Fichage ; jusqu’ou va-t-on aller ?
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«Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être
l’unique agent et le seul
arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs
besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires (….) que
ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de
vivre ? »
Alexis de Tocqueville
Depuis toujours la surveillance
politique et la police de manière générale ont essayé par de multiples moyens
de contrôler et de surveiller les populations et en priorité les populations
« dites à risques….. ».
Le fichier n’est pas le premier ni
le moindre de leurs outils pour cet objectif mais leur multiplication et
l’étendue de leur champ d’action questionne et inquiète.
Qu’en est-il de ce besoin de tout
savoir, d’une transparence totale au dépends de l’intime pour une soi disant
meilleure gestion des affaires…..et une protection de l’individu contre une
insécurité galopante……
Par ailleurs la
banalisation de l’usage de technologies contrôlant les comportements et
mouvements des individus et le conditionnement de la population « aux bien
faits » de celles -ci ne peut que nous inquiéter.
Mesures habituelles et
de « bon sens » qui s’étayent sur un sentiment de crainte exacerbé et
une adhésion d’une partie importante de la population.
Mesures qui stigmatisent tous ceux
qui n’ont pas pu où pas voulus s’inscrire dans ce schème, en quelque sorte des
déviants au système général.
La définition extensive et floue
des populations à risque confine à l’amalgame en
posant les enfants, jeunes ou familles rencontrant des difficultés matérielles,
éducatives ou sociales comme critères.
Le spectre paraît bien
large pour repérer et encadrer ceux, nombreux, dont la situation pourrait
potentiellement être considéré comme un risque.
Pour maintenir le pouvoir
d’apathie et d’adhésion d’une partie importante de la population aux moindres
décisions et projets renforçant cette évolution, on renforce l’attrait du
toujours plus de consommation et du précaire confort qu’il entraîne.
Le « ne rien vouloir savoir » au
dépend du lien social n’est que la logique application pour continuer à jouir
tranquille de tous ces « biens » qu’on nous propose.
Quand est-il de cette insécurité
où plutôt de ce besoin de sécurité répétée à tout bout de champs, à l’unisson,
comme si c’était l’élément princeps, le
fondement d’une psychopathologie de la vie quotidienne des Français.
Historien, sociologue nous
rappellent quand on parle d’insécurité, que la violence diminue depuis longtemps, ils parlent de la
violence sociale qui décroît, homicides, agressions, vol à main armée etc….
Toujours est-il qu’on nous assène
à longueur de journée une information sans mise en perspective et qui confine à
un bourrage de crâne compulsif du fait de sa réitération ; l’insécurité
gagne du terrain, elle est partout et il faut remettre de l’ordre…..
Les moindres faits divers, les
malheurs de nos contemporains sont montés en exergue et les politiques de tous
bords s’inscrivent dans ce système avec un populisme, une compassion et ne nous
étonnons pas des dérives de la « peopolisation » qui n’est que la
résultante d’un populisme à grand spectacle.
On ne peut être qu’impressionné
par l’efficacité du trompe l’œil qui ordonne le débat, tel qu’aucune question
de fond ne puisse être posée, mais qui
dédouane, comme si « le clinquant » des interventions ne
risquait pas grand-chose.
Cette pratique vient ainsi
renforcer la sur médiatisation du manque de « sécurité » et permet aux politiques de montrer à leurs
électeurs qu’ils sont soucieux de toujours plus de sécurité.
Ce type de fonctionnement est
révélateur d’une folie sociale et collective, où l’on est tous un peu pris,
fasciné par l’ampleur de ces faits, comme des choses extraordinaires qui nous
sortent de notre quotidienneté et au plus on en rajoute au plus on risque
d’être attiré si ce n’est séduit.
Sentiment de crainte ravivé avec
une population cible mis en avant comme surface projective et responsable de
tous les maux.
Tout est fait pour nous faire adhérer,
médias, sondages etc…. tout cela inscrit dans un modèle dominant, avec une
quête de consensus immédiat qui s’impose avant même de pouvoir poser une vraie
problématique, et de se questionner.
On a plus qu’en a rajouter dans ce
sens et tous les marchands d’informations rivalisent de propos à ce sujet,
sachant que pour mieux faire vendre et adhérer il faut la caution royale, la
référence obligatoire : l’expert.
Cette question de l’expertise est
devenue centrale dans la construction de la légitimité des discours. Les médias
en particulier sont de très grands consommateurs de ces
« spécialistes » convoqués pour commenter les événements.
Pour
pouvoir paraître et être convoqué dans les médias, les experts en oublient
souvent ce qui les spécifie pour s’inscrire de par leurs participations dans la
dominante événementielle et cautionner une orientation générale.
