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Sécuri-NE-PAS-SE-TAIRE


Il est quand même curieux que pendant tout l’été l’actualité de la psychiatrie nous suive même à la plage. Curieux… et terriblement dérangeant. Médiatisation à outrance des « évasions » de « détenus » ou « d’internés » en psychiatrie. Télévisions à heure de grande écoute, journaux nationaux et locaux, radio… tout le monde en fait ses choux gras en détaillant parfois suffisamment pour que la personne « évadée » soit reconnaissable. Grand criminel, fou dangereux, violence extrême, course à la recherche du bandit… On se croit dans un film américain de 3ème zone ! Ne manque que l’hélicoptère et la poursuite filmée pour faire frissonner ou palpiter les braves gens.


Il serait peut-être urgent de se poser la question de cet éclairage forcené des médias sur des sorties sans autorisation de personnes hospitalisées sous contrainte. A l’hôpital, il n’y a pas d’évasion, il s’agit de sortie sans autorisation médicale, voire de fugue. De plus, ces sorties sont constantes tout au long de l’année dans chaque établissement, chaque secteur. Elles concernent aussi bien des personnes en hospitalisation d’office, en hospitalisation sur demande de tiers, et parfois des personnes transférées en psychiatrie alors qu’elles sont détenues dans un établissement pénitentiaire. Ces trois cas sont traités de la même manière par les médias, sans aucune distinction. Bien sûr, il ne suffit pas de changer de mots pour changer la vision de la psychiatrie mais les mots ont une grande importance. Comment imaginer que ceux qui emploient à dessein ces mots erronés ne savent pas ce qu’ils font ?


Nous ne croyons pas que ce soit l’effet du hasard, nous sommes réellement embarqué dans une dérive sécuritaire qui touche de plein fouet la psychiatrie. Après des années de travail acharné pour fermer les asiles et construire une psychiatrie de secteur digne d’un pays démocratique, nous voilà engagé dans un « grand renfermement ».


Au secours Foucault, ils sont devenus fous !


Tous les projets fragiles mis en place risquent fort de disparaître face à la prééminence de l’économique, face à la réduction de la folie aux symptômes, face au poids d’une société qui prend peur, face à un individualisme forcené.
Reste à savoir à qui profite le « crime ». Après avoir fait peur au peuple, quelles mesures d’exception va-t-on lui proposer ?
Des lieux fermés, des grillages, des alarmes électriques, des caméras, un gardien derrière chaque infirmier ou un infirmier-gardien ?


Tout ceux qui ont fait progresser le travail en psychiatrie on dénoncé la même chose, « l’enfermement crée la violence ».

Bonnafé nous l’a rappelé « Que ce soit dans les sociétés tribales africaines ou dans les sociétés indiennes qu'a si bien décrites Devereux, il y a toujours un mode de prise en charge d'autant plus efficace qu'il est moins excluant ».


D’autre part, n’y a t’il pas besoin de reprendre cette fameuse législation d’exception qui sous-tend la psychiatrie ? Si on demande à la psychiatrie d’assumer la charge de l’ordre public, peut on parler de lieux de soins ?


Serait-il possible de se pencher un peu vers l’amont ?
De voir que les services, les secteurs se désertifient, les personnels sont en nombre de plus en plus minimes pour des hospitalisations en hausse, des listes d’attente trop longues en CMP. De voir que la formation pour la psychiatrie ne correspond pas aux besoins du terrain. De voir que l’accès au soin est de plus en plus inégalitaire.

De voir les difficultés au quotidien, les tracasseries administratives, les délais imposées pour toutes démarches… la liste est longue et non exhaustive…


Les choix politiques en terme de santé mentale depuis les années 95 ont conduit à la fermeture des structures de proximité comme les centres d’accueil et autres alternatives à l’hospitalisation. Ces choix ont eu pour double effet de retarder les prises en charges des personnes souffrantes et de les orienter vers des services surchargés. Ces économies de « courte vue », que nous avons régulièrement dénoncées, ont un coût que nous commençons à payer au prix fort :



Faut-il le rappeler, le fameux « plateau technique » en psychiatrie, ce sont ces femmes et hommes qui y travaillent. Pour des soins de qualité qui soient humains, il faut que ces personnels soient en nombre.
Ceux qui nous gouvernent, relayés par ceux qui mettent en œuvre leurs budgets de misère (ARH, Directeurs d’hôpitaux, …) ne peuvent l’ignorer ?
A moins qu’ils n’aient d’autres desseins ? Quand on sait que l’avenir des prisons est à leur privatisation, parler d’évasions dans le cas de sorties sans autorisation d’un hôpital n’augure-t-il pas d’une privatisation de futurs centres fermés pour malades mentaux « dangereux » ?
Cette sur-médiatisation du manque de « sécurité » des hôpitaux publics est limpide, sécuriser les hôpitaux psychiatriques pour y enfermer les « fous dangereux » surveillés par des infirmiers-gardiens et laisser au privé lucratif l’activité de soins ambulatoires ou les alternatives à l’hospitalisation (les textes sont prêts et les décrets en cours de publication) qu’un tour de passe-passe rendra rentable (après avoir été taxés d’inflationnistes dans le cadre du secteur public) au détriment de ce qui a fait la politique de secteur, la continuité des soins, le lien thérapeutique.
Il s’agit de faire disparaître au plus vite le symptôme, de rentrer dans le rang, ou bien d’en être écarté définitivement.


Voilà la psychiatrie que l’on nous prépare. Mais cette vision n’est pas une hypothèse alarmiste, elle est à l’œuvre dans le dernier plan santé mentale, et le Ministère via la campagne de presse actuelle ne fait qu’y préparer l’opinion publique, … les électeurs soucieux de plus de sécurité.


Emmanuel Digonnet, @Marie Leyreloup
Un extrait de ce texte a été publié dans "Libération" du 30 août 2005