SARKOSYSME ?...L’ETERNEL RETOUR EN FORCE DU DISQUE-OURCOURANT. ANTISARKOSYSME ?...LE CONTRAIRE D’UNE ERREUR EST ENCORE UNE ERREUR !
Patrick Chaltiel Praticien Hospitalier de Secteur Psychiatrique, chef de service (Bondy/93)
Face à la Sarkomanie, alimentée à souhait par les dérives populistes de notre président, et qui s’exprime soit dans la fascination, soit dans l’opprobre, voire l’appel à la désobéissance civile (tout cela fait partie de la même « publicité présidentielle » au service d’un exercice particulièrement autocratique du pouvoir républicain), je m’efforce de ne pas céder aux invectives ni aux imprécations (qui ne feraient qu’alimenter la machine à contrôler l’opinion), mais de réfléchir, dans le calme qui sied à la démocratie, et à long terme, à ce que nous avons à défendre, et à modifier, dans notre psychiatrie française, pour la décennie à venir.
Cette dernière s’annonce riche en difficultés économiques, au plan mondial comme pour notre pays, que l’Europe ne continuera pas à protéger, sans contreparties significatives, des conséquences de son déficit budgétaire galopant.
En tant qu’acteurs de Santé Publique, nous avons donc, tout d’abord, à défendre l’idée qu’une politique volontariste de santé et de solidarité sociale, en période de crise économique, constitue une priorité préventive contre la désagrégation du lien social et la dissolution de l’appartenance républicaine, au profit d’un individualisme tribal et de communautarismes hostiles, germes de tous les totalitarismes.
En tant qu’acteurs de Santé Mentale, nous avons, de plus, à défendre l’idée qu’au sein de la Santé Publique, la Santé Mentale représente une ligne de front essentielle contre les effets délétères (individuels et collectifs) de cette désagrégation, ligne qu’il ne faut à aucun prix éloigner de la population, mais au contraire, renforcer dans sa proximité, sa réactivité et sa continuité d’action. (Rappelons aussi que, selon l’OMS, la Santé Mentale représente plus de 50% de l’ensemble des problèmes de santé dans le monde, en termes de population touchée et de conséquences socio-économiques).
En tant qu’acteurs de la Psychiatrie Publique, nous avons encore à affirmer et à défendre l’idée que le soin et l’attention sociale accordés aux personnes touchées par des troubles psychiques sévères (psychoses, états limites, troubles graves de la personnalité, troubles envahissants du développement,...=3à 5% de la population générale), et à leur environnement humain, constituent le cœur paradigmatique ou se définit l’éthique de la solidarité et le parti-pris de la citoyenneté au sein des pratiques de Santé Mentale. Si la psychiatrie régresse dans ses principes fondamentaux, s’affaiblit ou se pervertit, c’est l’identité et l’appartenance républicaine qui risquent de tomber malades pour longtemps ! Au-delà de ces préliminaires, la Psychiatrie Publique doit savoir reconnaître et remettre sur le métier ses carences, ses défauts, voire ses erreurs, sans pour autant désavouer les principes fondamentaux qui ont fondé, dans le monde entier, le virage à 180° de la psychiatrie moderne au cours de la seconde moitié du 20° siècle : Rappelons ici, tout d’abord, ces principes, auxquels nous ne saurions en rien déroger, avant que de nous attacher à une lecture critique de nos insuffisances.
Une pratique
soignante intégrée, continue et réactive, au plus près de la population,
doublée d’une pédagogie sociale intégratrice. La « place »
des malades psychiques n’est pas « à l’hôpital » (comme l’a répété M
Sarkozi, en opposant habilement l’hôpital à la prison)...mais dans la
cité !
Une pratique visant
à la « subsidiarité du soin médicalisé » au profit du « prendre
soin » par des liens d’attention et de confiance. Plus de 80% des
malades mentaux ne nécessitent aucun recours à l’hospitalisation psychiatrique
et peuvent bénéficier de soins suivis, sans rupture des liens de proximité
affective et d’appartenance sociale.
Une pratique
soignante efficiente, faisant la synthèse constante des acquis « universels »
des sciences cliniques, des sciences humaines et des neurosciences, tout en ne
négligeant jamais les ressources « locales » de
compréhension, de solidarité et de créativité thérapeutique.
Une pratique
d’interface et de « médiation sociale », tournée vers
l’ouverture partenariale et le décloisonnement institutionnel, ouvrant au débat
et à une politique locale du « vivre-avec » plutôt
que du « se protéger de » (la folie). Une prise en compte de la
« commande sociale » qui s’y exprime et une délimitation claire du
champ d’action de la psychiatrie dans les domaines de la protection sociale et
de la réduction des souffrances psychiques
Un appui sans
ambigüité et un débat constant avec les proches de la personne
touchée, repoussant les spectres de la violence, de la contrainte, de
l’exclusion et du rejet en construisant une « alliance thérapeutique
singulière », idiosyncrasique à chaque groupe humain impliqué dans cet
accompagnement.
