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Intervention de Alain CHABERT, président de l’U. S. P. lors de la journée du 6 février 2004 à Aix en Provence, organisée par l’A. R. D. I. M. - S. M.- P. A. C. A. sur le « Plan d’Actions pour le Développement de la Psychiatrie et la promotion de la Santé Mentale », rapport de P. CLERY-MELIN, V. KOVESS et J. C. PASCAL.


Cette intervention succède à une présentation par Mme V. KOVESS des parties du rapport traitant plus spécialement de : Besoins de soins, Psychothérapies, Formation, Recherche.

Je remercie les organisateurs de m’avoir invité, comme Président de l’U. S. P., à cette journée, j’espère que je ne les décevrai pas…Je ferai deux parties dans mon intervention :la 1ère sur le rapport dans son contexte et dans son ensemblela 2ème sur des points plus précisément traités par Mme KOVESS - Donc, disons tout d’abord que ce rapport est stimulant et excellent, surtout dans la mesure où il pousse à une lecture allant du contenu manifeste au contenu latent.

Celui-ci attire notre attention militante sur l’immense danger de la pensée unique qui paraît soutenue par le contenu manifeste.La période dans laquelle M. MATTEI commande ce rapport est marquée par une violence sociale exacerbée (modification du régime des retraites, délocalisations, maîtrise des dépenses de santé), violence particulière, oxymorique, « douce violence » d’une pensée unique qui ne serait pas critiquable, où la révolte serait disqualifiée, ou mieux, disconfirmée.S’il commande ce rapport, ce n’est pas pour connaître la situation, sa lettre de mission montrant clairement qu’il la connaît bien ; ce n’est pas pour soutenir ses décisions, le sort des rapports successifs depuis DEMAY ayant bien montré qu’ils n’influencent pas réellement les politiques – et les méchantes langues diraient « encore un rapport pour un fond de tiroir ministériel, comme les autres ».

D’ailleurs, pendant que s’élabore gentiment et se discute convivialement ce rapport, sortent des textes qui, eux, s’imposent ou veulent s’imposer, par exemple : l’ordonnance de simplification administrative du 4 septembre 2003.Non, il commande une revue de l’air du temps. Dont il a besoin, entre, d’une part les politiques destructrices, libérales ou ultra-libérales, qu’il mène (Hôpital 2007, Réforme de la Sécu), et les foyers de résistance (Etats Généraux de la Psychiatrie, mouvement revendicatif des hôpitaux).Et le rapport « CLERY-MELIN » est ici admirable, qui dresse le tableau de cet air du temps qui effraie !La psychiatrie est « dans une passe relativement problématique ».

C’est ce que nous disions à Montpellier : il y a urgence ! Alors que les services sont dans une situation de psychiatrie de guerre, il n’y a pas de « volet financier », « pas d’estimation du coût des mesures », pendant que le gouvernement agit (Tarification à l’activité ou T2A ; Réformes des marchés publics, disparition de toute pérennité financière).Les « besoins de soins », définis page 12 par leur efficacité prédictible, relayés lorsqu’ils sont inefficaces, par des « besoins de prise en charge », nous poussent nous à soutenir une obligation de prendre soin.Les A. R. H., pour y répondre, ont fait des efforts « avérés » (grandioses : Presque 2 places d’alternatives à l’hospitalisation par secteur ! !)Mais les psychiatres vont diminuer !

Nous contenterons nous de diminuer la diminution, ce que préconise le rapport ? C’est donc que nous sommes trop ?Pour l’architecture institutionnelle, craignez, nous susurre le rapport, l’association suivante : C. M. P. - Ressource Territoriale (pour une large population) + Unité 72 H au S. A. U. + U. I. A.(Intersectorielle d’Admission)+ U. S. R. (Soins et Réinsertion)+ U. S. S. (Soins de Suite).Car , que resterait-il aux secteurs, toujours dits si importants dans le dispositif ?D’autant que les psychiatres seront moins nombreux et dont il serait souhaitable qu’ils soient dans tous les réseaux : C’est l’évaporation active, décrite par Marcel GAUCHET et Gladys SWAIN !Ce sera aussi difficile pour mes collègues de psychiatrie infanto-juvénile, « menacés par le manque de moyens », et connaissant « une certaine saturation du dispositif intersectoriel » (on dirait le quotidien « Le Monde » !)

Pour soutenir la réinsertion, la réhabilitation, les auteurs ne se sentiront sans doute pas trahis si nous disons qu’il faut :
1° Supprimer la réduction de l’Allocation aux Adultes Handicapés, pour les personnes hospitalisées, et aller vers un revenu d’existence inconditionnel
2° Supprimer le forfait journalier de 9 ¬
3° Permettre aux travailleurs des C. A. T. de jouir du droit syndical
4° Dans une éventuelle réforme de la loi de 1968, interdire toute évolution vers une tutelle à la personne, et supprimer le texte (4 juillet 2001) permettant la stérilisation des handicapés.Attention, nous dit aussi le texte, la réforme de la loi de 1990 est en marche, avec : la garde à vue psychiatrique (les 72 H), la libération conditionnelle sous contrôle psychiatrique (H. U.), la disparition possible du tiers, pendant qu’on aménagerait la loi de mars 2002, pour les fous !II – Venons-en à trois aspects traités par Madame KOVESS1° Les pouvoirs publics soutiennent la psychothérapie, comme la corde soutient le pendu ! On l’a bien vu avec la tentative d’amendement ACCOYER.

