Voici un livre qui force l’intérêt sur la psychiatrie et
contribue à éclairer son marasme actuel. Il est donc un appui pour tous ceux
que la folie et la psychiatrie concerne. Il oblige à regarder, à réfléchir, à
réagir. L’auteur en bon journaliste a pris un certain nombre de contacts avec
différents acteurs, on pourra constater qu’il ne s’en est pas laissé compter et
qu’il a souvent gardé sa liberté de penser, mais il a été …influencé. De ce
fait certains trouveront que le tableau est incomplet, c’est ce que nous
pensons nous mêmes, il ne pouvait voir tout le monde, d’autres se trouveront
‘dévoilés’ ; l’ensemble est très utile pour ceux qui comme moi pensons que
la psychiatrie doit être interrogée aujourd’hui de fond en comble.
La psychiatrie a besoin d’un débat à l’échelle de la nation,
il y contribue fortement. Suivons un peu notre auteur dans son développement.
Il le mérite largement.
La préface d’Oury ouvre sur le temps fondamental de la
« rencontre », elle est au cœur de toute démarche de soin. Cette
affirmation est essentielle, elle situe la psychiatrie. En
même temps cette préface montre que nous aurions aimé continuer ce parcours en
psychiatrie à deux voix, le journaliste et le soignant, même si nous ne
partageons pas tous les points de vue d’Oury sur le service public. Cette
confrontation est indispensable pour comprendre comment la réflexion sur les
soins doit guider constamment l’action et en accepter à son tour les leçons.
L’introduction nous informe d’emblée que ce livre ne
concerne que la psychiatrie générale et laisse de côté la psychiatrie
infanto-juvénile ; souhaitons qu’au plus vite ce manque soit comblé car cette
division apparente est bien l’une des causes du désarroi en psychiatrie :
le tronçonnage des soins. On ne peut que souhaiter que les prochains livres
associent un soignant aux côtés du journaliste pour que l’ensemble de la
démarche soit éclairée par l’effort de compréhension de la psychopathologie,
sinon l’auteur est obligé de rester observateur, sans s’impliquer dans la
complexité que représente la compréhension de la vie psychique. Il est
essentiel de dire sur ce point d’emblée que le dynamisme de la pensée
psychiatrique moderne s’appuie considérablement sur les travaux concernant la
psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Rappelons que le projet initial de
la psychiatrie de secteur, objet central de ce livre, est fondé sur le refus de
diviser le champ de la psychiatrie, même si dans la pratique concrète, il est
indispensable de recevoir enfants et adultes dans des espaces différents. Aucune
réflexion sur la prévention ne peut s’engager sans une prise en compte globale
de l’homme depuis sa naissance et en s’appuyant sur la puissance du
développement de sa vie psychique, laquelle ne s’arrête pas d’évoluer tout au
long de la vie, ce qu’une psychiatrie dite d’adulte tend à oublier. Donc ne
séparons pas la psychiatrie en deux champs. La psychiatrie de secteur a
beaucoup appris dans le quotidien de l’expérience du travail avec les enfants
en particulier en travaillant sans cesse avec la famille, et avec les autres
interlocuteurs, l’école en particulier.
La longue partie consacrée à l’histoire de la psychiatrie
est à saluer. Elle est rarement aussi profondément abordée. Pourtant ce détour
par l’histoire est la démarche nécessaire pour tout citoyen qui veut comprendre
la complexité et le désordre apparent de la psychiatrie que nous avons devant
les yeux en 2006.
La référence au livre de Michel Foucault était
incontournable, et des remarques isolées comme celle de La Rochefoucauld-Liancourt
affirmant en 1790 que le soin à domicile était d’une grande valeur vont faire
plaisir aux familles qui n’arrivent pas à en convaincre les psychiatres du 21ème
siècle.
A notre grande joie il insiste sur le complément critique
que Gladys Swain fait au travail de Foucault en particulier sur le rôle de
Pinel et de Pussin dans la double naissance de la psychiatrie. Il
répare là une omission faite par un grand nombre de psychiatres sur le travail
remarquable de Gladys Swain et Marcel Gaucher, même s’il ne les suit pas
jusqu’au bout dans leur critique de Foucault autour de cette naissance (c’est
vrai qu’il faut de l’audace face à l’intouchable). Il nous reviendra de pousser
plus loin les conséquences de cette découverte.
Le chapitre sur l’eugénisme ne peut que faire frémir, et
avec raison. Rappel indispensable. Dans cette ligne, attention au propositions
aujourd’hui de « l’obligation de traitement », jusqu’où va t elle
nous mener pour remplacer le temps nécessaire à établir pour qu’advienne une
‘rencontre avec l’autre’ quand il va au plus mal, le court circuit passant au
delà de la rencontre est vite fait.