Une pratique de
prévention primaire, secondaire et tertiaire, consistant en un accueil
immédiat, à bas seuil, de toutes souffrances psychiques paroxystiques, que
l’appel émane d’une personne ou d’un groupe social (famille, voisinage,
professionnels), la question de la nécessité et de l’opportunité d’un soin
médicalisé ou d’une action de prévention étant, à chaque fois, débattue avec la
personne demandeuse ou au sein du groupe humain concerné.
De tout cela, qu’avons-nous
fait ?...Beaucoup !, mais la route est encore
longue ! Quels sont les obstacles ?
1) La division des psychiatres :
Parmi les 13000 psychiatres en exercice que nous sommes (dont le tiers environ partira sans être remplacé dans la décennie à venir),
trois quarts
exercent en pratique libérale, ce qui exclut la prise en charge
(nécessairement pluridisciplinaire) des cas les plus sévères. Ils ne font pas,
pour autant (sauf exceptions) de la « bobologie », mais sont
orientés, par les poussées conjointes de la commande sociétale et de
l’industrie pharmaceutique, vers un traitement indifférencié de la
« souffrance psychique ».
parmi le quart
restant, moins de 10% exercent la psychiatrie universitaire, chargée
de l’exclusivité de la formation professionnelle des spécialistes...alors que
leur pratique clinique est, pour l’essentiel une pratique sélective, sans
contrainte de santé publique ni de continuité des soins, centrée sur une visée
d’excellence, à prétention scientifique,
parmi les 20% qui
ont choisi la psychiatrie publique, plus de la moitié n’ont pas eu la
volonté, ou les moyens, de mettre en œuvre cette politique (abandonnée
« au milieu du gué » par l’Etat dans les années 80, au profit d’un
virage vers une « perversion gestionnaire », d’inspiration libérale,
des politiques de santé...virage dont nous ressentons actuellement les pleins
effets deshumanisants).
Mais l’Etat n’est pas seul
responsable ! Un siècle et demi d’asile, dans l’histoire d’une discipline,
ça « tient au corps »...et nombre de nos collègues continuent à
penser qu’il faut soutenir et défendre l’ « hôpital psychiatrique »
(bastion historique érigé contre l’hostilité mutuelle entre société et folie),
plutôt que le risque et les combats d’une psychiatrie « hors murs ».
Ceux qui n’ont pas (ou peu) connu la détresse asilaire de l’exclusion, de
l’abandon et de l’oubli peuvent facilement se laisser gagner par l’utopie
Esquirolienne d’une abbaye de Thélème, paradis du « traitement moral de la
folie ».
Ainsi, les CMP de pure
forme et les hôpitaux de jour « intra muros » foisonnent encore dans
notre pays, qui s’était pourtant doté, dans les années 60 à 80, d’un dispositif
associant des missions de soin et de santé Publique parmi les plus novateurs au
monde ! Quant aux concentrations « néo-asilaires »rénovées,
elles sont encore le sinistre et honteux fleuron de notre système
d’hospitalisation psychiatrique. De la théorie à la pratique, nous sommes
maintenant loin du peloton de tête des nations « développées » !
Alors ?
Accepter la diversité ? Accepter la juxtaposition inégale sur le
territoire national de zones d’archaïsme et de modernité ? Ca
n’est plus possible !!!... D’abord parce que les « usagers » de
la psychiatrie, qu’ils soient patients ou familles, ont pris l’habitude de
s’exprimer sans honte...et de se faire entendre des décisionnaires (ce qui ne
manque pas d’irriter certains d’entre nous). Et aussi, tout simplement, pour
des raisons démographiques. La réduction de moitié du nombre de lits de
psychiatrie en France rend impératif le développement homogène de la pratique
ambulatoire du secteur, faute de quoi les grands malades ne peuvent plus
accéder à l’hospitalisation (saturée), ni non plus aux soins ambulatoire (faute
de moyens mis en œuvre hors murs). De surcroit, les infirmiers et infirmières
psychiatriques, dont le diplôme spécifique a disparu (pour de mauvaises raisons
d’homogénéisation européenne) et qui constituaient traditionnellement un
bataillon historiquement solide, sont en nombre sans cesse décroissant, dans
des carrières peu attractives, ou la psychiatrie ne s’inscrit souvent que comme
un « passage ».
Pour clore ce
chapitre de la désunion, parmi les dix pour cent restants, formés et
engagés dans la réalisation concrète du Secteur de Psychiatrie Générale et
Infanto-juvénile, là où devrait régner un climat d’unité sans faille et un élan
commun porteur de solidarité (à l’instar du climat des années 60 et 70 qui ont
vu la naissance de ce changement exemplaire)...là aussi, l’« union
sacrée » du syndicat unique s’est dissoute au bénéfice d’un
pluri-syndicalisme plus clientéliste qu’idéaliste. Sur ce terreau, les affrontements
narcissiques poussent mieux que les élans fraternels.
