Après la prise de position « Nous refusons la politique de la peur »
(Le Monde, 13 décembre 2008)


Manifeste pour des états généraux des droits et des libertés


La politique de la peur que nous dénonçons attaque des secteurs entiers de la population qu’elle stigmatise comme dangereux. Une nouvelle fois, on épingle la dangerosité sociale à la maladie mentale en médiatisant à grande échelle les fous criminels et les errants ; alors que, loin d’être d’abord des délinquants et criminels, ce sont des victimes de multiples discriminations et violences. On utilise l’émotion populaire pour établir un déni de droit par la rétention de sûreté pour les délinquants sexuels et les détenus dangereux … sur ordonnance. On veut faire des jeunes décrocheurs la « racaille » qu’il faut réprimer sans égard dès l’âge de 12 ans. Et on trouve les moyens et l’argent pour développer cette politique sécuritaire qu’on refuse aux institutions de prévention, de soin et d’éducation. Ce populisme pénal poursuit des logiques économiques néolibérales qui pénalisent les pauvres et les plus vulnérables. Nous savons que le droit peut être utilisé en vue d’atteindre n’importe quel but social ; sa fonction première est de maintenir l’ordre social. C’est pourquoi nous nous déclarons résolument du côté des Droits de l’Homme et du citoyen dans leur fonction ordonnatrice de la société.

Nous savons qu’une société se juge à la manière dont elle traite les marginaux, les déviants, les fous, les vagabonds, les personnes vulnérables et précarisées. Nous refusons que les dispositifs d’aide et de soin soient réduits à une « gestion du déchet », notamment pour les systèmes judiciaire et psychiatrique. L’Etat Social doit rester la référence, les effets et conséquences de la crise mondiale actuelle du modèle néolibéral nous en confirment le bien fondé.

La démocratie ne repose pas sur une société d’hommes normés, mais sur la richesse de sa diversité sociale, culturelle, d’origines, et sur les valeurs qu’elle promeut pour qu’elle génère reconnaissance sociale et expression plurielle. Il n’y a pas d’homme ou de femme superflus.

La République se base sur la séparation des pouvoirs et sur la mise en acte des missions de l’appareil d’Etat garanties par la constitution : droit d’asile, droit à l’éducation, droit à la santé, liberté d’expression, droit à la vie privée, …. La politique sécuritaire actuelle accélère les remises en cause de ces principes démocratiques élémentaires déjà à l’oeuvre précédemment. Les réformes visant à détruire l’existant vont à un rythme qui confirme que les principes démocratiques de consultation, de concertation, de débat public sont jetés à l’encan. Sciences et justice sont convoquées pour valider avec zèle dérégulation, sauvagerie du marché, destructivité, etc.

Les luttes contre le déterminisme génétique, contre la prévention prédictive (« pasdezérodeconduite »), contre la loi de prévention de la délinquance, contre la rétention de sûreté, contre le fichage sont toujours d’actualité. Contre la logique manichéenne, qui divise la société en deux catégories massives, les citoyens - victimes et les supposés dangereux, nous rappelons que toute vie en société est faite de complexité, de tensions et de prises de risque. Cette idéologie gagne en puissance en s’appuyant sur l’émotionnel. Chaque fait divers est l’occasion de réveiller les vieilles peurs au plus intime de chacun.

Face au flot continu de lois, nous devons soutenir au moins trois nouveaux fronts :
* contre la loi « hôpital, patient, santé, territoire » La politique de la peur s’alimente d’un service public fragilisé au nom des valeurs néo-libérales managériales qui privilégient la rentabilité gestionnaire sur les contenus et vulnérabilise le sens du travail des équipes.

* contre la réforme du traitement judiciaire de la délinquance des mineurs.

* contre la réforme de l’hospitalisation psychiatrique centrée sur l’enfermement et pour une réforme des soins psychiatriques qui intègre pleinement les avancées des dernières décennies, pour une gestion faisant une place centrale au parcours d’un sujet de droit et reconnaissant les personnels et les nécessités de formation.

Ce minage des dispositifs —notamment de soins avec la loi HPST dite loi Bachelot, de l’éducation avec les réformes Darcos et de la justice avec les lois Dati— produit une désertification d’un service public de qualité et de proximité à la hauteur des besoins sociaux, et entraîne des accidents qui sont imputés à la responsabilité individuelle d’agents des services. La souffrance au travail en est la conséquence directe.

Au delà de la dénonciation déjà affichée dans le texte « Nous refusons la politique de la peur » (et dans les pétitions et appels auxquels nous participons), nous affirmons que des solutions, des orientations, des pratiques pour le droit et la dignité, pour la liberté, la justice et l’égalité, existent et sont déjà à l’oeuvre, que nous nous efforcerons —y compris dans nos différences et nos divergences— de promouvoir publiquement et solidairement.

Nous appelons à des chantiers —locaux ou sectoriels— qui pourront établir des cahiers de doléance, qui mettront en valeur que le mouvement social et ses organisations disposent de réponses qui ont pour elle le mérite de respecter les principes démocratiques.

Nous n’avons pas prétention à l’exhaustivité et nous respectons et soutenons les mouvements et les luttes actuelles : Réseau Education sans frontière, luttes contre les réformes Darcos, lutte contre les lieux de rétention contre les sans abri et les sans papiers, luttes contre l’oeuvre de destruction du droit du travail, luttes contre les droits à la santé, lutte contre l’instrumentalisation de la psychiatrie. Ces mouvements de contestation soulignent avec force qu’il s’agit bien de lutter ensemble sur tous les fronts ouverts par les attaques du gouvernement et du président de la république.
Nous souhaitons une coopération réciproque, un soutien mutuel et une unité dans une opposition déterminée. Nous en appelons également aux élus évidemment concernés par les choix de société en cours et par les conséquences des politiques et lois dangereuses édictées actuellement.

Nous ne reculerons pas devant l’épreuve de salut public qui nous attend. ous appelons à la préparation d’états généraux des droits et des libertés en juin 2009.


Contact : cedep.paris@wanadoo.fr