Le chapitre sur la révolution du secteur est un morceau de
choix. Il met à la portée des lecteurs actuels l’énorme somme (600 p) du livre
remarquable de Murard et Fourquet, n° 17 de la revue Recherche de
mars 1975, qui est le meilleur livre d’histoire sur la psychiatrie récente que
nous connaissions, malheureusement s’arrêtant en …1975. Livre admirable se
lisant comme un roman policier, associant interviews libres et essais d’interrogations
et de doutes judicieux. Livre clé pour saisir toute la vitalité et le souffle
de la politique de secteur. Il y ajoute quelques propos ‘of’ plus récents, mais
malheureux et j’en suis sûr incontrôlés par celui qui les a prononcés ; ainsi
notre ami vénérable, Jean Ayme se laissant aller à étiqueter Jack Ralitte comme
« un ministre primesautier et sympathique », voilà un propos injuste
et très léger. C’est bien à la lucidité de ce ministre communiste que nous
devons un discours de Rouen, qui avait enfin du souffle, souffle dont, la
psychiatrie a tant besoin et qui est si souvent absent ! C’est lui qui a
remis fortement en scène la nécessité d’un débat politique sur la psychiatrie
et c’est lui qui a désigné un psychiatre Jean Demay (et non notre secrétaire
général de l’époque Jean Ayme) pour rédiger un rapport sur la psychiatrie. Et
l’on sait que le rapport Demay jugé trop ‘révolutionnaire’ sera soigneusement
caché par le ministre socialiste, ce dernier s’empressera de suivre
‘l’establishment’ et se rangera à l’avis de la toute puissante Direction des
Hôpitaux, il écartera la proposition forte du rapport Demay, en la mettant
aussitôt aux oubliettes. Celle ci pourtant aurait pu changer toute l’évolution
de la psychiatrie ! En effet elle proposait que chaque secteur ou groupe de
2 ou 3 secteurs bénéficie d’une direction à son propre niveau, « des
Etablissements Publics de Secteur » venaient prendre la place, inhumaine
et discordante, de l’hôpital. Ainsi les énormes monstres du 19ème
siècle qui continuent à étouffer la psychiatrie de secteur aujourd’hui auraient
disparu de la carte dès cette époque 1983. Je peux le confirmer, ayant été
membre de la
commission Demay (avec mon ami Dimitri Karavokyros)
et membre de la Commission des Maladies Mentales 1983-1986 qui suivra, et qui enterrera
complètement le rapport Demay.
N’est ce pas la référence pour les pôles aujourd’hui, comme
cela le fut avec les départements que nous avons malheureusement boudé en
1984 ?
Les témoignages qui suivent parlent d’eux mêmes, une
infirmière toujours passionnée témoigne avec force du passé (ceci nous évoque
le film remarquable de Muxel et Dessoliers « Histoires autour de la
folie » de 1993, qui sera un excellent appui à ce livre, réveillant les
témoignages forts de soignants d’avant le secteur, cela permettrait de mettre
en évidence le chemin parcouru entre avant le secteur et aujourd’hui, et d’en
être fier). Un directeur encore en fonction, à Villejuif, montre ensuite sans
aucune gêne ni hésitation qu’à son avis la gestion prime sur les soins (nous
étions convaincus du contraire et affirmerions que la clinique prime et doit
être définie avant toute gestion…et bien non !) ; à partir de ce
témoignage rapporté ici, nous comprenons les dérives à craindre pour l’avenir
étant donné les pouvoirs actuels des directeurs, rouleaux compresseurs qui pourraient
tout écraser ; témoignage sans prix, à rapprocher de celui du psychiatre
privé, auteur du rapport du même nom, Cléry-Melin, directeur de plusieurs
cliniques privées qui à plusieurs reprises, ici, montre clairement son
hostilité à la psychiatrie de secteur alors que dans son rapport il affirme que
celle ci a des qualités incontournables (alors double jeu, double bind…ou
double vérité ? le lecteur a de quoi penser, merci Coupechoux).