Les médias
n’ont plus qu’à déployer leurs
méthodologies et s’inscrire dans une commande sociale centré sur les thèmes
porteurs.
Il y a d’abord une dépolitisation, un
glissement qui s’inscrit dans une logique de banalisation et un matraquage
médiatique avec moult détails orientés vers des interprétations les plus
spectaculaires possible.
Enfin, la déformation de la réalité, qui est
une dérive découlant du tri qui participe à la stigmatisation et qui consiste en une manière de découper le réel
pour en choisir la signification qui nous intéresse.
C’est le triomphe du paraître au
dépend de l’être, de la communication au dépend du langage qui viennent
renforcer ce sentiment d’insécurité, ce besoin de protection, de surveillance
avec la création de fichiers.
La voie est alors toute tracée
pour mettre en place une surveillance pour notre bien être collectif, articulé
à une loi du marché qui entretient le leurre de l’individualisme et la mise en
place de mesures coercitives pour nous protéger…..
Modèle dominant avec un désir de
classification, d’universalité et de transparence qui entretient le règne de la
norme et du protocole, toujours pour notre bien être et un plus de progrès.
Nous y voilà à la transparence,
aux protocoles et à la classification témoignant depuis quelques années de
l’accélération du tempo d’une « mise au pas » généralisé qui
n’excepte aucun des domaines propres à l’être.
Mise au pas normative avec une
accumulation de lois et de projets de lois, amenant une inflation du droit dans
nos sociétés modernes pour toutes les questions dites de société.
Le lien juridique prend le pas sur
le lien social car la protection des prérogatives de chacun devient la
préoccupation prioritaire et le fonctionnement à dominante collective laisse
place à un tout « contractualisme ».
Souveraineté de l’individu,
demande permanente de plus de liberté individuelles qui ne peut opérer que par
la coexistence procédurale des droits pour assurer la possibilité réglée des
indépendances.
Or, plus de droits pour chacun
dans un tel cadre, c’est moins de pouvoir pour tous, moins de pouvoir social
possible afin d’obtenir le maximum de liberté individuelle……..
Ce système pour régler le moindre
des litiges devant des sujets laissés avec leur individualisme, implique le
recours systématique à une contractualisation de tout et ainsi à
l’établissement d’un ordre juridique prévalent.
Alors on va mettre en place tout
un battage de textes, réformes, discours et actions pour montrer qu’on s’en
occupe…….
On voit arriver des projets de
lois en urgence sur des mesures à prendre pour l’insécurité, sans réel débat et
ou le fait d’annoncer un projet de loi, d’en parler, de montrer qu’on agit est
l’élément principal car le médiatique l’emporte, il faut que l’illusion
produise son effet.
Ces projets reposent sur la transparence qui est justifiée
comme une valeur partagée pour le bien collectif et il n’y a qu’à voir comment
cette politique se déploie sur le domaine de la santé publique.
On assiste
à une déferlante d’interdictions, de lois pour notre santé pour nous rappeler
que tout un chacun compte, mais aussi a un coût dans une exigence de santé pour
notre bien être mais aussi le bien être collectif.
Ce
droit à la santé qui s’impose à tous avec sa démarche d’évaluations,
fait disparaître l’individu dans le général, dans un système de contrôles et un
discours de maîtrise.
Ainsi tout un chacun est pris dans une société de réseaux avec une
politique qui privilégie la forme au fond et ou l’acte se résume à une démarche
calibrée en fonction de normes et de stratégie.
Tout le
monde est concerné par ce maillage, cette mise à la norme organisé et nos
chères petites têtes blondes ou brunes (sans oublier les rousses) ne pouvaient
rester à l’écart.
La machine
à contrôler déploie alors ses classifications et enquêtes, qui sont en réalité
des fichiers et qui ne font que renforcer la fabrique des exclus.
Les
adolescents, « nos sauvageons »
ne suffisaient plus et pourtant ce n’est pas faute de projeter sur eux
tous les maux qui nous concernent…..
Il fallait
remonter « plus avant » dans une causalité linéaire de « bon
sens » source de toutes les extrapolations et anticipations.
D’ailleurs l’enfant ne répond plus
à nos attentes où plutôt l’enfant qui devrait pouvoir répondre à toutes nos
attentes, nos projections et nos illusions……..ne nous satisfait plus !
Alors avec la caution de la
prévention, de l’efficacité et les grands fétiches que sont la science et
l’évaluation, il ne nous reste plus qu’à classifier et nommer tout ce qui
concerne l’enfance.
On assiste à l’émergence de
nouveaux discours où les problématiques sont remplacées par des énumérations et
tout ce qui sera à la marge et qui ne rentrera pas dans les normes va se
retrouver en difficulté voire exclue.
