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appel de bondy un an après texte source

DESTINATAIRE          les signataires de l’appel de bondy, et les autres
EXPÉDITEUR                  les fondateurs de l’appel
OBJET                          la psychiatrie de secteur
DATE                          05/04/01
Cc                  tous ceux qui espèrent, et qui veulent une nouvelle psychiatrie

refondation

UNE PSYCHIATRIE DE SECTEUR CENTREE SUR LA PERSONNE

ET SUR LES LIENS DE LA PERSONNE



Il est temps de parler autrement de la Psychiatrie de Secteur, avec plus de certitude, plus de force, aujourd’hui, en 2001 c’est à dire 50 ans après que des hommes clairvoyants et déterminés l’aient conçue, avant 1950  allons de l’époque des hypothèses à celle des preuves.
Depuis que sa réalisation a commencé, après 1970, la Psychiatrie de Secteur s’est présentée essentiellement en termes de changements de mode de soin et de créations d’établissements
, le moment est venu de la représenter comme la mise en place d’un nouveau mode de relation avec les personnes qui vivent une souffrance psychique. Au lieu de centrer la psychiatrie de secteur sur les établissements, il est temps de la centrer sur la personne et sur ses liens.


I - Un peu d’histoire


N’est il pas alors pertinent de prendre le recul nécessaire pour peser, à la fois quelle a été l’audace de la pensée de la psychiatrie de secteur lors de sa fondation, et à quel point, depuis cette époque ancienne de 50 ans, la société s’est transformée 

Il est utile de noter que la psychiatrie de secteur a été conçue avant 1950, et nous pouvons rappeler, pour chacune de ces deux époques, 1950 et 2000, quelle a été la toile de fond de notre société  ; le contraste entre ces deux époques donne un peu le vertige  ; même si nous sommes persuadés que l’homme ne change pas,
le mode de vie de l’homme et ses rapports avec les autres ont été bouleversés. Un jeune psychiatre qui commence son activité en 2001 a devant lui un tout autre monde que celui qu’avait son collègue en 1950.


Voici d’abord quelques éléments de la perspective qui était présente à l’esprit des fondateurs de la psychiatrie de secteur  La première guerre mondiale 1914-18, la dépression de 1929, le front populaire de 1936, les congés payés  ; en psychiatrie  les descriptions des aliénistes, l’insulinothérapie, l’hygiène mentale, les premiers dispensaires, Pavlov, Freud. Aussi les colonies, les mines de charbon  ; la deuxième guerre mondiale 1939-45, la déportation, les camps de concentration, les kapo, la famine, les réseaux de résistance, la libération, la 4ème République, la Sécurité Sociale, les antibiotiques, la guerre d’Indochine. En psychiatrie encore  la Psychothérapie Institutionnelle est réalisée dès 1940 à St Alban (Tosquelles,…) avant de recevoir son nom en 1952 à Barcelone, (Daumezon,…) l’ergothérapie, la critique des quartiers d’agités et des cellules d’isolement, les CTRS  ; et le marxisme, la psychanalyse, … la vie était dure, les luttes idéologiques étaient fortes, mais une espérance de solidarité soutenait les projets.


La psychiatrie de secteur, Lucien Bonnafé l’a rappelé récemment, a été conçue dans ce contexte,
avant 1950, même si la première circulaire officielle date de mars 1960. Ceci est important pour nous permettre de saisir le décalage qu’il y a entre cette période et la suivante. Voici quelques éléments de ce qui s’est passé en 50 ans après 1950  : Les neuroleptiques à partir de 1952, Lacan, Foucault, la guerre d’Algérie, Kennedy, De Gaulle, la 5ème république, fin des colonies, 1968. L’antipsychiatrie, (Basaglia, Lang,…) les chapelles psychanalytiques, les thérapies familiales, les thérapies comportementales, les mouvements associatifs, la Croix Marine, l’UNAFAM, l’UNAPEI, la FNAP-PSY, les circulaires sur le Secteur de 1960 et 1972, la loi officialisant le secteur en 1985 et l’arrêté de 1986, entre temps quelques rares équipes de secteur se créent dès 1951 avec le XIIIème à Paris, à Grenoble, la clinique de Laborde vers 1951, la MGEN, les campagnes des laboratoires pharmaceutiques. Les lois sur l’adoption et sur la contraception, les mesures sociales avec la loi de 1968 sur la protection des biens des incapables majeurs, la loi de 1975 sur l’AAH, en 1987 le RMI, la chute du mur de Berlin, les acquisitions techniques touchant tous les domaines, (environ 80 % de nos avancées techniques ont été faites pendant les 50 dernières années) aussi bien l’imagerie médicale ( où la trace de l’esprit reste insaisissable), que la vie quotidienne, de l’alimentation aux déplacements, congélation, TV, ordinateur, internet, téléphone portable, avion, TGV, l’allongement de la vie de plus de 20 ans (80 et 72 ans), la famille est de plus en plus parcellisée en même temps que de plus en plus souvent 5 générations d’une même famille peuvent se connaître, une urbanisation passant de 50 % à plus de 80 % de la population, après les 30 glorieuses l’arrivée de plus de chômage, de moins de retraite, d’une classe de personnes de plus en plus désaffiliées, précarisées…
.Et parallèlement de 1972 à 1990 création progressive de la totalité des 829 équipes de secteur générales et 321 infanto juvéniles et pour chacune l’épopée de son évolution propre, puis… depuis 5 ans à la fois l’annulation de la profession des infirmiers psychiatriques et la promesse de disparition progressive en 20 ans de 2/3 des psychiatres du service public…Si la psychiatrie de secteur a partiellement fait ses preuves, comme nous allons le voir, la société du 21ème siècle est sèche, sans projet, aux prises avec deux classes, l’une aisée et qui ne paraît pas heureuse et manque certainement de générosité, l’autre désaffiliée, larguée, sans espoir.
Une telle énumération, très partielle, sera largement complétée par chacun.


