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Un avenir pour la psychiatrie française ?





Analyse du rapport Cléry-Melin (1), dernier en date sur l'état des lieux de la psychiatrie et de la santé mentale, par le Dr Guy Baillon, héritier et défenseur de la politique de secteur…

Il est de bon ton de se moquer de la répétition des " rapports sur la psychiatrie de secteur ", il vient encore d'en " tomber " un nouveau, il y a à peine deux mois. Il s'agit du rapport Cléry-Melin " Plan d'actions pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale " (1). Voilà donc une excellente occasion pour affirmer vigoureusement que cette succession de rapports est la preuve de la vitalité de la psychiatrie de secteur qui a, en effet, besoin d'être réexaminée régulièrement. Que cela soit fait n'est pas signe d'échec, mais de très bonne santé. Chaque rapport nous permet donc d'approfondir un peu plus les découvertes qu'elle nous fait faire depuis 30 ans. De plus, la psychiatrie étant une science de l'homme dans sa globalité, elle ne peut que changer, comme la société. Il est donc justifié de renouveler son cadre, ses modes d'application.

Un rapport solide, clair, cohérent
Ce rapport est écrit par trois personnalités bien connues et amies. Le coordonnateur, Philippe Cléry-Melin, est psychiatre privé. La seconde, Viviane Kovess, est universitaire en épidémiologie. Un seul, Jean-Charles Pascal, est psychiatre de secteur. Le service public n'est donc présent qu'au tiers, ce qui ne reflète pas la réalité de la distribution des professionnels. Rappelons-nous que nos universitaires, pour la plupart, n'enseignent pas la psychiatrie de secteur ! Il faut alors se demander si la psychiatrie de secteur sort consolidée de cet échange ou fragilisée ? Très vite nous comprenons que des oukases (ordres) administratives sont venus limiter la liberté des auteurs. Certes, bien qu'elle soit plurielle et manifestement fruit d'une négociation interne, l'écriture de ce rapport est solide, claire et cohérente. Il est agréable à lire. Même si le " souffle " n'est pas exprimé (administration oblige) on sent qu'il anime les auteurs. La psychiatrie les passionne… De façon générale, ce rapport fait preuve d'une grande ampleur de vue, d'une capacité d'intégration de nombreuses données laissées de côté jusqu'ici, il fait preuve aussi d'innovation et de pragmatisme. Certes il y a des manques, le principal concernant la forme générale. En effet, ce rapport est sans " priorité " et cette absence (elle n'est cependant qu'apparente) va peser lourd sur cette orientation. En fait, le plus redoutable est justement là car, pour cette raison, les valeurs profondes qui ont donné naissance à la psychiatrie de secteur ne sont pas rappelées. Elles sont pourtant simples : " une équipe pluridisciplinaire reçoit la mission de répondre à l'ensemble des soins et de la prévention à déployer pour une population limitée partageant la même histoire et la même réalité socio-économique ; elle se soutient d'une recherche du sens basée sur une conception forte de l'homme dans sa globalité, son corps, son fonctionnement psychique, sa relation à l'autre ; l'homme avec son histoire, sa famille, sa cité ; cette psychiatrie se déploie en s'appuyant sur les potentialités de son entourage, appui absolument essentiel. Le tout à l'échelle humaine (2) ".

