Docteur Guy Baillon
Psychiatre des Hôpitaux
Paris 15 octobre 2008
ALERTE ROUGE EN SANTE MENTALE
Vous savez qu’un projet de psychiatrie remarquable est né pendant la dernière guerre à partir des trois données suivantes :
-le constat d’une triple horreur concomitante, horreur de la guerre, horreur de l’occupation, horreur de l’asile, et en opposition à elles deux certitudes :
-une première certitude : la certitude que les personnes dites folles ne sont jamais totalement folles et qu’elles sont aussi d’abord des hommes, ensuite des citoyens, avant d’être considérées comme partiellement malades
-une seconde certitude : ces personnes peuvent être soignées si leurs soignants s’appuient sur leurs capacités de soignants à créer un groupe uni par la Résistance contre ces horreurs au nom d’une société sûre de ses valeurs, dont celle de soigner l’homme partiellement fou par des traitements qui n’abandonnent jamais l’humain.
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Ces hommes de la Résistance sont partis de la réflexion clinique suivante : les troubles psychiques graves de l’ordre des psychoses, des dépressions graves et des névroses graves surviennent chez des personnes qui sont dans la méconnaissance de leurs troubles, lesquels se prolongent de façon variable toute la vie. Mais leur évolution peut être favorable à partir du moment où de mêmes personnes de professions différentes ont le souci de leur apporter une aide adéquate tout au long de la trajectoire de ces troubles. La « politique de secteur » était née : ‘une même équipe pour toutes les pathologies psychiques d’une population ayant une histoire de vie commune dans une cité, un quartier, des villages’. Cette idée née en 1960 ne commence à être appliquée progressivement qu’après 1972. Elle devait s’appuyer sur la reconversion des hôpitaux psychiatriques en unités de soins à taille humaine diversifiées et évolutives dans le tissu social. Cette reconversion n’a été que partielle. Les hôpitaux à deux exceptions prés se sont pérennisés. La définition des secteurs par contre s’est étendue à l’ensemble de la France en 850 secteurs d’environ 65.000 h.
Il fallait une foi titanesque, comme celle des hommes de la Résistance pour penser faire cette reconversion d’espaces de renfermement en équipes se déplaçant dans le tissu social. Surtout nous savons qu’une chose ne s’est pas transmise 30 ans après le début de cette formidable aventure, c’est cette foi dans la Résistance à l’oppression.
Une majorité de soignants est devenue peu à peu indifférente à ce défi humain que constituent les troubles psychiques graves. L’application de cette politique a été variable, forte ici, modeste là, défaite ailleurs par des acteurs non soignants non compétents. Beaucoup de psychiatres devant ces obstacles ont déserté le service public pour le privé où la densité médicale a atteint la première place en Europe ; car les psychiatres sont très nombreux en France, sauf dans le service public. Dans le même temps la base essentielle de la pratique, les infirmiers psychiatriques, a perdu son identité par abrogation de son diplôme qui a été aligné sur celui de la médecine. De façon paradoxale les seuls qui défendent ardemment aujourd’hui le ‘secteur’ sont les Associations de Familles et les Associations d’usagers, c’est chez eux que s’est conservé l’esprit de la Résistance à l’oppression. L’oppression a changé de visage, c’est celle du chiffre, de la qualité, de la bonne pratique, de l’acte. Ces familles et usagers demandent une psychiatrie moderne et humaine, c'est-à-dire associant toutes les connaissances les psychothérapies, la chimie, l’institutionnel, articulée avec le champ social où est né depuis 2005 sous leur impulsion la compensation sociale du handicap psychique (prolongeant dans la vie sociale l’appui dont ces personnes ont besoin, mais un appui en continuité avec les soins).
C’est pendant cette période où la psychiatrie traverse une crise, dont la ‘seule’ cause est l’absence de solidarité au service des patients entre les psychiatres et les différents soignants ne défendant que leur pré carré parce qu’ils sont devenus aveugles, c’est à ce moment précis que certains d’entre nous, psychiatres et autres collaborateurs du pouvoir, veulent appliquer un traitement ‘absurde’ à cette crise : ils changent de point de vue, et veulent faire semblant de croire que si nos actes et nos résultats étaient mieux classés et mieux comptés la psychiatrie pourrait renaitre de ses cendres ! Alors qu’ils savent comme nous que ce dont la psychiatrie a besoin c’est d’un élan comme celui qui a donné naissance à la Résistance, un élan qui ferait comprendre que la folie reste un vrai défi que l’homme se lance à lui-même, tout en constituant paradoxalement un appel à la sagesse, alors que celle ci semble si absente de toutes les turpitudes de certains humains dits sains d’esprit mais acteurs organisés et comptables de la destruction sociale par la guerre ou la terreur économique (la présence de ces deux drames étant constante dans le monde depuis la dernière guerre).
