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Profession qui a disparu

Profession a réinventer

Daniel Coste


     Infirmier, je travaille dans le champ de la santé mentale, a l’hôpital psychiatrique du département du lot (46.

     J’ai trente ans d’ancienneté.

     Pendant toutes ces années, depuis ce microcosme hospitalier, j’ai pu observer l’évolution d’une société et  sa prise en charge psychiatrique.

  -      augmentation de la demande de soin

  -      évolution des tableaux cliniques, reflets d’une société en souffrance, ou la dynamique familiale, la dynamique du couple, les situations sociales et professionnelles de chacun, sont de plus en plus fragilisés par des stresseurs aux couleurs de la précarité.

   -     réduction considérable du nombre de lits d’hospitalisation et de l’offre de soins.

-         fermeture des écoles spécialisées, avec disparition de l’artisan du soin en santé mentale.

-         un diplôme unique avec lequel nous pouvons nous demander ce que deviendra le secteur psychiatrique sans formation infirmière spécifique, sans formation supplémentaire de psychiatres réduite aujourd’hui par le numerus clausus.

 

     Comment ne pas être mécontent et fatigué de la non reconnaissance d’une profession à haute qualification dans l’accompagnement de l’être humain : accompagnement complexe où le sur- mesure est incontournable dans tous les domaines de la santé (prévention, crise, restauration, promotion, accompagnement de fin de vie….)

     Ici, l’ être humain unique est au centre de nos préoccupations ; son existence, son niveau de santé sont appréhendés dans une approche holistique et dans un courant de pensée humaniste s’orientant chaque fois que la situation le permet, vers l’offre de soin.

 

     La qualité de l’offre de soin ne favorise t-elle pas les conditions de la demande ?

 

     Comment ne pas être mécontent et fatigué de la non reconnaissance salariale, où nous retrouvons encore une fois des salaires  à faibles pouvoir d’achat dans des professions dont les postes sont majoritairement occupés par une population féminine méprisée ; pour exemple : 40 euros les primes honteuses des dimanches et jours fériés travaillés, 40 euros de prime pour assurer une charge de travail à haut risque, compte tenu de l’isolement et de la désertification en personnel le week-end dans les hôpitaux.

     Ce qui me permet d’insister et de revenir sur l’évolution de la société et du patient psychiatrique.

 

     Depuis quelques années, j’observe et constate la dégradation des conditions de travail en psychiatrie, avec une augmentations des risques pour les patients et pour les soignants.

Pourtant, personne encore à ce jour n’a pu démontrer que le patient pris en charge par la psychiatrie représentait une population plus à risque qu’un autre groupe témoins.

Je relève cependant que le profil des malades a évolué : population hospitalisée de plus en plus jeune, présentant des problèmes de santé mentale associés à des conditions de vie où, précarité familiale, sociale, professionnelle sont au premier plan.

     Maladie mentale, pauvreté, toxicomanie, violence, sont des tableaux devenus classiques, face auxquels nous avons de plus en plus de difficultés à apporter des réponses thérapeutiques véhiculées par notre culture psy.

 

     La violence, la presse a beaucoup écrit sur ce sujet après le double meurtre d’une infirmière et d’une aide soignante à l’hôpital de Pau.

     Nous sommes normalement formés à faire face à la dangerosité potentielle de nos patients.

Ne nous trompons pas de formation, allons chercher les bons outils favorisant le regard interne, la remise en question, la disponibilité, les outils permettant de créer un espace de bonne qualité et favorisant ainsi l’éclosion de sa dimension thérapeutique.

La violence se gère d’abord (pour ne pas dire toujours) en amont.

Attention au discours sécuritaire et évènementiel de l’après Pau. Acheter des Bips pour les soignants ne sert pas à grand chose si en amont toutes les conditions pour un accompagnement de qualité sécuritaire n’ont pas été crées.

 

     La formation ne suffit pas non plus : la notion d’effectif est ici à prendre très au sérieux.

Même si nous sommes bien formés, le manque de personnel soignant, psychiatres et infirmiers confondus est le principal facteur d’insécurité.

 

     Des secteurs entiers manquent de psychiatres, et dans certaines zones, plus aucun spécialistes n’exercent.

     Le suivi des patients est malmené dans toute la chaîne aidante par un manque d’effectif ou par l’absence d’un ou plusieurs de ses  maillons.

