Retour à l'accueil
Retour Actualités





LE DSM IV EN 2004 :OÙ EN SOMMES NOUS ?

Dr PATRICK BANTMAN
DR YANN LESTRAT


Nous avons voulu croiser nos regards entre bientôt 2 générations de Psychiatres . Celle du « baby boom » formé à l’aune de la clinique du « sujet de la Psychanalyse » et celle du Psychiatre en formation « des années 2000 », qui voit de plus en plus refluer cette clinique , pour des approches plus orientées par les Neurosciences .
Psychiatres exerçant dans le service public de Psychiatrie , nous avons été formé pour l’un d’entre nous , dans les années 70 autour du primat de la clinique . A cet égard la référence à la Psychanalyse était prééminente et la question du diagnostic s’appréhendait surtout autour de la distinction entre névrose et psychose . La clinique psychiatrique « à la française » se définissait dans son objet comme séparée de la Neurologie, distincte de la Médecine et de la biologie , et se définissant selon H.Ey comme une Anthropologie . Cette conception n’est pas sans effet lorsqu’on aborde la question du diagnostic .
Sur cette voie ouverte par la clinique, c’est un sujet dont il est question , avec toute l’épaisseur de son temps subjectif , qui intègre la Psychopathologie . Ce qui a marqué notre formation c’est la référence constante à une clinique du sujet « en situation » . L’apport de la Psychanalyse et particulièrement de la Psychothérapie Institutionnelle a joué un rôle fondamental dans cette perspective et je citerai ici le rôle qu’ont joué des Psychiatres comme Tosquelles , Bonnafé , Daumézon , et plein d’autres afin d’ouvrir la voie à une Psychiatrie de secteur . »
Comment aborder alors la question du diagnostic à l’ère du DSM, dont l’idéologie affirmée est qu’il n’y a pas de « distinction fondamentale à établir entre troubles mentaux et affections médicales générales » (Préface du DSMIV MASSON 1996) ?
Le terme « DSM-IV » compte à lui seul plus de 6000 publications indexées dans med-line à ce jour (avril 2004), et la plupart (toutes ?) des communications internationales en psychiatrie biologique le mentionnent. Cette omniprésence du DSM dans la littérature contraste avec la faible importance que lui accordent les cliniciens -du moins les cliniciens français - quelle que soit leur orientation. En un mot, on ne forge pas en France un diagnostic sur des critères DSM-IV.Nous ne reprendrons ici que les éléments de l’histoire des classifications dites « DSM » nécessaires à éclairer notre thèse, le lecteur pourra trouver un éclairage plus complet par ailleurs (Kirk & Kutchins, 1998). Les deux premières versions du DSM s’appuyaient sur des thèses psycho dynamiques. Publiées respectivement en 1952 et 1968, et devenues nécessaires du fait de difficultés à décrire des troubles psychiatriques post-traumatiques, elles se voulaient « refléter et non modifier les pratiques courantes en psychiatrie » (Kirk & Kutchins, 1998).
L’avènement des DSM III et IV s’est appuyé sur la nécessité affichée d’une meilleure fidélité inter-juge des diagnostics, c'est-à-dire d’une meilleure concordance diagnostique, et sur la volonté d’apporter un changement à la nosologie, une « évolution scientifique » (Klerman, 1978), ainsi qu’une augmentation du nombre d’entités décrites. Pour Robert Emde (1998, cité par Guedeney, 2000), le premier critère de validité d’une classification est son étendue, c'est-à-dire sa capacité à décrire l’ensemble des syndromes observés. Notons d’emblée que la réduction de la clinique du sujet à une clinique symptomatique (c'est-à-dire méconnaissant le sens latent du symptôme) méconnaît également la partie de la nosographie qui s’intéresse depuis H. Deutsch (1934) à la « normalité pathologique ».

Ces deux manuels réalisent une coupure épistémologique majeure, entre ce qui était un manuel destiné au clinicien, et un manuel statistique basé sur l’épidémiologie et destiné dans un premier temps à la recherche, puis progressivement visant à redéfinir la nosologie en se détachant de toute considération structurelle du sujet, revenant finalement à la clinique psychiatrique préfreudienne (Kahlbaum, Morel, Kraeplin).