Certains parmi nous s’efforcent de faire croire que compter et ‘organiser’ soigne le psychisme. Ils ne veulent pas tenir compte de l’apport exceptionnel de ces 30 années passées où des équipes malgré les insuffisances de moyens et les inégalités entre elles ont réalisé une amélioration globale considérable des patients. Cette évolution formidable a été le fruit de la continuité des soins où chaque soignant a rejoint le travail du collectif de l’équipe, établissant toujours un lien avec le soin précédent et avec le soin suivant pour que chaque patient puise là la créativité et les ressources utiles à sa propre construction psychique.
Pourtant déjà le terrain de l’unité de l’activité des équipes de secteur a été dans un certain nombre d’espaces dépourvus de Résistants, l’objet d’un bombardement qui a tronçonné leur activité en plusieurs ‘pôles’ selon un modèle standard : trois types de pôles, le pôle des lits hospitaliers toujours bétonné (alors que c’est le soin le moins opérant), le pôle des soins du tissu social, le pôle des soins ‘spécialisés’ en intersecteurs divers (dont la validité n’a jamais été prouvée). Là où subsistent des « Résistants », ces Résistants ont opposé la seule configuration permettant la continuité des soins : un pôle par secteur.
Dans toute guerre des censeurs se lèvent pour donner des leçons aux autres et veulent montrer que la Résistance n’a pas d’objet car celui qui est au pouvoir est habillé de bonnes intentions ! Ils s’efforcent de démontrer que le soin peut obéir à une technique ‘automatique’ où la division et la séparation du travail permettent de mieux préciser les bons actes dans chaque moment de soin ; l’efficacité de leur démonstration est d’autant plus grande que l’on ne prend en compte qu’une parcelle du secteur, soit les lits, soit le CMP, soit un intersecteur. Tout le monde comprend qu’ils veulent ainsi détruire la psychiatrie de secteur. Ces censeurs cachent mal leur autre face, celle de collaboration avec le pouvoir.
Mais comme ils sont habiles ils vont trouver un lien qui aliène en choisissant un mot écrit dans l’une des nombreuses circulaires sur le secteur en 1990, en sachant que ces circulaires sont un peu le livre de chevet des Résistants.
Pour consolider leur habileté ils vont s’appuyer sur les grands manipulateurs des temps modernes les maisons d’AUDIT qui puisent leurs outils dans la perfection de la ‘raison’, le chiffre, permettant de perfectionner la productivité de toute activité, et employant des mots de leur science, ils donnent le vertige aux acteurs qui se croient obligés de se saisir de cette nouvelle boussole, ayant perdu la leur.
Nous allons concrètement les voir à l’œuvre.
Ainsi la MEAH choisie pour ses bonnes pratiques d’audit, se saisit d’emblée de l’un des objets pré découpés dans la chair de la psychiatrie de secteur : les CMP. Elle va nous expliquer comment nous pouvons y découvrir les ‘bonnes pratiques’. Vous savez que ces personnes ne savent pas ce qu’est la folie, et encore moins la psychiatrie et le handicap psychique, il parait qu’il faut être ‘neutre’ pour bien connaître …Mais ils ne sont pas neutres du tout ; ils défendent une idéologie de gestionnaire et de management pure et dure, sans faille, ni doute.
Ces nouveaux riches (parce qu’en effet leurs récoltes financières sont fabuleuses, à la mesure des risques qu’ils nous font prendre) procèdent ainsi : ils encadrent leurs travaux par de vrais professionnels de la psychiatrie qui sont certainement totalement innocents mais qui ne se rendent pas compte de ce à quoi ils servent :
La préface d’une page du somptueux document de présentation de la MEAH est claire, dit tout, écrite par un psychiatre ami. Il ‘justifie’ d’emblée la cible de l’étude par le fait que le mot désignant la cible a été employé dans la circulaire, et il renvoie au décret du 14 mars 1986 comme si ce texte était une loi ! alors que ce décret ne reprend que la photo des 12 structures de soin repérées à cette époque, et il était prévu qu’il soit régulièrement renouvelé, ‘notamment’ est-il écrit. Mais l’anarchie du ministère ensuite l’a laissé dans l’oubli. Alors en parler comme une loi est totalement inadapté.
