...donc le temps nécessaire et la formation des acteurs à cela (ce qui ne s'invente pas, car devant la souffrance psychique le réflexe est plutôt de se protéger ; formation à la réalité complexe du trouble psychique ; réflexion sur la spécificité du soin psychiatrique il est global et porte sur le corps, l'esprit, et les liens, en continuité).
Cette qualité restaure d'abord la dimension humaine du LIEN dans tout soin psychique.
Une volonté de travail "en équipe", entre les soignants, et avec la famille soutien de base et l'entourage proche, avec le tissu social de chacun (et ceci ne peut se déployer qu'en dehors des hôpitaux pour l'essentiel dans chaque secteur).
Ce sont ces deux données qui permettent d'utiliser au mieux les techniques modernes (psychothérapie d'abord, médicaments et autre), et ainsi de travailler sur les liens de la personne qui souffre, pas seulement sur son autonomie, sur sa capacité à créer des liens.
Donc l'humain d'abord.
Alors un constat cruel mais violent : actuellement -la formation universitaire des psychiatres et infirmiers ne parle que de biologie, et -l'administration passe tout son temps à imposer de multiples comptabilités et programme de gouvernance, inhumains.
Où est l'humain et comment se préparer à le restaurer, acte fondamental du soin psychiatrique ? car actuellement ce travail humain est dévalorisé, écarté, oublié.
Il faut insister ici sur cette différence fondamentale avec le reste de la médecine qui croit pouvoir ne parler que de techniques biologiques.
D'où l'importance du couple indissociable exercé par la même équipe :
-travail d'accueil(à la place de l'urgence), savoir accueillir 'l'autre'
-et soins de continuité en ville,
car le but de cet accueil est d' 'ouvrir' à cette continuité (car les troubles mentaux tout en variant constamment peuvent durer des années, c'est 'le long cours'), soins de continuité en ville qui comprennent plusieurs formes de soin de jour, mais aussi le service d'hospitalisation (au lieu d'exclure ces personnes dans les grands centres hospitaliers psychiatriques ou généraux où ils sont en danger d'aggravation de leurs souffrances),
-ce couple s'appuyant constamment sur l'entourage et sur tous ses prolongements dans le champ social et médico-social, toutes les compensations à apporter au handicap psychique, différents services d'accompagnement jusqu'aux clubs où les patients s'appuient sur leur solidarité et le partage entre eux mêmes.
La France manque aujourd'hui d'un nouvel élan dans l'élaboration de sa politique de santé mentale, la politique de secteur ayant été très malmenée depuis 15 ans et ayant à être appliquée 'complètement' partout : le couple " accueil- service d'hospitalisation en ville " n'existe que dans moins d'un dixième de secteurs ; nous souffrons d'un manque de cohésion d'un discours commun sur la psychiatrie, de l'absence de vigilance de l'Etat, d'une baisse démographique ou plutôt d'une mauvaise répartition des psychiatres, d'une absence du cadre des infirmiers en psychiatrie de ce fait très fragilisé, et globalement un manque de formation de base sur l'essentiel : " l'humain et les liens "
" REPONSE AU MINISTRE DE LA SANTE "
Les deux réactions publiques et trop rapides du ministre font preuve d'une absence de formation, qu'il aurait dû recevoir de la part de ses services sur les progrès de la psychiatrie et surtout sur les dangers de la facilité lorsqu'elle est orientée par le désir de faire d'abord des économies, au lieu de vouloir construire une psychiatrie basée sur l'expérience et le respect de l'homme.
La " psychiatrie de secteur " a fait le choix d'une psychiatrie qui respecte l'homme, et s'appuie sur des dimensions humaines refusant tout réflexe ségrégatif :
-des soins s'appuyant sur l'environnement relationnel immédiat
-dans des espaces de soin à dimension humaine
-à des moments précis : la nuit n'est pas un moment de soin mais un temps de vie, sauf pour des troubles extrêmes
-dans des conditions dont la première est le respect de l'homme (avant la sécurité) ; les soins doivent être donnés à des petits groupes dont les personnes ont des troubles différents les uns des autres : la psychiatrie de secteur est d'abord généraliste, faite pour toutes les pathologies d'une même population, mais soignée en petit nombre à la fois.
De ce fait un certain nombre de choix récents rejoignent les abandons de l'ancien asile et doivent être dénoncés :
--des solutions de facilité sont nées ces dernières années dans le retour aux concentrations hospitalières où les patients sont facilement abandonnés dans des modes de soins soit disant 'spécialisées', et en fait ségrégatifs et plus 'économiques', car on y met moins de soignants, avec parfois des soignants moins 'efficaces', (voire rejetés d'ailleurs, et de toute façon moins bien formés) et donc pour ces raisons avec une diminution de présences pluriprofessionnelles associées : on n'y rencontre pas de psychologues, de moins en moins de temps médical,
--ainsi de nombreux espaces de soin dits " intersectoriels " sont des occasions de plus en plus fréquentes de ségrégation et d'abandon progressif (en quelques années on les oublie au bout de l'hôpital) de la part des équipes de secteur originaires qui ont démissionné d'une partie de leurs tâches, ainsi par exemple (mais il y en a beaucoup d'autres).