Le rapport, côté ombre…
Les rapporteurs officiels sont souvent condamnés à être " efficaces ", sans avoir la liberté de " gâcher " une seule ligne. C'est " leur ordre de mission "… Ainsi Clery-Melin et ses amis n'ont donc pas eu la liberté de souligner ce qui fonde la psychiatrie de secteur, son sens dans la société moderne. Des technocrates ministériels formés aux pratiques d'ingénierie et d'administration leur ont affirmé qu'ils devaient faire un rapport court et précis " comme celui sur le cancer ". N'est-ce pas là une erreur considérable ? ! Ce sont deux types de troubles précis évoluant selon deux logiques, chacune respectable, mais n'ayant rien à voir l'une avec l'autre. Le cancer est un ennemi bien identifié que l'on considère comme un " corps étranger " ; ainsi mis à distance du corps, il peut être traité comme tel grâce à des " outils " de plus en plus précis, le malade n'a qu'à suivre les " bonnes prescriptions "… Le trouble psychique, la folie, font au contraire partie intrinsèque de l'homme. Ils obligent à prendre en compte tant son histoire que son environnement relationnel. Ils justifient que le soignant se situe à son tour comme homme et travaille avec son propre engagement humain sur la relation à établir pour que celui qui souffre joue son rôle de sujet et d'acteur. En psychiatrie, tant que la personne n'agit pas en acteur, sujet et citoyen, elle est incluse dans un processus qui aggrave sa pathologie et la déshumanise. N'est pas pris en compte le fait essentiel que l'hypothèse clinique de la psychiatrie de secteur s'enracine sur des valeurs fortes, celles-ci ne sont pas citées comme des hypothèses cliniques fondatrices. L'homme considéré dans sa globalité implique toujours le groupe qui l'environne, les soins sont proches, dans la continuité, contextuels, l'échelle des relations comme de l'architecture des lieux de soin est humaine, le travail se déploie sur les liens de la personne. De ce fait, ce qui va primer ici, comme dans la plupart des (trop nombreux) textes officiels sur la psychiatrie, est " l'organisationnel ", au lieu de la clinique. Ensuite, nos rapporteurs ont été discrètement tenus d'intégrer d'autres oukases de l'administration :

- " la psychiatrie doit être considérée à l'identique de toute autre spécialité médicale " ;

- " les bassins de vie, ou territoires, doivent être la vraie référence géo-démographique " ;

- " une observation de 72 heures s'impose pour toute personne dont la santé psychique fait doute " ;

- " la place de la psychiatrie doit être à l'hôpital général " ;

- " la psychiatrie privée doit se déployer partout ".

Des " directives " déjà données à nos autres amis Piel-Roelandt (3) au début de leur mission. Pourquoi ne pourrions-nous pas continuer à résister, en faisant nous aussi des contre propositions ? Ne soyons donc pas en reste et tentons de préciser quelles attentes nous pourrions avoir, à notre tour, à l'égard de notre administration. Outre le préalable de départ déjà évoqué :

- rappeler la pertinence de ce qui fonde la psychiatrie de secteur, son hypothèse clinique et ce qui lui donne du sens ;

- faire un bilan historique des applications et des effets de ces 30 ans de psychiatrie de secteur C'est un second préalable. C'est ce bilan qui justifiera la répétition de " rapports " sur la psychiatrie de secteur, car le changement déjà réalisé aujourd'hui est tout à fait considérable ;

- un premier contrepoint à ce bilan aurait dû être une félicitation générale faite aux acteurs de ce travail, actuels et passés, alors que l'on sent une critique sous jacente forte de la part des administratifs ; cela pourrit le climat actuel et rend donc difficile toute réflexion politique, toute négociation. Ces acteurs ont défriché un champ nouveau. Ils n'ont pas failli dans l'application d'une politique administrative, ils ont eu à inventer d'autres façons " d'être ". Aucune évolution ne peut être envisagée sans que leur soit d'abord rendu hommage ;

- un second contrepoint est de convenir que les " applications " officielles de la politique sont partiellement insatisfaisantes ou le sont devenues (découpage " administratif " et non humain de nombreux secteurs, absence de révision de l'arrêté du 14 mars 86 - qui définie la nomenclature des structures de soin - utile mais largement dépassé…).

