans les règles du marché et accentuer ainsi les inégalités dans l'accès aux soins.
Tous ceux qui déclinent peu d'énergie à combattre la politique du couple Seillière/Chirac devraient ouvrir plus largement les yeux et les écoutilles. Ce rapport est un prototype de politique Réganienne de destruction d'acquis historiques, c'est un choix rétrograde de civilisation qui remodèle profondément les actions, les modes de pensée qui s'attaque aux valeurs progressistes, humanistes qui ont inspiré les pratiques soignantes de ces dernières décennies.
Quelles propositions alternatives pour construire : une psychiatrie différente, moderne, novatrice
C'est à ce type de questions complexes et difficiles que nous devons réfléchir pour construire des éléments de réponses, d'autant que dans notre société les problèmes liés à la folie sont stigmatisés et les peurs qui tournent autour de la déraison, de la normalité sont utilisés pour casser les solidarités, renforcer les isolements et en bout de course exclure et éloigner les êtres humains les uns des autres pour les diviser et les empêcher de s'unir pour lutter.
Chacun sait que les habitants de notre pays sont les plus grands consommateurs du monde en tranquillisants et en psychotropes ce qui montre les difficultés auxquelles sont confrontés nos concitoyens pour gérer les agressions sociétales qui entament leur capital santé en matière d'équilibre psychique, c'est un vrai problème de santé publique qui rejoint des préoccupations telles que les consommations de drogues, de tabac ou d'alcool, des situations qui bien souvent placent les individus dans des positions de dépendances, ce qui pose parfois des questions de libertés, de libération humaine et d'exercice de la démocratie.
Alors pour approcher une réflexion sur les questions de santé mentale ne faut il pas tout d'abord reconnaître les différences et nous placer dans le bon sens de la marche et parler de prévention ?
Lorsque l'on se plonge dans une rétrospective nous constatons que depuis 1980 la psychiatrie a fait l'objet de 9 rapports. Seul le rapport DEMAY en 1982 reconnaît la spécificité de cette discipline, ce qui a eu des conséquences positives et des actes immédiats en moyens accordés au plan du renforcement en qualité et en quantité de professionnels. Pour les autres, il faut reconnaître que leurs orientations ont eu plus ou moins d'échos et d'effets négatifs.
Ces rapports ont montré la diversité, la pluralité, la vivacité de la psychiatrie française et tous à l'exception du dernier font référence à la psychiatrie de secteur et à la fameuse circulaire du 15 mars 1960 relative au programme d'organisation et d'équipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales. En relisant cette circulaire on peut remercier ses fondateurs qui, comme Aujaleu, Bonnafé, Duchene, Ey, Daumézon et bien d'autres, ont contribué au point de départ réglementaire de la " révolution psychiatrique ". Il est vrai, comme l'indiquaient les gouvernants des 1955 " plus que jamais la santé mentale est une affaire d'état qui ne se limite pas à une simple définition d'une politique de santé mentale ".
Quand à la circulaire du 15 mars 1960 elle n'a pas pris un poil de rides, son déploiement est encore d'actualité. Quarante trois ans après les valeurs et les idées qu'elle diffuse sont novatrices et valorise les postures progressistes et humanistes, qui place au centre " l'homme et ses besoins " cette vision de la psychiatrie reste vivante et c'est peut être pour cela que les tueurs sont en marche. Il est grand temps de les arrêter et d'opposer une vive résistance à leurs projets de destruction.
Dans l'état actuel de difficultés mais aussi de vivacité de cette discipline, nous pouvons avancer et proposer de construire une politique différente qui place l'homme au centre du dispositif et non l'argent.
Osons envisager la création d'un grand service public de psychiatrie destigmatisé, ouvert sur la société et au partenariat, cultivant une éthique, offrant une qualité dans la rencontre, développant la fraternité et la solidarité, partageant les savoirs et les connaissances pour les mettre au service de l'humain. Ce service public devrait avoir un budget particulier financé par la sécurité sociale. Ce budget pourrait être aussi financé par le PIB qui ne cesse de croître, alors pourquoi une discipline comme la psychiatrie n'en profiterait-elle pas pour développer les formations, les connaissances des femmes et des hommes qui interviennent dans ce champ.
La psychiatrie doit avoir une conception globale du soin partant de la prévention, de la prophylaxie, de la cure et de la post-cure et une compétence étendue sur tous les problèmes de santé mentale intégrant la réadaptation. Donnons aux usagers, à leurs élus et aux professionnels les possibilités d'inventer, de créer des alternatives qui prennent en compte les besoins de soins des populations de leurs territoires. Proposons de former psychiatres et infirmiers en faisant un projet qui deviendrait une priorité nationale en prenant en compte ce qui a été évoqué aux ETATS GENERAUX de Montpellier en juin 2003. Il y a urgence, il doit y avoir des réponses claires, précises, financées .
Ce combat pour une politique différente envers la psychiatrie et la santé mentale doit s'articuler avec l'avenir de la protection sociale dans notre pays et la lutte contre un fléau le " chômage ".
En conclusion
Les orientations de ce rapport sont dangereuses pour la société française et il y a un devoir de révolte à animer dans la population mais aussi chez les professionnels dont les plaintes " trop de boulot " " violence " " formation bâclée " " pas assez d'effectifs " doivent être entendues.
La psychiatrie et la santé mentale ont besoin d'un projet politique moderne, citoyen, concerté, fondé sur l' histoire des pratiques professionnelles de ces cinquante dernières années revisitant la circulaire du 15 mars 1960 que veulent noyer dans l'oubli les démagogues et réactionnaires de tous poils. Déjà les réactions massives à l'amendement ACCOYER sont de bonnes augures pour rassembler toutes celles et ceux qui pensent que l'être humain est un sujet (et non un objet) et pour faire exploser cette chape de plomb qui risque de tomber sur les patients atteints de maladies mentales et nous entraîner dans des " renfermeries " contre lesquelles nous avons lutter toute notre vie.
Franck FABIEN infirmier psychiatrique à la retraite
Auteur du livre "Plaidoyer pour un métier peu ordinaire " Editions Publibook
OMC : organisation mondiale du commerce
AGCS : accord généralisé sur le commerce et les services
PMSI : programme médicalisé des systèmes d'information
GMH : groupe homogène de malades
ARH : agence régionale d'hospitalisation
PIB : produit intérieur brut