2) Les excès de l’utopie
Les utopies sont une
excellente chose, surtout dans une discipline nécessitant autant d’engagement
personnel et de partage de souffrance dans ses aspects les plus destructeurs ou
décourageants... Mais, de même que l’excès de sécurité tue la sécurité
(comme l’ont montré les sciences du danger (Cyndiniques) développées dans le
cadre de l’industrie chimique et nucléaire, auprès desquelles notre président
ferait bien de s’instruire), les excès humanistes peut parfois tuer
l’humanité ! (Après tout, comme me le faisait remarquer un collègue
particulièrement provocateur, l’eugénisme n’est-il pas, somme toute, un
« humanisme » dans sa volonté d’améliorer l’homme ?).
Ainsi, la défense
des « fous », traditionnellement victimes, dans toutes les
sociétés, de marginalisation, de stigmatisation et de maltraitances à divers
degrés ; l’ « éloge de la folie » comme
création subjective originale et singulière, comme expression d’une lutte
propre à l’homme, contre ce qui l’aliène, constituent un sous bassement commun,
plus ou moins explicite, pour la plupart de ceux qui s’impliquent dans le champ
de la psychiatrie...et fort heureusement ! (la haine du fou et de la folie
serait ici une « motivation » fort dangereuse...cf. Hannibal Lecter)
Pourtant, ces sentiments de
fraternité et de soutien ont exposé et exposent parfois la psychiatrie à
« déraisonner », soit vers un « angélisme », idéalisant le
malade mental sous les traits d’une « victime expiatoire », d’un
« créateur subversif », réprimé par l’intolérance et la normativité,
d’un martyr sacrifié sur l’autel de la « raison commune »...ou bien
encore vers une « esthétisation » poétique de la folie et de ses
productions symptomatiques, portées au pinacle de l’art, au détriment du
traitement limitatif de ces troubles et de la souffrance profonde qu’ils
engendrent ou qu’ils masquent.
Ces excès utopistes sont la
forme psychiatrique d’un « déni » de la folie-maladie,
malheureusement contre-productif, tant au plan du soin que des représentations
sociales. Surtout, ils organisent et renforcent un clivage inepte :
« pour » ou « contre » les fous et la folie, clivage
qui aggrave les obstacles à une politique consensuelle du « vivre
avec ». C’est pourquoi, pour revenir à mon propos
initial, je pense inutile et néfaste de sur-réagir aux propos d’Antony
(fort inquiétants pour nous, qui savons les lire entre les lignes, mais forts
rassurants pour une opinion publique profane, maintenue dans l’ignorance par
une désinformation systématique quant aux troubles psychiques et à leurs
traitements).
La psychiatrie doit
savoir convaincre la nation et ses élus que la voie de la psychiatrie
de secteur, demeure, pour l’essentiel, la meilleure...à condition de la
réaliser vraiment, résolument et partout sur le territoire national. Dans tous
les lieux ou cette utopie est devenue réalité concrète, les soignants
psychiatriques sont empreints de courage, de confiance dans leur capacité à
remplir leur mission, de dynamisme et d’inventivité, d’ouverture aux
collaborations et de pugnacité dans les confrontations sociales. Les patients
suivis ainsi que leur entourage reconnaissent le bénéfice de ces soins exempts
de brutalité et produisant un recul de la « peur stigmatisant » Pour
autant, doit-on prétendre soigner la totalité des malades mentaux selon ces
modalités, à l’exclusion de toute autre ? Il est, à mon avis,
erroné et néfaste de la prétendre. L’Angleterre, qui, depuis une dizaine
d’années, s’est résolument engagée, avec une admirable détermination et
efficience, vers le soin dans la communauté, s’est, par ailleurs, dotée d’un
système de 700 places d’UMD pour les malades difficiles, et d’autant de places
en structures médico pénitentiaires pour les criminels et délinquants atteints
de pathologies mentales...Comme quoi les deux ne sont en rien
incompatibles ! L’erreur d’une utopie sécuritaire (le risque zéro), est
aussi néfaste que l’erreur inverse du « tout ambulatoire ». La
maladie mentale nécessite, parfois, une contention
protectrice...et, toujours, une continuité d’attention au
patient et à ses proches. La « faute » de notre président dans son
allocution sécuritaire est de ne pas rappeler à l’opinion (qui n’en sait rien)
que 95% des malades mentaux sont victimes de la délinquance et de la
criminalité (dans des proportions considérables, rapportées à la population
générale)...alors que seulement 5% d’entre eux en sont auteurs ! Quant aux
propositions présidentielles sur l’obligation de soins judiciarisée (bracelet
ou non), elle constituerait une atteinte sans précédent aux principes démocratiques
et une régression contre productive aggravant la « dangerosité » et
la violence.
LE PRINCIPAL PROBLEME DES MALADES EST LEUR VULNERABILITE ET NON PAS LEUR DANGEROSITE ! VOILA QUI MERITE D’ETRE, A CHAQUE FOIS, RAPPELE A L’OPINION PUBLIQUE, CONVAINCUE DU CONTRAIRE PAR UNE CONSTANTE DESINFORMATION POLITICO-MEDIATIQUE DEMAGOGIQUE ET CLIENTELISTE.