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Non Monsieur le Ministre de la Santé,
NON ! votre annonce médiatisée du 9 août sur la psychiatrie n’est pas exacte. On vous a trompé. Ce n’est pas de violences dont souffre la psychiatrie aujourd’hui. Ce ne sont pas de mesures sécuritaires dont elle a besoin pour demain, mais d’une analyse pertinente, généreuse.
Qui, en effet, pourrait faire croire à l’Europe et aux français, que la France, ce pays dont la psychiatrie était reconnue il y a 10 et cinq ans comme la plus avancée, serait devenue brutalement celui de la plus grande violence nécessitant des mesures ‘très’ spéciales ? Comment votre entourage a-t-il pu affubler ainsi notre réalité? Les patients de France seraient devenus brusquement plus violents ? Leurs traitements se seraient dégradés ? Leurs psychiatres auraient disparu ? ceci déjà est faux, ils sont plus nombreux qu’ailleurs, mais sont très, très mal ‘répartis’. L’ensemble constitue de fausses rumeurs, survenant au moment où chacun constate que les médicaments sont devenus plus remarquables qu’avant : ils ne transforment plus les patients en ‘zombies’, ils ont au contraire amélioré considérablement leurs capacités d’échange, au point que leur association avec des traitements psychothérapiques (individuels, et collectifs et donc institutionnels) est enfin reconnue comme nécessaire, elle leur permet de reprendre le pouvoir sur eux mêmes et de retrouver une place sociale dans la Cité.
Ce constat montre qu’une vraie révolution a eu lieu : plutôt que de continuer à mettre à l’écart les patients et les enfermer comme notre société l’a fait pendant 150 ans, la nécessité d’appuyer leur traitement sur la solidarité sociale de leur environnement est devenue une évidence, c’est ce qu’a permis de comprendre et de démontrer la pratique de la ‘politique de secteur’ (une seule et même équipe soignante pour la diversité des malades psychiques d’une même population limitée à 60.000 hab assurant la continuité de leurs soins).
Les soins sont meilleurs qu’ils n’ont été. Mais c’est exact, depuis 5 ans, l’Etat veut restreindre encore le financement de la psychiatrie.
Comme nous tous, vous avez été bouleversé par le drame qui a fait disparaître deux soignants en décembre dernier. Mais vos conseillers, Monsieur le Ministre, vous ont trompé, ce fait extrême et rare ne signifie pas que la dangerosité des patients se soit accentuée ; votre entourage a tenu à faire des effets de manche médiatiques pour cacher les maux réels : par exemple savez vous que le caractère anachronique de l’enfermement en psychiatrie constitue une vraie violence qui génère d’autres violences ? réagir par des mesures sécuritaires, au lieu d’apaiser la violence, l’aggrave. Et l’absence de logements pour les personnes précaires est la vraie urgence! En fait vos conseillers cachent mal leur volonté de mettre un terme discrètement à l’application de la ‘psychiatrie de secteur’ qui leur paraît trop coûteuse, ils veulent revenir aux hospitalisations dans ces grands centres, asiles hérités d’un autre siècle encore ignorant, concentrations déplacées à l’écart des villes ; de ce fait, malgré le dévouement de tous les soignants, ces hospitalisations restent « marquées d’inhumanité ».
De plus un tel recours à des mesures sécuritaires s’oppose clairement à la victoire obtenue cette année par les ‘usagers’ (familles et patients en association) contre le gré, il faut le dire, des administrateurs et des professionnels : la reconnaissance du handicap psychique grâce à la loi prévoyant la création de services accompagnant les patients dans leur vie quotidienne en dehors des soins, en particulier des ‘clubs’.
Votre processus sécuritaire va augmenter le recours à l’enfermement au lieu de faciliter l’appui des patients sur leur environnement propre.