Notre première constatation c’est de voir que notre ami nous invite à décliner un terme administratif comme si c’était une donnée clinique ; le mot est CMP-pivot, et puisque ce mot est dans une circulaire ce constat est suffisant pour dire qu’il ‘faut’ l’appliquer.
C’est, vous le constatez, un raisonnement un peu rapide auquel il n’est donné aucune explication.
Personne ne pourra me faire croire qu’un psychiatre soit assez naïf pour ne pas vouloir d’abord s’interroger sur le sens que l’on donne à une démarche que l’on choisit dans un parcours thérapeutique avant de s’y lancer. C’est pourtant ce qui se passe là.
Le terme utilisé par la circulaire veut dire que le CMP doit être reconnu comme le « pivot » de la psychiatrie de secteur.
Notre collègue était là comme moi lorsque la circulaire est sortie, le bureau de la psychiatrie existait encore. Le ministère l’a fermé aussitôt après. L’anarchie a commencé en 1990. Chacun le sait. La Cour des Comptes elle-même en 1999 l’a reproché à l’Etat.
La référence est donc déjà légère.
Ensuite tout le monde à l’époque connaissait le pourquoi de ce terme : tout le monde faisait le constat que la psychiatrie de secteur n’avançait pas vite ; la base freinait, les directeurs d’hôpitaux freinaient encore plus, la plupart étaient au moins frileux ; une majorité s’accrochait aux murs de l’hôpital ayant peur de s’enrhumer en dehors ; le problème était que cette ‘frilosité’ avait des conséquences graves, elle entrainait un arrêt de l’évolution et de l’application de la politique de secteur et ne permettait pas de réaliser la ‘révolution attendue’ par la Résistance c'est-à-dire la révolution par des soins s’appuyant sur le tissu humain de la ville ; il était donc tout à fait justifié de chercher comment déloger les acteurs frileux de leur grotte et stimuler leur intelligence pour les aider à ‘sortir’ de l’hôpital et à soigner enfin humainement dans le tissu social ; les techniciens du ministère se sont permis d’employer une « métaphore » pour montrer que le ‘lieu dynamique’ de l’activité n’était pas l’hôpital, ils ont dit que ce centre devait être en dehors ; alors ils ont proposé d’employer le terme de ‘CMP-pivot’ pour une raison que l’on peut pressentir, le lieu de consultation est l’espace de soin le plus léger, le plus souple, le moins onéreux, le moins encadré par un fonctionnement institutionnel donc le plus facilement mobilisable et existant dans tout secteur. Mais ce n’était qu’une simple ‘indication’ lancée aux médecins responsables des équipes de secteur qui sont les seuls à pouvoir modifier le fonctionnement d’une équipe, et surtout qui cachait une autre idée dont nous allons parler plus loin.
Eh bien voilà que dix huit ans plus tard quelques censeurs veulent montrer que les fantassins de la psychiatrie ne savent pas bien travailler, alors ces censeurs reprennent à la lettre le mot à mot du terme. Et ils ont décidé, eux qui savent, de faire du ‘pivot’ de la psychiatrie, qui serait pour eux le CMP, le moteur de son évolution sans réfléchir plus avant. Mais au lieu de reprendre au préalable, comme les auteurs de la circulaire de l’époque, la nécessité de faire d’abord l’analyse de l’ensemble de l’activité de l’équipe de secteur, ils prétendent que c’est en analysant le travail du CMP que la psychiatrie saura pourquoi elle est bloquée aujourd’hui et comment il faut modifier le CMP pour qu’elle reparte.