Quand on considère tout ce qui s’est passé depuis la conception de la Psychiatrie de secteur en 1950, il est impossible de ne pas s’interroger sur le sens qu’elle a aujourd’hui. Elle avait alors comme perspective la reconnaissance de l’homme dans toute personne, même folle, mais son but immédiat était de mettre fin aux horreurs de l’asile. Aujourd’hui, heureusement, grâce à ce travail ce qui mobilise les soignants ce n’est plus l’horreur de l’asile, mais la passion devant les mystères de la vie psychique et la lutte contre la souffrance psychique sous toutes ses formes.


II - Pendant 30 ans , de sa création à 2000  création des structures intermédiaires 
De fait, pendant 30 ans, la psychiatrie de secteur a centré toute son énergie et son temps sur la transformation des établissements en se déployant dans deux directions complémentaires, mais très différentes et presque opposées en terme d’objectif  la création de structures intermédiaires, et l’humanisation des hôpitaux.
Qu’en est il aujourd’hui  nous risquons tout simplement d’oublier le message initial  "Reconnaitre l’homme dans toute personne qui souffre  »  ; à partir de là nous devons proposer une nouvelle conception du soin basée, non seulement sur une dynamique psychopathologique, mais aussi sur la prise en compte positive de la dynamique de la vie dans ses échanges relationnels.


La psychiatrie de secteur paraît aujourd’hui plus pertinente qu’au moment de sa naissance parce qu’elle a déjà montré largement son efficacité, et surtout parce que ses bases rejoignent les interrogations de fond de notre société moderne  la personne et ses liens.
De 1970 à 2000 la psychiatrie de service public a reconverti une petite partie de son patrimoine immobilier hospitalier en petites structures de soin différenciées dispersées dans le tissu urbain.
Pendant 30 ans les soignants ont dépensé l’essentiel de leur énergie à expérimenter ces petites structures  ; cela a permis de soigner mieux, et en même temps de transformer l’intolérance de l’opinion publique à la folie en tolérance  ; cette tolérance est aujourd’hui acquise dans les secteurs qui ont pu déployer leur activité.
Tout au long de cette période les soignants ont centré leur réflexion et leurs efforts sur la transformation des établissements psychiatriques.

Cela a permis de préciser quelles pouvaient être les meilleures conditions pour soigner  en particulier en créant des structures de petite capacité (12, 20, 25 places), diversifiées (leur proportion évoluant vers ¼ des places en temps plein, ¼ en temps partiel, ½ en ambulatoire), situées dans la Cité, ouvertes sur elle, dispersées, mais articulées entre elles pour assurer une continuité des soins s’appuyant sur le contexte du secteur, et sur ses ressources.

III - Aujourd’hui  une autre étape
Aujourd’hui la psychiatrie de secteur peut montrer ses capacités à permettre l’avènement d’une autre étape de son évolution  une psychiatrie centrée sur la personne et sur ses liens.
Contre l’aliénisme, pour l’homme. A savoir
En finir avec l’aliénisme  ; il est utile de se rendre compte que celui ci sévit à bas bruit, par exemple chez ceux qui prônent de façon exclusive les techniques biologiques ou comportementales, mais aussi chez ceux qui, pour définir la psychiatrie de secteur, lui donnent comme seule référence une limite territoriale et un chiffre de population et en font ainsi une pure disposition administrative.
Se référer à l’homme et clairement donner à la psychiatrie de secteur une définition clinique  c’est une psychiatrie à l’écoute de la souffrance psychique  ; et, parlant de souffrance plutôt que de maladie, elle inscrit sa démarche plus sûrement dans l’histoire et dans la vie de l’homme, dans ses liens aux autres. Le soin psychiatrique dans la psychiatrie de secteur vient à la rencontre de l’homme dans sa totalité.



Les équipes de secteur ont été définies pour toute la France  là où une équipe intervient quel peut être son objectif    elle rencontre des personnes qui souffrent, elle évalue la dimension psychiatrique de cette souffrance, elle évalue les articulations nécessaires avec d’autres services, elle évalue ses ressources personnelles et celles de son entourage, et, à partir de ces évaluations, elle peut proposer les soins qui lui paraissent le plus pertinents dans chaque cas précis.


Aujourd’hui dans chaque secteur, doivent être évaluées les disponibilités existantes dans les champs complémentaires de la santé mentale  les ressources du service public, celles de l’associatif, celles du privé, pour la psychiatrie d’une part, et d’autre part les articulations suffisantes de cette psychiatrie avec les ressources sanitaires et avec les ressources sociales de ce milieu (hébergement, formation professionnelle, place sociale, implication culturelle…)


En ce qui concerne le service public, la ressource est d’abord l’équipe soignante, ses capacités d’écoute, d’adaptation, de relation pour, devant toute demande de soin, tisser la réponse la plus adaptée à la souffrance de la personne concernée et aux compétences des personnes en liens avec elle, la notion de groupe étant là une base de travail fondamentale.
La même évaluation doit être faite pour les autres acteurs ( associatif, privé, champ social et médico-social, tous acteurs complémentaires).

IV - Faire le point  avec le Rapport de la Cour des Comptes
Il est nécessaire ici de faire le point 
-        a/tirer les enseignements de l’expérience de ces 30 ans de psychiatrie de secteur,
-        b/départager les responsabilités actuelles,
-        c/en déduire des propositions pour l’avenir.
-        a/ tirer les enseignements de 30 ans  disparités de départ et militantisme


Le rapport de la Cour des Comptes rendu public en février 2001 arrive à point nommé pour cette réflexion  ; nous le compléterons par des aspects que cette Cour ne peut connaître, car ils s’appuient sur la clinique, qui est de notre compétence 


