« Les malades dangereux seront
enfermés ».
Voilà ce que tirait sur deux pages, ce 28
février, la presse locale et régionale !
Ces
derniers temps, les médias n’ont de cesse de développer des faits divers
qui mettent en cause, tout à la fois, les malades mentaux et la
psychiatrie : deux malades s’échappent d’un hôpital de Bretagne, à
Grenoble un patient schizophrène tue un homme en pleine rue, à Marseille un
autre schizophrène dangereux s’échappe de l’hôpital psychiatrique ; sans
compter les rebondissements du drame de Pau…
Surfant sur l’émotion et la peur, le
président N. Sarkozy annonce un durcissement de la loi, la création de centres
fermés, la mise en place d’un fichier…
Dans la foulée de ces annonces, l’hôpital
psychiatrique de Sotteville va donc construire une « Unité pour
Malades Difficiles » (UMD) dans laquelle se retrouveront des malades issus
des régions limitrophes.
Faut-il s’en réjouir ?
Soignant en psychiatrie pendant 40 ans,
dont 20 ans au Havre, je ne peux que réagir !
D’abord, je ne veux et ne peux ignorer la souffrance
ni des victimes , ni des familles ni celle des hospitaliers…
Si dramatiques soient ces événements, ils
ne doivent pas cependant servir de prétexte pour remettre en cause les immenses
progrès de la prise en charge de la santé mentale dans notre pays. De
nombreuses équipes se sont et sont investies, elles doivent avoir le soutien du
plus grand nombre.
La psychiatrie est et sera toujours sur le fil du
rasoir : à la recherche d'un équilibre entre le besoin de soins de la personne
et sa liberté individuelle, entre les limites de la sécurité, celle du patient,
celle de son environnement et la solidarité nécessaire à toute intégration.
Stigmatiser les malades mentaux et particulièrement
les schizophrènes n’est pas acceptable ! Habités
par des délires effroyables, ils sont, au quotidien, en profonde
souffrance, taraudés par leur propre peur et infiniment plus dangereux pour
eux-mêmes que pour autrui. Ils sont malheureusement les premières victimes de
l’incompréhension de la société, parfois même des soignants et trop souvent
d’une insuffisance d’accompagnement personnalisé.
Au
cours de mon cursus professionnel, la prise en charge de « l'homme
fou » s'est transformée, la pratique soignante a été révolutionnée, une
véritable formation s'est construite, la psychiatrie s’est humanisée,
l’enfermement a reculé au bénéfice du maintien ou du retour des malades dans
leur lieu de vie ordinaire, c'est à dire la cité. De ces évolutions : j’en
suis heureux et fier !
Face aux différents discours tenus lors de
drames certes malheureux, face aux conséquences que l’on pressant, dont la
création de l’UMD Sottevillaise, mon
expérience m'amène à poser une question : « l'hyper sécurité recherchée
par notre société, l’application aveugle
du principe de précaution ne sont-ils pas à l'origine de la remise en cause de
libertés chèrement acquises et de bien des avancées de la prise en charge des
malades mentaux ? »
Comment nous expliquer, à nous, qui avons
proscrit clés, cellules, entraves, camisoles… qu'aujourd'hui il faille revenir
à ces mêmes méthodes, qui plus est, méthodes officialisées par des protocoles
et que sais-je encore ? Peut-on affirmer, même si parfois des « gardes
fous »
sont nécessaires, que les chambres d'isolement et l'enfermement en général conduisent plus facilement à la
guérison ? Obtenir des résultats, aboutir à des
re-socialisations passe par des accompagnements individualisés, et comme pour
toute autre démarche thérapeutique, la prise de certains risques ; il faut
donc savoir donner, dans cette discipline, du temps au temps !
En écho aux
grandes pages d’histoire qui ont marqué la vie de l’hôpital de Sotteville, dont
le discours de Mr Rallite (ministre), en prolongement de l’action de plusieurs
grands psychiatres de ce même hôpital dont le Dr Bonnafé, j’ose interpeller les
actuels acteurs de la psychiatrie Rouennaise et plus largement toute la
population :
N’ayons pas peur
de la folie, elle est
intrinsèquement liée à l’homme et à son
histoire !
N’ayons pas peur
de l’homme qui est atteint de psychose, il est notre semblable !
N’ayons pas peur
de nous opposer à tout ce qui réduit l’homme
fut-il malade au rang d’esclave, de prisonnier, d’exclu !
Quant aux les politiques, je leur dit :
N’ayez pas peur d’appeler la société à la tolérance, à la
solidarité, au respect, ne versez pas
dans la démagogie du tout sécuritaire, ne cherchez
pas à faire de l’hôpital en général et de la psychiatrie en particulier une
entreprise rentable !
Roland
Bourdais bourdaisroland@wanadoo.fr Tél. 0235545083
Auteur du livre : « Parcours original d’un soignant » en santé mentale, éditeur L’Harmattan