Comment expliquer qu’un psychiatre veuille nous entrainer, et après nous la France entière (car c’est l’intention) dans une leçon à tirer de cette analyse, alors que tout au long de notre carrière en psychiatrie de secteur nous avons refusé de répondre à la Sécu, à notre administration à chaque fois que celle ci voulait étudier un aspect limité de notre travail, que ce soit les ‘coupes transversales’ concernant l’hospitalisation, les analyses partielles de telle ou telle structure. Nous résistions en soulignant à chaque fois que l’on voulait couper notre activité en morceaux, ce qui n’avait aucun sens par rapport aux notions centrales de continuité des soins et d’équipe de secteur ( car les soignants qui travaillent une année dans telle structure doivent pouvoir les années suivantes travailler peu à peu dans les différentes structures d’un secteur pour comprendre comment un même patient peut être soigné successivement dans chacune en étant dans un même cadre de soin, sans y perdre la tête).
Alors soyons clairs.
Il y a eu un biais ! Les auteurs de la circulaire de 1990 ont fait peut-être l’erreur de ne pas rappeler en premier le but médical de la politique de secteur basé sur une réflexion clinique fondamentale : « la continuité des soins », mais cet objectif était dans tous les esprits et dans tous les discours cliniques à l’époque. Par contre personne ne pourra leur faire le procès d’avoir employé une « métaphore » pour mieux illustrer la marche à suivre.
Aujourd’hui qui pourrait nous faire croire que des « murs » (le CMP c’est des murs entre lesquels passe une population variée, non définie) sont capables de « parler, de penser, de diriger, d’orienter, de décider », d’autant que souvent il y a plusieurs CMP par secteur. Tout le monde sait que si une équipe de secteur est différente des autres, ce n’est pas en raison d’une distribution différente de ses structures, mais c’est parce que son chef de secteur associé au cadre infirmier supérieur et quelques collaborateurs choisis à la fois par l’équipe et par son chef a décidé volontairement de constituer un ‘groupe de direction médical’ « groupe qui analyse, élabore, établit des projets à discuter par l’ensemble de l’équipe, puis décide et négocie avec les partenaires extérieurs et l’administration ».
C’est ce groupe (et non pas une structure de soin quelconque) qui ‘écrit’ la philosophie du soin choisie par l’équipe, qui propose, fait discuter, puis décide de la ‘politique de soin’ que va suivre l’équipe à l’avenir en tenant compte, d’une part de la population de son secteur et de ses particularités (économie, âge, isolement, histoire …), et d’autre part des outils de soin qu’elle a actuellement, de son ‘génie’ créatif propre, des habiletés des membres de l’équipe et de l’évolution que ce groupe veut soutenir. C’est ce groupe enfin (mais ce n’est pas une structure de soin sans tête) qui promeut l’existence d’un Conseil de Secteur local (pour ce seul secteur) dont la force est d’établir des liens en particulier avec les partenaires essentiels que sont les Associations de familles et d’usagers (les lois 2002 et 2005 nous y obligent, alors qu’avant c’était facultatif) et les élus du secteur.
Il faut dire que le propos conclusif de la page de notre collègue est sur ce point ‘terrifiant’ nous y reviendrons, il fallait le souligner déjà.
A partir de cette réflexion et des résultats de cette analyse préalable ce noyau dirigeant de l’équipe de secteur (dans sa totalité, donc comprenant des acteurs de toutes les structures et pas d’une seule), qui se déplace au gré de ses désirs d’aller et venir, sans se ‘coincer’ nulle part, ce noyau est par essence ‘mobile’ (c’est écrit dans les circulaires de 1972), ce ‘noyau’ va élaborer concrètement le « projet médical pour les 5 ans à venir », projet que le chef de service au nom de son équipe présente tous les 5 ans lors de sa demande de renouvellement devant la CME puis le CA.
Sur ces trois données : philosophie du soin de l’équipe (avec les objectifs majeurs, les théories préférées, les modèles de pratiques où elle est habile), politique de soin (choix faits pour concentrer préférentiellement ses efforts vers telle catégorie de patients délaissés, telle pratique nécessaire, …), projet médical (en se donnant des étapes dans cette évolution faisant évoluer l’équipe en fermant telle structure ‘usée’ pour ouvrir telle autre plus adaptée aux besoins actuels), l’équipe construit l’organisation de son travail. C’est une responsabilité qui lui appartient en propre, qui ne saurait être standardisée, car elle doit être inspirée à la fois par son propre ‘génie’ et les motivations des divers membres de l’ensemble de l’équipe. Ce sont cet engagement et cette dynamique qui sont les vraies origines de son efficacité.