On le voit dans la fiction développée pages 13 à 19 du rapport : Dans ce Psycholand digne de 1984, une application extensive du panoptique de Bentham est réalisée : Commençons par une « nomenclature d’actes de psychothérapie », avec « description de la technique », « de son déroulement », la « durée moyenne des séances », « leur fréquence », et la « durée probable du traitement », avec une évaluation par l’ANAES du suivi des recommandations. Continuons avec la « redéfinition de la prise en charge par l’Assurance maladie ». Quand le Gouvernement réfléchit avec le Médef sur les possibilités de régimes assuranciels privés, on a un curieux mélange dans ce Psycholand, de LENINE et d’Adam SMITH !Mais ce n’est pas tout, Psycholand comporte aussi une liste des « habilités à » (c’est curieux, on ne trouve pas trace de la psychothérapie institutionnelle de secteur, ni de la place des infirmiers dans la psychothérapie, thème du vieux débat TOSQUELLES RACAMIER).Alors, vient le « psychiatre-coordinateur » qui, pour 200000 à 400000 habitants, veille à la « prise en compte des recommandations de bonne pratique ».

Ca, c’est le centre de tri ! Il faudra « évaluer les personnes » (Tiens, je croyais qu’on évaluait des situations)… et surtout, bien définir « dans un contexte de maîtrise des dépenses de santé », la non-prise en charge des psychothérapies pour des « patients dont le soin ne correspond pas à leur indication ».Et les psychiatres-psychothérapeutes privés, qui travailleraient « hors-plafond d’un besoin de santé publique » (On va se cogner la tête ?) seraient déconventionnés.Et « tous les cas des institutions seront évalués ».Ce rapport est stimulant !2° Pour la Formation (Axe 6), il est très stimulant !Puisqu’il recommande de « stimuler l’esprit critique ».Certes, nous ne suivrons pas son contenu manifeste qui priorise l’accréditation, l’évaluation, la soumission aux conférences de consensus (j’ajoute : « à la française »), pour privilégier l’épistémologie et les conférences de consensus « à la belge » comme sur les schizophrénies, qui organisent et confrontent les divergences.

Nous suivrons l’esprit critique en n’acceptant pas pour les (futurs) chefs de service -Secteur - ou Pole ?… l’ « obligation de formation au management, à l’épidémiologie », qui ne formerait que des béni-oui-oui des politiques gouvernementales et des pensées dominantes, en nous rappelant l’exemple de nos prédécesseurs inventant (et se formant à) la direction d’équipes par la psychothérapie institutionnelle.« Pas de monoréférence psychanalytique dans la formation des psychologues ». Certes !Encore que la psychanalyse, ou la systémie, puissent « développer l’esprit critique ».

Et donc : pas de monoréférence cognitivo-comportementale.Stimulant, ce rapport…

Alors, trois propositions pour le débat :internat de psychologie… rémunéréformation spécifique des infirmiers… rémunérée (ça serait bon pour la démographie)rendre les psychologues scolaires beaucoup plus indépendants de l’autorité scolaire.

Venons en aux Psychiatres : Ce rapport est excellent aussi par ce dont il ne parle pas, et qui n’en devient que plus visible : la formation continue des psychiatres est, pour l’essentiel, aujourd’hui, le fait des laboratoires pharmaceutiques. Nous sommes tout à fait submergés : ils ont essayé de me vendre la Dépression Récurrente Brève. Aujourd’hui, c’est l’A. M. M. pour la Prévention des Récidives. Proposons de leur interdire la participation aux actions de formation autrement que par une taxe reversée à la formation continue des professions de santé.Et puis développons, dès les études médicales, la prescription en D. C. I.. Pour faire plaisir à Madame KOVESS on pourrait se fixer un objectif quantifié : le nombre de collègues abonnés à la revue Prescrire double celui de ceux qui se sont fait payer l’ A. P.A.

N’hésitons pas, ici, à recommander la lecture des excellents ouvrages de Philippe PIGNARE pour apprécier l’impact en santé publique de l’action des laboratoires pharmaceutiques …

3° Avec la Recherche, nous développerons encore notre esprit critique. Si nous soutenions (contenu manifeste) que la Recherche est quasi-exclusivement médico-économique, nous accepterions que tout, dans ce domaine, soutient l’idée de maîtrise des dépenses de santé, en un modèle dominant, unique, libéral (par exemple dans Hôpital 2007 : intéressement des personnels), rouleau compresseur faisant-fi des modèles alternatifs, y compris en économie.

Alors que, si nous entendons que la Clinique est beaucoup plus qu’«émergence et créativité », mais aussi véritable Recherche, alors (contenu latent), nous reconnaîtrons que les grands chercheurs en psycho pathologie ont tous été des cliniciens (par exemple : Sigmund FREUD, Maria SELVINI PALAZOLLI, les chercheurs institutionnels du groupe de Saint Alban…) et nous éviterons les déboires qui menacent le concept de Résilience, lorsqu’on le laisse envahir par des présupposés épidémiologiques et économiques.Enfin, j’ai un souci avec les D. I. M. – R. E., et leur regroupement régional, leur « exploitation régionale des données » qui peuvent « être utiles aux décideurs ». Sans doute est-ce un oubli, mais il risque de passer pour une volonté de développer le panoptique, mais je n’ai pas trouvé la nécessaire anonymisation à la source de toutes les données, ni l’arrêt du P. M. S. I. psychiatrique, pourtant demandé par les Etats Généraux.En conclusion, encore merci aux organisateurs de la journée, et aux rédacteurs du rapport pour nous avoir beaucoup fait penser …

Pour l’U. S. P.Alain Chabert, président

Union Syndicale de la Psychiatrie52 rue Gallieni 92240 MALAKOFF tél. 01 46 57 85 85 – fax 01 46 57 08 60