Le premier constat que fait la Cour, c’est l’inégalité, ou la
disparité des équipements, reprenant ce qu’elle avait dénoncé 10 ans auparavant. Seulement, pour la première fois, elle se penche sur les causes de cette disparité et elle souligne que la première cause en est historique. En effet le personnel de la psychiatrie de secteur a été créé d’abord par la transformation du jour au lendemain du personnel des hôpitaux psychiatriques en personnel de secteur. La répartition des hôpitaux psychiatriques était déjà très inégale en France. C’est à partir de ce personnel que les équipes de secteur ont été créées progressivement à partir de 1972  ; les premières ont été bien dotées, ainsi que celles qui étaient proches de ces hôpitaux  ; à l’inverse les dernières créées ont été peu ou mal dotées ainsi que celles qui étaient éloignées des hôpitaux. La responsabilité de cette inégalité de départ revient entièrement à l’Etat. Ceci a été aggravé par l’attitude de l’Etat vis à vis de ces hôpitaux, comme le souligne la Cour  alors que l’Etat avait décidé une politique basée sur l’accessibilité des soins et sur leur déconcentration, (rendue possible par la disparition des hôpitaux psychiatriques, ce qui aurait pu déboucher sur une distribution plus équitable des moyens) l’Etat n’a pris aucune décision sur ce point et a laissé se consolider la plupart de ces hôpitaux psychiatriques.
Malgré cette immobilité la psychiatrie de secteur s’est développée, mais sans cadre et donc de façon inégale.
Il est juste d’apporter une précision sur ce point fondamental que ne rapporte pas la Cour 
Pendant toute la période précédente, la construction de la psychiatrie de secteur a été le résultat d’un combat mené par un nombre limité de
personnes militantes provenant de tous les milieux  : chez des soignants, et dans toutes les catégories professionnelles, mais aussi chez des administrateurs tant au ministère que dans les directions hospitalières, dans des associations de famille et d’usagers, chez des citoyens et des hommes politiques. Ces militants savaient qu’il fallait construire des preuves pour convaincre l’opinion du bien fondé du pari de cette politique. Peu de politiques, très peu d’universitaires, peu d’institutions, ni la Sécurité Sociale, ni la médecine dans son ensemble ne croyaient à son efficacité. Ainsi s’est produit en France le même phénomène qu’en Italie  l’évolution n’a été soutenue et favorisée que dans les lieux où le consensus entre tous les partenaires était suffisant. La psychiatrie de secteur ne s’est réellement épanouie (devenant accessible, diversifiée, accueillante et disponible) que dans les endroits (dans les équipes, les hôpitaux, les départements), où les convergences ont été suffisantes entre ces différents partenaires  : soignants, ouvriers, directeurs, administrateurs, élus et hommes politiques, associations, familles….la psychiatrie de secteur ne s’est développée que là où les militants étaient suffisamment nombreux et répartis dans tous les milieux. Constat difficile à établir pour une institution aussi honorable que la Cour des comptes. La Cour constate que l’Etat en matière de soutien de cette politique n’a pas joué son rôle, en particulier en ne donnant aucune ligne de conduite à la toute puissante Direction des Hôpitaux, l’association de cette absence de politique et de l’insuffisance de militantisme a été assez forte pour consolider les hôpitaux psychiatriques au lieu de contribuer à leur disparition. A l’inverse on peut se demander d’où est venu le déploiement des soins qui a abouti à des réalisations de structures de secteur  ; ce résultat est il le fait de l’absence de barrières élevées par des directions hospitalières  ou du militantisme des acteurs du terrain  un peu de tout cela, ce qui permet de comprendre que si elles sont globalement nombreuses, elles ne sont pas souvent coordonnées entre elles, et paraissent avoir atomisé le soin au lieu de l’avoir rendu cohérent.
Il est clair que c’est ce
militantisme, ici convergent, là très insuffisant, qui a été à l’origine d’une deuxième cause d’inégalité des moyens  ; dans les cas favorables il a entraîné un dynamisme chez les soignants qui a été favorisé par tous leurs partenaires. L’ensemble a alors donné dans ce cas précis un développement harmonieux. Précisons alors de quoi est fait ce militantisme  il n’est pas fondé par l’appartenance à un parti ni par la défense d’une idéologie dogmatique, la base en est le désir de soignants et d’acteurs sociaux de promouvoir une psychiatrie qui soit au service de l’homme, et de l’homme intégré dans sa cité. Soulignons un point fort, cette psychiatrie est réalisée par des soignants qui se rassemblent pour forger le premier outil de leur travail commun  cet outil est l’équipe soignante, c’est l’un des éléments fondateurs de ce militantisme  ; et rappelons que cet outil pour être solide nécessite un travail de formation constant en interne.
b/ quelle leçon tirer de ces 30 ans : un partage des responsabilités 
Cette hypothèse sur l’efficacité de la psychiatrie de secteur a maintenant suffisamment rassemblé de preuves. C’est aussi le moment où il faut constater que la mobilisation militante a atteint ses limites.
Il est temps de s’appuyer sur cette expérience de 30 ans pour permettre à chacun d’assumer ses responsabilités en fonction de son rôle .
Deux grands axes de responsabilités peuvent être précisés  celui de l’administration et celui des soignants.


Puisque les militants ont montré le bien fondé de l’hypothèse sectorielle, il devrait être possible que l’administration joue son rôle d’organisateur, et que le soignants se consacrent enfin à l’élaboration clinique que permet cette nouvelle situation et centre sa réflexion, non plus sur les établissements, mais sur la personne et sur ses liens.


L’expérience de ces 30 ans nous enseigne deux autres leçons d’importance qui ont échappé à la Cour des Comptes  les méfaits du déplacement des secteurs sur l’hôpital général et de l’intersectorisation.
Certes la Cour constate que la persistance des hôpitaux entraîne une dégradation des soins, et que les patients et leur famille refusent de plus en plus vigoureusement les concentrations et les isolements distants que constituent les hôpitaux, mais elle ne continue pas son analyse sur les résultats du transfert d’un certain nombre de services psychiatriques dans les hôpitaux généraux, ni sur les résultats de la politique d’intersectorisation. Ici encore il est utile de compléter son rapport par l’analyse que peuvent mener les acteurs de terrain. Ceci est essentiel pour réfléchir aux solutions que va choisir l’Etat pour résoudre ce problème. Il nous paraît important de faire ici des remarques basées sur la clinique afin de demander à l’Etat d’y être attentif.


1 déplacement à l’hôpital général


L’idée de rattacher les secteurs de psychiatrie aux hôpitaux généraux est à réviser complètement.