Faire des propositions, point par point
Les critiques majeures de ce rapport peuvent être examinées, une par une.
o Affirmons d'emblée que cette notion de " territoire ", présentée comme la grande réforme de ce rapport, est une très mauvaise action à l'égard du secteur, car elle l'étouffe ! Envisager comme référence au travail, des " bassins " de vie de 300 000 à 600 000 mille habitants est une proposition tout à fait " aberrante ", car les liens y sont totalement " déshumanisés ". Les proches de Lucien Bonnafé saluant sa mémoire le 15 octobre dernier, ont rappelé cette phrase centrale : " L'asile, ce ne sont pas les murs, c'est un système de relations humaines " superbement " organisé, pétrifié… ". Le " système " qui nous est présenté ici est " monumental ". Créer une " Commission Territoriale de Psychiatrie et de Santé Mentale ", c'est instituer une nouvelle instance décisionnelle et de contrôle dont le but va être simplement de " démissionner " chaque équipe de secteur d'une grande partie de sa responsabilité. Imposer une super-hiérarchie est contraire au soin et à la capacité d'engagement personnel des soignants. Tout ceci va être cause de conflits sans fin. Les équipes vont surtout y perdre le sens de leur action, en perdant leur identité. Devenue simple rouage d'une " administration psychiatrique ", sans responsabilité clinique, leur seule compétence " reconnue " sera celle du " grand contrôleur ".. Il y aura, en effet, une nouvelle catégorie d'acteurs, les " super-super-psychiatres " ! La coupe du " non-sens " déborde avec le " CMP Territorial ", voilà un CMP qui " doit " faire le ménage et redresser les erreurs de trajectoire de ces mauvais travailleurs de secteur, de ce modeste espace… Ce qui ne peut passer inaperçu ici, c'est que, par ce biais du territoire, le rapport obéit à la nouvelle " oukase ", celle de donner une place solide à la psychiatrie privée. Après 2003, les privés auront dorénavant l'autorisation d'ouvrir toutes les structures qui les intéressent. Il est certes important d'associer le privé au public, mais la méthode imaginée ici est imprudente. Le privé est convoqué pour venir " réparer " les insuffisances du public, mais il ne partagera pas ses tâches ni ses contraintes, ni la continuité des soins, ni l'obligation de recevoir toute personne qui s'adresse à lui. La proposition faite ici va provoquer un grave conflit, alors qu'une négociation nationale pourrait mieux travailler la complémentarité nécessaire. Le risque est un effritement du service public. On ne peut nier que les équipes de secteur manquent souvent de liens entre elles. Mais à la place de cette " énorme pièce montée territoriale ", il eut été plus juste de reconnaître l'erreur à la naissance de la sectorisation (la séparation de l'enfant et des parents d'une même famille puisque les soins des deux générations sont toujours répartis entre deux équipes, générale et infanto-juvénile) ; une erreur qui peut être corrigée. Il faut aussi diminuer le cloisonnement trop sévère entre équipes voisines. À la place de cette " montagne territoriale ", il est beaucoup plus simple de décider que les équipes ayant la responsabilité d'une population commune (les trois équipes de psychiatrie générale voisines et l'équipe infanto-juvénile leur correspondant) constituent " un groupe de coordination " que les psychiatres des quatre équipes auront la tâche de mener à bien, sans avoir recours à un " coordinateur " supplémentaire. Il faut donner à ce groupe, tel une fédération, la tâche d'examiner projets et rapports d'activités des quatre équipes dans un esprit de concertation et d'échanges communs avec les élus de cette population et les usagers, mais sans donner à cette fédération un pouvoir décisionnel venant infantiliser les équipes. Cette concertation ne doit pas concerner plus de 200 000 habitants et même en cas de département peu peuplé ne doit pas dépasser le cadre du département. Cette proposition toute simple et qui ne coûte rien ne nécessite, ni la création d'une nouvelle catégorie hiérarchique, ni la création d'instance avec tout le remaniement administratif que cela suppose. En conclusion : la base de la politique doit rester le secteur et son équipe, investie d'une responsabilité de soin et de prévention générale. Comment concevoir que l'on puisse être soignant en psychiatrie si l'on n'a pas sa totale liberté de penser ? C'est bien là que l'on puise son courage, sa motivation, son désir. C'est à partir de là que l'on peut s'engager personnellement dans le risque à prendre pour établir un lien avec un patient. C'est là que se fonde l'éthique, base de cette activité. L'engagement personnel d'un soignant ne s'inscrira jamais dans l'observation d'une accumulation de règles administratives, comme cela est imposé de plus en plus, mais dans le souci déontologique d'une recherche clinique.