Mais ce n’est jamais la mise en évidence publique par une enquête de ses lacunes, ce ne sera jamais son sentiment de culpabilité, ce ne sera jamais les ‘oukases’ : ‘fais pas ci, fais pas ça’, ce ne sera jamais un organisme de surveillance, ce ne seront jamais les contrôles !
Alors si l’auteur de cette préface qui est psychiatre, qui a été un temps psychiatre de secteur, qui a été responsable d’une association réalisant un soin compétitif avec plusieurs secteurs qu’il critiquait, (il critiquait vivement les psychiatres de secteur dans l’introduction de sa publicité pour son modèle de travail) qui connaît bien tous les oukases administratifs, se met à affirmer que le CMP doit être le ‘pivot’, cela nous fait penser qu’il doit être l’objet de pressions considérables pour affirmer cela dans un environnement où il sait très bien que le caractère le plus fréquent des psychiatres actuels est la ‘soumission à l’autorité’ (cela rappelle un vieux film, … dont le titre nous échappe).
Il est clair que si dans la préface d’une démarche comme celle-là on évite de parler en préalable de la politique de secteur et des fondamentaux qui du coup animent les acteurs de la psychiatrie de secteur, si on fait croire que la psychiatrie de secteur se réduit à une ‘organisation’ sans but médical, la méprise est très grave, car l’effort pour masquer le véritable objectif, instrumentaliser la psychiatrie, est total.
Le reste de la page est moins grave, mais du même tonneau :
-affirmer que les 2/3 tiers des ressources appartiennent à l’hôpital et 1/3 au CMP montre clairement que l’on ne tient pas compte de l’existence ni de la diversité des autres structures de soin. L’auteur pourrait dire que c’est une ‘image’, que le CMP représente tout le travail extrahospitalier, mais comme la suite montre que les chiffres ne décrivent que le CMP, la pirouette ne lui est pas possible. Le chiffre est donc inexact.
Evoquer les visites à domicile comme un indicateur spécifique du fonctionnement d’un CMP est inexact, ces visites se font à partir des diverses structures y compris de l’hôpital.
Enfin parler des files actives des CMP, c’est parier sur le morcellement du travail de secteur, c’est donc un détournement même des outils d’analyse objective.
Le terme de file active en psychiatrie de secteur ne peut être utilisé que pour parler de l’activité de l’ensemble du travail de secteur toutes unités confondues ; ne prendre en compte qu’une structure, c’est faire croire que ce soin là n’est pas constamment influencé par ce qui se fait dans les autres structures pour ce patient, et ne tient pas compte du projet médical du malade rapporté à cette personne, c’est morceler la continuité des soins.
En réalité notre expérience nous a appris à tous que l’utilisation privilégiée par les patients de telle ou telle structure de chaque secteur ne dépend ni de la pathologie de la personne, ni du nom de la structure (car dans chaque secteur on réalise dans les diverses structures des activités différentes d’un secteur à l’autre, donc hétérogène, car contrairement à ce que l’on croit ces structures n’ont aucune spécificité réelle), cette utilisation dépend précisément des trois données énoncées plus haut : la philosophie du soin, la politique du soin, le projet médical sur 5 ans, mobilisées et soutenues par l’ensemble des acteurs de l’équipe.
De même l’étude des entrées, des sorties des CMP n’ont de sens que rapportées à ces données d’ensemble.
Donc l’étude dans la France entière des CMP isolés du reste du secteur (hospitalisation comprise bien sur) n’a aucun sens, si ce n’est de vouloir tenter d’effacer partout la réflexion clinique, ses références, les recherches dont elles sont constamment l’objet sur le terrain et entre les équipes dans leurs rencontres, leurs colloques. C’est alors qu’il faut résolument entrer en Résistance pour faire naitre une nouvelle psychiatrie avec des hommes et non avec des machines à chiffres.
Poser ensuite l’urgence comme l’une des fonctions spécifiques des CMP est une autre erreur, l’urgence existe partout et doit être accueillie partout. C’est un des modes d’entrée préféré par la société moderne, nous devons donc partout proposer un travail d’accueil ou de crise, et mieux encore constituer un groupe d’accueil et de crise mobile pour permettre à chaque patient de construire avec nous, en préalable à tout soin, sa propre demande de soin, au lieu de parachuter celle ci contre son avis, attitude d’opposition de notre part qui est à l’origine de l’augmentation constante depuis 1990 des hospitalisations sous contrainte.