L’ensemble de ces classification repose sur le désir d’appartenir au credo néo kraepelinien. (Griez, 2000 ; Klerman, 1978, cité par Kirk & Kutchins, 1998) :

1 La psychiatrie est une branche de la médecine.
2La psychiatrie devrait utiliser les méthodes scientifiques modernes et fonder sa pratique sur la connaissance scientifique.
3 La psychiatrie soigne des gens malades qui requièrent un traitement pour maladie mentale.
4 II existe une limite entre le normal et le pathologique.
5 II existe des maladies mentales distinctes. Les maladies mentales ne sont pas des mythes. Il n'y a pas une seule maladie mentale mais plusieurs. La tâche de la psychiatrie scientifique, comme des autres spécialités médicales, est de rechercher les causes, le diagnostic et le traitement de ces maladies mentales.
6 L'attention des médecins psychiatres devrait particulièrement se porter sur les aspects biologiques de la maladie mentale.
7 Il devrait y avoir un intérêt explicite et volontaire pour le diagnostic et la classification.
8 Les critères diagnostics devraient être codifies et la validation de ces critères par différentes techniques devrait être considérée comme un domaine de recherche légitime et précieux. De plus, les départements de psychiatrie des écoles de médecine devraient enseigner ces critères, et non les déprécier comme cela a été le cas durant de nombreuses années.
9 Les techniques statistiques devraient être utilisées dans les efforts de recherche visant à améliorer la fiabilité et la validité des diagnostics et de la classification.

On peut opposer cette approche à ce que Jovelet (2000) définit comme l’avenir de la psychiatrie (française) :

1 Multiplicité des approches théorico-cliniques
2 Dialogue avec les champs contigus
3 Limites non-fixées entre maladie mentale, clinique sociale et souffrance psychologique
4 Activité non réduite au champ médical, intégration dans une réflexion sur la connaissance humaine, dans une anthropologie
5 Concertation avec le pouvoir politique

En effet , aujourd’hui , le problème posé à la Psychiatrie depuis les années 1970 avec l’avènement des neurosciences et du cognitivisme et tout autant de l’évaluation médico-économique , est bien celui de son objectivation comme spécialité médicale .
Notre époque voit triompher le pragmatisme au détriment des exigences de la réflexion spéculative , philosophique et éthique .Les débats passionnés qui existaient il y a 2O ans en Psychiatrie entre organogénése –psychogénèse , Psychanalyse et politique,…. semblent maintenant bien oubliés et partout semblent régner un consensus flou où se juxtaposent les différentes approches théoriques en chapelles et où domine le modèle « bio-psycho-social ».
C’est dans ce contexte que paraît en 1980 le DSMIII en France .Cette classification très marquée par le pragmatisme américain , bouscule en effet cette clinique « à la française » .Son introduction a entraîné une critique acerbe et un rejet de la profession . Dans la pratique son utilisation reste partielle dans la pratique publique et encore plus libérale . C’est au seul psychiatre public qu’il est demandé un diagnostic précis en fonction de la CIM 10 , classification très proche du DSM .
L’approche choisie par le DSM est délibérément a-théorique en ce qui concerne l’étiologie et la Psychopathologie .En effet « l’inclusion de théories étiologiques serait un obstacle à l’utilisation du manuel par des cliniciens d’orientations diverses ». L’argument massue du DSM est que la Psychanalyse est théorique et spéculative , alors que le DSM est a-théorique basé sur les faits (evidence –based). Cette absence de perspective structurale est un des plus grand reproche adressé au DSM par les Psychiatres français .Le DSM renonce à toute réflexion sur les troubles mentaux .Il affirme que la différence entre le mental et le physique est un anachronisme réducteur de l’opposition entre l’esprit et le corps .
La position pragmatique d’a-théorisme n’est sans doute qu’une illusion , car cela revient à privilégier les symptômes manifestes et les comportements observables au dépens de toute dimension psychopathologique et structurale . La tendance comportementaliste est manifestement favorisée par ce choix .La nosographie originaledu DSM s’est aussi incontestablement élaborée sur la base d’une réactivité thérapeutique préférentielle aux thérapies comportementales , aux anxiolytiques ou bien aux antidéprésseurs , ce qui est en réalité un choix de modèle théorique de classification et non une position strictement a-théorique . On pourrait faire le même type de remarques concernant de nombreux chapitres du DSMIV qui traduisent l’influence de certains groupes de pressions influents aux USA , ainsi le chapitre sur les différentes variétés de thérapies sexuelles , la disparition de l’homosexualité . La notion de personnalité antisociale renvoit à une conception normative , où l’équilibre psychologique est assimilé au conformisme social .