L’idée était simple, en procédant ainsi on diminuait l’importance des hôpitaux psychiatriques, la psychiatrie sortait de son ghetto pour entrer dans un espace où elle rejoignait un autre service public qui semblait totalement complémentaire à une époque où tous les espoirs se portaient vers la biologie et les traitements biologiques, enfin une solution élégante était trouvée pour faire disparaître les H P. Ainsi aujourd’hui, un tiers des secteurs est rattaché aux hôpitaux généraux  ; le résultat est loin d’être satisfaisant, comme le remarque la Cour  la biologie dans la vie quotidienne d’un service d’hospitalisation en psychiatrie ne prend que le temps de la distribution des médicaments (quelques minutes par jour) et de rares examens biologiques  ; et quelle que soit l’efficacité de ces médicaments la nécessité d’un travail relationnel occupe le reste du temps (plus de 23 h 30) et mobilise toute l’énergie et l’intelligence des soignants. Ceci est incompatible avec le climat calme, aseptisé, discipliné, indispensable aux soins médico-chirurgicaux, ce climat est l’antithèse des conditions propices à une unité de soin psychiatrique. Pour cette raison les services psychiatriques dans les hôpitaux généraux, au lieu d’être des lieux faciles d’accès et des lieux d’échange, sont relégués à une extrémité de l’hôpital comme les anciens «quartiers" au 19ème siècle. Ces services ne tirent que bien peu de bénéfice de ce voisinage sur le plan médical car ils n’ont que très peu besoin du fameux «  plateau technique  ». Par contre c’est au nom de ces plateaux techniques que les moyens humains leur sont le plus souvent soustraits  ; les directeurs d’hôpitaux généraux sont impuissants lors des commissions médicales pour empêcher que le budget de ces services et le nombre des infirmiers ne soient alignés à la baisse sur les services médicaux, alors qu’une équipe de secteur doit déployer les deux tiers de son personnel en dehors de son service d’hospitalisation pour développer les soins à temps partiel et les soins ambulatoires dans le secteur. Au total la sortie de ces soignants hors de leur hôpital général est restée limitée, et soulignons ce que n’a pas relevé la Cour  le phénomène de l’hospitalocentrisme est tout aussi fort dans les secteurs rattachés à l’hôpital général que dans ceux de l’hôpital psychiatrique. Il est utile de dénoncer que le rattachement des équipes de secteur, qui avait pour objet de désenclaver la psychiatrie, non seulement ne l’intègre pas dans son secteur, mais a coûté fort cher à chacune de ces équipes  ; en effet leur dotation en personnel a toujours été d’un à deux tiers inférieure à la moyenne des autres équipes.

Ce constat devrait être suffisant pour refuser dans l’avenir tout nouveau rattachement d’une équipe de secteur à l’hôpital général.


A l’inverse, un certain nombre d’expériences qui ont été réalisées à partir d’un hôpital psychiatrique ont montré qu’il était possible par
redéploiement de construire en ville des petites unités d’hospitalisation pour 2 ou 3 services, chacun de 20 à 30 lits  à chaque fois l’on constate que c’est à partir de cette présence en ville que toute l’équipe récolte enfin la totalité des bénéfices de l’ensemble de son travail de secteur, car l’image de la folie est enfin authentiquement améliorée pour la population  en effet la stigmatisation s’atténue, les patients difficiles ne sont pas envoyés ailleurs, mais restent en ville dans ce service  ; à partir de ce service les communications entre les soignants et les familles, les généralistes et tout le tissu social sont banalisées’, aisées, simples  ; il en et de même des liens entre les diverses structures d’une même équipe de secteur  ; il est enfin possible de travailler réellement sur les questions fondamentales de la psychiatrie de secteur, que sont la continuité des soins et leur contextualité.


2 - intersectorisation


Si l’on reprend l’autre proposition, celle de lintersectorisation on constate que ses tentatives ont très vite montré leurs limites  ; la mise en place de structures intersectorielles entraîne une démission partielle des équipes soignantes qui se trouvent convoquées’ pour réaliser des efforts de spécialisation sur des pathologies limitées (violence, malades difficiles, personnes âgées, victimes)  ; de ce fait, ainsi que du fait de leur mise à distance du tissu social des secteurs éloignés, elles se désolidarisent des efforts à faire pour maintenir les liens avec les membres locaux du tissu social de chaque patient  ; la base du travail de secteur s’étiole peu à peu, là aussi  ; l’effort de spécialisation mobilise toute leur attention loin du milieu de vie des patients. Et le résultat final est double  : on dit que de meilleurs moyens sont rassemblés pour soigner une seule catégorie de patients isolés des autres, mais d’une part cette intersectorisation vient consolider l’hospitalocentrisme que la psychiatrie de secteur dit vouloir combattre  ; (ceci vaut la peine d’être étudié dans le détail), et d’autre part le travail de secteur en est diminué.


c/ propositions pour l’avenir


1 lutter contre la persistance des hôpitaux


Une dernière remarque de fond s’impose pour préparer l’avenir  ; elle démontre elle aussi à quel point la persistance des gros hôpitaux psychiatriques pèse sur la qualité du travail de secteur  ; elle concerne le flux des demandes de soin et la vigilance à avoir sur le début des soins. L’un de ses effets n’ a pas échappé lui non plus à l’analyse pertinente de la Cour des Comptes  celle ci a fait part de son étonnement en constatant que le nombre des hospitalisations sous contrainte avait fortement augmenté en 10 ans, contrairement à ce que l’on pouvait attendre de la politique de secteur. Nous pensons que plusieurs arguments expliquent ce fait  : la persistance des gros hôpitaux psychiatriques continue à privilégier parmi les soins, l’hospitalisation, en proposant une entrée directe facilitée pour toute situation quelque peu agitée  ; une telle attitude est en rapport avec un investissement très partiel, donc insuffisant, du travail sur le secteur de la part des équipes de secteur  il est plus facile d’hospitaliser. Seulement la population accepte de moins en moins cette proposition car elle refuse le caractère stigmatisant des hôpitaux  ; pour résoudre cela les soignants sont amenés à décider de plus en plus d’hospitalisations sous contrainte. A notre avis ce constat est une preuve de l’insuffisance d’intérêt et d’engagement des équipes de secteur, souvent découragées par le désinvestissement de l’Etat  si l’Etat ne montre pas l’exemple dans son attachement à l’application d’une politique difficile, pourquoi faudrait-il faire mieux que lui  C’est une preuve que la psychiatrie de secteur n’est pas appliquée avec le même dynamisme partout.
Une analyse plus poussée de ce fait est fort utile pour réfléchir aux solutions à soutenir  nous sommes amenés à penser que ces deux facteurs que sont la persistance de l’hospitalocentrisme et l’insuffisance d’un esprit militantisme a mis de nombreuses équipes de secteur en situation de souffrance et ne leur a pas permis de faire une analyse politique précise de leur travail et de ses effets. Etant protégés de la relation directe avec les habitants de leur secteur, par la nécessité de dépenser l’essentiel de leur énergie à maintenir correct l’outil de soin préférentiel qu’est pour eux l’hôpital, (lequel …les éloigne du terrain), ils n’ont pas ressenti, ni vécu
la demande profonde de la population  ; la demande d’une DISPONIBILITE vraie de la psychiatrie, 24 h sur 24, au sein même du secteur. De plus un certain nombre de ceux qui l’ont perçu ont eu peur de se trouver là enchaînés à une permanence de soins, et ils n’ont pas cherché à savoir de quoi il s’agissait  ; ils n’ont pas pu percevoir que cette demande est une exigence de base pour la population, c’est celle qui installe notre crédibilité: cette disponibilité est la promesse d’une réponse à la survenue de toute angoisse excessive devant des difficultés psychiques.
2