Non seulement c’est donc une tromperie de faire croire que l’on peut mener une étude sérieuse du fonctionnement d’une équipe de secteur en extrayant une partie seulement de cette activité, celle du CMP, alors que les facteurs qui la font varier ne sont pas là
Mais en plus en 2008 penser que cette étude puisse être menée par un audit ‘neutre’ de personnes ignorantes d’une réalité qui va toujours leur faire peur, et sans intégrer les deux partenaires obligatoires (c’est vrai qu’ils mettront à genoux les conseillers en audit ne connaissant pas la folie ni la psychiatrie) que sont les Associations de familles et les Associations d’usagers, est un abus de confiance.
Mais le pire est encore dans la dernière phrase de cette simple page. Notre ami dit : ce travail va « être un succès en raison de la modestie de la forme, de l’ambition des transformations ‘à l’écart des positions idéologiques qui, bien souvent, polluent toute réflexion sur l’organisation, la co-construction avec les équipes … ».
Alors là, la coupe déborde. C’est cette phrase qui a tellement époustouflé les infirmiers que je rencontrais cette semaine au point d’attirer mon attention sur cet excès totalement incompréhensible et surtout inacceptable.
Dans la mesure où les objectifs cliniques de la psychiatrie de secteur n’ont pas été rappelés dans les premières lignes de ce document de promotion de l’enquête sur les CMP, et que d’emblée on lui a substitué un concept « d’organisation » des soins, donnée de gestion, on comprend que la psychiatrie a perdu son âme, et que certains veulent en faire une entreprise de production de boites de conserve aussi automatique que possible pour éradiquer les ‘erreurs’ éventuelles. La psychiatrie est passée ici d’une dimension au moins partiellement subjective à une équation totalement objective, tout en faisant un procès pseudo politique à ceux qui oseraient « polluer » l’atmosphère en évoquant une dimension de réflexion. Ici soyons sérieux, nous disent ils, on doit se limiter à agir et à compter nos actes, tout écart, tout temps de réflexion, toute incertitude est idéologie polluante et donc hautement condamnable.
La psychiatrie ainsi ne serait-elle plus faite d’engagement humain, prenant des risques constamment en osant écouter, en osant être créatif, donc en osant changer d’attitudes et de comportement ?
J’ose affirmer que l’idéologie est tout à fait indispensable pour exercer la psychiatrie. Il est indispensable de creuser les idées pour comprendre le sens de la citoyenneté, le sens de solidarité, le sens de l’amour de soi, le sens du groupe, le sens de la famille, le sens de la construction psychique de l’esprit dès la naissance, l’importance dans tout soin de la confiance, la compréhension de ce que c’est que la méconnaissance de ses propres troubles quand on est psychotique, ce vacillement de l’être qui va éclater en nous avant de comprendre en un éclair que l’on peut être malade, donc infirme, blessé ? La création du lien thérapeutique qui n’obéit à aucune loi, mais seulement au mouvement dialectique entre pratique et théorie, nécessite toujours l’existence d’un tiers, lequel n’est jamais le chiffre, ni l’organisationnel.
Parler de philosophie du soin c’est idéologique ! oui ! et indispensable !
Parler de politique de soin locale (pour chaque secteur) c’est idéologique ! oui ! et indispensable !
Elaborer en équipe un ‘projet médicale de 5 ans’ c’est hautement idéologique ! oui ! et indispensable !
J’accepte d’être montré du doigt pour la fin de mes jours comme Résistant et polluant cette tentative d’organisation qui prétend se mettre au dessus de tout.
Le reste du document évoqué ici est à l’image de la préface, nous le détaillerons plus tard.
Il n’y est nullement question de la continuité des soins, de la philosophie des soins, de la politique de soin de l’équipe de secteur, du projet médical quinquennal !
Il n’est nullement question du repérage du ‘groupe des décideurs’ dans chaque équipe de secteur, ce groupe qui est l’âme qui veille et anime l’équipe en retour de la confiance que lui apporte l’équipe. Il n’est nullement question de son fonctionnement, des instances mises en place pour équilibrer les temps d’élaboration clinique, et les temps d’analyse institutionnelle régulant l’organisation de l’équipe et surtout la continuité des changements d’organisation constants à opérer pour éviter la routine, les temps où sont étudiées les trajectoires de soin des patients, les temps où les acteurs des différentes structures confrontent leurs perceptions régulièrement à propos des mêmes patients ... Comment ce travail collectif autour de la continuité des soins s’articule avec l’action thérapeutique individuelle à chaque étape de la trajectoire de soin. Les temps nécessaires de formation permanente interne, les temps d’analyse institutionnelle. Il n’est nullement question des réunions nécessaires avec les partenaires, avec les associations de famille, d’usagers.