On est donc amené à s’interroger sur la réalité de l’absence de référence théorique dans le DSMIV. En fait il privilégie les comportements objectivables et potentiellement de futurs données biologiques . L’assimilation des désordres psychopathologiques aux symptômes et aux comportements manifestes « conduit progressivement à une autre assimilation » : guérir , c’est faire disparaître le symptôme ou la plainte apparente , ce qui renforce les traitements comportementaux et biologiques . L’absence d’un a priori du DSMIV est donc un leurre , comme son apparente neutralité idéologique .
Actuellement les passions qu’avaient déchainé le DSMIV se sont apaisées. Il est frappant de constater la différence dans l’utilisation de cet outil entre les pays .Dans certains pays , il est une référence indispensable dans l’enseignement de la Psychiatrie . Les praticiens de ces pays sont obligés de l’utiliser s’ils veulent simplement publier , ou obtenir de l’aide d’institutions américaines .En France , il est un atout de référence pour la Psychiatrie universitaire très concernée par la recherche pharmaceutique liée aux grandes industries pharmaceutiques .Dans la plupart des autres situations , le recours est plutôt du côté de la CIM110 qui laisse largement plus de place aux grandes entités de la clinique Psychiatrique .Par contre les problèmes soulevés par l’introduction du DSM , en particulier le risque du réductionnisme pseudoscientiste.
Le débat s’est déplacé dans le champ psychiatrique français au niveau des procédures d’évaluation tel le PMSI et l’accréditation , dans lesquelles la question diagnostic , n’est qu’un aspect parmi le désir de mieux évaluer et classer l’activité en Psychiatrie . Nous sommes encore moins préparer à accueillir ce mode de pensée qui risque de modifier notre façon de concevoir l’homme et la folie . La mise en place de « conduite à tenir » et de protocoles déjà en germe dans la pensée DSM , risquent elle de réduire le sujet « à ses actes » dans un désir de maîtrise comptable de l’activité soignante .

Un des aspects totalement absents dans cette forme d’appréhension du problème psy c’est ce que j’appelerai « la subjectivité de l’observateur » et son implication dans ce qu’il prétend observer en toute neutralité . Dans la pratique courante , nous savons bien à quel point cet aspect est fondamental dans l’intervention thérapeutique . Sans évoquer la question du contre transfert en Psychanalyse , il est important de relever , à quel point nos interventions sont influencé par la nature de la relation engagée avec un patient .

Les résistances des psychiatres français à la clinique du DSM IV peuvent s’expliquer en partie par une certaine résistance au changement, par la difficulté à s’adapter à un texte toujours en mouvement puisque régulièrement remanié, ainsi (surtout ?) par l’absence d’exigence des systèmes de remboursement des soins de l’utilisation d’un systéme diagnostique simple et standardisé. On peut y entendre, surtout, une crainte. Celle de la désubjectivisation de la clinique ; Pour D.Laurent (2004), la référence au sens et au signifiants propres du sujet est éliminé de cette clinique. Ce qu’elle autorise, c’est la libération « de toute explication causale, de tout sens et l’illusion de toute puissance ». L’utilisation de critères diagnostiques simples, issus de la recherche, situe le sujet comme patient souffrant d’une maladie, dans une approche résolument médicale rejetée par un certain nombre d’auteurs (voir Jovelet, cité plus haut), qui évoquent l’importance d’une approche multi-disciplinaire d’un sujet pris dans son histoire, et non évalué en psychométrie à un instant t .
Par ailleurs, l’approche critériologique utilisée seule engendre l’inquiétude de tendre vers une approche normative de la psychiatrie, fondée uniquement sur l’épidémiologie, formulant des « jugement de valeurs par rapport aux autres quant à une éventuelle normalité » et écartant « la recherche du bon fonctionnement antérieure » (Bergeret, 1974) comme critère pour cette normalité.
Enfin, et pour finir, l’utilisation du DSM IV comme nosographie universelle permettant d’évaluer l’ensemble des pratiques de soins en psychiatire (rapport INSERM, 2004) y compris celles par lesquelles et pour lesquelles il n’a pas été fait, risque d’entraîner le rejet définitif d’un outil qui semble aujourd’hui indispensable à la recherche en psychiatrie biologique.



Bibliographie

Bergeret J. La personnalité normale et pathologique. Bordas, 1974
Emde R. A propos des classifications diagnostiques dans la petite enfance : quelques principes. Devenir,10,1:11-17
Griez E. L’évidence scientifique remet-elle la psychiatrie en question. Halopsy 23,2000
Guedeney A. La classification diagnostique 0-3. les dossiers de carnet psy, 2000
Jovelet G. Le sujet de la psychiatrie : sujet de conscience, de l’inconscient ou de la science. Communication au congres de Vannes, 2000
Jovelet G. Demain la psychiatrie. L’information psychiatrique,76’6,2000:665-72
Kirk S, Kutchins H. Aimez-vous le DSM ? Les empêcheurs de penser en rond, 1998
Laurent D. Du désire de standardisation massive. Communication, 2004