savoir recevoir l’urgence et la transformer


Une autre réalité, devenue obligation, est venue encore fausser la lecture de cette demande de base  la circulaire sur les urgences est venue brouiller les cartes  mais très vite nous constatons qu’assurer une présence aussi constante que la médecine et la chirurgie aux urgences des hôpitaux généraux ne résout pas tous les problèmes de l’urgence psychiatrique, de plus cela les déplace vers les gros centres dits SAU, donc les aggrave, car cela fragilise ou rompt leurs liens avec leur entourage immédiat. Les urgentistes commencent à s’en rendre compte. De plus en plus une autre idée se fait jour que nous soutenons depuis longtemps  les situations d’urgence sont importantes à saisir au plus près du lieu et du moment où elles émergent; si on les concentre dans ces grands espaces que sont les grands hôpitaux généraux, d’une part on surcharge ces urgences, et l’on voit la crise arriver, car le flux global de toutes les urgences ne cesse de s’accroître, d’autre part l’éloignement géographique écarte la compétence la plus forte qui est la connaissance du terrain, constituée par les liens avec la diversité des généralistes et des acteurs sociaux  ; la réalité aussi est que dans ces urgences générales convergent des populations correspondant à 5 à 10 secteurs, toutes ainsi déplacées 
Tous ces facteurs risquent de nous éloigner des richesses et des potentialités de la psychiatrie de secteur  il serait primordial que, dans les objectifs de déploiement que permettrait la fermeture des grands hôpitaux psychiatriques, soit mis en première ligne l’intérêt à apporter aux premiers soins à donner aux personnes qui présentent une souffrance ou des troubles psychiques avérés  dans tout secteur, une équipe d’Accueil peut jouer un rôle considérable, en particulier si elle assure une permanence 24/24.
Elle offre une disponibilité à toute demande de soin, sans délai, sans filtre, sans rendez vous, pour les patients, leurs familles et aussi pour les institutions locales, toute chose qui transforme l’image qu’a l’opinion de la psychiatrie, ainsi se met en place une psychiatrie proche de la souffrance psychique actuelle. L’équipe alors recentrant la dynamique de soin sur le début des soins se donne ainsi les moyens lui permettant d’étayer le choix de chaque soin par une observation suffisante à laquelle l’environnement du patient participe, ce qui diminue au maximum les risques de désinsertion, permet le choix du soin le plus adapté, et permet d’obtenir l’intérêt du patient et son adhésion à la mise en place de ce soin.
L’avenir de la psychiatrie de secteur dépend donc de la capacité de l’Etat à prendre le relais de ce qui a été réalisé essentiellement par le dynamisme militant des divers hommes qui sur le terrain ont mené à bien dans un certain nombre d’endroits des expériences suffisamment convergentes. Seul l’Etat peut prendre la décision de programmer la fermeture ou plutôt
l’éclatement des grands hôpitaux psychiatriques en veillant, en même temps, à créer de petits services dans des espaces de petite capacité en ville (à proximité parfois d’un hôpital général), créant aussi pour chaque secteur, avec une partie du personnel redéployé, une équipe d’Accueil disponible 24/24  ; celle-ci assure une participation aux urgences de l’hôpital général proche. Chaque équipe de secteur restant sous la responsabilité et la coordination du directeur de l’ancien hôpital psychiatrique. La continuité de gestion de l’ensemble par une direction psychiatrique se justifie, car elle seule, grâce à une expérience accumulée depuis 30 ans dans l’invention dont elle a dû faire preuve pour réaliser les dispositifs de soin variés, peut maintenir dans l’avenir à la fois le développement du soin hors hôpital et la souplesse dans l’articulation multiple à garder avec l’environnement social dans son ensemble.
Dans ces conditions, et seulement alors,
l’équipe de secteur peut enfin concentrer toute son énergie et son intelligence à approfondir les dimensions cliniques nouvelles que permet cette nouvelle situation où l’équipe se trouve non plus protégée par les murs et les habitudes de l’ancien hôpital psychiatrique, mais immergée dans le tissu social car elle seule est à même de pressentir les tensions annonciatrices de souffrances, elle peut s’attacher à les prévenir tout en faisant face d’une façon simple et coordonnée aux troubles plus graves survenant dans cette population.
Les tentatives d’évaluation actuelles de la psychiatrie (PMSI, Accréditation ) faites sur une telle disparité nous paraissent honteuses et perverses, car, sous prétexte de rentabilité, elles veulent évaluer l’activité totale des équipes de secteur d’abord, sans mettre en évidence que la disparité des outils qu’ont en main ces différentes équipes, n’est pas sous la responsabilité de ces équipes; ces tentatives esquivent le préalable que doit être l’évaluation qualitative des structures existantes et l’évaluation de la politique qui a abouti à ce résultat : la persistance de ces énormes machines à déshumaniser que sont encore les grands hôpitaux psychiatriques est inacceptable et condamnable  ; ceci est à affirmer avant toute autre évaluation. Le rapport de la Cour des Comptes vient de le faire.