les personnes âgées :
--les services de psycho-gériatrie ne sont pas de bonnes indications de création de service : ils installent des mouroirs, et les soignants n'y reçoivent plus de formation permanente, ne connaissent plus les autres troubles, perdent leurs réflexes et leur habileté (et ne savent plus faire face à d'autres troubles, en cas d'intrusion de personnes extérieures)
--les personnes âgées doivent être le moins souvent possible hospitalisées en psychiatrie : elles présentent deux troubles affaiblissant de façon convergente leurs capacités adaptatives et accélérant les processus de désorientation et la tendance à une dépendance accrue ; les personnes âgées présentant d'autres troubles ont absolument besoin pour aller mieux d'être avec des personnes d'âges différents ; elles doivent au maximum être maintenues à domicile ; leurs troubles psychiatriques ne justifient pas en eux mêmes des soins spécifiques de plus de 8 à 15 jours lesquels peuvent être donnés le jour et au domicile par plusieurs
--cette réflexion est impérative aujourd'hui où les plus de 60 ans vont en 2010 être plus nombreux que les moins de 20 ans (c'est dans 5 ans !)
--on pourrait évoquer les unités pour malades difficiles, les unités pour psychotiques au long cours (abandonnés), ….
Ce n'est donc pas de lits supplémentaires dont la psychiatrie a besoin, et
encore moins de mesures sécuritaires, (on peut seulement affirmer au passage que la prolongation des grandes concentrations hospitalières au lieu de sécuriser aggrave les conditions car elle concentre des personnes vulnérables et donc provoque une accentuation des risques, c'est une affirmation dont on peut dire qu'elle est scientifique) dont l'énumération est désolante car elle oublie la nécessité primordiale de formation aux troubles psychiques :
-la psychiatrie a besoin de soignants mieux identifiés qu'aujourd'hui : il n'y a plus d'infirmiers psychiatriques ; la profession du service public est moins attractive pour les psychiatres qui fuient vers le privé (si le ministre le veut il peut aujourd'hui signer un décret de concours permettant de recruter dans le privé les 800 psychiatres nécessaires au service public)
-elle a besoin de soignants mieux formés : l'accroissement de la violence dont on parle tant se déroule dans des lieux précis où sont abandonnés les patients dans des situations de ségrégations et de concentrations avec des personnels jeunes qui n'ont pas reçu une formation spécialisée suffisante et qui sont dans des situations d'abandon sans formation permanente ; car la pratique de la psychiatrie a besoin de temps de formation hebdomadaires ; ce besoin n'est pas assez affirmé, car la compréhension des troubles psychiques est complexe, elle demande d'abord chez les soignants de la générosité, du calme, de l'intérêt pour comprendre le désarroi de la personne qui souffre et l'accueil de son entourage, et ensuite une réflexion personnelle intense qui doit être soutenue et guidée (la soumission aux prescriptions des médecins et la répétition de gestes soignants précis sont totalement insuffisantes, ce qu'il faut c'est une capacité d'écoute et d'engagement personnel dans une relation, c'est aussi l'apprentissage du travail d'équipe en psychiatrie qui demande des capacités qui ne s'inventent pas ; l'ensemble n'étant pas 'inquiétant', comme le dit le ministre, mais au contraire un défi passionnant)
-l'une des lacunes les plus criantes aujourd'hui à laquelle la politique de secteur prépare, mais l'Etat a été plus soucieux des économies à faire plus que les découvertes à mettre en évidence :
-le constat que la personne qui a des troubles psychiques ne peut vivre seule sans accompagnement du début à la fin : plus que les autres personnes en détresse elle a besoin de sa famille ou d'un milieu faisant fonction de famille :
-de ce fait la première formation des soignants s'appuie sur le travail à faire avec la famille, la capacité à l'écouter, (car elle souffre depuis longtemps mais ne peut parler à personne, et ne comprend pas ce qui se passe ou se sent culpabilisée), puis la capacité à reconnaître les ressources psychiques et relationnelles de la famille et de l'entourage proche
-c'est avec les familles que nous abordons une étape complémentaire absolument indispensable : en effet d'emblée en psychiatrie nous savons aujourd'hui que le soin est insuffisant à lui tout seul, un temps essentiel doit se développer simultanément aux soins : la capacité de la personne à trouver les appuis suffisants pour dépasser dans la vie quotidienne son " handicap psychique " : pour préparer cette compensation dès le début des soins les soignants doivent explorer ces capacités et développer les alliances pour que soins et compensation des handicaps soient élaborés dans la complémentarité et la continuité. D'emblée cela diminue la tension habituelle des soins et des soignants, et cela prépare l'avenir.
Ce n'est pas de lits supplémentaires, ni de sécurité, comme le dit le ministre dont la psychiatrie a besoin, c'est de l'application de la loi sur les handicaps qui va venir en complémentarité aux soins psychiatriques, mais seulement si tous les acteurs sanitaires et sociaux sont près à la comprendre et à établir la " continuité " entre soin et aide au handicap (car l'une des souffrances les plus grandes auxquelles cette loi vient répondre est l'absence de suivi et de soutien des patients dans leur vie sociale quotidienne, ils n'ont comme recours que de retomber malade alors qu'ils ont déjà grâce aux soins modernes évolué positivement).
Cette liste n'est qu'une esquisse, elle doit être complétée par l'ensemble des acteurs pour reconstruire une vraie politique de santé (non contenue dans les rapports officiels dont le rapport Cléry-Melin) et dont le centre reste la psychiatrie de secteur et la formation qui doit l'accompagner…
Guy Baillon
21/12/2004