Titre
de Psychothérapeute : la pensée de travers qui se cache sous la loi
Par Yves Lefebvre,
Syndicat national des praticiens
en psychothérapie,
mars 2009
La loi, en résumé, veut
réserver le titre de psychothérapeute aux titulaires d’un doctorat en médecine,
aux titulaires d’un Mastère2 de psychologie et aux membres d’une association de
psychanalystes. Les autres personnes voulant faire état du titre de
psychothérapeute devront étudier la psychopathologie à l’université à partir
d’un diplôme universitaire Mastère2. Tous devront s’inscrire sur des listes
préfectorales.
Un nouvel amendement à la loi du
9 août 2004 réglementant le titre de psychothérapeute, qui était inapplicable
en l’état parce que contradictoire en ses termes, vient d’être voté par l’Assemblée
nationale. Il se glisse dans la loi réformant l’hôpital alors qu’il concerne
essentiellement des professions libérales, ce que les parlementaires appellent
un « cavalier » et n’est en principe pas autorisé par le Conseil
constitutionnel. Si la loi passe néanmoins, elle permettra de rédiger enfin des
décrets d’application juridiquement acceptables par le Conseil d’Etat qui en
avait refusé 6 ou 7 versions successives. Même les députés socialistes en ont
félicité le gouvernement.
Tout d’abord, la première idée
qui préside à cette loi va dans le sens voulu par son principal promoteur, M. Bernard
Accoyer président UMP de l’assemblée nationale et médecin. Ne voulant ou ne
pouvant pas penser en ce domaine autrement que dans les catégories médicales et
dans l’idéologie sécuritaire, il croit devoir supprimer les tenants de
l’approche subjective de la psychothérapie relationnelle au prétexte que des
charlatans s’y glissent parfois, par le remède clair et souverain du seul
diplôme universitaire. L’approche qu’on veut ainsi évacuer reste pourtant
fondée sur de très honorables et antiques concepts que rien ni personne n’a
jamais pu éradiquer dans l’histoire, visant l’intégration de la personne en
tant que sujet de sa propre vie selon le « connais-toi toi-même et deviens
qui tu es » des philosophes, ce qui peut guérir les troubles de surcroît.
Mais monsieur Accoyer et les quelques autres qui le soutiennent ne veulent
penser qu’avec les seuls critères non moins honorables mais très différents de
l’approche objective voire scientiste, qui part d’une nosographie
psychopathologique décrivant des symptômes objectivement observables et traités
comme trouble mental à guérir, et non comme un langage à d’abord entendre pour qu’advienne la personne comme sujet. Même
s’il a fallu dans la loi, à leur corps défendant, inventer une exception pour
la psychanalyse qui n’était pas dans la toute première mouture : on ne
touchera pas à la plus prestigieuse psychothérapie subjective pour des raisons
historiques et politiques, grâce essentiellement à l’influence médiatique du
gendre de Lacan, Jacques-Alain Miller. Et aussi parce que la majorité des
associations de psychanalystes exigent encore de la plupart de leurs membres un
diplôme universitaire (beaucoup sont des médecins reconvertis à la psychanalyse
mais pas tous : il y a ceux qu’ils appellent les « laïcs » parce
qu’ils ne sont pas médecins), non que leur diplôme apporte quelque chose à leur
pratique – Freud lui-même pensait que la formation universitaire risquait de
faire obstacle à la psychanalyse – mais parce qu’il les met à l’abri des
intrusions administratives. On n’y touchera donc pas, du moins pas tout de
suite et pas comme ça.
Les deux
visions, subjective et objective qu’on peut aussi nommer philosophique et
médicale, ont bien sûr chacune leur place, leur fonction et leur utilité dans
le vaste champ de la psychothérapie, ne s’adressant d’ailleurs pas tout à fait
au même public. Mais les plus créatifs et parmi les plus nombreux sont de fait
les psychothérapeutes relationnels qui ont construit leur spécificité
professionnelle depuis plus de 40 ans en plaçant la relation, la créativité et
la subjectivité au centre du processus thérapeutique, étayés par le corpus
théorique de la métapsychologie psychanalytique. Ils légitiment leur qualité
professionnelle sur cinq critères non universitaires bien connus : le vécu
initiatique d’une psychothérapie relationnelle ou d’une psychanalyse sur soi
suffisamment approfondie ; la nécessité d’une formation théorique et
pratique impliquante incluant parmi bien d’autres disciplines une dose
nécessaire et suffisante de psychopathologie ; l’engagement au respect des
règles de déontologie de la profession ; une supervision constante de la
pratique auprès de praticiens expérimentés ; et enfin le processus de
validation par les pairs.
Ajoutons un
aspect essentiel de la formation des psychothérapeutes relationnels
dans leurs instituts privés : elle s’adresse à des personnes dans la maturité
qui se reconvertissent après validation des acquis de l’expérience, ce qui
s’avère très précieux dans l’approche relationnelle de la psychothérapie du
sujet. Les obliger à retourner sur les bancs de l’université pour y recevoir un
trop-plein de psychopathologie psychiatrique n’a pas de sens pour eux, d’autant
que la psychopathologie est déjà enseignée dans leurs écoles à des doses
nécessaires et suffisantes pour savoir coopérer avec un médecin psychiatre
quand cela s’avère nécessaire.