o Il en est de même des " centres d'observation de 72 heures ", déjà " imposés " au rapport Piel-Roelandt. La dominante de la psychiatrie, dite d'urgence par rapport au reste de la médecine, est le déni ou la méconnaissance des troubles psychiques par la personne, mais aussi par la famille, voir par le généraliste. Comment arriver à expliquer à des administratifs et à des médecins généralistes que cette méconnaissance caractérise le vécu même des patients à ce moment-là ? En effet, les patients n'ont plus de liens sur lesquels ils pensent pouvoir s'appuyer pour lutter contre leur angoisse, contre leurs craintes, contre leur désamour. Leurs liens sont détruits par leurs propres sentiments de persécution et par les réactions de l'entourage. Seuls le temps et la confiance en l'autre peuvent modifier cette expérience qu'ils ont de la vie. Tout ce qui va se dérouler alors va être vécu comme violence, indifférence, précipitation, absence de liens, toutes apportées par les autres, et va être l'occasion d'une souffrance accrue, confortant leur certitude d'être agressé. Le patient va puiser là des forces pour… résister contre ces personnes qui se disent être des soignants, mais qu'il ne comprend pas et qui lui paraissent hostiles. Il en sortira de plus en plus blessé, marqué par ces luttes incompréhensibles. Ceci n'est pas inventé, ce sont le vécu et les propos répétés par les usagers et les familles. Si la création de ces centres se réalise, ils auront un fort pouvoir d'attraction et le flux des hospitalisations sous contrainte ne va cesser de croître (c'est déjà la plaie actuelle). Sur un plan plus clinique, nous savons que 72 heures c'est trop long pour les personnes qui traversent une simple crise et qui n'ont pas besoin de cette " observation " (de plus, dès que les soignants seront débordés, ils y auront recours). Par contre, 72 heures c'est beaucoup trop court pour celles qui ont des troubles profonds et qui les méconnaissent. Elles ont besoin de plus de temps et d'un environnement qui les soutienne pour pouvoir établir une alliance avec ce monde vécu comme hostile, et se montrer demandeur d'un traitement. Donner comme autre repère pour l'urgence en psychiatrie, les mêmes outils que ceux utilisés en médecine, le SAMU et le SAMI, ainsi que, cerise sur le gâteau, le " CMP ressource - Territorial " (pour à peine 300 000 à 400 000 personnes !) est navrant. Comment arriver à ré-expliquer que ce qui soigne " en urgence " c'est le lien de connaissance humaine et professionnelle qui se situe dans le champ restauré ou construit à ce moment précis auprès du patient ? Ce lien ne peut être établi que par des personnes dont la compétence essentielle est leur savoir sur ces liens et sur leur fonctionnement. Sans cela, dans l'urgence, vont se déployer la catastrophe de l'incompréhension, de l'étrangeté, et l'escalade de l'inquiétude, la crainte, la peur, la violence bien sûr, et son cortège de rejets… Avec un travail d'accueil, au contraire, tout est peu à peu possible, en utilisant le temps qui convient au " rythme psychique de chaque personne " et ce temps nécessaire ne peut absolument pas être défini d'emblée. Ce travail est réalisé dans les Centres d'Accueil Permanents sans lits, ouverts 24/24 heures, et qui ne sont pas rappelés dans ce rapport. Pourtant, ces centres sont humains, économiques (réalisés aisément par la reconversion de l'une des unités d'hospitalisation qu'ils remplacent largement). Ils sont singulièrement plus efficaces que tout ce qui est proposé ici, car ils établissent le lien direct entre patients et équipe de secteur. Ces centres donnent aux soignants toutes les clés pour maintenir les liens de la personne avec son entourage et pour transformer une " urgence " en " début de soins adaptés ", sans contrainte, où le patient devient acteur. Si on ajoute à ces erreurs " l'unité intersectorielle d'admission " pour 400 000 habitants, nous voyons s'installer ici une structure isolée ne dépendant d'aucun fonctionnement de secteur. De ce fait, très vite cette nouvelle unité d'observation de 72 heures sera persuadée qu'elle travaille infiniment mieux que les équipes de secteur qui ont " tout " à faire. Elle fera alors un soin " d'écrémage ", aura sa propre clientèle et ses mécanismes de rejet… Le retour à l'ancienne psychiatrie.

o La philosophie de soin générale que l'on retire globalement de ce rapport reste fortement " l'hospitalocentrisme ". Du fait de l'héritage et de l'histoire de la psychiatrie bi-séculaire l'hôpital reste le regroupement architectural et administratif prédominant rassurant pour les soignants. Il continue donc à être un " obstacle " à toute évolution dans l'espace social comme dans l'esprit des soignants. Mais sachons que pour les familles, pour les usagers, l'hôpital n'est plus la référence. Ne pas prendre cette affirmation comme une réalité en 2003 est une hypocrisie. Le rapport consolide la permanence de l'hôpital spécialisé. Pourtant, pour la première fois un rapport montre que la présence du service temps plein à l'hôpital général n'est pas la bonne solution - c'est vraiment une première -, mais aussitôt après il insiste pour rénover les services hospitaliers… qui sont toujours dans les établissements hospitaliers. C'était pourtant l'occasion d'annoncer leur vraie " restauration " ! Il suffisait d'inviter tous les directeurs à ouvrir un espace d'hospitalisation " hors hôpital ", en ville, pour deux ou trois secteurs. Cette relocalisation du service temps plein en ville dans un espace banalisé et humain, non médicalisé, s'est déjà montrée possible. Elle constitue une étape réellement innovante, restaurant l'image de l'hospitalisation qui, enfin, n'est plus synonyme d'exclusion. Voici donc un projet humain, faisable, attendu par les usagers.