     Aujourd’hui, toute une population de patient, frappé par la maladie mentale  qui présente des zones de dépendance invalidante, est mal étayée

Cette population ou ce malade, a besoin d’un accompagnement solide pour répondre efficacement à des besoins spécifiques. Il reste le plus souvent un mauvais nageur pour qui sa bouée ne doit jamais être trop éloignée. Encore faut-il que celle-ci soit de bonne qualité, sinon l’action de  soin risque de se réduire  à du colmatage de fortune par la pose de quelques rustines. Force est de constater que c’est malheureusement la solution apportée dans bien des cas.

 

     Pour citer quelques maillons faibles  depuis plus de 10 ans :

 

-         fermeture massive des services pour les patient a faibles capacités d’autonomie, avec propositions de solutions alternatives inefficaces ou pas de propositions. Ces mêmes patients, de par leur grande fragilité sont amenés à occuper des lits de crise ou de réinsertion selon le cas, dans des services déjà surchargés et qui pour certains fonctionnent déjà avec des listes d’attente.

 

-         les centres médicaux psychologiques (pierre angulaire du système)ne peuvent plus suivre la cadence par le manque d’effectif. Trois semaines à un mois pour obtenir un rendez-vous infirmier. Trois mois pour une consultation avec un psychiatre.

 

-         Les centres thérapeutiques à temps partiel sont le plus souvent inexistant, et lorsqu’ils existent, ils ne sont pas adaptés à la demande faute de moyens…

 

 

     Je ne cite ici que ce que je connais, d’autres pourraient évoquer les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien : je pense aux collègues qui travaillent pour les secteurs infanto-juvéniles ou géronto-psychiatriques.

 

     La féminisation rapide de la profession qui s’est accéléré au début des années 1990 pose également de nombreux problèmes.

     D’une manière générale, la pénurie de personnel et l’arrivée de personnel non spécialisé a déstabilisé les équipes soignantes alors que depuis quelques années la demande de soins n’a cessé d’augmenter.

     Comment créer l’espace thérapeutique si nous manquons de temps ? Le diagnostic se fait avec le malade et à la bonne distance.

      Dans certains hôpitaux et plus fréquemment dans les grands centres, le personnel infirmier et les psychiatres en sont réduit à faire de l’abattage. Dans ces conditions, la violence de certains patients est simplement la réaction à la violence de l’institution.

     Nous constatons dans les services  l’aggravation de la désertification des connaissances cliniques et, par voie de conséquence le développement d’une prise en charge de moins bonne qualité. Chaque fois que le personnel soignant est insuffisant en nombre ou en niveau de compétence nous observons une dégradation des facteurs de création du lien, une diminution, voire une absence des temps de rencontre avec les patients et leur famille, alors que le meilleur garant de la violence est la qualité du lien entre patient et soignant.

 

     La psychiatrie souffre d’un manque de personnel, souffre d’un manque d’équipe formée d’effectifs équilibrés hommes-femmes, souffrance également en regard à une mutation profonde dans les techniques de soins, du fait d’une perte de savoir-faire chez le personnel soignant  depuis la disparition en 1992 d’un diplôme spécifique infirmier psy.

 

     La formation actuelle  ne permet plus de développer des capacités relationnelles suffisantes avec le malade. De fait, les nouveaux infirmiers développent une sorte d’appréhension dans la rencontre avec le patient et sont très vite débordés.

     L’enrichissement du rôle propre dans le champ clinique infirmier est incontournable.

     Il est important d’équiper le système de santé en personnels qui connaissent les patients, et puissent faire une analyse clinique de la pathologie et de la situation, car il y a des comportements qui peuvent  limiter ou au contraire stimuler le passage à l’acte des malades.

     Battons-nous pour un soin de qualité, pour défendre la spécificité de la nature du soin infirmier. Cette spécificité avec sa réglementation, ses cadres conceptuels, ses courants philosophiques, ses valeurs, ses interventions propres est l’apanage d’une profession où  l’objet de nos préoccupations est l’être humain, un sujet vivant, changeant et dynamique.

     Attention à la psychiatrie qui menace de se déshumaniser, car de toute façon elle reste soumise à une forte pression  de la société.