                       

AUJOURD’HUI EN 2001  LA CLINIQUE

L’essentiel de l’attention des soignants peut se concentrer sur le développement des soins en s’appuyant sur les ressources du patient  ses racines
, d’où l’importance de repérer l’espace qui rassemble le maximum de points d’appui autour du lieu où il vit  ; ses liens, d’où l’importance de contacter sa constellation’, les personnes qui partagent sa vie, liens familiaux et amicaux, les personnes qui composent son environnement social et justifient sa place sociale, ses voisins et ses liens professionnels et culturels au sens le plus large.
Nous voyons que les outils les plus constants du soin psychiatrique ne sont plus les
plateaux techniques’ des hôpitaux, mais bien la complexité et la richesse des liens sociaux  ainsi l’espace du travail psychiatrique s’est déplacé vers les lieux de vie  ; et les modalités de soin  ; pour l’essentiel, sont faites d’échanges individuels et d’échanges avec les divers groupes environnant le patient.


S’opposent à cela un certain nombre d’idées reçues  certains soignants préfèrent leur confort à celui des patients, et se protègent de leur angoisse en cherchant à consolider le
calme’ des anciens asiles sous de faux prétextes. Ce qu’ils devraient comprendre, c’est qu’ainsi ils deviennent les complices de l’Etat et de son immobilisme  celui-ci a décidé de diminuer le nombre des psychiatres de façon drastique en une dizaine d’années, après avoir déjà annulé la profession d’infirmiers psychiatriques. Que voulait l’Etat en tout cas avant 2000, date de création du nouveau Bureau de la Santé Mentale (en espérant que celui ci ait une politique courageuse)  c’est très simple  revenir à la situation de 1960, il y avait alors 8 à 900 psychiatres des hôpitaux payés à mi-temps pour tenir enfermés’ 120.000 malades dans les 90 hôpitaux psychiatriques français  Pour l’Etat, puisque ces hôpitaux existent toujours, il suffit d’attendre quelques années, il suffit d’être indifférent à l’analyse globale de l’évolution de la psychiatrie française, il suffit que chacun fasse son petit travail quotidien de fonctionnaire, sans une once de préoccupation philosophique  ; au bout de quelques années sous l’effet de la disparition des psychiatres et des infirmiers les patients vont heureusement’, se dit l’Etat  refluer dans ces hôpitaux et s’y concentrer sans crainte de ne pas avoir assez de place  ; l’Etat  a l’habitude de ne s’occuper de la psychiatrie que sous le coup des révoltes populaires 1945, 1968. On peut attendre  les fous’ n’osent pas se révolter  …mais les soignants associés aux familles et aux élus peuvent dénoncer pareille évolution  : l’utilisation des anciens asiles comme nouveaux lieux d’isolement et d’abandon est toujours possible et constitue un danger pour la démocratie  ; le maintien et le développement des équipes soignantes est une nécessité.


Doit être dénoncé, comme inacceptable, aussi le refus d’un certain nombre d’équipes de participer aux soutiens multiples dont ont besoin des couches entières de population, les personnes en grande précarité, sous prétexte de places insuffisantes dans les hôpitaux psychiatriques  ; l’hospitalocentrisme ici encore protège les équipes de secteur frileuses d’une implication nécessaire auprès de ces populations  ; la question en effet n’est pas de déplacer ces personnes dans un espace artificiel qui leur fait peur, alors qu’elles ont choisi un mode de vie mobile, mais de participer avec un certain nombre d’acteurs complémentaires au soutien de ces personnes, (dites aussi SDF, ou plutôt sans domicile reconnu),

là où elles sont.
Nous le voyons, nous sommes engagés dans une course contre la montre  si les hôpitaux psychiatriques ne sont pas fermés dans les 5 ans par une décision de l’Etat ils vont très vite retrouver leur utilisation infernale de renfermement et d’abandon contemporaine de l’époque asilaire.
A l’inverse, de nombreux soignants se sont sentis de plus en plus mobilisés depuis de nombreuses années après avoir constaté au fil des ans ce que l’exercice de la psychiatrie de secteur apportait aux patients, à leurs familles. Mais ils sentent profondément le besoin de formations complémentaires  un effort considérable doit être fait pour développer les soins de groupe, les soins permettant de rassembler le patient et sa famille, la possibilité de les traiter ensemble et séparément  ; dans ces domaines la Psychothérapie Institutionnelle, les Thérapies Familiales ont accumulé des savoirs et des pratiques considérables  ; ils doivent cependant être repensés à la lumière de la situation nouvelle de la psychiatrie dans cet espace nouveau qu’est le secteur, c’est à dire l’espace social, l’espace de la vie quotidienne pour ne pas risquer de cloisonner les interventions entre elles.


L’habileté psychothérapique s’est enrichie de cette nouvelle situation.

C’est ici que l’on saisit à quel point la Psychiatrie de Secteur était une proposition visionnaire à la fois du soin et des questions posées par la société moderne

Un citoyen ne peut plus être réduit à l’image de la réussite individuelle ou à celle de l’autonomie, ce que serine la civilisation moderne coupable de tant de perte de liens, mais il doit être considéré comme une personne qui est une-personne-en-lien-avec-d’autres et qui ne peut vivre que dans
l’hétéronomie, c’est-à-dire avec une capacité à nouer des liens avec son entourage et à faire vivre ses liens. Les sociétés modernes sont elles faites de la simple juxtaposition d’individus sans devoir, sans respect des autres  ou bien de nouvelles sociétés vont-elles se construire en s’appuyant sur la création de liens mutuels, intégrant et transcendant les notions de solidarité et de fraternité 


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En psychiatrie de secteur, c’est la rencontre avec le patient qui va structurer le soin qui est à réaliser.
Il est nécessaire pour cela que d’abord
les soignants soient accessibles (dans l’espace social du secteur et dans le temps des patients), c’est ce que nous venons de décrire.
A partir de là peuvent être retravaillés, sur la base de réflexions cliniques, ce que peuvent apporter de nouveau et d’essentiel 
la continuité des soins, et le travail avec le contexte de vie du patient.
Nous devons constater que ces deux notions n’ont pas fait l’objet d’une réflexion clinique approfondie en psychiatrie, alors que ce sont avec l’accessibilité des soins, les trois principes fondamentaux de la psychiatrie de secteur.