Le résultat terminal de cette démarche ‘produit’ deux groupes de soignants. Subtilement un nouveau biais est utilisé : il n’est fait mention dans le texte que d’un seul groupe, celui des ‘satisfaits’ ceux qui aiment bien rouler des épaules lorsqu’ils sont sur scène. Le groupe qui a été ‘effacé’ est celui des infirmiers atterrés, ce sont eux que j’ai rencontrés ; ils n’ont pas compris ; ils n’ont eu aucune explication de leur chef laquelle après avoir demandé de faire l’enquête, et après la leur avoir imposée, les a quittés pour aller dans le pôle d’à côté ; eux-mêmes ne peuvent la refuser au risque d’être très mal notés par l’ensemble de la hiérarchie hospitalière.
Ainsi ce résultat se partage entre deux groupes : le groupe de soignants culpabilisés, meurtris qui ne s’exprime pas dans ce document, et un groupe de soignants ravis de pouvoir monter en scène à Paris au Ministère et expliquer en public que leur connaissance d’eux-mêmes avait progressé grâce à cette démarche (nous avons déjà entendu cela sous d’autres régimes …) sur quelques détails qu’ils égrènent naïvement, mais qui ne permettent pas de progresser dans la compréhension de la personne qu’ils soignent.
Le reste du document en effet montre une accumulation étouffante de chiffres qui empêchent de voir et de respirer … et qui surtout empêchent de penser, mais qui disent aboutir sans doute possible pour les auteurs, à de ‘bonnes pratiques’. Il est en effet évident que si l’on passe assez de temps à accumuler les chiffres on rentrera dans … ce qu’ils appellent les ‘bonnes pratiques’.
A la suite de cela les soignants qui ont eu de bonnes notes sont persuadés d’avoir ‘bien’ travaillé et pensent ne plus avoir besoin de se situer dans le contexte de l’ensemble de l’équipe de secteur. Ce qui est une véritable catastrophe sur le plan de l’avenir et du sens du secteur.
Par exemple quand des hôpitaux avec 3 secteurs au lieu de créer
un pôle par secteur ont décidé de créer un pôle hospitalier, deux pôle ‘extra’,
et deux ou trois pôles ‘spécialisés’, par exemple patients chroniques,
gérontologie et urgence, si on veut faire le point sur le travail du pôle du CMP
on ne pourra jamais comprendre pourquoi il y a 60 à 100 personnes hospitalisées
pour chaque secteur. Mais on va établir une étude des flux dans le CMP, les
raisons des entrées les sorties, pour aboutir à tout un tissu d’absurdités, que
personne n’osera dénoncer.
Il sera possible dans un second temps de
reprendre chaque item rapporté dans ce document pour en démontrer l’absurdité.
Cela confirme la tentative officielle de morcellement des équipes de secteur alors que la seule analyse possible est celle qui porte sur l’ensemble de l’activité par rapport aux objectifs que l’équipe de secteur s’est donnée. Une étude sur les seuls CMP va conforter la coupure avec les autres structures, coupure dont les chefs uniquement sont responsables sur chaque secteur, et qui fait que la chefferie de secteur est une tâche singulièrement lourde, mais passionnante autour de la coordination. Elle va pousser les équipes vers les pôles découpant les secteurs, danger qui se développe depuis le décret du 14 mars 1986 qu’il faudrait démanteler pour retrouver la logique de la continuité des soins et pour en finir avec la construction de féodalités dans les équipes ayant fait le lit des pôles et donc préparant la tentative actuelle de démantèlement des secteurs.
Nous observons donc un déplacement de la réflexion clinique et de la difficulté de l’engagement personnel dans le soin pour lui substituer le vertige et la bonne conscience de données chiffrées sans valeur sur le résultat et le sens des soins.
Notre objectif : LA RESISTANCE A LA DESHUMANISATION DU SOIN.
LA VICTOIRE DE L’HUMAIN SUR LES CHIFFRES, L’ORGANISATION,
LES TECHNIQUES