o Il nous a semblé entendre un grand silence dans ce rapport sur les personnes " désaffiliées ", désinsérées, personnes de la grande pauvreté, de l'exclusion sociale. Leur souffrance psychique et leurs troubles " flous " sont réels et graves, ils sont ici pudiquement évités. Pourtant leur besoin d'appui a été souligné par plusieurs rapports (Strohl-Lazarus (4), Minard-Piel (5)). Certes, l'expérience montre que le soin psychiatrique mis en première ligne, avant la prise en compte des facteurs économiques et sociaux, est une erreur. Il y a donc une stratégie nouvelle à développer qui n'est pas exprimée ici et qui doit l'être.

o Dans ce rapport, le retour de propositions ségrégatives par la constitution, de nouvelles " filières ", nous paraît très brutal. Elle rappelle les anciennes oukases administratives ayant pour but de reconvertir la psychiatrie de secteur en une succession de " spécialités " différentes, comme cela se passe à l'étranger où aucun grand pays n'a fait le choix de la politique de secteur. Ces filières vont toutes fonctionner à l'écart de la responsabilité des équipes de secteur :

- filières pour l'urgence avec la mise en place des " unités intersectorielles d'accueil " ;

- filières pour le handicap avec son aboutissement : les " unités de soins de réadaptation intersectorielles " et les " unités de soin de suite en psychiatrie " venant renforcer l'hospitalocentrisme.

- filières de soins géronto-psychiatriques qui veulent rassembler toute la pathologie de l'âge avancé.

o Enfin, on ne peut manquer de souligner que ce rapport constitue une singulière régression sur les deux derniers rapports Piel-Roelandt (3) et Kouchner (6) qui s'adressaient en premier aux usagers. Ce rapport choisit de privilégier les professionnels du privé avec la question de la psychothérapie et relègue discrètement l'usager à la moitié du rapport. Il ignore l'esprit qui a animé deux lois qui vont fondamentalement changer le visage de la Santé Mentale : les lois de janvier 2002 (7) et de mars 2002 (8). Dans ces deux rapports, comme dans ces deux lois, une révolution s'est opérée dans notre champ : la place de l'usager et de la famille est devenue première. L'usager et sa famille sont reconnus comme étant au centre du dispositif de soin et de prévention. Ils sont devenus les témoins, et même les co-décideurs, dans l'analyse de toute l'activité des institutions, depuis les projets jusqu'à leurs rapports d'activité. Cela est oublié ici. Affirmons pour terminer que la psychiatrie de secteur garde toute sa force par son attachement à sa dimension " généraliste " qui lui permet de donner la première valeur à l'environnement du patient et à ses potentialités. Les " sirènes de la spécialisation " ne cessent de chanter autour d'elle depuis sa naissance. Elles se déploient dans le privé. Cela se justifie pour les personnes aisées qui ont, dès le départ, un excellent " réseau relationnel ", base de tout soin. Il serait infiniment regrettable qu'elles viennent envahir le champ du service public où les personnes sont démunies et leurs liens plus fragiles. C'est pourtant là que se justifierait une complémentarité entre public et privé, mais il est imprudent de proposer de tout confondre. Cette confusion ne peut qu'aboutir à la disparition du service public par annulation de la politique de Secteur. À chaque question soulevée dans ce rapport, nous retrouvons la perte de référence à la politique de secteur et à ses " fondamentaux " (l'homme, l'échelle humaine, la proximité-disponibilité des soignants, la continuité des soins, le contexte comme appui essentiel). Ce constat nous inquiète.

