La question de la dangerosité n’est pas
attachée à la personne mais bien à la personne en situation, dans ses rapports
à un environnement, lu au sens large de tous ses déterminants.
A partir de
quelques faits divers, ceux que l’on nomme, et qui se positionnent comme
usagers, sont confrontés à ce douloureux amalgame : maladie psychique
égale malades dangereux. Un « glissement de signifiant, (qui) fait que tout
acte violent qui sort de l’ordinaire, soit par sa réalisation, soit par son
horreur, soit par l’absence de motif évident, est attribué à un malade mental.
‘C’est un acte fou’ devient vite ‘c’est l’acte d’un fou’… » (Pélicier, cité
dans Clément, 1996, 39)
Nous voilà bien
au cœur des représentations sociales, des stéréotypes et des préjugés, dont
certains nous viennent de très loin, et auxquels personne n’échappe, ni
soignant, ni soigné, ni grand public : Il en est de la dangerosité comme
de l’insécurité, son existence relève d’un ressenti, d’un sentiment plus où
moins aiguë selon le contexte et les enjeux du moment. S’il existe bien des
situations où des comportements dangereux sont identifiables, susceptibles
d’être l’objet de pratiques de prévention, et, effectivement, se trouve
sanctionnés par la loi, la notion de dangerosité est, elle, bien plus floue,
difficile à identifier sans la mettre en lien avec les rapports sociaux
existants dans une société donnée et l’idéologie amenée à en rendre compte, une
certaine vision de l’homme et de son rapport à la société.
Aussi, il n’est
pas étonnant de trouver parmi les différents acteurs (soignants, soignés,
représentants des institutions, etc.) toutes les opinions, liées à ces
idéologies, concernant la manière de problématiser la question de la violence
et de la psychiatrie, d’envisager le soin et la punition. Les associations
d’usagers de la Psychiatrie, de la santé mentale, de parents et de famille
n’échappent pas à ces différents positionnements. C’est ainsi, qu’au-delà de la
question de la dangerosité du fou, il est question globalement des droits
fondamentaux, des Droits de l’Homme, de l’Homme considéré comme différent,
dément, déviant, criminel et …des citoyens. Comme le rappelle Hanna Arendt, « le grand danger
qu’engendre l’existence d’individus contraints à vivre en dehors du monde
commun vient de ce qu’ils sont, au cœur même de la civilisation, renvoyés à
leurs dons naturels, à leur stricte différentiation. Ils sont privés de ce
gigantesque égalisateur de différences qui est l’apanage de ceux qui sont
citoyens d’une communauté publique et cependant, puisqu’il leur est désormais
interdit de prendre part à l’invention humaine, ils n’appartiennent
plus à la race humaine ».
L’enjeu de nos débats actuels est bien la place que les personnes concernées peuvent prendre dans la résistance aux politiques d’oppression qui avancent le plus souvent masquées, sous le prétexte de la rationalisation économique, de la nécessité et de l’impératif de ses marchés. La question de la violence d’une société qui prétend contrôler les individus, imposer ses propres définitions de ce qu’est un être humain, de ce qu’est faire société et ainsi légitimer des rapports de pouvoir et de production, intéresse tous les acteurs de la santé mentale et de la psychiatrie, traverse les champs des savoirs et des pouvoirs : serons nous en relever le défi ?.
Martine DUTOIT, Directrice
d’Advocacy France, 5 place des fêtes 75019 Paris
Extrait de son intervention
« Quelques réflexions sur les usagers et la dangerosité :
Discrimination ou état de nécessité ? »
Intervention
XVIIe séminaire annuel du Comité Européen : droit, éthique et psychiatrie
(CEDEP) en association avec Psichiatria Democratica, « Dangerosité, sécurité des personnes.
Une question de santé mentale ? », Bari, 9-12 mai 2008.