Il y a donc bien une
réalité : les psychothérapeutes relationnels existent de fait, nombreux,
ainsi que leur public. Ils remplissent honorablement leur fonction spécifique,
notamment ceux qui appliquent les cinq critères dont la pertinence a été
expérimentée et testée par leurs meilleures associations professionnelles
depuis plus de quarante ans. Mais ils ne
fournissent pas, quelle que soit la qualité des formations que leurs meilleures
écoles dispensent, la caution républicaine d’un diplôme d’Etat ou d’université
qui fait l’unanimité des députés. On peut comprendre le point de vue politique des
élus. Mais ce point de vue, soutenu par des intérêts corporatistes, a voulu
rester aveugle à la réalité de praticiens nombreux et compétents qui accompagnent
des citoyens dans leur devenir en tant que sujets de leur propre vie. Ce qui se
produit par la rencontre surprenante, imprévisible et non réglementable des
aspects méconnus d’eux-mêmes dans une relation très spécifique avec le
psychothérapeute relationnel qui ne peut pas s’apprendre à l’université. Cette
cécité voulue s’apparente au déni de réalité. Mais déniés ou pas, ces
psychothérapeutes existent et continueront d’exister de toutes façons sous un
nom ou sous un autre, quand bien même les promoteurs de la loi et les
défenseurs d’intérêts corporatistes les eussent méprisés, parce que le public a
besoin d’eux. Ils existent et continueront d’exister indépendamment du refus
des décideurs de penser la réalité d’une profession qui, comme leurs cousins
les psychanalystes, échappe pour partie aux catégories scientifiques
universitaires traditionnelles (lesquelles ont par ailleurs toute leur valeur,
bien entendu). Ceux donc qui trouveraient un intérêt quelconque à user du nouveau
label de psychothérapeute d’Etat et voudraient néanmoins pratiquer la
psychothérapie relationnelle du sujet, devront alors suivre un double cursus de formation de haut niveau, celui de
l’université pour la caution administrative et la légalité officielle de
l’usage du titre, celui des sociétés de psychanalyse ou de psychothérapie (comme
le SNPPsy avec ses cinq critères incluant la formation des écoles privées),
pour l’acquisition pratique de leur compétence professionnelle et pour la
légitimité civile de leur approche spécifique.
En fait, la pensée qui préside à
la rédaction de la loi pour dénier la réalité d’une des quatre professions psy,
dénie à travers elle la psychologie « philosophique » du sujet, au
profit de la psychopathologie objective médicale fondée sur la description de
symptômes et qui servira de base à la formation des nouveaux psychothérapeutes.
Déni qui révèle le désir de voir dominer une psychologie scientiste proche de
l’antique psychologie mécaniste de Descartes, valable au 17° siècle parce qu’il
sortait pour la première fois les « passions de l’âme » de la morale
et de la religion pour commencer à les penser comme des objets mécaniquement
explicables ; mais conception qui a beaucoup évolué au cours des derniers siècles,
et plus encore depuis Freud, sauf pour Bernard Accoyer et consorts. Déni que confirme la récente création d’un « groupe d'appui technique sur les pratiques non
conventionnelles à visée thérapeutique » chargé d’évaluer l’efficacité et
la scientificité des soins qui n’entrent pas dans la médecine classique donc
aussi les psychothérapies subjectives ; groupe qui sera composé d’un
médecin cancérologue, d’un médecin rhumatologue, de divers représentants
d’organismes de lutte contre les sectes et de sécurité de la santé et de
l’environnement, d’un représentant du ministère de la justice et, tout de même,
d’un médecin psychiatre. On se demande sur quels critères ces personnes
pourront évaluer ce qu’elles ne connaissent pas !
Mais cette pensée va bien plus
loin que l’impérialisme d’une seule conception et que le déni des
psychothérapeutes relationnels. On constate en effet que les trois autres
professions de psychiatres, psychologues et psychanalystes concernés par la loi
disposent déjà d’un titre prestigieux sous-entendant le droit de pratiquer la
psychothérapie chacun à sa façon. Ils n’éprouvent pas spontanément le besoin de
changer de nom ou de le compléter pour se déclarer psychothérapeutes, même dans
le sens générique du mot. En leur donnant le titre qu’ils ne demandaient pas
pour le retirer à ceux qui en disposaient jusqu’alors, on est dans un système
typiquement pervers, ce qui ne peut échapper à un psy de n’importe quelle
obédience, féru ou non de psychopathologie universitaire. En effet pourquoi les
psychiatres se mélangeraient-ils avec des non-médecins dans des listes
préfectorales pour se dire psychothérapeutes, comme si leur propre titre
devenait insuffisant ? Pourquoi les psychologues qui se sont longtemps battus
pour faire reconnaître leur profession devraient-ils accepter une nouvelle
formation universitaire concurrente de la leur, ou complémentaire, comme si la
leur ne suffisait plus ? Pourquoi les psychanalystes qui n’ont cessé de se
démarquer de l’approche psychothérapique médicale voudraient-ils tout à coup réclamer
un titre de psychothérapeute désormais fondé sur ce que leur pratique récuse,
comme si leur propre titre perdait de son prestige et devait par conséquent se
compléter d’un autre ? Quant aux autres nouveaux psychothérapeutes sur listes préfectorales que veut crée la loi,
ils seront formés à la psychopathologie à partir d’un niveau universitaire
Mastère 2, sans qu’aucun des cinq critères qui légitimaient les ci-devant
psychothérapeutes relationnels dépossédés de leur nom ne soit pris en compte,
ni l’expérience de vie pourtant essentielle dans cette approche humaine. Ils
seront de fait psychopathologues en concurrence avec les psychologues
cliniciens, mais rien ne les aura préparés à l’exercice de la psychothérapie
relationnelle. On fera ainsi des psychothérapeutes légaux de haut niveau
universitaire mais complètement illégitimes quant à leur aptitude à pratiquer la
psychothérapie du sujet. Espérons que les plus éthiques d’entre eux éprouveront
le besoin de vivre au moins le premier des cinq critères, l’initiation d’une
psychothérapie relationnelle ou psychanalyse suffisamment approfondie sur
eux-mêmes, qui n’est pas de la compétence de l’université.