Le rapport, côté éclaircies…
À l'inverse, de nombreuses avancées sont faites dans ce rapport.
o Demander la création d'une Mission Interministérielle de Psychiatrie et Santé mentale c'est excellent, car c'est inviter le gouvernement à vivre lui aussi " en réseau " ;

o Demander que soit desserré l'étau du numerus clausus des psychiatres et le faire passer en 5 ans (de 176 actuellement à 350 en 2010) et que soit mieux répartie la densité médicale, c'est courageux.

o Rendre attractive la profession infirmière, c'est bien aussi. Malheureusement les mesures préconisées ne semblent pas être celles avancées par la profession. Cela est très préoccupant car les infirmiers sont les acteurs essentiels de cette politique. Ils vont s'exprimer clairement eux-mêmes !

o S'opposer à la création de MAS sur le site des hôpitaux publics est un minimum.

o Enfin, une belle reconnaissance du handicap psychique est faite ici. C'était le souhait insistant des usagers et des familles - Fnap-psy (9) et Unafam (10) - . Jusqu'alors, seule la place des handicapés intellectuels avait été identifiée. Les soignants n'avaient pas encore été suffisamment attentifs à l'absence de soutien des handicapés psychiques dans leur vie quotidienne en ville en dehors des espaces de soin, et n'avaient pas perçu que leurs besoins dépassaient de très loin ce que peuvent faire les petites associations de secteur. Les associations d'usagers ont entre temps bien défini ce terrain, l'ont étudié et ont fait des propositions. Il fallait les entendre. C'est fait.

o Il fallait aussi alerter l'opinion sur le fait que les associations d'usagers (elles sont maintenant étroitement et constamment associées à toutes les étapes de la concertation nécessaire pour élaborer les applications de la politique de soin et pour l'évaluer) n'ont aucun moyen officiel pour " vivre ". Le rapport demande à l'État de les soutenir.

o L'articulation qui est à instaurer aujourd'hui entre le champ sanitaire et le champ social médico-social est ici évoqué. Actuellement, les usagers souffrent de son cloisonnement, alors que dans la même journée ils utilisent tour à tour l'un et l'autre. Les usagers dénoncent vivement ce fait qui n'est pas toujours compris comme insupportable par les membres des équipes de secteur. C'est bien de vouloir s'en occuper.

o L'importance du retard aussi en psychiatrie infanto-juvénile est longuement soulignée et précisée. C'est indispensable pour l'avenir, mais rien n'est dit pour savoir comment le traiter en priorité.

o La prévention est abordée mais seulement dans le champ de la pédo-psychiatrie. En réalité, le retard des actions de prévention en France doit être souligné avec vigueur. La raison essentielle est " générale " : c'est l'absence de réflexion et d'actions concertées entre équipes généralistes et équipes infanto-juvéniles. La conjonction des deux est en effet absolument nécessaire pour que la prévention soit efficace, imaginative et crédible auprès de l'opinion. Cela n'est pas affirmé ici.

o La nécessité des évaluations est rappelée, mais n'est toujours pas soulignée cette erreur grossière que font en France accréditation et démarche qualité.. En effet, ces mesures se placent toujours à l'identique du reste du champ de la médecine et de la chirurgie. Elles " ignorent " superbement l'existence de la politique de secteur et n'y font jamais référence. Elles en rajoutent donc à " l'hospitalocentrisme " par ailleurs critiqué par l'État.

o Donner un statut à la psychothérapie, en début de rapport, est étonnant, intéressant. C'est lancer un signal favorable à l'égard du privé. De même, en profiter pour minimiser le rôle psychothérapique des infirmiers est injuste pour qui les côtoie quotidiennement (cf. Santé mentale 82, novembre 2003, p. 8). Cette mise à l'écart n'est pas acceptable. La définition de la psychothérapie doit être plus ouverte, plus variée, étendue ainsi aux autres membres de l'équipe de secteur.

o L'importance de la formation et de la recherche en psychiatrie n'est jamais suffisamment soulignée, cela est fait ici… à ceci près que l'hypothèse de la psychiatrie de secteur n'est pas considérée ici comme étant à étudier au cours de la formation ! C'est justement cette lacune qui est au centre du malaise des professionnels aujourd'hui et qui explique leur crise d'identité.