 

     Le manque d’effectif et de spécialisation dans les hôpitaux psychiatriques et autres espaces thérapeutiques ne peut être traité sans une authentique prise de conscience du problème par les pouvoirs publics qui doivent s’engager pour apporter des réponses adaptées aux besoins.

 

     Il y a urgence dans l’engagement et la prise de décision de nos élus et de nos décideurs.

L’humanité d’une société se reconnaît à la manière dont elle traite ses malades. Or, ceux-ci sont dans la rue, dans les prisons, à l’abandon… quand la dérive sécuritaire de notre pays ne les stigmatise pas comme des délinquants potentiels.

 

     La psychiatrie de secteur était le fer de lance de cette humanisation mais aujourd’hui elle n’a plus les moyens de ses ambitions en raison des restrictions budgétaires massives en matière de santé publique .En réduisant l’offre de soin, les pouvoirs publics pensent ainsi résoudre le problème de la pénurie d’infirmiers dans l’avenir.

     Attention aux solutions palliatives à cette pénurie.

     Il y a fort à parier que les solutions apportées par la gestion prévisionnelle des emplois et compétences (G.P.E.C) accentueront encore  le transfert du médical sur le social à moindre coût en transformant des postes d’infirmiers et en demandant aux plus anciens toujours plus en gagnant moins.

     On nous demande de faire des efforts notamment dans la formation des jeunes sous la forme du tutorat. L’effort est demandé à ceux qui ont vu partir leurs collègues en préretraite, à ceux qui ont, par le blocage de leur salaire contribués au financement de ses départs et au financement de la   réduction du temps de travail , la profession étant pourtant déjà fortement touchée par la non reconnaissance salariale.

 

     Sans m’étendre d’avantage sur l’importance d’une formation sur mesure pour des techniques de soins complexes, des courants de pensées, des référentiels théoriques, des notions de disponibilités ..etc. je veux aujourd’hui dire combien il est urgent de prendre en considération le malaise rencontré dans l’exercice infirmier au service de l’accompagnement des patients relevant entre autre du champ de la santé mentale.

 

     Voici quelques idées qui se veulent avant tout force de proposition même si parfois ces propositions peuvent prendre des allures de contestation :

 

 

 

JE PROPOSE :

 

-         une réforme de la formation d’infirmier avec une année de spécialisation après la période tronc commun dont la durée doit être discutée. Cette année est indispensable pour développer des compétences dans le champ de la clinique infirmière et utiliser ces compétences dans la fonction tridimensionnelle(dépendante, interdépendante, autonome)avec les rôles rattachés : délégués, en  collaboration et propres.

 

-         Il s’agit de réinventer la profession. Il faut proposer une formation moderne. L’infirmier de secteur psychiatrique n’existe plus, remplaçons le par l’infirmier en santé mentale à qui il faut donner tout les outils nécessaires pour l’accompagnement de la population dans tous les domaines de la santé : prévention, restauration, promotion, phase de fin de vie… Cette approche peut se résumer en un terme : santé holistique.

 

 

-         Des mesures incitatives , parmi lesquelles pourraient figurer le rétablissement du statut de salarié pour le futur élève infirmier et la  revalorisation des salaires, avec  revalorisation des primes de nuits, dimanches et fériés travaillés.

 

-         pour pallier au plus pressé, je propose la mise en place sans plus attendre d’un tutorat après accord et échange avec les partenaires sociaux. La reconnaissance de ce « passage de compétence » pourrait être reconnu par un échelon supplémentaire qui pourrait récompenser le salarié les cinq dernières années d’activité. Ce dernier échelon( encore faut-il qu’il soit attractif) devrait inciter les professionnels concernés à s’investir pleinement dans cette perspective d’accompagnement du plus jeune.

 

-         J’invite les décideurs à inventer le produit qui permettra les meilleurs échanges transversaux entre directeurs d’établissement et partenaires sociaux.

 

     Sans tous ces efforts de l’état, la crise que traverse la profession et l’accompagnement du patient risque de s’aggraver encore au détriment de toute une population déjà lourdement fragilisée.

 

 

 

 

 

MOTS CLES :

 

-         SOUFFRANCE

-         VIOLENCE

-         REFORME

-         EFFECTIF

-         RECONNAISSANCE

 

 

 

 

 

 


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