La continuité des soins


Nous nous sommes jusqu’à maintenant contentés d’affirmer que le seul fait que les différents soignants d’un secteur constituaient une seule équipe, entraînait la continuité des soins. En réalité il n’en est rien  ; dans un bon nombre d’équipes de secteur rien n’est pensé pour que les différents membres de cette équipe travaillant dans des structures séparées se rencontrent tous ensemble régulièrement afin d’élaborer cette continuité des soins. Dans les meilleurs des cas ces structures ne s’opposent pas entre elles, la continuité des soins devient dans ce cas une simple juxtaposition de soins discontinus. Trop souvent, en fait, les structures de soin diversifiées d’une même équipe travaillent comme des fiefs’ rivaux entre eux. De ce fait les soins successifs proposés à un même patient sont des temps gravement discordants entre eux  ; le patient retrouve dans les soins le chaos de ses conflits psychiques. Ceci n’est pas nouveau, à l’asile les murs étaient la seule réalité qui soit permanente, mais les soignants se succédaient auprès des patients sans établir entre eux un travail de continuité. La routine des trois huit’ ne laissait même pas de temps aux soignants des 3 équipes quotidiennes pour se parler un instant. La continuité était réduite à la seule fonction de surveillance. Ensuite la psychiatrie de secteur, dans sa première époque, a purement et simplement elle aussi réalisé une discontinuité des soins.


La continuité des soins, en fait, c’est la perspective originale que se propose l’équipe soignante pour développer les soins dans la psychiatrie de secteur  étant inscrite dans le tissu des institutions de la ville ou du canton, l’équipe s’intègre à l’histoire comme interlocuteur permanent des personnes présentant une souffrance psychique  ; le soin en psychiatrie se réfère à la vie psychique des personnes et se mélange de ce fait à leur histoire personnelle. Nous savons que la folie est rupture de la continuité psychique de la personne et la met en danger  ; le soin est l’appui proposé pour que la personne retrouve ou consolide sa continuité psychique  ; mais si la continuité psychique est une donnée essentielle pour le bien être de la personne, la discontinuité des soins est la réalité de base imposée par les soignants. La «continuité des soins  », si elle existe, peut advenir comme la perspective de pensée des soignants, leur permettant de s’interroger pour réfléchir à la façon dont ils doivent harmoniser leurs actes thérapeutiques et leur élaboration pour que ceux ci prennent une valeur psychothérapique collective où le patient peut puiser ce qui est utile à sa propre continuité psychique.
Un certain nombre d’équipes de secteur ont pu développer des outils leur permettant d’approfondir cette élaboration d’une continuité des soins, par exemple par
une attention précise qu’elles donnent à chaque «passage » d’un soin à un autre, et plus encore au passage d’une unité de soin à une autre, grâce à un temps de travail fait en triangulation  un soignant actuel et un soignant à venir se transmettant leurs investissements en présence du patient, celui ci réagit et retrouve sa place de sujet. Chaque passage permet un transfert d’investissement entre les trois protagonistes et justifie que les soignants participent à son élaboration. Ce n’est pas la transmission d’informations professionnelles, comme celles que rassemble un dossier’ ou un courrier, celui là se transmet à un autre moment et autrementn’est pas non plus le moment de l’indication’ de ce soin, moment distinct qui permet au précédent thérapeute de consolider le patient dans sa place de sujet. Le passage est un travail psychothérapique collectif qui s’appuie sur le repérage des bases narcissiques du patient, sur l’intérêt qu’il prend à se sentir compris, soutenu, reconnu. Il se montre alors comme partie prenante du déplacement et du partage de son investissement, de l’ancien soignant au nouveau soignant, d’autant que celui ci montre sa capacité à investir à son tour la dynamique narcissique du patient. Mais ce travail sur la continuité des soins se développe aussi par une réflexion régulière de l’ensemble de l’équipe sur la réalité et le sens de cette continuité de soin pour chaque patient  ; quelles sont les étapes de sa souffrance  comment peut il différencier ce qui se répète et ce qui est nouveau  quel sens cette succession de soins prend elle pour lui 
Le contexte de vie du patient est le terrain sur lequel le travail que nous venons d’évoquer va se dérouler (ce terrain du soin n’est plus, comme avant, l’établissement psychiatrique où le patient pouvait rester des années, ce terrain est défini par ce qui est autour du patient), c’est la multiplicité des liens que la personne développe avec sa constellation’, les personnes qui l’entourent et avec qui elle est en relation forte ou constante ce dernier terme est bien adapté à cette donnée, car la structure du groupe qui entoure’ chaque patient est composite et variable.
Le travail avec le contexte est une donnée aussi essentielle que la continuité des soins. Il concerne d’abord les liens qui sont privilégiés par la dimension affective de l’échange, ce sont eux qui sont efficaces, ils concernent d’abord la famille, les proches  ; ensuite le reste de l’entourage  ; mais ce qui va se passer sur ce terrain, dépend surtout des personnes précises
qui vont être en lien avec le patient, et de leur engagement personnel dans la relation avec le patient.
Là tout est à faire, à inventer  comment faut-il procéder pour que le contact s’établisse entre deux partenaires de ces liens sociaux et pour que se construise un lien sur lequel le patient va, non pas simplement s’appuyer, mais va se construire dans un échange  Certes tout ceci va s’enrichir de la diversité des compétences sociales de chacun des partenaires, lesquelles sont à distinguer des compétences relationnelles et psychothérapiques que nous venons d’évoquer.
Prenons l’exemple de la famille. Toute la psychiatrie classique était basée sur la nécessité de
séparer’ parce que le patient et sa famille étaient mutuellement pathogènes l’un pour l’autre, (la psychiatrie puis l’anti-psychiatrie ont chacune affirmé cela). Aujourd’hui nous savons qu’une simple information régulière donnée aux familles sur la connaissance du déroulement possible des différents troubles, aide la famille à accepter que de nouvelles difficultés surviennent  ; dès ce moment au lieu de se sentir blessée lors d’une recrudescence de la souffrance, elle est préparée à participer à la proposition de nouveaux soins. Les thérapies familiales ont développé plusieurs stratégies d’échanges avec les familles en difficulté, chez lesquelles la souffrance d’une personne entre en grande résonance avec les autres membres de la famille
Prenons aussi l’exemple du généraliste, qui est un accompagnant très solide pour un grand nombre de patients en particulier psychotiques, traduisant aussi mal leurs difficultés organiques que leur souffrance psychique. L’alliance entre les soignants de psychiatrie et le patient est indispensable pour lui. Nous pouvons tenter de construire une
co-thérapie’ avec le généraliste qui ne sera pas un simple partage entre corps et esprit, mais une complémentarité relationnelle. Il est alors utile de définir cette co-thérapie et de l’utiliser.
Entre famille et généraliste des liens interactifs peuvent être utiles, ils permettent souvent soit à la famille, soit au généraliste de trouver une place vécue de façon plus positive que lorsque le lien est direct avec la psychiatrie et où il se sent coupable ou trop responsable.
Chacun des acteurs sociaux a un travail spécifique à développer avec les soignants psychiatriques, aussi bien les assistantes sociales que les tuteurs ou curateurs, les infirmières libérales, les aides ménagères, les éducateurs, les intervenants professionnels et les multiples intervenants du champ culturel.
Deux types de liens sont nécessaires avec le contexte du patient  les liens d’ordre général, entre établissements, (sanitaires, sociaux et médico-sociaux) officiels, ils peuvent pour être facilités justifier de signer une convention, dans ce cas le terme de réseau proposé par le ministère peut être employé. Par contre dès que l’on considère une seule personne et que l’on réfléchit à ce qu’il est utile de faire avec son entourage gardons la préférence pour les termes de
contexte et de constellation du patient, de tissu relationnel’, et parlons en parallèle de linventivité relationnelle des soignants qui va travailler sur ce tissu de façon à chaque fois différente.
Malgré ce long développement, ceci ne représente qu’une partie des réponses à donner aux personnes qui présentent une grande souffrance psychique. Nous n’avons rien précisé de ce qui est nécessaire en termes d’assistance et d’intégration. Si ces hommes qui souffrent présentent pour leur vie quotidienne un ou plusieurs handicaps, et si leur capacité d’intégration dans leur cité est amoindrie, un certain nombre de réponses doivent être élaborées en permanence dès le début d’un soin (et non comme le laisserait croire le déroulement de ce texte, à la fin d’un soin). De plus les soignants sont convoqués pour réfléchir sur les modalités d’articulation entre les soins et les mesures d’assistance ou d’intégration adaptées, car ces articulations demandent une attention toute particulière  chaque personne qui souffre doit être rencontrée comme une personne globale.
Sans intervenir dans les débats engagés autour des lois touchant ces deux domaines d’assistance et d’intégration, il est indispensable de souligner l’importance des besoins en termes d’hébergements, d’intégration professionnelle et culturelle au sens large. Même si ces tâches semblent ne pas être du ressort des équipes soignantes, selon le découpage officiel entre soin et action sociale, l’articulation entre les deux se doit d’être minutieuse et engage les responsabilités des deux partenaires. Les
passages’ entre les deux doivent être aussi minutieux qu’entre deux soins. L’UNAFAM a déjà fait à l’Etat des propositions très pertinentes en matière d’accompagnement à la vie quotidienne en dehors des soins pour un certain nombre de patients, et a souligné que les besoins en matière d’hébergement pour les patients touchaient un pour cent de la population (600 pour un secteur de 60.000 h.)
Nous devons affirmer que les efforts
d’intégration professionnelle et culturelle justifient le maintien et le développement des Associations 1901, soit fédérées à l’échelon national comme La Fédération des Croix Marine, soit isolées, soit intermédiaires.
Les résultats antérieurs de ces mouvements associatifs sont de très grande qualité et leur complémentarité est évidente au travail thérapeutique développé par les soignants du service public de psychiatrie et par les psychiatres privés.
Des conventions sont justifiées pour consolider les liens entre les partenaires d’un même terrain. Les rendre publiques mettrait en évidence les populations qui sont bien desservies et celles qui ne le sont pas encore, et où de nouvelles créations associatives seraient justifiées et donc facilitées.


