NON  A  UNE  POLITIQUE  DE  RETENTION  POUR  LES  SDF

 

La vague de froid de ces derniers jours, à la suite de la mort de 4 SDF dans le bois de Vincennes, donne lieu à une opération politique compassionnelle qui va bien au delà de ce qui se passe chaque année. La ministre du logement et de la ville Christine Boutin se fait en effet la porte parole d’une politique répressive contre les SDF  qui refusent les centres d’hébergement d’urgence : elle appelle la mise en place d’une action de contrainte des SDF à un hébergement obligatoire par grand froid. L’entretien qu’elle accorde au journal Le Monde des 28 et 29 décembre laisse apparaître deux arguments étonnants.  Le premier est, sous la foi d’un sondage récent, que 85% des sondés sont d’accord avec le fait d’amener en période de grand froid les sans abris en centre d’hébergement. Le deuxième est que les mêmes sondés accordent à ceux-ci la liberté d’ rester ou non. En tant que praticien en psychiatrie travaillant dans des équipes d’accès aux soins psychologiques, ce qui m’étonne est le chiffre de 85% car qui n’est pas pour aider les SDF à se mettre à l’abri et par tous les temps. Le problème est que les SDF refusent ces solutions et récusent souvent toute aide. Etonnement également quant à la liberté de repartir car c’est ce qui se passe depuis des lustres et est normal dans une société démocratique. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les ramassages forcés se font sans suites !

Cette violence promise aux SDF qui vient comme un redoublement de la violence de la situation d’être à la rue est d’autant plus intolérable qu’elle masque, en pleine crise économique, l’absence d’une politique de logement social et l’échec de la tentative du gouvernement de réduire l’impact de la loi SRU pour les localités qui refusent cette solidarité nationale, ainsi que sa carence à financer véritablement l’application de la loi Dalo sur le logement opposable.

Contrairement à d’autres pays européens qui traitent en amont les causes d’être sans logis et en aval créent des moyens d’accueils dignes, ce qui se traduit par un recul du nombre de SDF, la France en compte aujourd’hui près de 100000 avec des lieux d’accueils lamentables et discriminatoires.  

Les SDF refusent les hébergements d’urgence parce qu’ils ne s’y sentent pas dignement traités et que les solutions bricolées par eux-mêmes dans la rue leur paraissent plus sûres. Les équipes sociales et sanitaires qui tentent d’approcher ces laissez pour compte de la réussite sociale savent combien le temps pour construire un début de lien, combien la nécessité de prendre soin par des passages répétés sont essentiels pour rétablir une confiance relationnelle permettant aux propositions de sortir de la rue d’être accompagnées par ces réseaux d’aide. Les déclarations de Madame la ministre du logement témoignent du peu de cas qu’elle fait des droits de l’homme et de l’application des lois existantes sur l’assistance à personnes en danger par les intervenants de terrain, avec une mesure qui viole la liberté de circulation dans l’espace public et prône une gestion des risques répressive pour une catégorie de population.

Ce n’est ni par la criminalisation de l’errance, ni par le compassionnel agressif, ni par la transformation de l’hébergement d’urgence en lieux de rétention que se trouvera une solution qui évite les morts de la rue (près de 350 cette année, été comme hiver). De même ce n’est pas par la répression du phénomène social SDF et de ceux qui se mobilisent pour sa résolution (l’association DAL a été condamnée récemment à 12000 euros d’amende pour avoir animé un mouvement de tentes rue de la Banque à Paris l’hiver dernier) que l’on sortira de l’enfermement chronique dans la précarité.

Avec d’autres contributions dans la presse de ces derniers jours nous demandons la reconnaissance du travail réalisé par les associations et les différents services publics ainsi qu’un véritable état des lieux ouvrant une discussion sur les moyens humains et la politique de logement social à mettre en oeuvre. Les projets ne manquent pas qui tous passent par l’accompagnement de ces personnes laissées pour compte qui ne sont pas des hommes en trop. Les caisses ont été suffisamment pleines pour le soutien des banques qui ont participé de la crise financière mondiale actuelle, c’est le moment de les ouvrir pour les victimes de la crise au quotidien.

Dr Jean Pierre Martin

Vice-président du CEDEP (comité européen : droit, éthique,psychiatrie)