o Enfin, sont pris en considération les " aidants " (famille, proches, environnement) comme ayant ces mêmes besoins de formation et de soutien, cela doit être salué.
Malgré ces propositions positives, un malaise se fait jour, s'accentue même à la relecture de ce rapport. En réalité, il semble être celui de la profession aujourd'hui, " fidèle " à la réalité du terrain. Ce rapport ne choisit pas les priorités, il " hésite ". Cette " hésitation " vient de l'inhibition totale des auteurs pour affronter la discussion fondamentale suivante : Qu'a donc proposée la " politique de secteur " ? Quels en sont les " fondamentaux " ? Quelle valeur clinique et humaine ont-ils ? Quelles sont les valeurs pertinentes aujourd'hui ? Alors que toute la psychiatrie française est fondée depuis au moins 30 ans sur la mise en place de la politique de secteur (et ceci légalement depuis la loi du 25 juillet 1985 qui la reconnaît comme " officielle "), alors que grâce à elle une évolution formidable s'est faite, il est clair que la question de fond reste occultée : qu'est ce donc que soigner une personne en s'appuyant sur sa famille, sur son entourage ? Qu'est-ce que la continuité des soins ? Qu'est-ce que le service public ? Est-ce que ces questions ne sont pas en conflit profond avec la philosophie occidentale moderne qui se veut centrée sur l'individu, limitée à sa réussite individuelle, esquivant la question de ses liens ? Il convient en " post-scriptum " de remarquer que ce rapport qui serait, a priori, " sans priorité ", signe discrètement la fin de la psychiatrie de secteur et donne bien la part du lion au privé, ceci avec une rare habileté politique, sans éclat, ni signe de victoire. Rappelons la réalité vraie : le nombre approximatif des psychiatres - 12 000 -, et leur proportion. Ils sont répartis ainsi : un tiers dans le service public et 2/3 dans le privé et l'associatif (qui est privé). Tous ces psychiatres ont été formés par le service public : 2/3 ont choisi le privé, préférant une carrière personnelle à celle du public . La faiblesse du public vient de ce départ en force vers le privé. Retrouver un équilibre dans cette répartition est une priorité et une urgence que l'État n'a pas encore reconnue. Il en est de même des psychologues. Il est seulement et clairement soutenu dans ce rapport qu'il faut trouver du travail aux différents acteurs… du privé.. Ce qui prime est donc le désir de liberté de ces praticiens et non les besoins en termes de " service public " de la nation. La crise des infirmiers est plus profonde encore, elle touche leur identité non reconnue. Ce rapport ne prend aucune mesure prioritaire " maintenant " pour rééquilibrer la répartition des psychiatres, psychologues et infirmiers. Il sonne ainsi le glas du service public, évitant de rappeler le sens fondamental du service public de santé dans notre pays. Notre dernière conclusion sera donc très alarmiste. Ce rapport est révélateur d'un grand danger : il y a actuellement un courant profond qui refuse de soutenir le service public et qui cherche à écarter, à bas bruit, la politique de secteur. Mais ne nous trompons pas de cible : les signataires de ce rapport ne sont ni les auteurs, ni les responsables de ce courant, ils en sont seulement les témoins. Certes, en choisissant une expertise qui auditionne un grand nombre de personnes très variées, ils ont mis en évidence qu'au ministère comme dans l'ensemble des catégories professionnelles, chaque individu défend… son propre intérêt personnel catégoriel, mais que n'émerge pas de façon majoritaire un discours collectif défendant les intérêts des usagers dans le cadre d'un service public. Ceci n'est pas nouveau. Pour confirmer cette tendance et sa détermination, nous avons tous devant les yeux une preuve flagrante : dans la France entière existe, depuis de nombreuses années ici, depuis peu là, un nombre important et croissant de situations locales où ce service public est en train de se détériorer gravement. Un certain nombre d'équipes n'ont que 25 infirmiers, voir moins, pour faire face à l'ensemble des tâches de soin et de prévention pour les 70 000 habitants de leur secteur, d'autres n'ont qu'un seul psychiatre pour tout le secteur… Qui peut penser qu'un service public " minimum " peut y être assuré ? Pour ces raisons, certaines équipes ferment leur CMP…, lieu de soin fondamental (ainsi à Aulnay en Seine-St-Denis,…), d'autres ferment leur Centre d'Accueil… qui assure la qualité du début des soins (à Paris, à Montpon en Dordogne,…). Ces détériorations sont de plus en plus nombreuses. Par ailleurs, un grand nombre d'équipes de psychiatrie infanto-juvénile voient leur compétence enfin reconnue - les enfants consultent - mais elles ne peuvent assurer d'autre soin que l'accueil car les moyens font défaut ! Parallèlement, il faut l'affirmer avec force, pour un grand nombre d'équipes se réalise un travail de très grande qualité avec une compétence affirmée, soutenue par des moyens adéquats. La psychiatrie y démontre là la grande qualité de ses hypothèses et de sa démarche. Il faut l'affirmer haut et fort et en être fier ! Il n'est donc pas exact de dire que le nombre de psychiatres est insuffisant ni que la psychiatrie de secteur est dépassée ! Il faut dénoncer la fuite des psychiatres qui s'accélère vers le privé, en raison de la dégradation partielle du public. Toutes ces réalités sont connues de notre administration ! Pourquoi cette dernière reste-t-elle pétrifiée… si ce n'est par l'absence d'une mobilisation politique… d'où l'immobilisme de ce rapport.