Il nous fait le plaisir d’évoquer le travail réalisé à Bondy,
sans se rendre compte qu’il commet une erreur dont les conséquences sur l’amour
propre de nos collègues et nos collaborateurs n’est pas acceptable : il me
permettra de la réparer ici auprès de lui ; selon l’auteur une seule équipe
a réalisé dans le 9-3 une psychiatrie de secteur aboutie. C’est totalement
inexact (nous aurions corrigé si comme l’auteur de la revue Recherche il
nous avait fait relire l’épreuve nous concernant). Ce n’est pas ‘une’ équipe
qui a été relocalisée depuis Ville-Evrard, mais « huit », redéployées
en totalité sur trois sites (St Denis, Bondy et Aubervilliers) ; et ces
huit équipes font toutes cette expérience formidable d’une nouvelle
psychiatrie. il faut absolument ajouter que cette évolution a été possible, non
pas du fait de quelques hommes isolés qui seraient alors hors du commun, mais
de par la volonté collective de tout l’ensemble de la communauté de l’hôpital
de Ville-Evrard, depuis les médecins, les infirmiers jusqu’aux ouvriers,
appuyés par les élus du département et par les administrateurs du département,
y compris un directeur d’hôpital trop modeste pour faire parler de lui,
Charles-Henri Marchandet. Ceci montre au passage qu’il est erroné de faire un
procès à tous les directeurs. Mais du coup la vraie leçon de ce fait reste dans
l’ombre, assez forte pour expliquer la réussite ou l’échec de la psychiatrie de
secteur selon les lieux. La réussite n’est pas due au hasard ni le fait d’un
homme : là où une convergence d’action et de réflexion rassemble la
totalité des acteurs et les garde unis sur une longue période, la politique de
secteur a tout en mains pour se réaliser si les acteurs le veulent. Du coup
cela montre l’importance des liens que nous arrivons ou n’arrivons pas à nouer
localement. C’est donc une histoire ‘collective’ due à l’union de tous ses
acteurs (il serait utile d’approfondir ces faits). L’auteur ne pouvait se
rendre compte de cette histoire car la dame qui lui en a rapporté, dit-il, les
éléments était toute jeune arrivée dans cet hôpital et n’avait pas vécu son
déroulement sur les 30 ans de son histoire.
Il en est de même si l’on veut expliquer clairement les
mésaventures qui ont entouré les menaces de fermetures du CAC de La Roquette. Certes
d’abord, et c’est exact, la résistance justifiée de cette petite équipe, avec
l’appui des usagers, montre comment des élus peuvent défendre et faire
reconnaitre la psychiatrie de secteur, ainsi l’a fait Pénélope Komités, maire
adjointe de Paris, présidente du CA d’Esquirol. Mais cet évènement ne peut être
compris cependant que si l’on remonte dix ans en arrière, jusqu’au précédent Directeur
d’Esquirol ; celui ci plusieurs années auparavant, monsieur Martinez, a
été un autre directeur remarquable. Il a, entre autres faits, permis la
naissance des associations d’usagers. Il avait aussi été conquis par les
démonstrations que nous avions faites sur ce que peut apporter l’existence d’un
centre d’accueil dans une équipe de secteur. Aussitôt il en crée 5 pour les
équipes de son hôpital sur leurs secteurs respectifs…sans s’être rendu compte
que les soignants de ces 5 équipes n’étaient pas encore formés au travail
d’accueil, donc n’y étaient pas prêts, alors que pour lui leur intérêt était ‘évident’
(impasse faite sur l’importance que constitue la motivation des soignants dans
la réalisation d’un soin)…et la suite a montré que la plupart de ces équipes ne
s’y sont pas intéressées (même constat pour le reste de la France) ; le
conflit de La Roquette était le combat du dernier des mohicans pour les centres
d’accueil, mais en même temps coupé de son sens ; la petite équipe avec
raison et beaucoup de courage a voulu résister, …mais sans se rendre compte
qu’à vouloir se défendre seule, sans lien solide avec son chef de secteur, ni
avec le reste de l’équipe du secteur, elle se coupait du reste de l’équipe et
perdait l’essentiel de sa valeur. Difficile et courageux constat à faire sur la
nécessité du travail de continuité des soins sur l’ensemble de chaque équipe de
secteur, l’accueil n’a de sens qu’à ce prix, sinon chaque acteur ne défend que
son pré-carré ‘personnel’, et cela n’a plus rien à voir avec le travail de
secteur. Je ne fais ici qu’amorcer le débat d’un nécessaire travail de
décryptage, hors duquel chaque partenaire interpelé risque de prendre des
positions contraires à sa propre éthique.
Le travail d’historien est difficile, mais il est
indispensable de s’y atteler si l’on veut déplier l’histoire. Donc ces deux
témoignages justifient d’être complétés dans les débats publics à venir qui
seront fort intéressants. Merci à Coupechoux de les avoir ouvert aussi
fortement.