Le réalisme gestionnaire sait bien
nommer les choses et les gens ; échec scolaire, caractériel, opposition,
refus d’intégration ou d’insertion, etc….
En nommant on classe, on met en
place des causalités et des explications justificatives et une réflexion, un
débat est clos avant même d’avoir eu lieu.
On ne ramène plus l'enfant
qu'aux facteurs de risques qui finissent par
le représenter complètement et à devenir finalement son destin.
Il faut éradiquer « le
mal » à sa source et avec l’aide de caution pseudo scientifiques on met en
place des protocoles de préventions et « traitements » dés la toute
petite enfance, au cas où…….
Dérives d’un pseudo soin,
d ‘une pseudo prévention pour se protéger face à un sentiment d’insécurité
avec une caution scientifique, médicale pour tout expliquer dans une idéologie
de certitude.
Qu’en est-il de cette
tendance actuelle à considérer toute manifestation agressive comme une
pathologie, n’oublions pas, comme l’écrit le sociologue Laurent Mucchielli, que
« lorsqu’un individu est confronté chez autrui à une agressivité dont il ne
comprend pas les ressorts, il lui est commode de désigner cet Autre comme ‘fou’
s’il emploie le langage le plus ordinaire, ou comme ‘psychopathe’, s’il veut
employer un mot d’apparence savante ».
Tout est prêt pour
mettre en place des mesures que l’on nous décrit comme cohérente, nécessaire et
dans une logique de simplification, d’efficacité et toujours de « bon
sens…. ».
D’ailleurs, on nous
dit que Bases élèves du premier degré n’est que la suite logique de la collecte
d’information du second degré et de même EDVIGE n’est que la suite logique du
fichier de renseignements des RG, etc…..
Mais ceci est faux,
c’est un changement fondamental, de nature qui
pose les citoyens à tous âges de la vie comme des menaces potentielles
pour l’ordre public et ravale l’humain au rang d’objet.
Les tutelles
concernées, les administrations nous rassurent quant à l’éthique et
l’adéquation de ces demandes, avec bien sur quelques remarques mais sans
réelles inquiétudes……
Le gouvernement
espérait-il avoir assez martelé toutes ses thèses sur l’insécurité et les
prédispositions qui soi disant s’y référent ou espérait-il qu’une apathie ambiante laisse passer des
décisions qui, en d’autre temps, auraient jeté les gens dans la rue ?
Les technocrates se
sentant dans une toute puissance (qu’on pourrait qualifier d’infantile…..) ont
poussé tellement jusqu’à la démesure ces démarches que l’outrance de la méthodologie
et des items ne pouvait qu’impliquer une riposte et un refus.
La tendance est forte
à la répression et à la tolérance-zéro, mais on
ne peut qu’être inquiet car les lois et décrets mis en place vont dans
le sens d’une transformation profonde de la conception de la prévention et par
là même de l’humain.
Nous assistons bien à
la forte montée en puissance d’une idéologie sécuritaire.
Il n’y a qu’à voir
comment le pouvoir des experts associés au pouvoir politique tend à concevoir
la délinquance comme une pathologie et à médicaliser son traitement (on parle
d’ailleurs, de façon significative, de "dépistage précoce").
Scientifique et rationnel en apparence, ce discours peut séduire.
Tous les ingrédients
sont en place pour faire accepter à une partie de la population des projets
liberticides qui porte atteinte aux droits à la dignité et à la protection de
la vie privée.
Sentiment de crainte
qu’on injecte à fortes doses associé à une vision manichéenne de la société, mais jusqu’à
quelle servitude va nous entraîner ce système de contrôle et de fichage pour
notre bien…….
Trop c’est trop, on ne peut
laisser faire car il s’agit d’une atteinte aux
droits de l’homme pour une idéologie de la certitude qui considère
l’humain comme un objet indifférencié qui doit être mis pour son bien sous
surveillance.
Il est nécessaire que la CNIL
retrouve une place et une réelle efficacité pour permettre que se respectent
les droits élémentaires de l’homme et du citoyen.
Notre défi repose sur notre
capacité à une mobilisation politique de tous et la prise en compte des
approches des plus défavorisés qui sont les premiers concernés.
On ne peut laisser ce discours
dominant et cette idéologie sécuritaire sans fondement avec la surveillance et
le fichage qui en découle envahir notre champ sans prendre position.
L'absence laisse les élites
technocratiques sans contre-pouvoir susceptible d’endiguer leurs velléités de
contrôle des esprits et d’ingérence sociale.
Comme l’a écrit Michel FOUCAULT ;
« le pouvoir n'est pas une relation univoque de dominant à dominé »,
la visibilité est un piége et ce désir de transparence est un leurre mais aussi
un assujettissement.
Marc MAXIMIN Saint-Affrique Septembre 2008