En conclusion, nous restons admiratifs devant l’audace de la pensée qui fut à l’origine de la psychiatrie de secteur. Son enjeu principal, le respect de l’hétéronomie de la personne (sa capacité à nouer des liens) s’accorde parfaitement avec un des soucis majeurs de notre société, relatif à la détérioration et à l’évolution des liens dans la société.
La mobilisation militante, essentielle, qui seule a permis à certaines équipes de donner l’ampleur de l’efficacité de la psychiatrie de secteur au plan du soin, nous a fait entrevoir les bases de données cliniques nouvelles centrées sur la prise en compte totale de l’homme dans sa globalité.
Mais cette mobilisation militante s’essouffle, la refondation de la psychiatrie de secteur est nécessaire, l’Etat doit s’engager à fermer dans les 5 ans les grands hôpitaux psychiatriques pour que plus jamais nous ne retombions dans ce paradoxe  que le nombre des hospitalisations sous contrainte augmente, au temps de la sectorisation.
Un plus grand danger d’ailleurs serait que ce paradoxe n’en soit plus un…à savoir qu’après la disparition des équipes de secteur et des psychiatres, les malades mentaux rejoignent dans l’indifférence les grands établissements psychiatriques, comme si ces derniers avaient été perfidement préservés dans ce but.
L’audace initiale de la sectorisation doit être honorée, nous sommes passés des hypothèses aux preuves, nous devons réclamer, exiger son application au niveau national, fermeture des hôpitaux psychiatriques et organisation des secteurs, libérant les soignants pour se former et constituer de solides équipes de secteur se consacrant à la pratique de cette nouvelle psychiatrie.

FIN


                                                                Guy Baillon
                                               
Psychiatre des hôpitaux
                                                Centre Psychiatrique du Bois de Bondy
                                                Bondy 93.147


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