Par contre je ne suivrai pas l’auteur dans ses propos sur la
rue et sur la prison. Certes,
je sais, je ne le critique pas. Je sais qu’il ne reprend que les propos tenus
par nombre d’entre nous et par l’opinion. Il n’en devient que le porte parole.
C’est en cela que ce livre est intéressant, il nous met en face des
contradictions internes à notre profession, et cela montre que nous avons à faire
le point entre nous plutôt que devant l’opinion laquelle risque de se sentir très
blessée de voir se disputer ceux qui devraient faire consensus pour répondre à
ses souffrances.
Il est inexact de dire que les malades sont ‘abandonnés’
dans la rue, dans la
prison. Certes nous sommes plus qu’avant capables de dépister
les patients dans tous les espaces où ils vont comme la prison et la rue. Ainsi nous les
voyons bien dans la rue, mais je peux témoigner que nos patients de Bondy allaient
dans la rue plus facilement récemment qu’avant notre relocalisation à Bondy (et
à Paris autant qu’à Bondy) entre les soins et leur retour chez eux parce que la
rue est l’espace de tout le monde, ils l’ont récupérée ; sont ils
abandonnés pour autant ? non, mais allant dans la rue ils exposent à la
population le visage et la présence de la folie dans la vie quotidienne, alors
que le matin, ils ont reçu des soins et que le soir ils reviennent
tranquillement chez eux ; seulement voilà ! la société n’est pas
encore prête à ce voisinage. La stigmatisation de la folie reste forte, et le
passant dans la rue se contente de dire « Si je vois un fou en liberté
cela veut dire que personne ne s’occupe de lui ». De plus la réalité des
troubles psychiques chez les personnes en situation de précarité est une
réalité incontestable. Mais les soins proposés doivent tenir compte des
particularités de ces personnes si fragiles. Ce n’est pas la psychiatrie de
secteur qui est en cause. C’est l’aggravation du rejet social de personnes
fragiles par une société de plus en plus sauvage. Ce constat montre que nous
avons une meilleure reconnaissance de cette souffrance psychique qu’auparavant
(comme l’ont mis en évidence notre ami Antoine Lazarus, puis Jean Furtos avec son
‘ORSPERE’). Mais c’est à nous tous (sanitaire et social réunis) de trouver les
réponses adéquates. La question de la prison ensuite, est un vrai problème que
l’on ne peut mettre en équation comme le fait l’auteur. Nous ne saurions
écarter ce dont témoignent tous nos collègues qui la connaissent. Gare
aux statistiques qui font des classifications ! Nos amis nous disent que
nous ne saurions oublier que l’expérience de la prison est un traumatisme
psychique d’une haute gravité pour chaque personne qui y entre. Déjà ce
fait est lourd. Et c’est faux d’affirmer comme le font tant de censeurs que la
psychiatrie de secteur s’est défaussée sur la prison. Cette
question est assez grave pour nous obliger de la prendre à bras le corps, mais
sans a priori, avec beaucoup d’attention et de rigueur, sans pour autant éviter
de travailler l’implication de la psychiatrie de secteur, ni aussi du social et
du juridique et en refusant la fuite sécuritaire….
Un temps d’arrêt est nécessaire ici, car je dois convenir
que je ne vais pas suivre l’auteur dans le virage qu’il prend à partir de là
dans son livre : ses prises de position (propos rapportés à partir du
terrain, en fait) vont aboutir à une critique globalement négative de la
psychiatrie de secteur, alors que ce n’est pas elle qui est en cause, mais ce
qu’en ont fait certains d’entre nous s’appuyant sur des dérives multiples non
maitrisées et des attaques venant de l’Etat.
L’auteur n’a pas conscience que, tout en voulant défendre la
psychiatrie de secteur, nombre de ses informations de détail non validées ont
pour conséquence de donner à l’opinion publique une vision dévalorisante de
tous les acteurs de la psychiatrie au lieu d’étudier avec patience et précision
tous les paramètres de la « crise » actuelle qui est avant tout une
crise d’identité, de solidarité et surtout de consensus entre tous les acteurs,
dont les moyens sont trop dispersés, trop isolés les uns des autres. Donc tout
mélanger est facteur de confusion. On ne saurait mettre tous les acteurs dans
le même panier, ni reconnaître le poids que beaucoup ont à subir dans les
situations qu’ils trouvent ; il est certes nécessaire de reconnaître les
impasses dans lesquelles se sont fourvoyées beaucoup d’entre nous. Il est exact
de dénoncer avec violence la misère de certaines équipes, mais il est aussi
indispensable de montrer la qualité de travail de beaucoup d’autres, contre
vents et marées. Et au total il est absurde de ne pas reconnaître
l’évolution extraordinaire qu’a permis la psychiatrie de secteur depuis 1971,
date de début de l’application de la psychiatrie de secteur.