Notre nouvelle preuve est là. De ces situations de détérioration dramatique, toutes les administrations en sont très bien informées ! Cependant, aucune ne réagit, ni l'administration centrale, ni l'administration régionale, ni l'administration départementale, ni l'administration locale de l'hôpital de rattachement. Chacune laisse ces situations se dégrader. Patients, familles et soignants en souffrent. Les soignants concernés se sentent disqualifiés, d'autant que dans le même temps l'administration, imperturbable, poursuit ses " évaluations " et ses " accréditations ", lesquelles n'ont là vraiment aucun sens et épuisent les soignants. Même si aucun administrateur ne peut être désigné, il y a là clairement un refus de soutenir le service public de psychiatrie. Il y a bien urgence, double et complémentaire :

- il est indispensable de faire une analyse historique solide de ce qu'a apporté la politique de secteur en 30 ans. Cet apport a été considérable. Il n'est pas seulement quantitatif, il est surtout qualitatif. La psychiatrie française dans sa forme de psychiatrie de secteur est reconnue comme une des meilleures du monde. Humaine, elle s'appuie d'abord sur les potentialités de l'environnement humain, sans négliger les autres appuis. Il serait juste aussitôt de rendre hommage à tous ces professionnels qui depuis 30 ans, sans bruit, ont accompli un travail de qualité permettant d'accéder à ce résultat. Hélas, celui-ci n'est pas reconnu parce que dans tel et tel secteur voisin la situation est totalement dégradée. Il faut cesser cette disqualification en cascade !

- il faut faire immédiatement et simultanément le recensement des situations qui, en France, sont en train de se dégrader, aggravant les souffrances des patients, laissant les familles dans un désarroi total, et disqualifiant les soignants qui refusent avec courage de voir couler leur bateau. Elles doivent être sans délai réparées.

Guy Baillon, psychiatre honoraire des hôpitaux, Bondy, Ville-Evrard (75).

NOTES

(1) Plan d'actions pour le développement de la psychiatrie et de la santé mentale, Philippe Cléry-Melin, Viviane Kovess, Jean-Charles Pascal. L'intégralité de ce rapport est consultable sur le site www.sante.gouv.fr

(2) Problèmes posés par la chronicité sur le plan des institutions psychiatriques, Le Guillant, Bonnafé, Mignot, Rapport au congrès de psychiatrie et de neurologie, sept 1964, Masson.

(3) De la psychiatrie vers la santé mentale, Dr Eric Piel et Dr Jean-Luc Roelandt. Rapport de mission au ministre de la santé, juillet 2001.

(4) Groupe de travail DIV-DIRMI " Ville, santé mentale, précarité et exclusion sociale ", Antoine lazarus et Hélène Strohl " Une souffrance qu'on ne peut plus cacher ", décembre 1994.

(5) Psychiatrie et grande exclusion, M. Minard et E. Piel, Secrétariat d'Etat à l'Action Humanitaire, juin 1996.

(6) Plan santé mentale : L'usager au centre d'un dispositif à rénover, Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, novembre 2001 .

(7) Loi n° 2002-2 rénovant l'action sociale et médico-sociale

(8) Loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé

(9) Fnap-psy - Fédération nationale de patients et ex-patients en psychiatrie, 3, rue Evariste Gallois, 75020 - Paris - Tél. : 01 43 64 85 42

(10) Unafam - Union nationale des associations de familles et d'amis de malades mentaux, 12, Villa Compoint, 75017 Paris - Tél. : 01 53 06 30 43. E-mail : www.unafam.org




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