On voit donc comment, sous
l’apparence séduisante de la clarification, de la science et de la sécurité
qu’on agite comme un leurre, la véritable pensée qui préside à cette loi masque
en fait un processus de mélange et de manipulation par lequel finalement c’est l’ensemble
du monde psy qui doit y perdre quelque chose au profit du contrôle de l’Etat.
Quant aux autoproclamés
psychothérapeutes, sans formation ou seulement formés à un protocole ou une
technique et qui ne sont pas reconnus par une association professionnelle
appliquant les cinq critères, ils ont principalement servi de prétexte pour
tenter d’éliminer les psychothérapeutes authentiques que leur compétence
rendait concurrents des trois autres professions psy. Les ci-devant ont alors été
déclarés « charlatans » par généralisation, comme si l’on avait
déclaré charlatans tous les médecins au motif que le gourou du Temple solaire
était un médecin. Et comme si l’on faisait semblant de croire, malgré le
démenti de cet exemple et de biens d’autres, que c’est le diplôme universitaire
qui immunisera contre les psychotiques, les pervers, les praticiens mal formés
à la pratique de leur art, ceux qui manquent d’éthique ou encore ceux qui s’engagent
dans une dérive sectaire. C’est pourquoi les psychothérapeutes relationnels
préfèrent leur processus d’agrément par les pairs qui, après les quatre autres
critères et malgré ses imperfections, détecte la qualité des psychothérapeutes beaucoup
mieux qu’un diplôme ; lequel peut valider un niveau de connaissances ou de
culture dans son domaine mais ne peut mesurer ni l’éthique ni la compétence
pratique ni la santé mentale qui manquent aux susdits charlatans et autres
membres de sectes. Ces épouvantails n’auront servi que de prétexte à une loi
qui s’insère en réalité dans une tout autre action politique dont elle n’est
qu’un aspect, et qui sert d’autres intérêts.
Sinon, il aurait suffit d’exiger
de ceux qui veulent s’appeler psychothérapeutes d’appartenir à une association
professionnelle sérieuse appliquant les cinq critères, à l’instar de ce qu’on
demande aux psychanalystes dont les psychothérapeutes relationnels sont assez
proches, pour que l’Etat joue le rôle de protection du public qu’il entendait
jouer dans ce domaine. Et point n’était besoin d’inventer des psychothérapeutes
d’Etat sur listes préfectorales et en y mélangeant des professions différentes.
Mais pourquoi faire simple quand on peut jouir de faire compliqué ?
Le résultat
prévisible est que les meilleurs praticiens éthiques des quatre professions
n’iront pas se fourvoyer dans les listes préfectorales pour s’affubler du
nouveau titre de « psychothérapeute » certes désormais paré du
prestige universitaire mais vidé de son ancien contenu vivant. Quant aux ci-devant niés, la plupart choisiront
de s’appeler désormais autrement, par exemple psychopraticiens ou praticiens en
psychothérapie relationnelle, ou encore psychanalystes car beaucoup se
perçoivent de fait comme néopsychanalystes : ils seront alors tentés de
fonder de nouvelles associations de psychanalyse pour bénéficier de la légalité
de leur titre, au risque de confusion et de concurrence, voire de jolis procès avec les associations
psychanalytiques traditionnelles (autre effet pervers de la loi, qui pourrait
éventuellement servir de prétexte pour s’occuper plus tard de la psychanalyse).
Tandis que les charlatans diplômés ou non continueront tranquillement de
charlataner.
La vraie nature du système de pensée initiateur de cette
loi se révèle donc ici, dans l’apparence de clarté qui cache la confusion, dans
la justification morale qui masque l’immoralité avec laquelle on traite les
psychothérapeutes relationnels, et dans une loi capable de séduire les élus de
tous bords mais qui tente de détruire l’une des quatre professions psy avec une
forte probabilité de dommages collatéraux pour les trois autres.