J’affirme que le bilan ‘historique’ de la psychiatrie de
secteur est clairement positif. Et à partir de là nous valide pour nous
rassembler et nous battre ensemble au lieu de nous plaindre. Mais il faut
ajouter que cela ne valide pas ceux qui ne la défendent pas ou disent qu’elle
est ‘dépassée’ « Ils ne sont jamais montés dans le train, et l’ont laissé
passer » disait déjà devant les mêmes phrases Lucien Bonnafé il y a 20
ans. Cela continue.
Il n’est pas exact d’affirmer comme le fait notre auteur que
‘tout’ dans la psychiatrie de secteur est médicalisé, il n’est pas exact de
dire que les soignants ne s’occupent que de la ‘crise’ des patients et
délaissent les troubles dits chroniques. La question de l’urgence était
totalement abandonnée autrefois par les psychiatres hospitaliers d’avant le secteur.
Elle est devenue l’un des points de contact avec la vie de la société. Les
psychiatres qui acceptent avec raison de s’y attaquer ne réduisent pas pour
autant le soin à l’urgence…. Il n’est pas possible d’annuler d’un trait de
plume tous les efforts que nous avons fait sur les traces de la psychothérapie
institutionnelle pour transformer l’urgence en travail d’Accueil. Nous
savons clairement que la façon dont on introduit un patient dans la longue
trajectoire des soins va le marquer pour sa vie, d’où l’importance de
l’Accueil. Mais une fois de plus, nous ne saurions faire porter le poids de
cette critique sur l’auteur, il ne fait que refléter le propos majoritaire sur
la psychiatrie tenu par ses propres acteurs, et il est exact qu’un certain
nombre ont abandonné toute défense du secteur.
Aussi nous devons être attentifs et souligner après l’auteur
que les soignants creusent leur propre disparition à se disqualifier ainsi de
cette double façon, en se retirant ou en la compromettant. Mais
la psychiatrie à toutes les étapes de son évolution s’est toujours trouvée
devant des obstacles qui lui paraissaient insurmontables… Permettez moi de
témoigner à mon tour : Je me souviens de l’impression d’écrasement que
nous avions en 1970-72 devant ces forteresses hospitalières, elles avaient
l’air d’avoir existé de tout temps et semblaient totalement imprenables (on le
sent encore dans le livre de Recherches de 1975), il fallait être totalement
fou pour oser s’y colleter…contre l’avis de la majorité là encore. La plupart
des soignants étaient convaincus que tout changement était strictement
impossible. Et nous avions tous une autre certitude, il n’y avait la
perspective d’aucun moyen pour innover.
Mais aujourd’hui en se maltraitant ainsi par ces critiques
dépressives les soignants ne doivent pas oublier qu’en réalité ils maltraitent
tout le temps les patients et les familles.
Et sur ce point précis c’est vrai que l’auteur a été mal
conseillé dans son parcours initiatique, car justement il ne met pas en valeur
le « tournant » actuel de la psychiatrie autour de l’arrivée sur la
scène publique des « usagers » rassemblés en association, ce qui leur
donne une réelle force politique et une grande capacité d’élaboration…Du coup
l’auteur rate l’effet majeur que devrait avoir toute intervention actuelle dans
le champ de la Santé mentale, il tient un discours du passé. Une fois encore
l’auteur ne fait que reprendre le propos de la majorité des professionnels de
la psychiatrie actuelle, psychothérapie institutionnelle incluse.
Ses conseillers l’ont entrainé à faire une impasse
invraisemblable à la fin de son livre : il évite ce qui aurait dû
constituer au moins un tiers de son travail (et non 3 pages sur 358) : le
résultat de la mobilisation des usagers depuis 2001 : il n’en parle pas comme
d’un mouvement de fond d’une partie de la société aujourd’hui, et ainsi
n’évoque pas tout ce qui a permis la reconnaissance du handicap psychique,
c’est pourtant là l’une des opportunités dont la psychiatrie de secteur devrait
se saisir pour se renouveler. Rien n’est dit sur l’origine de cette évolution,
sur le quiproquo qui subsiste entre le handicap et le développement de la
psychiatrie dans l’esprit de la majorité des professionnels. Quelle erreur du
coup de parler du fourvoiement dans la Santé Mentale ! (mais il ne fait que
rapporter le propos des psy) alors que celle ci englobe tout simplement la
psychiatrie, la prévention et tout le travail en friches à faire sur les
compensations du handicap, sans rien confondre, ni annuler.