Mais s’il calme les angoisses de votre entourage face aux exigences de la nouvelle psychiatrie, il vient hélas aussi raviver tous les vieux fantasmes de peur envers la folie, ce que la psychiatrie de secteur avait permis d’atténuer ; la société est invitée à nouveau à se protéger contre les dangers auxquels l’exposerait, selon eux, la proximité des malades et des handicapés psychiques, qui sont en fait les mêmes personnes.
Il y a pire. En réalité ces mesures sécuritaires sont un piège cachant une tentative d’emprise sociale d’une toute autre gravité :
nous savons tous, l’histoire de la psychiatrie nous l’a appris, que des mesures coercitives et de renfermement d’une catégorie gênante de personnes, d’une part les ‘mettent à l’écart’ sous prétexte de protection, d’autre part précèdent et facilitent leur abandon car leur seront ensuite refusés les moyens humains dont elles ont besoin. Rappelons comment entre 1939 et 40 l’asile ‘protecteur’ a ainsi laissé mourir de faim 40.000 malades mentaux ‘enfermés’. Ce n’est pas un hasard si pour initier une politique sécuritaire l’on commence par les personnes ayant des troubles psychiques, elles se défendent si mal !
Car ce processus ne va pas s’arrêter là, il va s’appliquer à d’autres catégories : après les ‘fous’ (et traiter une personne de ‘folle’ est déjà en soi un acte déshumanisant, car la ‘folie totale’ n’existe pas), ce sera le tour de certains jeunes (on trouvera facilement une catégorie justifiant d’être étiquetée), ensuite certains vieux, et on s’attaquera bien un jour aux diabétiques, car pour devenir diabétique il a bien fallu faire l’abus…de sucreries, tout abus est condamnable, puis on désignera les blonds très clairs, et des pervers, des ‘demi-verts’ (catégorie encore peu connue), la catégorie de ceux qui louchent (car ceux là croient trop bien cacher leur jeu…).
Il est clair que le ‘tout sécuritaire’ commence là, puis va s’étendre à… tout ce qui n’est pas dans les normes, y compris à la ‘pensée déviante’ et aux bons-‘à-rien’. La pente une fois amorcée, comment pourrait elle s’arrêter ? Fantasme ! dites vous. Rappelez vous, il y a moins d’un an, nos ministres de l’intérieur et de la justice préparaient une loi pour mettre en garde à vue toute personne dite ‘bizarre’ : mise à l’écart des malades mentaux - observation de 15 jours - privation de liberté - sécurité - besoin d’experts, même logique.
Soyons sans crainte ! tout ce travail sera facilité grâce à ces fameux « experts » que les plus hauts universitaires réclament à grands cris (voir Le Monde du 10 août 2005), résumant pour eux la psychiatrie moderne ! Grâce à ces experts on va pouvoir trier, dépister et surtout ‘classer’, étiqueter et encore classer. Car tout le monde le sait, classer cela soigne, ou cela remplace le soin à peu de frais, et comme il faut avant tout diminuer les frais! Il n’y aura donc plus besoin de psychiatres, mais d’experts, …ni de soignants, mais de gardiens… !
France ! où allons nous? quel est le sens de cette léthargie, cet été, qui empêche de réagir à cet oukase d’ordre et de sécurité ? N’y a t il plus un seul philosophe dans l’avion ‘France’ pour nous donner le goût de choisir de vraies valeurs ? N’y a t il plus non plus aucun ‘homme politique’ ayant quelque audace et qui serait fier de porter le projet d’une Cité où chacun aurait sa place, tout en tenant compte de ses différences avec ses compagnons ? A-t-on bien informé le Président de la République ? car, quelles que soient nos opinions politiques, c’est bien ce Président qui a reconnu le handicap psychique et ainsi donné droit de Cité à des personnes dont l’existence sociale n’était pas reconnue. Les patients vont ils accepter de subir ces autres violences ?
Qui peut aider notre nouveau ministre de la Santé et porter l’espoir ?
Qui va enfin relever le flambeau de la résistance autour d’un projet solidaire ? La psychiatrie comme la société nous invitent à une vraie solidarité.
Guy Baillon, psychiatre Paris le 11 août 2005